L’interrogatoire et le bulletin
On les appelle brigands, sans égards pour leur position d’accusés; il y a ordre donné de les injurier tous les matins. Pour eux, on fait stéréotyper des insultes, et puis les valets de plume se glorifient lorsqu’ils sont parvenus à consacrer un outrage, à faire passer dans la langue quelque nouvelle formule ou quelque mot improvisé, propres tous deux à dénigrer et à offenser.
Vous verrez que ces gagistes en viendront à solliciter une pension pour leurs services de délation, et à quêter des brevets d’importation ou de perfectionnement en fait de calomnie.
Et cependant, au fond de tous ces actes si blâmés maintenant, il y a une gloire qui survivra aux sentences qui frappent les hommes, parce qu’elle s’attache au souvenir impérissable des choses.
La première restauration a tué Labédoyère, Ney, Bories et ses courageux amis; la première restauration les a faits a jamais illustres.
Faites disparaître les passions politiques et la culpabilité relative; oubliez l’appréciation de réquisitoire; ne prenez pour historiens ni Bellart, ni Persil, ni Marchangy, ni Delapalme, ni Champanhet, ni Partarieu Lafosse; mettez à néant les réponses des juris qui passent; interrogez le juri de l’histoire qui ne passe pas, et alors, si vous lu pouvez, fermez les yeux pour tâcher de nier tant d’héroïsme.
Que cela s’appelle juillet au lieu de s’appeler juin; Arcole au lieu de s’appeler Saint-Méry; que cela se nomme redoute au lieu de se nommer barricade; que cela se soit passé de Français à Autrichiens, au lieu de s’être passé de Français a Français; que la victoire soit restée au-delà au lieu de rester en-deça, et ce sera le Panthéon au lieu de la cour d’assises!
Et ne croyez pas qu’il en soil de même pour tous les faits; il y a des victoires qui ne peuvent point être glorieuses; il y a des défaites que rien ne peut empêcher d’être glorieuses.
Exhaussez la scène, remplacez l’infiniment petit par l’infiniment grand; mettez Napoléon à la place d’un président de cour d’assises, et lisez ce magnifique bulletin:
— Soldat, on rapporte de toi des traits de courage; on cite ton énergie et ton sang-froid.
— Sire, je crois avoir fait mon devoir.
— Tu as été au fort de la mêlée en criant: Aux armes?
— Je l’ai fait comme le faisaient alors les vrais soldats français.
— Le premier tu as pris les armes?
— Oui, je n’ai pas voulu marcher à l’ennemi sans fusil.
— Tu as construit une redoute?
— Oui, j’avais vu tomber près de moi deux de mes amis; je partageai l’indignation générale, et je criai: «Aux armes! aux armes!» Je me rendis armé sur le champ de bataille, attendant les autres soldats que j’avais vus animés des mêmes sentimens d’indignation que moi.
— Cette redoute ne fût-elle pas élevée aux cris de vive la France.
— Les cris de vive la France! ne se sont fait entendre qu’après la troisième attaque victorieusement repoussée.
— N’as-tu pas fait feu sur une patrouille?
— C’était toute une colonne qui s’avançait. Nous étions vingt sous les armes; nos adversaires s’avançèrent d’abord en amis; mais tout à coup ils se jetèrent sur un jeune homme sans uniforme qui se trouvait parmi nous. Je leur conseillai de s’enfuir, pour éviter la vengeance des camarades de ce jeune homme; ils s’en allèrent, et firent bien.
— N’a-t-on pas demandé à un officier qui s’approchait s’il était là pour la France?
— Nous demandâmes aux soldats qui s’avançaient s’ils étaient amis. Ils continuèrent de venir à nous et ce ne fut qu’après avoir escaladé la redoute, qu’ils crièrent: Coquins! nous vous tenons enfin! Alors le feu s’engagea. Je ne sais plus rien; car je reçus une balle qui me traversa les reins; je tombai, puis je me relevai pour tirer un coup de fusil, je n’ai pu en tirer qu’un, ils avaient fui.
— As-tu commandé le feu?
— Je le dirais, si je l’avais fait.
— As-tu distribué des cartouches?
— Quand il en était besoin.
— N’as-tu pas tiré sur un bataillon?
— J’ai traversé avec dix hommes tout un régiment à la baïonnette; j’ai perdu huit hommes et je me suis retiré.
Que vient-on de lire? Est-ce un fait d’assassin, d’homicide avec préméditation et guet-apens? Est-ce le récit d’un de ces immenses épisodes des guerres de la République et de l’Empire, ou bien l’acte d’accusation d’un criminel? Est-ce une action qui a mérité l’échafaud , ou bien une action digne des honneurs de toute une armée?
Je ne sais; mais ces lignes sont copiées textuellement sur les paroles de M. le président Jacquinot-Godard et sur les réponses de l’accusé Jeanne, blessé au cloître Saint-Méry. Que cela ait lieu à Austerlitz ou dans la rue Saint-Martin, le courage n’est-il pas le même?
Nous ne prétendons excuser ni défendre l’insurrection; mais nous rendons hommage au vrai courage dans quelque rang qu’il se puisse trouver, et nous croyous qu’en présence de pareilles actions, les vainqueurs pourraient, comme Napoléon, crier: honneur au courage malheureux.
(Corsaire.)
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