à ses concitoyens
Suivi du procès-verbal de la Séance du 25 septembre 1830
Nous avons combattu avec vous dans les trois journées de juillet; mais nous n’avons pas pensé que notre devoir fût accompli par l’expulsion de Charles X et de sa famille.
Le 30 juillet, en déposant les armes, nous nous sommes assemblés en vertu du droit qu’ont des hommes libres de se réunir et de se communiquer leurs pensées.
Nous avons senti la nécessité de poursuivre de nos voeux et de nos efforts toutes les applications du principe de la liberté et de l’égalité.
Dans ce puissant intérêt nous nous sommes proposés une série de travaux pour la réalisation de toutes les espérances qui naissaient de la victoire du peuple, et de toutes les améliorations que réclame l’état de la civilisation.
Nous avons été calomniés dans nos intentions et dans nos actes. Faire connaître le but où tendent nos efforts, ce sera répondre; signaler nos adversaires, ce sera les flétrir.
Notre but est l’établissement solide et durable des institutions politiques, judiciaires et administratives véritablement populaires, sans lesquelles il n’ya ni liberté, ni égalité, ni justice pour les individus; ni dignité, ni force pour la nation; ni stabilité pour le Gouvernement.
Nous demandons l’amélioration progressive de toutes les conditions sociales, et une meilleure répartition des bienfaits de la civilisation.
Nous désirons enfin que la nation intervienne légalement dans la discussion et la gestion de ses propres affaires.
Voilà nos intentions.
Voici nos actes:
Nous nous réunissons pour étudier les véritables intérêts du pays, nous éclairer mutuellement sur nos droits et nos devoirs, surveiller et déjouer les projets des ennemis de la patrie.
Ce que nous croyons utile à tous, nous le publions.
Les vaincus de juillet, les hommes à places, les partisans du privilége, ceux qui ne voient dans la nation qu’un troupeau à conduire et à dévorer, s’emparent d’une circonstance indépendante de toute volonté humaine, inévitable conséquence de la crise politique où nous vivons. Ils prétendent que la Société des Amis du Peuple est la cause du malaise actuel de l’industrie. Aveugles ou gens de mauvaise foi, qu’ils se souviennent de ce qui s’est fait contre l’industrie pendant les six dernières années de notre asservissement. Qu’ils regardent l’Europe: en Espagne, en Portugal, dans toute l’Allemagne, en Italie, à nos portes en Belgique, à l’extrémité du continent en Russie même, la victoire du Peuple Français a réveillé tous les sentimens nationaux et populaires; partout les idées de liberté renaissent, se font jour et dominent les intérêts ordinaires de la vie. De là, stagnation de l’industrie, ralentissement des échanges commerciaux. Là, seulement, est la véritable cause de ce malaise passager que nos accusateurs entretiennent et prolongent par leur obstination, maladroite sinon coupable, à refuser à la France les conséquences nécessaires de la révolution de juillet.
Ils nous craignent, et veulent associer à leurs craintes ceux avec qui, et pour qui, nous avons combattu.
La publicité de nos séances les effraye; non parce qu’ils ne connaissent pas la droiture de nos intentions, mais parce qu’ils ont intérêt à ce que vous ne la connaissiez point.
Se dire Ami du Peuple, c’est, pour eux, se dire ennemi du Gouvernement; comme s’ils avouaient, sans le vouloir, qu’aimer le Peuple c’est nécessairement les haïr.
Qu’ils se contentent de notre dédain.
Quant à vous, Citoyens, vous comprendrez, sans doute, quelles sont les vues de ceux qui cherchent à jeter la désunion parmi nous.
Eux seuls ont intérêt à nous calomnier.
Défiez-vous de ces hommes.
Ce n’est pas nous, Amis du Peuple, qui tous les jours fraternisons avec vous de travail et d’intérêts; c’est le parti vaincu, ce sont les hommes qui n’ont pas rougi de se proclamer mensongèrement les sauveurs de la France, pour puiser dans les événemens de juillet la rajeunissement d’un mandat qu’ils avaient répudié la veille du combat; mandat sans force entre leurs mains, qu’ils eussent déserté sans pudeur si l’élan spontané, électrique, du Peuple, ne leur eût rendu le courage facile de le revendiquer.
L’attitude grave et paisible de nos séances y appelait chaque jour un plus grand nombre de Citoyens; un public, sur la composition duquel nous étions sans autre influence que celle de la droiture et de la franchise patriotique, s’associait à nos travaux, et ses applaudissemens les encourageaient par fois.
La publicité des séances des Amis du Peuple effraya ses ennemis. N’osant employer contre nous la violence, ils résolurent de troubler nos travaux. Le procès-verbal de notre dernière séance en fournit la preuve.
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Procès-Verbal de la Séance du 25 septembre 1830
A huit heures, la séance est ouverte. Le tumulte causé au dehors par quelques malveillans empêche d’abord la lecture du procès-verbal; mais bientôt la silence se rétablit, et le procès-verbal est adopté sans réclamation.
Un membre demande la parole pour une proposition. (Profond silence dans l’assemblée. Le bruit du dehors s’y fait pourtant entendre par momens.) Messieurs, dit l’orateur, il peut paraître singulier de voir continuer des travaux graves et paisibles au milieu du bruit qu’on se plaît à élever autour de nous; mais nous ne sommes en rien émus de ce qui se passe au dehors. Que les perturbateurs subissent seuls la responsabilité de leurs actes. Nous ne devons leur répondre que par notre calme. (Assentiment général.)
Ici, l’orateur annonce qu’il a reçu une lettre ayant pour but de demander le concours de la Société pour l’établisser d’une banque d’échange des produits de l’industrie. Il conclut en demandant que cette lettre soit renvoyée à une Commission. (Appuyé! appuyé!)
Un second opinant: Je demande le renvoi à la Commission industrielle. Le renvoi est adopté.
Un membre: Messieurs, je ne pense pas que le bruit excité autour de nous par la malveillance puisse interrompre nos travaux. Nous sommes forts contre les perturbateurs; car nous avons la conscience de notre dignité. Nous sommes forts, non par notre nombre, mais parce que nous avons pour nous la vérité. Je vous entretiendrai donc d’une proposition que je devais développer aujourd’hui, et sur laquelle j’appèle un sérieux examen. Il s’agit d’une pétition au roi pour l’extension de l’entrepôt aux villes de l’intérieur. C’est encore un privilége à combattre que le monopole des entrepôts pour certaines villes. Renvoi à la Commission industrielle.
Le bruit extérieure redouble. M. le Président invite les spectateurs au silence. Deux ou trois perturbateurs sont expulsés par le public.
Un secrétaire demande qu’il soit procédé à la formation des bureaux par la voie du sort. Cette proposition est adoptée. On procède aussitôt à la formation des bureaux.
Pendant cette opération, un capitaine de la garde nationale est introduit, et réclame la parole. Elle lui est accordée.
Le capitaine: Messieurs, je n’ai aucun ordre à donner ici, vous êtes dans votre droit; mais je viens officieusement vous annoncer un fait que vous ignorez sans doute. Une foule considérable s’attroupe à votre porte; votre séance est l’occasion d’un rassemblement de deux mille personnes dans la rue Montmartre; peut-être feriez-vous bien de l’ajourner. Remarquez que je n’ai point de mission, mais que je viens vous donner un simple avis.
Un membre demande et obtient la parole: Messieurs, dit-il, j’appuie cette proposition…. (Bruit.)
Un officier d’état-major entre dans l’assemblée: Messieurs, dit-il, je viens, au nom du général Lafayette. (Profond silence.) Nous n’avons aucun ordre à donner ici, mais nous vous prions de renvoyer votre séance à un autre moment, dans l’intérêt de l’ordre public.
Un membre: J’appuie, dans l’intérêt de l’ordre, la proposition qui vous est faite; mais je crois utile de constater que nous nous séparons volontairement, et de décider que nos séances seront continuées. Montrons-nous amis de l’ordre, mais ne laissons pas prescrire nos droits. Il faut aussi qu’on sache qu’ici tout s’est passé dans l’ordre et le calme. Il faut qu’on sache que le désordre a été excité au dehors par la malveillance. Il faut qu’on sache surtout que le ministère a prédit, ce matin, des désordres, et que ces désordres ont eu lieu ce soir, sans que nous y ayons pris part. Je demande que les deux officiers, ici présens, nous donnent leur adresse pour que nous puissions réclamer leur témoignage.
Les deux officiers se rendent à cette invitation. La Société, consultée, décide que sa prochaine séance aura lieu sur convocation à domicile.
La séance est levée aussitôt; les Sociétaires se retirent en ordre et en silence.
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