Aujourd’hui les débats de l’affaire Saint-Méry ont pris un nouvel aspect. Après cette longue suite de témoins à charge, on a commencé l’audition des témoins à décharge, c’est-à-dire que la parole a enfin été donnée à la défense, après cinq mois d’une longue accusation. Plusieurs témoins ont été entendus à la requête des accusés sur les faits généraux. Malgré tout mauvais vouloir, le système de provocation de la part de la force armée a pris un notable développement.
Cela a d’abord causé un moment de surprise chez certaines personnes, et ce n’était pas sans l’exercice d’un puissant empire sur lui-même que M. Jacquinot-Godard se décidait d’abord à faire les questions qui lui étaient indiquées par les défenseurs. On a remarqué même qu’il avait ordonné avec empressement l’assignation de plusieurs nouveaux témoins qui lui étaient indiqués par l’avocat-général, et qu’il avait remis à demain la citation de ceux présentés par les accusés, s’il le jugeait convenable.
Deux faits surtout ont dû surprendre. M. Delaire, avoué à la cour royale, ayant déposé de la provocation des dragons, et de la résistance que lui et plusieurs autres gardes nationaux leur avaient opposée, un juré lui a demandé si le lendemain, 6, il s’était réuni à la garde nationale pour faire cesser le désordre. M. Delaire a répondu qu’il ne croyait pas avoir besoin de rendre compte de sa conduite devant la cour d’assises; mais qu’en ce cas, il n’en serait nullement embarrassé. M. le président a ajouté que cela même lui servirait de réponse et que chacun la comprendrait. — Plusieurs personnes out pris cette réflexion pour une épigramme.
Il est une autre circonstance où M. le président nous a paru ne s’être pas assez souvenu de l’esprit de ses fonctions. Il a demandé à M. Thibaudeau ce qu’il aurait fait si l’on s’était présenté à lui avec un bonnet phrygien. — M. Thibaudean a déclaré qu’il aurait désapprouvé. — Comment désapprouvé! vous auriez dû arrêter le coupable: c’était votre devoir. — Mais, monsieur, je n’étais pas chargé de la police de la fête. —C’était le devoir de tout bon citoyen. — M. Jacquinot-Godard aurait peut-être été fort embarrassé si on lui avait demandé ce qu’il aurait fait à l’imprudent qui se serait présenté à lui avec un drapeau blanc. Il n’est pas sans danger parfois d’accuser ceux qu’on devrait se borner à interroger.
Nous savons qu’il faut pardonner beaucoup à l’entraînement du premier mouvement. Nous ne doutons point que la nuit ne porte conseil; que M. le président n’arrive â la prochaine audience avec des intentions plus favorables a la défense, et que si des hommes comme M. Thibaudeau s’offrent de déposer sur leur moralité, il ne revisera point leur témoignage, sous le prétexte qu’ils auraient été eux-mêmes l’objet de poursuites reconnues injustes et sans fondement. Il est si peu d’hommes dont les antécédens politiques autorisent une telle rigueur! M. Jacquinot-Godard devrait l’oublier moins que personne.
(Tribune.)
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