Seconde audience (24 octobre)
À l’ouverture de l’audience, un incident déjà soulevé hier se renouvelle encore. L’accusé Vigouroux, soldat, s’était présenté hier en habit bourgeois ; M. le président lui avait enjoint de se représenter à la deuxième audience avec son habit d’uniforme. Vigouroux ayant objecté que son uniforme était dans la rue des Gravilliers, M. le président ordonna en conséquence que l’on irait saisir cet habit.
M. le président. Vigouroux, vous m’avez trompé en me disant hier que vos habits d’uniforme étaient rue des Gravilliers ; ils étaient à la conciergerie.
Vigouroux. J’avais ordonné qu’on les y portât, et je croyais cet ordre exécuté.
Le sieur Mouillet, médecin, déclare avoir vu un homme favoriser les insurgés et leur fournir des munitions.
M. le président. Pourriez-vous bien reconnaître cet homme ?
Le témoin. Ce ne sera pas bien difficile.
Tous les accusés se lèvent.
Le témoin, signalant l’accusé Conilleau. Voilà cet individu.
M. le président. Témoin, je vous fais observer que dans l’instruction vous reconnaissiez Fournier et non Conilleau.
Le témoin. Ah ! oui, oui, vous avez raison, je reconnais bien ce monsieur (Fournier), c’est bien lui.
Fournier nie les faits que lui reproche le témoin.
M. Yvon, distillateur, rue Saint-Martin, n. 65. Je connais les accusés Rossignol, Fournier et la demoiselle Alexandre ; je sais que MM. Rossignol et Fournier m’ont empêché de fermer la porte cochère ; ils s’y sont opposés en disant que leur établissement étant public, il devait être ouvert à tout le monde. Un des garçons de l’estaminet de M. Fournier a dit le mardi dès le matin, à l’un de mes garçons nommé Félix, que le soir on se battrait ; qu’il avait déjà reçu un fusil, et que, quand tout serait en train, il s’amuserait.
Le témoin ajoute qu’après le combat, ayant appris que trois hommes étaient réfugiés sur son toit, il pria M. Rossignol de venir avec lui pour les engager à se retirer, pensant que M. Rossignol aurait assez d’influence. « J’ajouterai même que M. Rossignol parla à demi-voix à un de ces hommes, et que ce n’est qu’alors qu’ils se sont retirés. »
Rossignol. Oui, j’ai dit : Sauvez-vous, malheureux ! Je ne voulais pas les livrer, et le témoin pensait comme moi ; veuillez lui demander s’il voulait livrer ces hommes.
Le témoin. Non, ce n’était pas mon intention. J’ai su également que des propositions avaient été faites par la Société des Amis du Peuple au locataire du premier, afin qu’il leur livrât au besoin son logement, et que ces propositions n’ont pas été accueillies.
Jeanne. Je demanderai que le témoin ne soit pas dans la même salle que son garçon Félix.
M. le président. Huissiers, veillez à ce que ces deux témoins ne communiquent pas ensemble.
Rèche, décoré de juillet, ouvrier serrurier. Le 15 mai, un nommé Lepine me proposa d’entrer dans une société dont il faisait partie ; il m’engagea à enrôler des mécontens, et me dit que si je pouvais former une section de vingt personnes, j’engagerais quelques-uns de ces enrôlés à former d’autres sections, et quand nous serions cent, il nous délivrerait un drapeau. Le 5 juin, je le revis encore ; il me fit de belles promesses, me dit même que si nous réussissions, il me ferait commissaire de police (on rit); que l’on ne pouvait plus reculer ; que la poire était mûre, et qu’il fallait en finir.
(Le témoin donne de longs renseignemens sur ce qui lui a été dit dans les premiers jours de juin ; il raconte qu’on lui a assuré qu’un vaste complot a été formé ; que les conspirateurs avaient un fort parti dans la ligne ; mais qu’ils n’avaient pu corrompre ni les dragons ni la garde municipale ; qu’on avait obtenu que le convoi passerait par les boulevarts ; que cela était fort avantageux, parce qu’une fois sur la place de la Bastille, on proclamerait la république.)
Jeanne. Comment se fait-il que le témoin, qui, dès le 4, savait qu’une conspiration devait éclater, et qu’il y aurait des balles pour tout le monde, car elles ne choisissent pas ; comment se fait-il, dis-je, qu’il soit allé au convoi ?
Me Marie. Et surtout pourquoi ne s’est-il pas réuni à sa compagnie ?
Le témoin. Je n’étais pas encore de la garde nationale ; je n’en ai fait partie que le 6 juin. J’avais cessé d’en faire partie depuis l’affaire de l’Archevêché.
Jeanne. Pourquoi le témoin avait-il quitté la garde nationale ?
Le témoin. Parce que je suis ouvrier, et que je n’avais pas le moyen de faire le service.
Félix Monnier, garçon chez M. Yvon, est appelé. « J’ai vu M. Rossignol à la barricade Saint-Méry, avec plusieurs individus qui ont tiré; quant à lui, je ne sais pas s’il a fait feu. L’établissement de M. Fournier a été tantôt ouvert, tantôt fermé.»
M. le président. Le 5 juin, avez-vous eu occasion de parler avec un des garçons de M. Fournier? R. Oui, monsieur, il m’a dit, le 5 au matin, qu’on devait se battre dans la journée, et qu’il irait se battre si on se battait. –D. Ne vous dit-il pas qu’il avait reçu un fusil? R. Non, monsieur, il ne m’en a pas parlé.
(M. Yvon est introduit de nouveau. M. le président lui fait observer que le témoin Félix déclare ne pas lui avoir parlé de fusil.)
M. Yvon. Je suis bien certain qu’il me l’a dit.
Félix. Je ne me le rappelle pas: peut-être que ce garçon m’aura dit qu’il prendrait un fusil s’il en trouvait un; mais je ne me souviens pas du tout de lui avoir entendu parler de fusil déjà reçu.
Boiret, corroyer. Il y a un nommé Lépine qui a voulu me faire entrer dans l’Association gauloise. Comme il avait une tante abbesse, je l’ai pris pour un carliste; il l’était en effet; je ne l’écoutai pas: la veille du convoi il m’aborda encore, me demanda si j’irais au convoi; sur ma réponse affirmative, il me dit: «Munissez-vous de deux pierres à fusil, d’une épinglette, et ayez les yeux sur moi.»
M. Martin, fabricant de cannes. Je connais Rojon et M. Rossignol. Le 5 juin, voyant du bruit au convoi, je me suis retiré pour me mettre à la tête de ma compagnie; je parcourus le quartier Saint-Denis avec les tambours. En arrivant à la barricade de la rue Saint-Martin, j’entendis crier vive la garde nationale! Je ne croyais pas me trouver au milieu d’une horde de révoltés. À ce moment je vis Rossignol s’agitant beaucoup; il vint à moi et me dit: «Qu’allez-vous faire, capitaine? est-ce pour aujourd’hui ou demain que nous serons libres? Voyant qu’il n’entendait pas la liberté comme moi, je le saisis par sa buffleterie. À ce moment partit une bordée qui n’atteignit personne; mais la seconde bordée atteignit deux de mes hommes, qui furent tués; trois autres furent blessés: l’un des hommes tués était M. Proche, honnête fabricant, soldat d’Égypte, et qui nourrissait cent ouvriers. –D. Qui est-ce qui a fait feu? R. Les révoltés ont fait feu deux fois avant qu’on leur répondit. –D. Que vous dit Rossignol? R. Il me dit: «Vous ne voyez pas qu’on nous assassine; joignez-vous à nous, vous ferez bien.»
Rossignol. J’ai parlé au témoin, mais ce qu’il dit est bien inexact; et je lui demande s’il était assez de sang-froid pour bien retenir les paroles qu’il prétend avoir été proférées par moi.
Le témoin. J’ai pu être troublé, ému, mais c’est quand j’ai entendu deux décharges par des hommes auxquels je m’étais en quelque sorte abandonné, ainsi que ma compagnie, ne croyant pas être au milieu d’ennemis. Je dois ajouter que lors de la première décharge M. Rossignol était encore avec moi.
Rossignol. J’étais entre deux feux, et je suis entré dans la rue Saint-Méry, et non dans la barricade; car j’avais, ainsi que M. Martin, un intérêt à éviter le feu de la barricade.
M. Delapalme. M. Martin ne connaît-il pas des personnes qui auraient vu et qui pourraient reconnaître celui qui aurait tué M. Proche?
M. Martin. Oui.
Martin donne le nom de deux témoins, dont M. le président ordonne l’audition.
M. Étienne, chef du jury. M. le président, il a été question hier de l’adjutant-major Pellier; j’ai deux sergens de ma légion qui y étaient; peut-être pourraient-ils donner quelques renseignements. (Marques d’étonnement.)
M. le président. Nous verrons.
Jeanne. Je demande à la cour acte de ce que M. le chef du jury a proposé pour témoins deux sergens de sa légion.
M. le président. Ce fait sera constaté au procès-verbal.
(Après une courte suspension, l’audience est reprise.)
M. Allantez, restaurateur, rue Saint-Martin, a vu Rossignol et un autre garde national aidant à renverser la voiture qui a servi à faire la barricade.
Rossignol. C’est une erreur.
Le témoin. Je ne reconnais pas positivement M. Rossignol, et je ne puis bien affirmer qu’il ait aidé à renverser la voiture.
M. Bailly, capitaine de la garde nationale. Le 6 juin, à huit heures du matin, je fus envoyé avec 90 hommes pour détruire les barricades. En arrivant dans la rue Planche-Mibray, nous trouvâmes une première barricade qui n’était pas défendue; au moment où nous la franchissions, on tira sur nous de la seconde barricade et des fenêtres. Je plaçai plusieurs hommes pour riposter; de là nous passâmes à la seconde barricade; puis à la troisième; nous essuyâmes à plusieurs reprises un feu nourri de la barricade, et notamment d’un café situé à droite de la rue; dix-neuf de mes hommes y furent tués ou blessés. Comme les cartouches nous manquaient, j’hésitai à attaquer la troisième barricade. J’envoyai chercher des munitions à la préfecture; on me répondit de faire ma retraite.
Un juré. Le témoin a parlé d’un café d’où l’on tirait?
M. le président. Il ne peut y avoir de confusion: le café dont parle le témoin est le café Leclercq, situé à droite de la rue; tandis que le café Rossignol est à gauche.
Mme Chardon, portière chez M. Yvon. Je vis un homme qui s’apprêtait à tirer de la fenêtre du café de M. Fournier; je lui dis: «Prenez garde;» il me répondit: «Tu n’es qu’une vieille bête, tu ne sais ce que tu dis.»
(Le témoin ajoute qui force lui a été de laisser sa porte ouverte pour laisser entrer ceux qui allaient et venaient, et qui menaçaient de la tuer si elle la fermait; que sur le midi elle la ferma, par suite des ordres de Rossignol. Enfin, ce témoin déclare avoir vu Rossignol mettre de la poudre dans des petits cornets de papier.)
Rossignol. Je n’ai pas fait de cartouches; si la portière a vu des cornets, ce ne pouvait être que des cornets de tabac à fumer ou en poudre.
Le témoin. C’était bien de la poudre.
M. le président au témoin. A-t-on tiré des fenêtres du café? R. Non, Monsieur, je n’ai vu que le jeune homme dont j’ai parlé, et qui allait tirer.
Un juré. Témoin, avez-vous vu, soit le 5, soit le 6, Rossignol ou Fournier descendre et monter souvent?
Le témoin. Non, Monsieur.
Levert, marchand de papier, témoin indiqué par M. Martin, est entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire de M. le président. «Le 5 juin, dit-il, je faisais partie du détachement de la garde nationale qui a monté sur la barricade: au moment où nous y étions, et pendant que notre capitaine était aux prises avec un garde national, on tira sur nous. À ce moment j’ai vu un homme petit, ayant l’uniforme de la garde nationale, et un schako portant le no. 7; il me mit en joue, je détournai son fusil avec ma main; le coup atteignit M. Proche, qui était à côté de moi. Mon capitaine m’a dit le soir même que le garde national avec lequel il se colletait, lui avait proposé de passer dans la barricade, en disant: «Est-ce aujourd’hui que nous serons libres?»
M. le président. Accusés, levez-vous.
Le témoin examine les accusés, pour voir s’il pourrait reconnaître celui qui lui a porté le coup de feu. Il ne peut en reconnaître aucun.
M. le président. Rossignol, ce n’est pas vous?
Rossignol. C’est impossible: j’étais aux prises avec le capitaine.
M. le président. Jeanne, vous aviez un schako portant le n. 7?
Jeanne. C’est vrai: mais ce n’est pas moi qui ai tiré ce coup de fusil.
Le témoin. Ce garde national avait des moustaches noires.
Jeanne. Les miennes sont rousses, et avant les événemens de juin je n’en avais pas depuis deux mois.
Le témoin, interpellé de nouveau, déclare que le schako de ce garde national était recouvert d’une toile cirée.
Jeanne. Il est constant que le mien n’était pas recouvert d’une toile cirée.
M. Simon père, décoré de la croix de Juillet, se présente revêtu de l’uniforme des invalides; il déclare avoir été admis à l’hôtel il y a un mois: «J’ai été, dit-il, victime de la révolution de juin par un zèle mal interprété; je fus incarcéré pendant une quarantaine de jours, mais j’en suis sorti blanc, je l’espère, comme neige. Enfin bref, pour ne plus parler de moi, je vous dirai que le 5 juin j’ai vu des personnes aller et venir de la rue dans le café Fournier; quand une victime tombait, on applaudissait du café; j’ai vu Madame Alexandre descendre du bouillon dans lequel il y avait du vin à ceux qui étaient dans la barricade.
M. le président. Vous étiez le 5 avec le rassemblement qui a formé la barricade? R. Oui, j’étais convoqué pour me réunir a ma compagnie à l’hôtel Jabach, où j’arrivai le premier. Après il vint à passer un général…… Quand je dis un général, c’était un général de façon…….. Il boitait de la jambe gauche, avait des favoris blancs et un béquillon à la main; il avait des graines d’épinards sur un frac. Cet homme dit aux jeunes gens qui étaient assemblés: «Allons, mes amis, voilà le moment, faisons une barricade.» Je vous avoue, Monsieur, que, si je n’avais pas craint de salir mon habit de garde national, j’aurais fait la barricade, croyant travailler pour le Gouvernement actuel; car je porte avec honneur ma décoration de Juillet, celle-là n’a jamais fléchi.
(Le témoin ajoute qu’il déposa son fusil le long du mur, et aida à faire la barricade; il dit enfin que, voyant le danger croître, il se retira chez lui et s’y enferma.)
M. le président. Vous voyez de chez vous la maison où est l’établissement de Fournier? R. Oui, car les fenêtres de mon fils plongent dessus. –D. Entrait-il beaucoup de personnes armées? R. Je n’ai vu qu’un individu le 6, qui avait des pistolets. –D. Quelles étaient les personnes que vous avez vues sur le balcon?
Le témoin. On ne peut pas monter sur le balcon; mais aux croisées j’ai vu deux dames et cinq ou six hommes faire des signaux aux hommes de la barricade, tantôt avec un mouchoir blanc, tantôt avec un journal.
M. le président. Avez-vous vu distribuer des cartouches?
Le témoin. Un jeune homme montait souvent dans l’estaminet et en descendait des cartouches; j’ai bien vu Mlle Alexandre qui applaudissait quand un garde national ou un homme de la ligne, une victime enfin, tombait.
La demoiselle Alexandre. C’est faux, ça n’est pas croyable.
Rossignol. Je m’abstiendrai de répondre pour deux raisons: la première, c’est que Simon a été notre co-accusé, et que depuis il a été admis aux Invalides.
M. le président. C’est un ancien militaire.
Me Boussi. Oui, qui avait servi en 92, et qui n’a été admis aux Invalides qu’en 1832.
M. le président, au témoin. À quelle époque avez-vous demandé à entrer aux Invalides? R. Dès le 8 août 1830.
M. le président, à Rossignol. Qu’avez-vous à dire sur cette déposition?
Rossignol. Je vous ai déjà dit, M. le président, pourquoi je ne voulais pas répondre. Ce que j’ai dit du témoin me suffit.
Jeanne. Et moi, M. le président, je demande la parole. (Avec un accent concentré): Qu’un homme compromis dans une poursuite criminelle emploie tous les moyens pour s’en tirer, je le conçois; mais ce que je ne conçois pas, ce qui bouleverse ma pensée et m’enlève jusqu’à la faculté de m’exprimer, c’est de voir cet homme, cet homme qui est là, cet homme qui s’est battu avec nous le 5, qui s’est battu avec nous le 6, venir accuser lâchement des hommes dont il devrait au moins respecter l’infortune.
L’accusé est vivement ému; il reste quelques instans silencieux, puis il ajoute: «M. le président, qu’on entende tout le quartier, et vous saurez que le 5 ce Simon a contribué à ériger la barricade; vous saurez que le 5 jusqu’à onze heures du soir, il s’est battu avec nous…. là, à côté de moi. Le lendemain, dès cinq heures du matin, il est revenu; il s’est encore battu à côté de moi, et je l’adjure ici de le déclarer; il me disait, en faisant le coup de feu avec moi, «Allons, mon vieux! (il me connaissait depuis les journées de juillet) allons, mon vieux!.. (passez-moi l’expression), nous allons leur en f…. à ces gueulards-là… Tiens, mon vieux! mon fils… il est là à côté qui se peigne dur; et ma vieille, elle est aussi là qui fait des cartouches; toute la famille s’en mêle…. Voilà ce qu’il disait… Cette homme s’est retiré à onze heures du matin; il a eu peur… c’est un lâche!…»
Ces paroles, prononcées par Jeanne avec une énergie peu commune, excitent dans tout l’auditoire un mouvement impossible à décrire; des applaudissemens se font entendre et sont aussitôt comprimés. Mais les efforts de Jeanne ont épuisé ses forces, il tremble, ses jambes le soutiennent à peine, ses yeux sont humides de larmes. Plusieurs de ses coaccusés et quelques membres du barreau l’entourent, et lui prodiguent des secours. Ses dents claquent avec force les unes contre les autres. Il s’assied. «M. le président, dit-il d’une voix affaiblie par l’émotion qui l’agite, je vous demande un instant de repos.»
L’audience est suspendue quelques instans.
L’audience est reprise.
Un juré. Nous voudrions savoir à quelle époque remonte la déclaration de Simon.
M. le président. Il y en a trois: la première est du 6 juin.
Me Saunières. Cette déclaration est bien succincte.
Simon est rappelé.
M. le président. On prétend que vous n’étiez pas chez vous le 6? R. J’étais chez mon fils; c’est là que j’ai appris que le juif polonais Grimbert s’était présenté chez moi pour prendre mon fusil.
Grimbert. C’est une chose possible.
Conilleau. Le 6, je descendis rue Saint-Martin; j’ai vu M. Simon qui tirait, vers dix ou onze heures, dans la rue Saint-Martin.
Simon. Ces messieurs sont opiniâtres envers moi.
(Pendant cette partie du débat, Jeanne arrache sa décoration de Juillet, et la jette à ses pieds avec un vif mouvement de colère et de dédain prononcés.)
Le sieur Louis Lecampion. Le 5 au soir, j’ai vu un attroupement de jeunes gens armés; M. Rossignol et M. Jeanne étaient dans la rue Aubry-le-Boucher; il mirent leurs schakos sur leurs baïonnettes, en criant: Allons, mes amis, par ici! Le 6, j’ai vu M. Jeanne qui faisait feu. On jetait des moellons par les croisées; ces moellons ont même écrasé plusieurs soldats.
M. le président. Le 6, n’avez-vous pas vu Rossignol?
Le témoin. Non. Monsieur, j’ai souvent entendu causer M. Rossignol; il avait l’air d’un brave garçon. Un jour on parlait politique; M. Rossignol dit: «Je conçois qu’on en veuille au Gouvernement, mais je ne conçois pas qu’on attente aux jours du roi.»
M. Combat, fumiste. Le 5 au soir, j’ai vu les hommes de la barricade qui ont tiré sur la garde nationale; le lendemain, j’ai vu deux gardes nationaux qui avaient l’air de deux frères; ils tiraient des coups de fusil d’une barricade à l’autre, et mangeaient tranquillement leur pain comme si de rien n’était. J’ai aussi vu un homme à la croisée de l’estaminet, qui avait un fusil; la demoiselle Alexandre semblait contente et satisfaite quand il tombait quelqu’un. Quand les gardes municipaux se sont retirés, j’ai aperçu M. Fournier qui, de sa fenêtre, faisait signe aux hommes de la rue Maubuée de suivre les gardes municipaux.
Un juré. Le témoin a-t-il vu tirer des fenêtres de l’estaminet?
Le témoin. Non, Monsieur.
Le sieur Simon fils, peintre. Le 6 juin, j’ai vu plusieurs personnes aux fenêtres de l’estaminet, entre autres Mlle Alexandre, faire signe avec des mouchoirs et des journaux pour qu’on tirât sur la troupe; mlle Alexandre battait des mains quand un homme de la troupe tombait.
M. le président. Le mardi soir, qu’avez-vous vu? R. J’ai vu tirer de la barricade, mais je ne puis reconnaître personne. Le 6, on a jeté de l’estaminet des cornets contenant de la poudre et des balles.
M. le président. Fournier, qu’avez-vous à dire?
Rossignol et Fournier. C’est le fils de Simon.
M. le président. Vous n’avez pas d’autres reproches à lui adresser?
Rossignol. Celui-là est suffisant.
M. l’avocat-général. Simon, pourriez-vous dire où votre père a passé la journée du 6?
Le témoin. Chez moi; il y est venu à cinq heures du matin, et n’en est pas sorti; je le jure.
M. Tavaut, bijoutier, cloître Saint-Méry. Le 6, pendant toute la matinée, j’ai vu cinq ou six jeunes gens qui jetaient de leurs fenêtres des munitions. Il y avait une femme à la même fenêtre de l’estaminet; elle était en désordre et paraissait applaudir.
M. le président. Connaissez-vous le nommé Simon père? R. Oui, je l’ai vu dans la matinée du 6, et jusqu’à midi, chez son fils. –D. Et le 5? R. Je l’ai vu aller du côté de la rue Aubry-le-Boucher.
Mme Tavaut. J’ai vu Mme Alexandre à sa croisée; elle paraissait très occupée, mais je ne lui ai vu faire aucun signe. –D. Savez-vous si la porte de la maison n. 65 a été fermée? R. Non, Monsieur; à deux heures j’ai été blessée dans le fond de mon atelier, et je n’ai plus rien vu: avant ce moment je n’avais pas remarqué si la porte était ouverte ou fermée. –D. N’avez-vous pas vu un homme blessé qu’on a amené le 5? R. Oui, le 5 au soir on a amené dans un cabriolet un homme à demi-mort; on l’a fait entrer dans la maison; il paraissait avoir été blessé au convoi. –D. Avez-vous vu jeter des cartouches par la fenêtre? R. Oui, Monsieur, par celui qui a cédé son bail à M. Fournier.
M. l’avocat-général. Accusé Rossignol, avez-vous quelques explications à donner sur ce dernier fait?
Rossignol. Non, Monsieur; la personne qui nous a loué est connue, c’est M. Yvon, qui pourra attester que M. Ninet (c’est son nom) n’est pas venu à la maison depuis la cession du bail.
Le sieur Cochot, marchand de vin, rue Saint-Martin, n. 48. Le 6, j’ai vu M. Fournier et une dame qui, de leur fenêtre, faisaient des signaux; M. Fournier adressait quelquefois la parole à plusieurs révoltés. –D. Que faisait cette femme? R. Elle regardait de droite et de gauche, et faisait des signes à ceux qui se battaient.
Mlle Alexandre. Le témoin se trompe.
Le sieur Antoine Chambon, limonadier, déclare avoir vu Jeanne tirer le 5 au soir; il a entendu Rossignol commander le feu, et tirer. –D. Rossignol n’a pas suivi la garde nationale? R. Non, il est rentré dans la barricade.
Rossignol. Je prie M. le président de lire la première déposition écrite du témoin. (M. le président lit cette déposition, dans laquelle le sieur Chambon ne signale pas l’accusé Rossignol comme ayant fait feu.)
M. le président. Témoin, vous êtes bien sûr d’avoir vu Rossignol? R. Oui. –D. A-t-il tiré? R. Oui, Monsieur.
Rossignol. Le capitaine Martin me tenait par ma buffleterie, et je ne pouvais ni tirer ni commander le feu.
M. le président, au témoin. Combien a-t-on fait de décharges? R. Une seule.
Martin, rappelé, déclare qu’il y a eu deux décharges, et il ne croit pas que ce soit Rossignol qui ait commandé le feu, surtout lors de la première décharge.
Le sieur Levert, déjà entendu, est rappelé pour donner des explications sur sa première déposition; il ajoute: «Tout-à-l’heure je n’ai pas reconnu un des accusés qui était à la barricade, et que j’ai vu près de moi; c’est le dernier sur le premier banc (Conilleau).
Conilleau. Merci, Monsieur. Mais je fais observer que le 6 juin j’étais ailleurs.
Me Lafargue. Un témoin établira ce fait.
Conilleau. Je demanderai au témoin comment j’étais vêtu? R. En garde national.
Conilleau. Je ferai apporter la redingotte que j’avais, et qui est percée par la balle dont j’ai été atteint le 5; cela prouvera que je n’étais pas en uniforme.
Il est cinq heures et demie, l’audience est levée et renvoyée au lendemain.
Dans l’audience de ce jour, la cour a continué d’entendre des témoins.
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