Première audience (23 octobre 1832)
Cour d’assises de Seine. Procès des vingt-deux accusés du Cloître Saint-Méry.
Président : M. Jacquinot-Godart.
Avocat-général : M. Delapalme.
Jurés.
MM. Estienne, propriétaire, rue Coquillière, n. 31.
Husard Courcier, imprimeur, rue du Jardinet, n. 12.
Crousse, avocat, rue Neuve-des-Petits-Champs, n. 61.
Deneuville, mercier, rue Neuve-Saint-Eustache, n. 2.
Corvisy fils, propriétaire, rue N.-Dame-de-Nazareth, n. 24.
Boyer, avocat, rue des Juifs, n. 18.
Bourdin, avocat, rue du Faubourg-Saint-Antoine, n. 194.
Rignon, marchand d’étoffes de soie, Palais-Royal, n. 71.
Borne, marchand de meubles, rue du Faubourg-Saint-Antoine, n. 20.
Lenoir, marchand des soieries, rue Saint-Denis, n. 118.
Boulay, propriétaire, rue de Vaugirard, n. 58.
Pommeret, notaire à Nogent.
Première audience. (23 octobre 1832.)
Vingt accusés présens, deux accusés contumaces, et le sieur Morel, docteur en médecine, prévenu de simples délits, ont été renvoyés devant les assises. Voici les noms des accusés :
Leclerc, tambour dans la 7. légion de la garde nationale (absent) ; Jules Jouanne, commis-marchand (absent) ; Jeanne, ex-employé ; Louis Rossignol, âgé de 33 ans, ancien négociant ; Jean Goujon, âgé de 45 ans, cordonnier, né à Metz (Moselle), demeurant à Paris, rue Neuve-Saint-Méry, n. 24; Jean Vigouroux, âgé de 22 ans, fusilier au 62. régiment de ligne ; Joseph Fradelle, âgé de 19 ans, ébéniste, né à Milan en Italie ; Jérôme Falcy, âgé de 23 ans, serrurier, né en Savoie ; Joseph Rojon, âgé de 33 ans, peintre en bâtimens et tambour dans la garde nationale ; Pierre Fourcade, âgé de 34 ans, commis-marchand; Alexandre-Charlemagne Métiger, âgé de 18 ans, cordonnier ; François Bouley, âgé de 26 ans, tailleur de pierres ; François-Félix Conilleau, âgé de 20 ans, graveur ; Henri-François Dumineray, âgé de 21 ans, commis-libraire ; Louis Félix Mulette, âgé de 19 ans, bonnetier ; Christophe Maris, âgé de 17 ans, ouvrier en boutons ; Paul Renouf, âgé de 21 ans, tailleur de pierres ; Alexandre Coiffu, âgé de 19 ans, boutonnier ; Lusky-Grimbert, âgé de 25 ans, marchand ; François Gentillon, âgé de 23 ans ; Charles Fournier, âgé de 28 ans, limonadier ; Louise-Antoinette Alexandre, âgée de 29 ans, dame de comptoir.
Les faits suivans sont exposés dans l’acte d’accusation : Le 5 juin dernier, entre six et sept heures du soir, une barricade fut construite dans la rue Saint-Martin, au coin de la rue Aubry-le-Boucher, à l’aide du renversement d’une voiture destinée au transport des farines, et de l’enlèvement des échafaudages et de la clôture en planches d’une maison en construction. Les nommés Jeanne et Rossignol furent remarqués comme les premiers et les plus actifs constructeurs de cette barricade, qui fit de ce point le théâtre le plus meurtrier de la révolte. Vers huit heures, elle arrêta une patrouille de garde nationale, au-devant de laquelle se présenta le nommé Rossignol. L’officier qui la commandait ne répondit qu’en tirant son épée aux propositions que celui-ci osait lui faire de passer dans les rangs des insurgés, aussitôt des coups de feu furent tirés de la barricade sur cette patrouille, trop faible pour soutenir un engagement.
Les rebelles, sentant la nécessité de se procurer des armes, forcèrent l’entrée de la maison située rue Saint-Martin, n. 30, et habitée par le sieur Blanc, chef de bataillon de la garde nationale, dans l’appartement de qui étaient déposés des fusils, des pistolets et des sabres. Toutes les armes qu’on n’avait pas eu le temps de cacher furent pillées par les insurgés ; les appartemens placés au-dessus de celui du sieur Blanc, et donnant sur la rue, furent envahis, remplis de pavés ; les effets précieux des locataires furent enlevés, et des fenêtres de ces appartemens un feu continuel dirigé sur les troupes qui se présentaient devant la barricade, pendant que dans la cour on faisait des balles avec le plomb des gouttières. Les nommés Jeanne, Leclerc, Jouanne, Rossignol, Goujon et Rojon, furent signalés comme ayant été vus tirant des coups de fusil sur les troupes. Les mandats décernés contre les trois premiers ne purent être mis à exécution. Rossignol est propriétaire, conjointement avec un nommé Fournier, d’un café établi rue Saint-Martin, n. 65. C’est du 2 juin que date l’ouverture de ce café, dans lequel la fille Alexandre était dame de comptoir. Les intelligences des propriétaires et employés de cet établissement avec les insurgés, dans la journée du 6 juin, ont été remarquées par tous les habitans de ce quartier. On a vu Fournier et la fille Alexandre faire des signaux du balcon de leur café aux insurgés placés derrière la barricade ou dans les allées des maisons voisines, pour leur indiquer l’arrivée ou le départ des troupes, et le moment favorable pour tirer. La porte de la maison où est le café resta ouverte, sur l’injonction de Fournier ; des provisions de bouche, des munitions furent portées de cet établissement aux révoltés ; et lors de la perquisition qui y fut faite, on saisit une casserole ayant servi à fondre du plomb pour former des balles. La chute de chaque soldat était suivie d’atroces applaudissemens partant du café. Lorsque les troupes eurent forcé la barricade et l’église Saint-Méry, les maisons environnantes furent fouillés, et l’on arrêta dans la rue Saint-Méry, au n. 48, les nommés Métiger, Fradelle, Coiffu, Bouley, Renouf, Conilleau, Dumineray, Falcy, ce dernier encore porteur d’un fusil qu’il fallut lui arracher ; Dumineray avait les mains et la bouche noircies de poudre, et Fradelle avoua avoir tiré un coup de fusil. Il fut constaté qu’à l’aide d’un trou fait à la toiture, on était sorti de la maison rue Saint-Martin, n. 30. Les habitans reconnurent tous les individus saisis rue Saint-Méry, n. 48, pour faire partie de ceux qui s’étaient emparés de vive force des lieux où l’on avait fait feu sur les troupes, et signalèrent le nommé Dumineray comme celui qui paraissait commander. Ils reconnurent également le nommé Maris, arrêté dans une dépendance de la maison ; le nommé Vigouroux, saisi sous un lit dans cette même maison, avec un fusil, et à qui l’on avait entendu dire pendant le combat : Si nous avons le dessus, je suis perdu ; enfin le nommé Mulette, arrêté dans la maison du passage Jabach, les mains, la figure noircies de poudre, avec de la poudre dans sa poche, et qui avoua avoir fait des cartouches. Dans la maison du passage, et chez un locataire, était réfugié un individu qui y avait laissé son fusil, marqué sur la banderolle du nom de Parmentier. L’instruction a révélé que ce fugitif était le nommé Fourcade, et que le fusil lui avait été livré par son propriétaire lorsque, faisant partie d’une bande d’insurgés, Fourcade l’avait personnellement et avec violence sommé de donner ses armes. Divers habitans, notamment le nommé Polite, avait cédé à des sommations accompagnées des mêmes circonstances ; Polite reconnut le nommé Grimbert comme celui à qui il avait été forcé de livrer son fusil. Le sieur Morel de Rubempré a été signalé par un témoin comme ayant paru seulement au moment du rassemblement tumultueux qui a précédé l’érection de la barricade. Il disait dans un café voisin qu’on était à l’aurore d’un beau jour, promenait dans la rue un drapeau tricolore garni de crêpes, et criait : Vive la république ! Tous les accusés nient les faits à eux imputés, et prétendent, ou avoir été contraints par des rassemblemens, ou s’être trouvés comme curieux dans les endroits où ils ont été arrêtés ou signalés.
Le nommé Gentillon a été vu, dans l’après midi du 6 juin, armé d’un fusil, et en faction près d’une barricade construite entre les rues Maubuée et Simon-le-Franc ; le soir, il voulut rentrer avec ce fusil chez son logeur, qui refusait de le recevoir, et dans la paillasse par lui occupée dans ce garni on saisit un sabre. Gentillon a nié jusqu’à la possession du fusil en présence des dépositions et des témoins.
En conséquence, sont accusés : 1. Leclerc, absent; Jouanne, absent; Jeanne, Rossignol, Goujon, Vigouroux, Fradelle, Falcy, Rojon, Fourcade, Métiger, Bouley, Conilleau, Dumineray, Mulette, Maris, Renouf, Coiffu, Lusky-Grimbert et François Gentillon, d’avoir, en juin 1832, commis un attentat dont le but était, soit de détruire ou de changer le gouvernement, soit d’exciter les citoyens ou habitans à s’armer contre l’autorité royale ;
2. Fournier et Louise-Antoinette Alexandre sont accusés de s’être, à la même époque, rendus complices de cet attentat, en aidant et assistant avec connaissance les auteurs dudit attentat dans les faits qui l’ont préparé et facilité ;
3. Fournier, de s’être, à la même époque, rendu complice dudit attentat, en procurant les instrumens et moyens qui ont servi à l’action, sachant qu’ils devaient y servir ;
4. Fradelle, Falcy, Métiger, Bouley, Conilleu, Dumineray, Mulette, Maris, Renouf et Coiffu, d’avoir, à la même époque, fait partie d’une bande ayant tenté de détruire ou changer le gouvernement, et d’exciter les citoyens et habitans à s’armer contre l’autorité royale, et d’avoir été saisis sur le lieu de la réunion séditieuse ;
5. Jeanne et Rossignol, d’avoir, à la même époque, faisant partie de cette bande ayant tenté de commettre le crime mentionné en l’article 87 du Code pénal, dirigé la sédition et exercé dans la bande un commandement ou emploi ;
6. Fournier, d’avoir, à la même époque, connaissant le but et le caractère de ladite bande, fourni sans contrainte un lieu de retraite à ceux qui la composaient ;
7. Leclerc, absent ; Jouanne, absent ; Jeanne, Rossignol, Goujon, Vigouroux, Fradelle, Falcy, Rojon, Fourcade, Métiger, Bouley, Conilleau, Dumineray, Mulette, Maris, Renouf, Coiffu, Lusky-Grimbert, Gentillon et Charles Fournier, d’avoir, à la même époque, en réunion de plus de vingt personnes armées, attaqué avec violence et voies de fait la force publique agissant pour l’exécution des lois ;
8. Jouanne, Jeanne, Rossignol, Goujon, Vigouroux, Fradelle, Falcy, Rojon, Fourcade, Métiger, Bouley, Conilleau, Dumineray et Mulette, d’avoir, à la même époque, volontairement et avec préméditation, commis des tentatives d’homicide sur des agens de la force publique, lesquelles tentatives manifestées par un commencement d’exécution, ont manqué leur effort seulement par des circonstances indépendantes de la volonté de leurs auteurs ;
9. Fournier, de s’être, à la même époque, rendu complice desdites tentatives d’assassinats, en procurant aux auteurs desdites tentatives les moyens qui ont servi à l’action, sachant qu’ils devaient y servir ;
10. Métiger, Bouley, Conilleau, Dumineray, Mulette, Maris, Renouf, Coiffu, d’avoir en juin 1832, en réunion en bande, et à force ouverte, pillé les propriétés mobilières appartenant tant à la demoiselle Lacouture qu’aux propriétaires et autres locataires de cette maison et des maisons voisines ;
11. Fourcade, d’avoir à la même époque, en réunion ou bande et à force ouverte, pillé une propriété mobilière appartenant au nommé Parmentier ;
12. Lusky-Grimbert, d’avoir, à la même époque, en réunion ou bande et à force ouverte, pillé une propriété mobilière appartenant au nommé Polite ;
13. Et enfin Joseph Morel est prévenu : 1. d’avoir, en juin 1832, proféré publiquement des cris séditieux ; 2. d’avoir, à la même époque, exposé dans les lieux publics un signe destiné à troubler la paix publique.
Après l’appel des témoins, et avant qu’ils soient retirés de l’audience, M. Delapalme, avocat-général, fait un exposé de l’accusation, et indique quelles seront les divisions et la marche des débats.
Les témoins sont en grande nombre ; 76 ont été cités par le ministère public ; un nombre à peu près égal a été cité par les accusés : parmi ces derniers, nous remarquons les noms de MM. Lafayette, Mauguin, Odilon-Barrot, le duc de Bassano, Clauzel, etc.
M. le président procède à l’interrogatoire des accusés.
M. le président. Rossignol, vous êtes accusé d’avoir participé à l’attentat des 5 et 6 juin ; le 5 juin, vous avez été au convoi ? R. Oui, Monsieur. –D. Vous avez été arrêté le 7 ? R. Oui, sur les dix heures. –D. Vous tenez un estaminet rue Saint-Martin ? –R. Non, j’ai prêté de l’argent à Fournier ; Mlle Alexandre était dans le café pour veiller à mes intérêts. –D. Le 5, où êtes-vous allé ? R. Chez moi prendre mon fusil.
M. le président. L’accusation vous impute, armé que vous étiez de votre fusil, de vous être réuni aux séditieux qui occupaient la rue Saint-Martin ? R. Non, Monsieur ; j’allai au café Leclerc pour me réunir aux gardes nationaux de la compagnie ; je montai chez M. Morel.
M. le président. Votre co-accusé ?
Rossignol. Oui, Monsieur. De là j’allai chez M. Blanc ; on me demanda si j’étais avec ou contre la garde nationale ; je me débarrassai de ces questions importunes : M. Blanc me dit qu’il n’avait pas d’ordre, et m’engagea à attendre et à retenir les gardes nationaux, afin de faire un noyau, et qu’il viendrait me rejoindre quand il aurait les ordres qu’il allait chercher à la mairie. J’attendis en effet ; une foule de curieux nous environnait ; parmi les gardes nationaux qui m’aidaient, étaient Simon, Jeanne, etc.
M. le président. L’accusation vous reproche d’avoir aidé et dirigé les révoltés dans la construction de la barricade établie en travers de la rue Saint-Martin.
Rossignol. Je n’y ai pris aucune part.
M. le président. L’accusation dit que vous êtes resté derrière cette barricade, et que vous avez fait feu. R. Non, monsieur, je n’ai pas fait feu ; j’étais, il est vrai, mais forcément, à la barricade ; il fallait bien jouer un rôle quelconque. –D. Quel rôle ? Commandiez-vous la barricade ? R. Non, Monsieur.
M. le président. Voici une lettre de vous, dans laquelle vous avouez avec orgueil avoir commandé la barricade.
Rossignol. On ne peut extraire ainsi un mot d’une lettre ; il faut la lire en entier.
M. le président. On la lira lors de l’audition des témoins.
Me Saunières. Il importe qu’elle soit lue ; les témoins n’ont rien à dire sur cette lettre ; une impression fâcheuse peut résulter de ce mot que vous venez de citer ; il est équitable que toute la lettre soit lue ; nous le demandons.
M. le président. Il n’y a encore ni accusation ni défense ; cette lettre sera lue plus tard.
Rossignol. Mlle Alexandre, que j’aime, que j’adore, qui sera ma compagne, était dans les fers ; je dus alors agir et parler franchement : j’écrivis donc cette lettre ; mais qu’on la lise en entier, et l’on verra qu’elle ne contient pas d’aveux.
M. le président. Quand je vous aurai interpellé, et quand les débats s’ouvriront vous la lirez. Prétendez-vous n’avoir pas fait partie….
Rossignol. M. le président, permettez-moi de ne pas vous répondre jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la question de savoir se ma lettre sera lue.
Me Saunières rédige des conclusions.
M. le président. Eh bien, Rossignol, on va lire cette lettre.
M. l’avocat-général en donne lecture ; il en résulte que l’accusé a déclaré qu’il s’imputait à honneur tout ce qu’il avait fait le 5 juin, en allant au convoi : quant à la barricade, il déclare n’y avoir été dans aucune vue d’hostilités ; mais qu’il y était pour seconder les efforts de son commandant et des officiers de la garde nationale, avec lesquels il était exposé aux feux croisés des hommes qui étaient à la barricade, et de la garde nationale qui attaquait la même barricade. Cette lettre exprime en un mot des sentimens d’ordre, et l’accusé regrette qu’on ne l’ait pas secondé à détruire la barricade, et qu’ainsi on eût évité le sang qui a coulé avec tant d’abondance.
Me Saunières. Voici ce qui a été signalé comme un crime. (Mouvement prolongé.)
M. le président. Vous niez avoir combattu ? R. Certainement. –D. Le lendemain, qu’avez-vous fait ? R. Je suis resté chez Fournier. Les volets ont été à plusieurs reprises criblé de balles, venant de la barricade même des insurgés ; cela prouve qu’ils étaient fermés, on peut le vérifier.
M. le président. Fournier, êtes-vous seul propriétaire de l’estaminet rue Saint-Martin, n. 65 ? R. Oui. –D. Vous êtes allé au convoi ? R. Oui, Monsieur. –Persistez-vous à soutenir qu’après être revenu du convoi, vous n’êtes plus ressorti. R. Oui, si ce n’est pour rechercher un de mes amis, fils d’un consul de Hollande, qui avait été tué, et auquel je voulais porter des secours. Je l’ai trouvé au passage du Saumon, il était mort. –D. Vous avez également prétendu que votre café était fermé ? R. Oui, il l’a été dès midi. –D. L’accusation dit que les révoltés trouvaient un asile dans votre estaminet ? R. Le 6, je suis sorti le matin, et je ne suis rentré qu’à midi. –D. L’accusation prétend que de vos fenêtres on jetait des cartouches aux révoltés, que vous distribuiez des balles, que vous applaudissiez aux efforts des insurgés ? R. On a pu le prétendre, mais c’est faux.
M. le président passe à l’interrogatoire de la demoiselle Alexandre ; cette accusée est mise avec élégance, sa figure est jolie, ses traits sont réguliers, et son émotion est visible.
D. Avez-vous un intérêt dans l’établissement de Fournier ? R. Non, Monsieur. –D. L’accusation prétend que, dans la journée du 6, vous étiez sur le balcon de l’estaminet ; qu’ayant un journal à la main, vous faisiez des signaux aux révoltés, que vous leur disiez quand ils devaient faire feu ou se retirer. R. C’est faux. –D. L’accusation dit que vous avez été vue applaudissant à la mort des gardes nationaux ? R. Cela n’est pas croyable. –D. N’a-t-on pas fondu des balles chez vous ? R. C’est possible, je n’en sais rien ; j’étais tellement troublée, que je ne sais ce qu’on a fait. –D. On a trouvé dans votre établissement une casserole contenant du plomb fondu.
Fournier et Rossignol. Cette casserole a été trouvée au 4e étage, et en notre absence.
M. le président relève quelques réponses faites par la Dlle Alexandre dans l’instruction, et qui sont en contradiction avec celles de l’audience.
Rossignol. Mlle Alexandre, mon épouse (désormais je l’appelerai ainsi), a été comme nous l’objet des violences et des injures les plus graves ; et si quelques paroles ont pu lui échapper, elles s’expliquent par la douleur et son émotion.
La demoiselle Alexandre. J’avais la tête égarée ; d’ailleurs, quand j’ai parlé de casserole et de balles fondues, j’ai parlé d’un ouï-dire, et non d’un fait qui était à ma connaissance personnelle.
M. le président. Je vous fais remarquer que vous n’avez été interrogée que le 11 juin ; vous deviez être calmée.
Après une courte suspension, l’audience est reprise.
M. le président interroge l’accusé Jeanne. Cet accusé est de petite taille, il est maigre et pâle ; son attitude annonce un homme de résolution ; à sa boutonnière on remarque la décoration de Juillet ; une cocarde tricolore est placée sur son chapeau.
M. le président. Jeanne, vous connaissez Rossignol ? R. Oui, Monsieur. –D. Le 5 du mois de juin, vous assistiez au convoi ? R. Oui, Monsieur. –En revenant, n’avez-vous pas crié : Aux armes ? R. Oui ; j’ai fait comme faisaient tous les gardes nationaux. –D. Sur les cinq heures, n’étiez-vous pas au carrefour Saint-Méry ? R. Oui, avec l’arme que j’étais allé prendre chez moi. –D. Vous avez travaillé à la barricade ? R. Oui : deux gardes nationaux avaient été tués près de moi sur le boulevart Bourdon ; on a tiré sur nous sans provocation, une indignation générale se répandit partout ; je courus à mes armes ; j’allai au carrefour Saint-Martin, pensant que les autres gardes nationaux se joindraient à moi ; je fis construire une barricade, pensant que les gardes nationaux, voulant se défendre contre une agression injuste et non méritée, se joindraient à nous. –D. N’avez-vous pas commandé le feu ? R. Une première colonne d’hommes entra ; nous les reçumes sans méfiance, les prenant pour des amis. Ils se jetèrent sur un jeune homme, auquel ils donnèrent un coup de crosse de fusil, qui lui fit au front une large blessure. Je me jetai au-devant d’eux ; je les engageai à s’en aller ; que l’on se vengerait peut-être de la blessure. Ils écoutèrent mon conseil, s’enfuirent, et firent bien.
M. le président. Ne proposa-t-on pas au chef de cette colonne ou patrouille de se réunir aux insurgés ? R. Non pas au chef de cette patrouille, mais d’une colonne de quatre cents hommes au moins. On leur cria qui vive ? on leur demanda s’ils venaient comme amis ou comme ennemis ; ils paraissaient hésiter. Rossignol proposa d’aller en parlementaire pour éviter l’effusion du sang ; Rossignol y alla, et parla à l’officier ; les gardes nationaux, après avoir parlé, s’avancèrent près de nous ; alors ils tentèrent de gravir la barricade, en criant : Coquins, nous vous tenons. On croisa la baïonette, ils tirèrent le premier coup de feu.
M. le président. N’avez-vous pas commandé le feu ?
L’accusé. Non, car une balle venait de m’atteindre au milieu des reins et m’avait renversé ; je me levai toutefois, et je tirai un coup de fusil, un seul coup, car ils ont pris la fuite.
M. le président. N’êtes-vous pas resté toute la nuit derrière la barricade ? R. Oui, et je faisais feu. –D. Ne distribuiez-vous pas des cartouches? R. Oui, quand il en était besoin.
M. le président. Le lendemain, vous avez tiré toute la journée ? R. Toute la journée. –D. Ne vous êtes-vous pas introduit dans la maison n. 30 ? R. Oui. –D. N’êtes-vous pas un de ceux qui tiraient des croisées de la maison n. 30, à la fin de l’attaque ? R. Oui, quand on se rendit maître de la barricade, nous n’avions plus de cartouches, sans cela nous y serions restés ; nous nous sommes retirés en traversant à la baïonette la troupe de ligne. Nous avons perdu trois hommes, les autres ont pu échapper. –D. Vous vous êtes retiré déguisé en ouvrier? Oui, mais le lendemain 7 juin, le matin, parce qu’on me dit que la maison était investie. –D. Vous aviez les cheveux noirs ? R. Oui, je m’étais teint ainsi les cheveux pour n’être pas reconnu après les évènemens.
À cet interrogatoire, subi par l’accusé avec un grand calme, succède une vive impression.
M. le président. Goujon, vous êtes-vous réuni aux révoltés ? R. Non, M. le président; le 5 juin, j’ai été au cortège par la place Vendôme ; j’étais seul, j’ai accompagné le convoi jusqu’au boulevart du Pont-aux-Choux ; on criait à bas Philippe ! à bas mille choses. En voyant qu’il y aurait du bruit, je me suis retiré en homme sage ; chemin faisant (je demeure rue Saint-Méry), j’eus occasion de sauver deux gardes nationaux. Arrivé près de la rue, on me prit par le bras, et on me dit : Tu es un brave de juillet ? C’est vrai, je me suis battu comme un autre. lors on me dit : Tu es des nôtres ; il y avait des gardes nationaux, ça me tranquillisait ; on m’embusqua dans la maison n. 30 ; on me prit pour un sergent de ville, c’était pas agréable ; je dis à un officier : Monsieur, évitez moi le désagrément d’être fusillé par ces messieurs les insurgés ; voyez mes mains, elles sont d’un ouvrier : ça prit et je ne fus pas tué. Après, on me donna une boîte en ferblanc pour la porter ; bonne commission, que je dis ; enfin il fallait bien filer : chemin faisant j’entrai chez un marchand de vin, je demandai un verre de vin, j’en bus même plusieurs, je lui donnai la boîte de poudre ; de là, je voulais voir comme ça se passait, j’allai avec le fusil qu’on m’avait donné, je retrouvai encore des insurgés qui me firent charger mon fusil ; un voisin voulait me faire rentrer. Oh ! non, que je dis ; j’ai un coup de chargé, et je vais le tirer sur les républicains, et je l’ai réellement tiré. –D. N’avez-vous pas été blessé ? R. Oui, j’ai reçu plusieurs coups de feu. –D. L’accusation prétend que le 5 et le 6 vous avez fait feu. R. Non. –D. Vous étiez occupé à distribuer de la poudre ? R. Je n’en ai donné qu’à une personne. –D. Et vous avez tiré sur les républicains ? R. Je ne leur ai pas demandé s’ils étaient républicains, j’ai tiré sur les insurgés, républicains ou non.
M. le président. N’avez-vous pas été désarmé par un nommé Seigneur ? R. Non, Monsieur ; j’ai laissé mon fusil chez un voisin.
M. le président. Mulette, vous avez été arrêté au n. 32 de la rue Saint-Martin ? R. J’ai été arrêté au n. 30. –D. Vous vous trompez, l’accusation ne vous reprochait pas d’y avoir été arrêté. C’est de cette maison qu’est parti le feu meurtrier pendant toute la journée du 6 : que faisiez-vous là ? R. On tirait dans la rue, les balles sifflaient ; je me retirai au n. 30. –D. Vous aviez les mains et le côté droit de la figure noircis de poudre ? R. Non, j’étais sali parce qu’on m’avait traîné dans la rue. –D. Vous aviez de la poudre dans votre poche ? R. Oui, en entrant dans le n. 30 on m’a forcé de me mettre à une table pour faire des cartouches, j’ai regardé, mais je n’ai pas fait de cartouches.
M. le président. Brunet, vous avez été arrêté dans la maison n. 30 ? R. Non, Monsieur ; j’ai été arrêté plus loin. –D. Vous étiez caché dans une cheminée ? R. Oui. –D. Il y avait un fusil qui avait servi à faire feu ? R. Il n’y avait pas de fusil. –D. Vous aviez la bouche marquée de poudre ? R. J’avais la figure barbouillée de suie ; on ne peut pas être blanc quand on sort d’une cheminée. –D. Vous aviez de la poudre dans votre poche ? R. J’avais 3 fr. 10 sous qu’on m’a pris, et qu’on ne m’a pas rendus. –D. Et n’avez-vous pas l’habitude de prendre ? n’avez-vous pas été condamné à un an pour vol ? R. C’est vrai. –D. Que faisiez-vous dans cette maison, caché dans la cheminée ? R. J’avais peur.
M. le président. Métiger, vous demeurez rue Saint-Méry, n. 45 ? R. Oui. –D. Vous avez été arrêté rue Saint-Méry n. 48 ? R. Oui. –D. Que faisiez-vous ? R. Je m’y étais réfugié parce que la porte de la maison où je demeure était fermée. –D. Vous étiez dans une allée ? R. Oui, quand la troupe y est entrée, et je me suis sauvé au cinquième. –D. Vous aviez de la poudre et des balles dans votre poche ? R. Les militaires ont pris de la poix que j’avais aux mains (je suis cordonnier) pour de la poudre, et m’ont dit que j’étais un lâche en me frappant ; je n’avais rien dans mes poches, le procès-verbal du commissaire de police porte qu’on n’a rien trouvé sur moi.
M. le président. L’accusation prétend que, lors de l’arrivée de la troupe, vous vous êtes enfui par les toits de la maison n. 30, rue Saint-Martin, et que vous vous êtes réfugié dans la maison n. 48.
M. le président. Fredelle, expliquez comment vous étiez dans la maison n. 30 ? –R. Je m’en suis sauvé. Le 6 juin, je voulais aller voir ma cousine, rue du Paon ; on m’a empêché de monter, je m’en suis retourné ; mais la ligne fit feu, je me réfugiai dans l’encoignure d’une allée ; la troupe recommençait à tirer, mais la porte était fermée, je me suis sauvé au n. 30. –D. Fondait-on du plomb dans cette maison ? –R. Oui. –D. N’y faisait-on pas des barricades ? –R. Oui, j’y travaillais pour me défendre ; on disait qu’on tuait tout le monde, et puis les insurgés m’auraient tué si je n’eusse pas travaillé.
M. le président. Ils vous auraient tué ?
L’accusé. C’est tout simple.
D. Comment vous êtes-vous sauvé ? R. Avec une échelle, et par le toit, où il y avait un endroit fait exprès ; je suis sorti de la maison n. 30. –D. Vous êtes sorti avec une échelle ? R. Voilà. –D. Et vous avez sauté dans la maison voisine ? D. Très-bien. –D. On vous a trouvé dans un lit ? Oui, dans un matelas plié en deux. –Et un fusil était sous la couverture ? R. Oui. –D. Vous aviez la bouche noire ? R. Je ne le crois pas. –D. L’accusation soutient que vous auriez avoué n’avoir tiré qu’un coup de fusil ?
L’accusé. J’ai dit que je n’en avais tiré aucun.
M. le président. Coiffu, vous avez été condamné pour rébellion ? R. Oui, à six mois, en septembre 1831. –D. Vous avez été arrêté au n. 48 ? R. J’allai chez mon bourgeois, où je restai jusqu’à deux heures ; en sortant on tirait beaucoup ; je voulus aller voir ce que c’était, je me trouvai rue Saint-Méry ; on tirait, et je me suis sauvé dans une allée. –D. C’était la curiosité qui vous amenait au milieu des balles ? R. Je ne savais pas qu’on tirait quand je me suis trouvé là.
M. le président. Boulay, vous avez été arrêté rue Saint-Méry, n. 48 ? R. Oui. –D. Vous sortiez de la maison n. 30, rue Saint-Martin ? R. Oui, Monsieur. –D. N’avez-vous pas eu un fusil dans la journée du 6 ? R. Non, Monsieur.
M. le président. Renouf, vous demeurez rue du Faubourg-Saint-Martin, et vous avez été arrêté rue Saint-Méry, n. 48 ; c’est bien loin de votre domicile. R. J’étais sorti par curiosité, et j’ai été bien obligé de me réfugier dans une allée pour éviter les balles.
M. le président. L’accusation prétend que vous aviez occupé la maison rue Saint-Martin, n. 30, et que vous vous en étiez échappé par les toits. R. C’est une erreur ; des témoins ont dit m’avoir reconnu, mais ils se sont trompés ; il y a plusieurs figures qui se ressemblent.
M. le président interroge Conilleau, décoré de Juillet. –D. Où demeurez-vous ? R. Rue des Nonaindières. –D. Vous avez été arrêté rue Saint-Méry, n. 48 ? R. Je ne sais pas le numéro : je suis entré par les toits, en sortant de la maison n. 30. –D. Vous étiez blessé ? R. Oui, c’est vrai ; le 5, en revenant de voir un ami, il était près de neuf heures, au coin de la rue Bourg-l’Abbé, la garde nationale fit feu ; je fus blessé, je rentrai chez moi. Le lendemain je sortis pour me faire panser et pour chercher un de mes camarades que j’avais perdu la veille, au moment où j’avais été blessé. Je pris le même chemin que la veille ; j’entrai dans la rue Saint-Martin, la garde nationale faisait feu ; je franchis la barricade, et je me jetai dans la maison n. 30 : c’est là que nous nous sommes barricadés. –D. À quel endroit, le 5, avez-vous été blessé ? R. Je vous l’ai dit, au coin de la rue Bourg-l’Abbé. –D. Comment, ayant été blessé le 5, ne vous êtes-vous pas fait panser le 6 ? R. La blessure était peu grave. –D. Ne serait-ce pas le 6 que vous auriez été blessé ? R. Non, Monsieur. –D. N’aviez-vous pas un fusil le 6 ? R. Non, Monsieur.
M. le président oppose à l’accusé ses premiers interrogatoires.
L’accusé. J’ai répondu à un soi-disant commissaire de police qui n’était pas revêtu de ses insignes ; aussi ai-je répondu sans y attacher aucune importance, me réservant de dire la vérité devant le conseil de guerre où je devais être jugé. –D. Vous aviez les mains salies de poudre ? R. Quand on monte sur des toits, on s’accroche à tout, et les mains doivent être sales.
M. le président. Dumineray, vous avez été arrêté rue Saint-Méry, n. 48 ? R. Oui, je m’y étais réfugié pour éviter les coups de fusil. –D. Par où êtes-vous entré dans cette maison ? R. Par l’allée, sur les deux heures. –D. Vous aviez la figure et les mains salies de poudre ? R. Les soldats étaient tellement exaspérés qu’ils voyaient de la poudre partout. –D. N’aviez-vous pas une arme ? R. Non, Monsieur. –Qu’alliez-vous faire dans ce quartier ? R. Par curiosité. –D. Vous étiez allé la veille au convoi du général Lamarque ? R. J’ai été le voir passer. –D. Des témoins disent vous avoir vu dans la maison n. 30, et ils ajoutent que vous vous donniez beaucoup de mouvement ? R. C’est faux.
M. le président. Falcy, vous avez été arrêté au n. 48 ? R. Oui, je passais par la rue du Poirier pour rentrer dans mon quartier, et je fus forcé de me cacher pour ne pas me faire tuer. –D. Lorsque vous avez été arrêté, vous aviez un fusil à la main ? R. Je ne me suis jamais servi de fusil. –D. On prétend qu’on a été obligé de vous désarmer ? R. Ce n’est pas. –D. Vous aviez les lèvres et les mains noires ? R. Je suis serrurier, mes mains doivent être noires.
M. le président. Vigouroux, vous appartenez au 62e régiment d’infanterie ? R. Oui, mais j’étais en congé depuis le mois de mai. –D. Dans le nombre des révoltés qui ont défendu avec tant d’opiniâtreté la maison n. 30, on a remarqué un soldat du 62e : n’était-ce pas vous ? R. Non, Monsieur ; j’étais malade au point que je pouvais à peine sortir. –D. Il n’y avait alors à Paris que deux soldats du 62e, vous et Charrier ; et l’accusation ne reproche rien à Charrier. R. Je n’étais pas rue Saint-Méry. –D. L’accusation prétend que vous disiez que vous seriez perdu si vous aviez le dessous ? R. Comment voulez-vous que je me batte ? je suis soldat. –D. On prétend que vous étiez caché sous le lit d’une demoiselle Morand ? R. C’est faux. –D. La demoiselle Morand le prétend. R. Les personnes de ma maison vous prouveront que je suis resté chez moi.
M. le président. Maris, vous avez été arrêté le 6 juin, au n. 50 de la rue Saint-Méry ? R. Oui, au moment où je sortais du n. 30. –D. Vous sortiez de la porte du n. 30, de l’étal d’un boucher ? R. C’est vrai. –D. Vous étiez avec les insurgés au n. 30. R. J’étais sans y être. –D. N’avez-vous pas dépavé le cour ? D. Non ; on m’a dit de faire des barricades, j’ai pris quelques pavés, et aussitôt que j’ai vu jour je me suis sauvé. –D. De cette boutique de boucher, ne tirait-on pas sur la troupe ? R. Non. –D. Vous étiez armé ? R. Oui, j’avais un fusil qui provenait de la boutique du boucher ; des jeunes gens qui venaient de se sauver l’avaient laissé.
M. le président. Rojon, n’avez-vous pas été tambour dans la garde nationale ? R. Oui, président. –D. Le 6, ne vous êtes-vous pas réuni aux révoltés ? R. Non. — D. Le 7, n’avez-vous pas dit que vous aviez pris part à l’insurrection, et que vous aviez tiré sur la garde nationale ? R. Non, Monsieur. –D. Pendant l’attaque, n’êtes-vous pas monté au clocher de l’église Saint-Méry ? R. C’est faux.
M. le président. Gentillon, le 6, n’avez-vous pas été dans la rue Saint-Martin ? R. Non, Monsieur. –D. N’étiez-vous pas à la barricade de la rue Maubuée ? R. J’y étais, mais sans armes. –D. L’accusation prétend que dès le 5 vous aviez un fusil ? R. Non. –D. Le 5, n’êtes-vous pas rentré chez votre logeur avec un fusil ? R. Oui, avec un fusil que j’ai trouvé au coin d’une borne ; mon logeur m’a mis à la porte, et j’ai été reporté le fusil où je l’avais trouvé. –D. Sous votre lit on a trouvé un sabre ? R. C’est faux, et si on l’y a mis ce n’est pas moi.
M. le président. Grimbert, vous êtes Polonais, et vous n’êtes pas naturalisé Français ? R. C’est vrai ; je suis en France depuis trois ans. –D. Vous êtes marchand ; on a saisi chez vous beaucoup de gravures obscènes. R. Oui, c’est vrai, je vends de tout ; il y avait aussi un portrait de Louis-Philippe. –D. N’étiez-vous pas avec des révoltés, et n’avez-vous pas voulu pénétrer chez Simon père pour le désarmer ? R. Ce n’est pas moi.
D. L’accusation prétend que vous auriez pénétré chez Polite, où vous auriez pris un fusil ? R. J’y ai été avec mon femme, c’est vrai. Mon femme, je me trompe, mais j’attends que je me marie avec elle. Ce Polite est cordonnier, et chausse des sergens de ville, il passe pour un mouchard. On voulait enfoncer son boutique, on commença à l’enfoncer. M. Polite était dans son grenier ; j’entrai avec M. Polite ; alors je dis à lui : « M. Polite, donnez-moi plutôt le fusil, on vous le prendra. » Il le donna à moi pour le bon motif. –D. C’est donc pour lui rendre service que vous avez pris le fusil de Polite ? R. Oui, Monsieur ; en sortant de chez lui, on frappa à côté dans une boutique ; j’étais avec ces gens-là, qui m’embarrassaient ; ils voulaient me faire partir pour aller à la barricade. Quant à Simon, cet homme n’a rien pour faire des barricades. Si j’avais voulu des instrumens, j’aurais pas été chez le père Simon ; c’t’homme vend des petits pots de pommade et de la chiffon ; il a des vieilles fourchettes, et pour faire une barricade j’aurais plitôt pris une touzaine de poêles chez mon voisin, avec ça j’aurais plitôt fait un barricade qu’avec une temi touzaine d’assiettes et un pot ; et puis jamais je me suis mal comporté avec le gouvernement, et si je n’amais pas Louis-Philippe, j’aurais pas acheté son portrait ; et puis encore un point, on a ouvert une caisse à moi où qu’il y avait un billet qui prouvait que tous les samedis je faisais venir mes amis pour chanter des prières pour Louis-Philippe. –D. Êtes-vous marié ? R. J’attends ici pour me marier avec mon femme.
M. le président. Fourcade, le 6 juin, n’étiez-vous pas avec un rassemblement, rue Montmorency, n. 44, chez M. Parmentier ?
L’accusé raconte qu’une foule d’individus le forcèrent à entrer dans cette maison ; que, cédant à leurs menaces, il les suivit. On demanda, dit l’accusé, le fusil à l’épicier ; je lui fis signe, et je lui dis de me le confier, que je le lui rapporterais aussitôt que je serais débarrassé de ceux qui me forçaient. Je remis à M. Parmentier une carte portant le nom de M. Lambert, où je vais tous les jours. –D. N’avez-vous pas dit à M. Parmentier, en lui remettant cette carte, que vous lui rapporteriez son fusil si vous n’étiez pas tué ? R. Non, Monsieur. –D. Ne vous êtes-vous pas réfugié chez M. Michel, et ne lui avez-vous pas déposé votre fusil, en disant que vous n’aviez plus de cartouches ? R. J’ai remis le fusil, mais sans rien dire ; ce fusil n’a pas été tiré. –D. Vous avez été condamné à deux ans de prison ? R. Oui. –D. Depuis, n’avez-vous pas été condamné ? R. Non, Monsieur.
Audition des témoins. — Faits généraux.
M. Millerat. Le 5 juin, à 7 heures du soir, il y avait un groupe de jeunes gens, rue Saint-Méry ; ils étaient accompagnés d’un général qui pouvait avoir 60 ans ; ils ont arrêté une voiture ; le général a donné des ordres ; on a dételé les chevaux, on a renversé la voiture. Ensuit il y avait plusieurs gardes nationaux de la légion devant le café, et toute la nuit on a travaillé à faire la barricade en criant : Vive la république ! Le soir, est arrivé un détachement de la garde nationale ; et les insurgés ont tiré les premiers dessus. À trois heures et demie du matin, le 25e de la ligne est venu pour prendre la barricade, mais ils ont été repoussés ; ils ont laissé au moins 12 ou 15 fusils sur la barricade. Les insurgés, après avoir tiré, criaient : Vive la république ! et chantaient des chansons républicaines. À tous ceux qui passaient on criait : Qui vive ? Le lendemain ils sont venus, et on enfoncé ma porte ; ils m’ont demandé mon fusil : j’ai répondu que je n’en avais pas ; ils m’ont appelé Louis-Philippe. Voyant que je résistais, ils m’ont emmené de force pour que je visse ceux qui étaient tués ; ils m’ont en effet montré deux cadavres, celui d’un bourgeois et celui d’un voltigeur du 3e léger ; ils m’ont laissé aller, et je suis rentré chez moi. Ils sont revenus 12 ou 15 fois chez moi ; ils voulaient monter des moellons ; je leur dis, pour les arrêter, que deux heures auparavant ma femme avait été condamnée à mort par la faculté de médecine, et qu’ils la feraient mourir plus tôt. Au moment où je disais cela, ma femme descend. « Ah ! tu nous mens ! me dirent-ils. –Non, non, que je repris, ce n’est pas ma femme, c’est la garde-malade qui va chercher un peu de sirop pour prolonger les instans de ma pauvre femme ; vous ne voudriez pas abréger les jours d’une mère de famille. –Non, non, dirent-ils, tu nous a l’air d’un bon b….. ; va soigner ta femme, » et ils se retirèrent.
D. Ont-ils demandé du vin ? R. Oui, ils en ont pris beaucoup, en disant : « Va, Louis-Philippe, tu seras bien payé ; » mais je n’a pas reçu beaucoup de monnaie. –D. Quel est le régiment qui s’est emparé de la barricade ? R. C’est le 2e régiment de ligne, qui nous a sauvés de l’esclavage où nous étions depuis vingt-trois heures. –D. Dans la journée, tirait-on constamment ? R. J’ai vu tuer un adjutant-major ainsi qu’un grenadier de la garde nationale ; on tirait à chaque instant.
L’accusé Jeanne. Je demanderai au témoin s’il est bien sûr d’avoir vu un général ?
Le témoin. Oui.
Jeanne. Il n’y en avait pas, je l’affirme sur l’honneur, et je puis le faire.
M. le président. Prenez garde, vous avez pu ne pas voir ce général.
Jeanne. Comment le témoin a-t-il pu voir que nous avions commencé les premiers le feu ?
Le témoin. De ma fenêtre.
Jeanne. Le témoin a dit qu’il n’avait pas quitté son escalier ; mais passons. Le témoin dit avoir vu deux cadavres, les a-t-il bien regardés ?
Le témoin. Oui.
Jeanne. C’est lui qui a demandé à les voir.
Me Saunières. Le témoin a-t-il vu un parlementaire qui entra en pourparlers avec la garde nationale ?
M. le président. Témoin, soit à huit heures du soir, soit à dix heures….
Me Saunières. Quand je pose une question, j’en comprends l’importance, et j’ai besoin qu’elle soit posée dans les termes que j’ai fixés moi-même.
M. le président. C’est une erreur ; je puis même ne pas poser la question, si elle me paraît inutile à la découverte de la vérité. Témoin, soit à huit heures, soit…..
Me Saunières. M. le président, j’insiste, car j’en ai le droit, d’après l’article 319 du Code d’instruction criminelle.
Me Saunières prend des conclusions qu’il développe, et soutient avec énergie que ce serait entraver la défense, et ôter aux accusés tous leurs avantages, si le président pouvait à son gré ne pas poser ou poser dans des termes différens les questions faites par les accusés.
M. Delapalme soutient, au contraire, que, par cela seul que la loi avait voulu que la question passât par l’organe du président, elle avait laissé à ce magistrat le droit de la poser dans les termes qui lui paraîtrent les plus convenables.
La cour, après un quart d’heure de délibération, rend un arrêt pourtant en droit que le président pouvant, en vertu de l’article 270 du Code d’instruction criminelle, retrancher du débat ce qui peut le prolonger inutilement, il peut, par conséquent, refuser même de poser la question, et à plus forte raison la formuler dans des termes autres que ceux dans lesquels elle a été présentée.
L’arrêt décide d’ailleurs, en fait, que le président ne s’était pas refusé à poser la question, et qu’il avait été interrompu au moment où il allait la poser.
Me Saunières. Je ne veux pas incidenter ; mais je fais remarquer que M. le président n’a été interrompu que parce qu’il présentait la question dans des termes tout-à-fait différens de ceux que j’avais énoncés.
M. le président. Cela sera consigné au procès-verbal.
Après cet incident, la question est posée au témoin, qui déclare n’avoir pas vu de parlementaire.
Le sieur Dupont, tailleur, raconte les faits généraux dans le même sens que le témoin précédent ; il ajoute qu’il a vu des drapeaux ; sur l’un d’eux on lisait : Au général Lamarque, la société des typographes. Ce témoin a également vu un général ayant la croix de commandant de la Légion-d’Honneur ; il a vu parlementer, et immédiatement après il a entendu un décharge ; mais il ne peut dire de quel côté le feu a commencé. « J’ai vu, dit le sieur Dupont, le nommé Rojon, décoré de juillet ; il allait comme à la chasse, d’une barricade à l’autre, et tirait souvent : je le reconnais bien, il était décoré de juillet. »
Rojon. C’est faux, j’étais ailleurs.
Il est cinq heures ; l’audience est levée, et renvoyée le au lendemain.
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