The Abandoned Quarry (fr)

A l’ouverture d’en haut, par où, selon l’heure et la saison, passaient le soleil et la pluie, correspondait sur le sol un large cercle mouillé, mare en hiver, boue en été. Un jour de crypte tombait de cette crevasse dans la carrière. Au bout de quelques instants l’oeil s’y faisait, et l’on finissait par distinguer les linéaments des rues souterraines, les gravois de la brèche intercalés ça et là par bandes horizontales dans la roche calcaire et les plissements lépreux de la pierre au plafond des galeries; dans ce crépuscule ces voûtes rugueuses ressemblaient à des ventres d’éléphants, dont les pieds faisaient les piliers. A voir tous ces pieds monstrueux, immobiles dans l’ombre, on eût pu se croire sous un gigantesque troupeau de mastodontes pétrifiés.

Comme Enjolras achevait de parler, des faces vagues apparurent au fond de la pénombre. On entendit comme un bruit de pieds nus dans la boue. Les jeunes gens se retournèrent. Un nouvel auditoire faisait son entrée. Auditoire inattendu. Dans la partie la plus ténébreuse de la carrière, des yeux brillaient, quelques-uns ronds et phosphorescents; des têtes étranges se mouvaient dans la lividité terreuse du souterrain; plusieurs bâillaient comme si elles venaient de sortir du sommeil. Un demi-cercle des masques farouches s’ébaucha confusément dans la brume. Ces faces regardaient et approchaient. Cela était probablement des hommes.

—Qui êtes-vous? demanda Enjolras.

Une voix dans laquelle un agent de police eût reconnu l’accent assez correct de Babet répondit:

—Nous sommes des protestants comme vous.

—Autrement que nous, dit Combeferre.

—Nous sommes vos amis et vos frères.

—Nos frères, oui; nos amis, non, dit Enjolras.

Il y eut un silence.

Enjolras reprit:

—Je vois qui vous êtes.

—Nous sommes des voleurs, cria une autre voix, celle de Gueulemer.

—Vous êtes la maladie sociale, répliqua Enjolras. Nous voulons vous guérir. Nous vous avons vus. C’est bien. Allez-vous-en.

La voix qui avait parlé la première interpella de nouveau Enjolras.

—Citoyen, nous étions là. Nous vous avons entendu. Ce que vous avez dit est bien. Nous sommes, comme vous, les ennemis de ce qui existe. S’il y a quelque chose, si l’on remue les pavés, comptez sur nous.

Enjolras répondit:

—Vous êtes des victimes. Vous êtes les produits douloureux de la misère. Pas de misère, pas de vol; pas d’abrutissement, pas de crime. Nous voulons une société nouvelle où il n’y aura plus d’hommes comme vous. Nous voulons que ces hommes comme vous soient pansés comme des blessés et non tués comme des ennemis. Nous voulons une patrie si heureuse que vous redeveniez honnêtes. Nous voulons vous sauver. Nous nous sentens émus jusqu’au fond des entrailles par votre malheur. Nous vous plaignons, nous pleurons sur vous, nous travaillons pour vous.

—Bravo! cria le groupe sombre.

—Merci, dit celui qui semblait le chef.

—Maintenant, reprit Enjolras, j’ai une chose à vous dire. Si l’un de vous vient dans ma barricade, je le fais fusiller.

On se sépara. Les jeunes gens remontèrent au jour et ces hommes rentrèrent dans la nuit.

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