Troisième audience (25 octobre)
À dix heures et demie l’audience est ouverte.
M. Boular (de la Meurthe), juré. Je prie M. le président de faire rappeler le témoin Levert.
Le témoin s’approche. –D. Reconnaissez-vous bien l’accusé Conilleau? R. Oui, il était à la barricade, et en uniforme de garde national.
M. Leclercq. Le 5 juin au soir, j’ai vu, rue Saint-Méry, un soi-disant général qui nous dit: «Mes amis, on égorge, on assassine la garde nationale; il faut faire des barricades.» Une barricade fut en effet construite; bientôt un peloton de la garde nationale s’approche, et pendant que le capitaine de ce peloton parlementait avec un garde national placé sur la barricade, un décharge eut lieu.
M. le président. Quel était l’homme qui est sorti de la barricade? R. C’est Rossignol. –D. Connaissez-vous Jeanne? R. Oui, Jeanne y était.
M. le président. Qui est-ce qui a fait la décharge?
M. Leclercq. Ce sont les insurgés. –D. Avez-vous vu tirer Jeanne? R. Oui. –D.Comment était-il vêtu? R. En uniforme de garde national. –D. Avait-il un schako? R. Oui. –D. Était-il en feutre ou couvert d’une toile cirée? R. Je n’ai pas remarqué. –D. Avez-vous vu rentrer Rossignol dans la barricade? R. Oui, aussitôt après la première décharge. –D. Combien y a-t-il eu de décharges? R. Deux; la première a été faite, je crois, par la garde nationale; la deuxième a été faite au moment où Rossignol parlementait. J’ai même dit: «Ils auraient pu tuer Rossignol.»
M. le président. Et le lendemain, qu’avez-vous fait? R. Rien, car je me suis renfermé chez moi; il y avait danger à sortir. Cependant de temps à autre j’ai mis la tête à la fenêtre, et j’ai vu Jeanne armé, mais en habit bourgeois.
Rossignol. Le témoin m’a vu passer par la barricade; mais après avoir suivi M. Martin jusqu’à la rue du Poirier, il fallait bien rentrer rue Saint-Méry pour aller chez M. Fournier.
Jeanne. Le nommé Simon a-t-il été vu dans les barricades se battant?
M. le président. Simon n’est point accusé; il a été justifié par l’instruction; je ne puis me rendre accusateur d’un témoin.
Jeanne. C’est un lâche calomniateur, et je tiens à ce que sa moralité soit jugée.
Me Marie. Elle est jugée.
Jeanne. Oui, et jugée par toute la France.
M. le président, à M. Rougeot, major de la 4e légion. Monsieur, vous avez été appelé en vertu du pouvoir discrétionnaire, pour éclairer la justice sur ce que vous auriez vu le 5 juin.
Le témoin. Le 6 seulement, à huit heures du matin, un détachement de la garde nationale s’avança près de la barricade, rue Saint-Méry; les premières barricades étaient abandonnées. Les grenadiers s’occupaient à les détruire quand on tira sur eux un coup de fusil: alors nous avons avancé au pas de charge jusqu’à la barricade Saint-Martin. Un seul homme, l’adjudant-major Bellier, a franchi la barricade et a disparu; nous nous sommes retirés, et nous avons appris un instant après qu’il avait péri.
M. le président. La barricade sur laquelle M. Bellier a perdu la vie est donc celle qui était à l’extrémité de la rue Maubuée? R. Non, Monsieur; c’est, je crois, à la barricade à l’entrée de la rue Saint-Méry.
M. le président. Savez-vous ce que sont devenus les vêtemens du major Bellier.
Le témoin. Il était dépouillé de son épée, de son schako et de ses épaulettes.
M. Delaunay, marchand de draperies. Le 6 juin, j’ai fait partie d’un détachement qui s’est dirigé de six à huit heures du matin sur la rue Aubry-le-Boucher; nous avons été reçus à coups de fusils; nous nous sommes avancés en ripostant; ceux qui étaient embusqués aux fenêtres avaient sur nous beaucoup d’avantage; j’étais en avant de mon détachement, et je me suis trouvé au milieu d’un rassemblement; on m’a fait prisonnier: deux hommes toutefois m’ont protégé et m’ont reconduit chez moi: j’ai reçu des coups de poing, et on m’a pris tout ce que j’avais sur moi. –D. N’étiez-vous pas avec l’adjudant Bellier? R. Oui, mais je l’ai perdu de vue; plus tard, on a rapporté le cadavre de M. Bellier; il était dépouillé de ses armes. –D. On vous a dépouillé? R. Oui, mais seulement de mes armes et de mes cartouches. –D. Vous avez été fouillé? R. Non, Monsieur; on n’a pas touché à ma bourse.
Jeanne. Monsieur n’a pu être frappé par ceux qui étaient à la barricade; il avaient autre chose à faire.
Me Marie. Les témoins qu’on vient d’entendre sont ceux indiqués par un procès-verbal d’officier de paix, rédigé hier soir. Le seul fait sorti des débats est la mort de M. Bellier; cela n’est pas et ne pouvait être contesté. Un second fait sur lequel on a insisté est le dépouillement de M. Bellier; je désirerais qu’à ce sujet M. Chapuis, colonel de la légion, fût entendu.
M. Maqueret, serrurier. Le 5 juin, sur le soir, je me suis rendu au café Leclercq; voyant un mouvement dans la population, je rentrai chez moi pour surveiller mes ouvriers. Je n’étais plus capitaine de la garde nationale, sans cela j’aurais mis mes épaulettes, je me serais jeté sur M. Rossignol, avec lequel j’étais intimement lié, et je serais parvenu à l’arracher de la barricade où il travaillait. J’ai vu aussi M. Jeanne; il tirait; mais je ne me rappelle pas avoir vu tirer M. Rossignol; il allait et venait. J’ai vu aussi M. Simon père travailler à la barricade, il a même eu une explication assez vive avec un capitaine de la garde nationale.
M. le président. Avez-vous revu depuis Simon? R. Non, car je suis resté dans mon atelier, qui a été envahi plus de vingt fois.
M. le président rappelle M. Leclercq, et lui demande: Avez-vous eu le 5 un entretien avec Simon? R. Oui, Monsieur. –D. Vous a-t-il engagé à prendre les armes? R. Je ne me rappelle pas.
M. Chalamel, libraire, rue de l’Arbre-Sec. Nous sommes allés avec le 4e bataillon (j’étais du 2e), dès quatre heures du matin, sur la rue Aubry-le-Boucher; nous avons tiraillé cinq ou six minutes; ensuite nous avons battu en retraite, parce que nous n’étions pas en force. M. Bellier, qui était allé en avant, a été tué avec un de nos camarades, M. Lefort. Le feu partait de la maison no. 30, au 2e; on nous jetait également des moëllons des fenêtres d’une maison au coin de la rue Aubry-le-Boucher.
Le sieur Jeannot, ouvrier en papier, tambour de la garde nationale. J’étais avec le capitaine Martin; un jeune homme de seize ans est venu à moi avec un pistolet; un monsieur qui était près de lui m’a demandé pourquoi je rappelais; j’ai dit qu’on allât parler au capitaine; il est sorti cinq ou six hommes, on a parlé à mon capitaine; mais je ne sais ce qui s’est dit.
M. Dumont. Le 5 juin, ayant affaire rue Saint-Denis, je passai par la rue Saint-Martin. Il y avait une barricade formée; M. Rossignol y était avec un fusil. Le lendemain, j’ai vu Mlle Alexandre et M. Rossignol à leur fenêtre. Le même jour j’ai vu M. Jeanne; il a tiré très long-temps; il semblait ajuster avec beaucoup de précision, et ne s’exposait pas.
M. l’avocat-général. Sans s’exposer?
Jeanne. J’ai toujours présenté ma poitrine aux balles de l’ennemi.
M. Bucaille, négociant, rue Saint-Martin. Le 5, vers six heures, je vis passer un petit homme habillé en garde national; il dit assez haut: «On assassine les gardes nationaux sur les boulevarts.» Je ne pus croire à cette étrange assertion. Je voyais des hommes habillés en bourgeois, des gardes nationaux armés. Je me disais: Que se passe-t-il ailleurs? Est-ce qu’il y a une révolte générale? est-ce qu’on en est réduit à huit ou dix gardes nationaux pour se barricader? Bientôt on forma une barricade, et j’ai vu, à mon grand étonnement, un sieur Simon qui a été récompensé largement depuis la révolution de juillet; il travaillait avec activité; mais je n’avais encore aucune idée fixe sur ce qui se passait. Cependant je dois dire que depuis j’ai appris que ce Simon avait été induit en erreur, et qu’il croyait marcher avec la garde nationale. Je le crois innocent. Toute la nuit il y a eu grand bruit dans la rue; le lendemain, vers six heures, on frappe à la porte: je fais ouvrir, et je demande pourquoi. L’homme qui avait frappé me dit: «Il faut bien que vous ouvriez: on nous assassine; il nous faut une retraite. –On ne m’assassine pas, lui dis-je; faites comme moi, rentrez chez vous, et le calme sera bientôt rétabli.»
(M. Bucaille raconte que, peu de temps après, un jeune homme de petite taille est venu s’embusquer à sa porte, et que, malgré toutes ses observations, il a tiré vingt-cinq à trente coups de fusil.)
M. le président. Jeanne, n’est-ce pas vous?
Jeanne. C’est vrai.
M. Bucaille. Je vous reconnais.
Jeanne. Et moi aussi.
M. Bucaille. Et je voudrais que vous eussiez suivi mes avis.
Jeanne. J’ai obéi à ma conscience, et je recommencerais encore.
M. Miellon, garçon chapelier. J’ai vu M. Jeanne tirer le 6, entre neuf et dix heures, sur les gardes nationaux détachés. –D. Paraissait-il bien animé? R. Oui, Monsieur.
M. Delapalme. Ces gardes nationaux détachés avaient-ils une attitude hostile? R. Non, Monsieur; ils se retiraient chez eux, et Jeanne était garanti par la barricade.
Jeanne. C’est faux, je n’ai jamais été un lâche. Ici je sens le besoin d’expliquer ma pensée. Tout-à-l’heure je viens de dire que je recommencerais encore: oui je recommencerais encore, si, sortant du boulevart Bourdon, j’étais encore dominé par les sentimens qui me torturaient l’âme, et si je croyais de mon devoir de résister à l’oppression par la force.
D’ailleurs je déclare que jamais je ne me suis battu en lâche; en juillet, blessé pour la sixième fois, j’ai sauvé, en m’exposant à la mort, vingt-trois hommes, dont un venait de me loger une balle dans l’épaule, et en juin j’étais le même qu’en juillet.
Le sieur Roger. J’ai vu le sieur Rossignol aller à l’hôtel Jabach avec un drapeau tricolore.
Rossignol. J’aurais eu un drapeau tricolore à la main que je n’aurais aucun intérêt à le nier; mais je jure sur l’honneur que ce fait est faux, et je prie M. le président d’interpeller à ce sujet tous les témoins.
Roger. Si ce n’était pas M. Rossignol qui avait ce drapeau, c’était alors une autre qui lui ressemblait.
M. Chapuis, qui était, le 6 juin, lieutenant-colonel de la 4e légion, et est actuellement colonel: Je suis parti avec un détachement de soixante-dix à quatre-vingts gardes nationaux, pour forcer les barricades. J’ai dit aux gardes nationaux: «Messieurs, c’est une chose extrêmement sérieuse que je vous demande: il s’agit de recevoir d’abord des coups de fusil: et d’en tirer ensuite. Notre mission est de laisser tirer sur nous d’abord avant de résister.» L’approbation fut unanime. J’ai dit: «Ce sera très fâcheux pour ceux qui tomberont, mais on les vengera, et nous parviendrons plus efficacement à rétablir la tranquillité.» Nous nous avançâmes rue Saint-Denis jusqu’au marché des Innocens, et nous détruisîmes plusieurs barricades. Les insurgés qui s’y trouvaient se retiraient à mesure, mais on nous tirait des coups de fusil des fenêtres. Je pris avec moi une section, et nous fîmes une détour pour entrer dans la rue Saint-Martin. L’adjudant-major Bellier prit une autre route avec un détachement différent, et nous étions au moment de nous rejoindre lorsque M. Bellier fut tué sur une barricade. Un individu, en uniforme de garde national, est sorti de la barricade pour venir au devant de nous: on a pensé que c’était un piège pour nous attirer dans une embuscade. J’ai ordonné le feu; cet individu s’est retiré. La barricade a été évacuée; mais il restait des insurgés dans les maisons. Si j’avais eu avec moi de la troupe de ligne, je ne me serais pas arrêté là, j’aurais pénétré dans les maisons; mais étant avec des gardes nationaux, avec des pères de famille, je n’ai pas voulu exposer leur existence, qui m’était en quelque sorte confiée.
M. le président. Vous avez fait courageusement et noblement votre devoir. Laissâtes-vous M. Bellier sur place?
M. Chapuis. Je me suis avancé moi-même pour relever son corps; au même instant trois coups de fusil furent tirés sur moi; une balle atteignit le pompon de mon schako, une autre balle traversa mon schako. J’aurais bien fait avancer trois ou quatre gardes nationaux; mais je vis que M. Bellier était mort, et je ne crus pas devoir, pour enlever ce cadavre, exposer la vie de plusieurs pères de famille. M. Bellier était un brave, un ancien militaire, plein d’honneur et de courage; il a été universellement regretté.
M. Serin, bijoutier, rue Saint-Méry. Le 5, j’ai entendu M. Jeanne crier: Aux armes! aux armes! Je lui ai parlé; il me répondit: «C’est fini, nous tenons le bon bout.» Je ne savais ce qu’il voulait dire. Une demi-heure après, je vis un faux général; il ordonna de faire une barricade…..
M. le président. Et le 6, avez-vous vu Jeanne?
Le témoin. Oui; il tirait, et allait d’un côté, d’un autre. –D. Avez-vous vu Rossignol? R. Oui, d’abord parlementer avec un officier, puis à son balcon; il m’a même salué. –D. Avez-vous vu distribuer des cartouches? R. Oui, j’ai vu une femme de halle, je crois, qui distribuait des cartouches sur la barricade.
M. le président. Jeanne, qu’avez-vous à dire?
Jeanne. Eh! mon Dieu, Monsieur, j’avoue tout ce que j’ai fait; quand j’agis, je mets la main sur mon coeur, et peu m’importent les résultats. Quant à l’expression que me prête le témoin, je ne m’en suis jamais servi.
M. Cerveau, distillateur, rue Saint-Martin, a vu Simon père travailler activement à construire une barricade. Le soir, dit-il, au moment où un détachement de la garde nationale approchait, M. Rossignol a parlementé avec un capitaine; puis on a fait feu; M. Rossignol s’est rentré dans la barricade, et a tiré comme les autres. Comme je rentrais chez moi, je vis Jeanne, qui me reprocha d’avoir fermé la porte de ma maison. Ma portière m’a dit qu’il lui avait fait les mêmes reproches, en la menaçant.
M. le président. Après la confection de la barricade, avez-vous vu Simon?
Le témoin. Non, Monsieur; il a disparu, et je ne l’ai plus revu. Il s’est élevé une discussion pour un jeune homme du quartier, âgé de dix à douze ans, qui voulait se battre; on voulait le renvoyer; ce jeune homme avait même une assez forte blessure au front. Jeanne l’engageait à se retirer.
M. le président. Vous avez vu Rossignol faire feu?
Le témoin. Oui, oui, Monsieur; je l’ai même vu après; le chien de son fusil n’était pas encore relevé.
Rossignol. C’est une erreur fort grave.
M. Delepine. J’ai vu M. Rossignol avec son fusil, il avait l’air de commander quelques personnes de la barricade. J’ai vu l’accusé Goujon charger des fusils et distribuer de la poudre dans l’hôtel Jabach. Je pansais une blessure de ce même Goujon; Jeanne entra, Goujon sauta aussitôt à son cou, et lui dit: «Mon vieil ami, viens que je te montre mes blessures.» Il avait reçu plusieurs balles dans son schako, dans ses vêtemens, et au bras: c’est la blessure que je pansais.
M. le président. Est-ce qu’on tirait de l’hôtel Jabach?
Le témoin. Oui, et on a monté dans les étages supérieurs des tuiles, des pierres et des bouteilles cassées.
M. le président. Goujon, qu’avez-vous à dire?
Goujon. Tout cela est faux; je ne connais pas M. Jeanne, je n’ai pas sauté à son cou.
Le témoin. Vous mentez impudemment.
Goujon. Monsieur m’a pansé, je l’en remercie; je lui ai même dit: «C’est bien malheureux, je ne devrais pas être là.»
Le témoin. Goujon a même donné de la poudre à Jeanne.
M. Blanchet. Le 6 juin, j’ai vu Goujon tirer deux fois son fusil; un coup a raté.
Goujon. C’est sur les révoltés.
Le témoin. Il y avait de la garde nationale et de la troupe qui défilait.
Goujon. J’avais ôté la balle de ma cartouche, et je tirais parce que j’avais perdu la tête.
M. Raveneau. Le 6 juin, Goujon a tiré deux coups de fusil, et je n’ai pas aperçu de troupes du côté où il tirait.
M. Charlet, boulanger, fait la même déposition que les deux précédens témoins, et il ajoute qu’il l’a vu tirer sur la ligne.
M. Kauffner. J’ai vu Goujon tirer le matin à sept heures et ensuite vers deux heures.
Mme Gravelle, bijoutière. Le 5, au soir, j’ai vu former la barricade. On criait qui vive? il fallait répondre citoyens! Sur les trois heures du matin, les insurgés ont fait feu sur la troupe. Cette dame déclare que plusieurs fois un chef d’insurgés est venu pour enfoncer sa porte et monter chez elle, afin de faire feu de ses fenêtres. Je lui fis observer, continue le témoin, que les personnes avec lesquelles il était pourraient peut-être commettre quelques vols, et qu’on les lui reprocherait; il a été touché de mes raisons, et ils sont montés au troisième: ce monsieur s’est conduit envers moi avec beaucoup de politesse; la dernière fois qu’il est revenu, il m’a dit: Madame, je suis bien fâché de vous importuner tant de fois, mais cela va finir; et il fit descendre ses hommes, et je ne l’ai plus revu. Cet homme était en petite veste de chasse, une calotte rouge, et décoré de juillet.
M. le président. Jeanne, était-ce vous?
Jeanne. Oui, Monsieur, c’était moi.
M. Legonidec, juge suppléant au tribunal civil de la Seine. Je me trouvais le 6 à l’état-major de la garde nationale lorsque plusieurs individus arrêtés rue Saint-Martin y furent amenés; j’ai été chargé de plusieurs interrogatoires: c’est ainsi qu’en ma présence un nommé Mulette a été fouillé, il avait de la poudre dans la poche de son gilet, et la figure noircie par la poudre; il avoua avoir fait des cartouches.
Mulette. Étant au no. 30, on m’a forcé de me mettre à une table, et on m’a donné de la poudre pour faire des cartouches, mais je n’en ai pas fait.
M. Mautreté, boucher, rue Saint-Méry, no. 50. Sur les huit heures, huit heures et demie, le 6, on est venu pour prendre mes armes, ils étaient vingt ou vingt-cinq; trois seulement sont entrés, et presque aussitôt ils sont ressortis en disant: Il n’y a pas d’armes. Sur les deux heures, une trentaine d’insurgés ont pénétré de force dans mon étal; la fusillade était fortement engagée: je fus forcé de quitter ma maison, mais les insurgés étaient déjà sortis. –D. D’où sortaient ces insurgés? R. De la maison no. 30, dont la cour communique avec le derrière de mon étal. –D. N’a-t-on pas arrêté un homme chez vous? R. Oui, Monsieur, mais je ne le reconnais parmi les accusés.
M. Demay. Les insurgés qui avaient fait la barricade sont entrés chez moi, et se sont fait donner du vin d’autorité. –D. A-t-on tiré de chez vous? R. Je n’en sais rien; il y avait des balles, et je me suis mis dans ma cave. –D. Combien vous a-t-on bu de vin? R. Perdu ou bu, il y eut environ 800 bouteilles; ils disaient qu’on ne payait pas aujourd’hui. –D. Indépendamment du vin, vous a-t-on volé autre chose? R. On a volé trois montres; mais la populace est entrée avec la troupe, et on a aussi fait monter du vin.
Jeanne. M. le président, veuillez faire demander au témoin si ce sont les soldats de la ligne qui ont fait monter du vin?
Le témoin. Les insurgés en ont demandé, et la troupe aussi.
Mme Boisseau, portière du no. 30. Le mardi soir, les hommes qui étaient dans la rue se sont emparés de notre maison par force, et y sont restés la nuit du 5 et le jour du 6. –D. Combien étaient-ils dans votre maison? R. Le mercredi, ils étaient environ trois cents. –D. Tiraient-ils? R. Oui, ils tiraient de toutes les croisées; ils avaient pris le plomb des gouttières et de ma loge pour faire des balles. –D. Par où la ligne est-elle entrée? R. Par la maison du quincaillier, qui donne sur la cour; la porte de la rue était barricadée. –D. Ils avaient une communication avec la rue Saint-Méry? R. Oui, Monsieur, par le logement du boucher.
Le témoin ajoute que différens vols ont été commis au préjudice des locataires.
Mlle Adèle Guétry. À cinq heures du soir, ces messieurs sont entrés chez moi, et ont tiré par ma croisée. –D. Comment étaient-ils vêtus, ces gens? R. Il y en avait de très-bien vêtus, d’autres en chemise ou en veste. Dès trois heures du matin j’ai été obligé de m’en aller; je me suis réfugiée chez une de mes soeurs, faubourg Saint-Germain; différens objets ont disparu, des gants notamment, et 10 fr.
M. Blanc, marchand d’armes. Je connais MM. Rossignol et Jeanne. Le 3, un commissaire de police vint m’engager à cacher mes armes au moment même où je les cachais; une heure après, un rassemblement arrive; je me mets en travers sur le passage, et je les empêche de passer en leur disant: S’il y a encore des armes, on va vous les distribuer. J’envoyai chercher, par mes commis, quelques fusils et des petits lames de sabre. Le lendemain matin seulement, ils sont venus et ont pillé de nouveau; j’en avais caché beaucoup dans des caisses, ces armes ont été saisies par la troupe; M. le préfet m’en a fait rendre, mais bien peu, la plus grande partie n’était plus dans les caisses.
Le témoin se rappelle que, le 5 au soir, Rossignol est allé chez lui: «Probablement, dit-il, pour savoir si la compagnie se réunirait.»
Mme Blanc. Le 6, beaucoup d’hommes sont venus, et ont pillé nos armes. Quand on a pris la maison n. 30, on a massacré tous les jeunes gens qui s’y trouvaient. Ils étaient environ dix-sept.
M. le président. Il y a eu trois soldats de tués?
Le témoin. Je le crois, mais c’était avant.
D. Combien y avait-il d’insurgés dans la maison? R. Trente ou quarante.
La femme Boisseau, rappelée, déclare qu’ils étaient plus de trois cents.
Jeanne. Je défie qui que ce soit du quartier de prouver que nous ayons été, soit dans les maisons, soit dans les barricades, plus de cent dix.
Mme Blanc. Je crois en effet qu’il ne pouvait pas y avoir plus de cent personnes. On avait attaqué plusieurs fois la maison avant de la prendre, et quand on a monté dans l’escalier, on a massacré, comme je viens de le dire, tous ceux qu’on a pu attraper; les autres s’étaient échappés avant la prise de la maison.
M. Moreau, voltigeur au 11e de la ligne. Le 6, nous sommes entrés dans la rue Saint-Martin; on a tiré, et nous aussi. –D. Dans quelle maison êtes-vous entré? R. Dans la maison no. 30. –D. Avec qui étiez-vous? R. Avec deux voltigeurs; nous sommes montés jusqu’au quatrième; il y en avait un dans la cheminée, je l’ai fait descendre. –D. Était-il armé? R. Il y avait un fusil dans la chambre. –D. Avait-il les lèvres noires? R. Il était tout noir, enfin il était dans la cheminée; mais sur ses lèvres il y avait de la poudre; il m’a dit: je n’ai tiré qu’une fois.
M. le président. Pourriez-vous le reconnaître? était-il bien vêtu?
Le témoin. Il avait une chemise bien fine, mais elle était noire.
Le témoin regarde attentivement tous les accusés, et ne peut en reconnaître aucun.
M. le président. Brunet, c’est vous?
Brunet. Oui, Monsieur.
Le témoin. Je le reconnais maintenant.
Chabas, caporal dans le même régiment. J’ai monté au cinquième, avec d’autres voltigeurs; nous avons trouvé un fusil, et nous avons dit: il ne peut pas y avoir un fusil sans qu’il y ait quelqu’un dedans, et nous avons de fait trouvé un particulier dans la cheminée. –D. Cette maison porte-t-elle le n. 30? R. Je le crois. –D. Comment était vêtu celui que vous avez arrêté?
Le témoin. Ah! il n’était pas trop bien mis, il était tout noir. –D. Le reconnaissez-vous? R. Non, Monsieur.
Thibaud, fusilier. –D. Dites ce qui s’est passé le 6? R. Nous avons pris beaucoup de prisonniers que nous avons menés à la préfecture. –D. Êtes-vous entré au n. 30? R. Oui, et nous avons pris un particulier dans la cheminée. –D. Est-il convenu d’avoir tiré? R. Il a dit qu’il n’avait jamais tiré. –D. Reconnaîtriez-vous cet homme? R. Oui, le voilà. (Brunet.)
Mlle Morisse, demeurant rue Saint-Martin, n. 30. –D. Pourriez-vous reconnaître ceux qui étaient dans la maison n. 30? R. Non, car ils ont tous été tués. –D. A-t-on trouvé un homme chez vous? R. Oui, sous le lit.
Il est cinq heures et demie, l’audience est levée, et renvoyée au lendemain.
Leave a Comment