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Société des Amis du Peuple, 9. Octobre 1831.
Les nouvelles persécutions du pouvoir contre les patriotes et contre la liberté de la presse, ont cette fois retardé la publication de notre brochure. Nous en sommes fâchés pour ceux de nos concitoyens qui, sympathisant avec la pureté de nos principes, viennent puiser chez nous l’instruction populaire. Quant à nous, nous ne nous plaignons pas: c’est un trop beau triomphe que de souffrir pour la cause de la liberté et de l’égalité.
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La Pologne est morte; à notre tour!
Il n’est pas vrai, comme les ennemis de la liberté le prétendent, qu’un état qui reconnaît pour base la souveraineté du peuple, doive faire de la guerre le principe essentiel de son existence. Mais seconder l’émancipation des peuple contre les efforts des tyrans, est un devoir sacré pour une nation libre.
Ainsi n’a point fait le gouvernement qui s’est imposé à la France du juillet; pactisant avec les rois contre l’indépendance des nations, il a payé sa bien-venue dans la sainte-alliance par la promesse d’ánéantir la révolution des barricades, et de livrer aux bourreaux absolutistes les patriotes étrangers, et cette promesse, il l’a plus fidèlement tenue que les promesses de l’Hôtel-de-Ville. Par elle, les juges de Charles X ont eu leurs victimes, les rues de Paris leurs dragonnades, l’Italie ses échaffauds, la Belgique son proconsul, l’Espagne ses massacres de constitutionnels et Varsovie son tombeau. Oui! (et l’on ne saurait le crier assez haut) c’est en vertu d’un traité contre-révolutionnaire consenti par le cabinet du Palais-Royal, dans l’intérêt des dynasties et aux dépens de la liberté des peuples, que la Pologne a péri. Rien n’a pu toucher nos égoïstes aristocrates: ni les services rendus à la France par les Polonais, ne le noble caractère de leur insurrection, ni la sympatie fraternelle de 33 millions de Français, ni les cris de détresse de notre seconde patrie. Seule, sans amis, sans alliés, sans munitions, sans vêtemens, presque sans pain, elle a un an lutté contre les trois fléaux réunis de l’invasion des barbares, du chólera-morbus et de la trahison. Puis elle est morte ne nous voyant pas venir, forcée de maudire et nos trompeuses promesses et notre stérile sympatie, dont l’effet a été cent fois plus funeste pour elle que la franche inimité de Nicolas.
Tout a été dit sur cette terrible catastrophe, et nous ne viendrons pas, comme on l’a fait à la chambre des députés, remuer sans profit pour l’avenir une froide poussière que tous les plus beaux discours ne sauraient ranimer. Aujourd’hui le voile est déchiré. Grâce à la trahison, notre révolution est tombée dans un labyrinthe étroit au fond duquel il n’y a plus qu’invasion et servitude. L’avenir effrayant et triste est déjà là sur nous comme un géant; ils nous pousse, il nous presse.
Le nord et l’est de la France sont à découvert. Entre Varsovie devenue cosaque et les bords du Rhin, qu’avons-nous? la Prusse et l’Autriche complices de la mortde nos frères. Entre les bords du Rhin et Paris? abattement et misère, un marasme rongeur, fruit de l’attente trompée, des associations contre l’invasion déclarées rebelles, des gardes mobiles tuées dans leur élan, et cinq ou six fusils par commune rurale, pour repousser l’étranger.
Que si à force d’abaissement et d’opprobre, à force de traîner dans la fange la révolution de juillet, à force de baiser la main qui vient d’assassiner la Pologne, le cabinet du Palais-Royal parvient à arrêter la marche de l’autocrate, nous n’échapperons pas pour cela à la fatalité de nos destinées; seulement nous passerons par les menottes et les baillons du juste-milieu avant d’arriver aux fourches caudines des barbares. La grande voix qui criait en Europe: Honte au gouvernement de France! vient d’expirer; pour nos Périer, pour nos Sébastiani, plus d’importunes clameurs, et si dans leurs songes les cadavres des héros d’Ostrolenka comblant les fossés de Varsovie, viennent les tourmenter et les poursuivre, l’or d’un budjget toujours grossissant et les douceurs d’un pouvoir sans contrôle, effaceront au réveil ces funestes images.
Pour nous, hommes sans coeur, qui n’aurons su que changer ou donner des concerts pour acquitter la dette du sang, nos réclamations seront plus que jamais étouffées comme celle d’un vil troupeau. Nous avons eu des lois d’arbitraire et de privilége: nous aurons des lois d’exception. Les prisons aujourd’hui sont pleines: on en construira de nouvelles. Mais c’est alors, quand nous serons bien humiliés, bien désunis, bien abattus; quand la faim et la misère nous auront débordés, que l’Europe coalisée entendra sonner notre heure; alors sera venu pour elle le moment d’avoir bon marché de nous, et la perte totale de nose libertés donnera sous peu le signal d’une troisième restauration.
Alors on connaîtra mais trop tard, qui des deux était le plus sincère, ou des protocoles des monarques ou de leur vieille haine de quarante ans contre le peuple de France. Alors on apprendra, mais trop tard, que les malheurs des peuples ne viennent jamais que les crimes de leurs gouvernemens. Alors on se demandera pourquoi cette garde nationale, si active autrefois contre les émeutes, fut contansment si aveugle sur la cause qui la faisait naître? Et se voyant envahie et sans défense, la France dira: Où sont mes trésors que le gouvernement qui succéda aux barricades m’arrachait sous le prétexte de lever et d’équiper les armées?
Mais les milliards, fruits des sueurs du peuple, n’auront servi qu’à alimenter l’orgeuil de quelques aristocrates bourgeois, et leur effet le moins contestable aura été d’ajouter des financiers à des nobles, et quelques avocats aux traîtres de la restauration. Alors les cosaques qui deux fois campèrent aux Thuileries pour soutenir des Bourbons, viendront une troisième fois y camper encore pour protéger la même race contre les vengeances démocratiques, et peut-être on se convainera que de branche à branche, de parens à parens, les inimitiés des princes sont bien moins durables que les lignes des despotes contre les peuples.
Et à l’ombre du drapeau blanc, (peut-être, qui sait, ou à l’ombre du drapeau tricolore) l’on verra s’élever des échafauds royalistes pour supplicier ceux qui crieront: Vengeance à la France! comme on a vu naguère armer et solder des mouchards pour assassiner et emprisonner ceux qui criaient: Vengeance à la Pologne!
Peut-être en ce moment, dans une magnifique voiture, passera sur la place quelque ministre du roi; et si des clameurs populaires frappent son oreille; et si l’on arrête ses chevaux pour lui demander compte de ses actes, il se retournera insolemment vers le peuple et lui dira comme aujourd’hui: Que me demandez-vous?
Ce que nous demandons? justice et rien que justice contre les hommes qui, semblables à Cain, portent au front le sang de la Pologne, et dont la voix de tous les peuples assassinés a trouvé le coeur insensible, de même que les gémissemens qu’on pousse dans les tombeaux ne réveillent point les cadavres.
Si la responsabilité ministérielle, n’était pas une cruelle dérision insolemment écrite dans une chart rapiécée, dès aujourd’hui commencerait un grand procès contre la France menacée de tous côtés, et les hommes du gouvernement de Louis-Philippe. Mais pour les ministres autour desquels fume le sang de tant de patriotes, pour les fonctionnaires publics coupables de l’appauvrissement et du déshonneur de la France, serait-ce assez qu’une amende pécunière ou qu’une molle prison? Non, non! pour les ministres prévaricateurs, la responsabilité, c’est la mort1.
– G.D-P.
1 Isnard, au ministre Narbonne prétant serment à la convention.
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Society of the Friends of the People, 9th of October 1831.
The new persecutions of authority against patriots and the liberty of the press have, this time, delayed the publication of our brochure. We are angry about it for the sake of those of our fellow citizens who, sympathizing with the purity of our principles, come to draw public instruction from us. As for ourselves, we do not complain: it is a triumph to suffer for the cause of liberty and equality.
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Poland is dead; it’s our turn!
It isn’t true, as the enemies of liberty allege, that a state which recognizes the sovereignty of the people as a base must make war the essential principle of its existence. But assisting the peoples’ emancipation against the power of tyrants is a sacred duty for a free nation.
The government which was imposed upon France after July has not done so; in making deals with kings against the independence of nations, it has paid for its welcome in the Holy Alliance through the promise to crush the revolution of the barricades, and to give up foreign patriots to their absolutist executioners; and it has kept this promise more faithfully than the promises made at the Hôtel de Ville. Through it, the judges of Charles X have had their victims, the streets of Paris their persecutions, Italy its scaffolds, Belgium its proconsul, Spain its massacres of constitutionalists, and Warsaw its tomb. Yes! (and we cannot shout it any louder) it was by virtue of a counter-revolutionary treaty, approved by the cabinet of the Palais-Royal, in the interest of dynasties and at the expense of the peoples’ liberty, that Poland perished. Nothing could touch our egotistical aristocrats: not the services rendered to France by the Poles, not the noble nature of their insurrection, not the fraternal sympathy of 33 million Frenchmen, not the cries of distress from our second fatherland. Alone, without friends, without allies, without ammunition, without clothing, almost without bread, Poland struggled for a year against the three united scourges of the barbarian invasion, cholera, and betrayal. And then she died, seeing us fail to come to her aid, forced to curse both our deceptive promises and our sterile sympathy, whose effect was a hundred times more grievous for her than Nicholas’ honest enmity.
Everything there is to say about this terrible catastrophe has been said, and unlike the Chamber of Deputies we have no intention of stirring, with no profit for the future, the cold dust that all the beautiful speeches in the world could not reanimate. Today the veil has been torn. Thanks to betrayal, our revolution has fallen into a cramped labyrinth which has only invasion and servitude at its center. The frightful and sad future is already here, upon us like a giant; it is pushing us, it is pressing us.
The north and the east of France are defenseless. Between now-Cossack Warsaw and the banks of the Rhine, what do we have? Prussia and Austria, the accomplices of our brothers’ death. Between the banks of the Rhine and Paris? Despair and misery, a corrosive stagnation, the product of deceived waiting, associations against the invasion declared rebellious, mobile guards killed in their enthusiasm, and five or six guns per rural community, to push back the foreign invaders.
If by dint of abasement and opprobrium, by dint of dragging the July Revolution through the mud, by dint of kissing the hand that has just assassinated Poland, the cabinet of the Palais-Royal manages to stop the autocrat’s march, that will not let us escape the fatality of our destiny; the only difference is that we will pass through the shackles and the gags of the juste milieu before arriving at the barbarians’ Caudine Forks. The great voice in Europe which shouted “Shame upon the French government!” has just expired; no more troublesome clamor for our Périers and our Sebastianis, and if in their dreams the heroes of Ostrolenka who fill the graves of Warsaw come to torment and pursue them, the money of an ever-expanding budget and the kickbacks of uncontrolled power will erase these grim images when they wake up.
For us, heartless men who will have done nothing but exchange money and give charity concerts to acquit a blood debt, our our complaints will be stifled more than ever as those of a vile flock. We have had laws of arbitrariness and privilege: we will have laws of exceptions. Today the prisons are full: new ones will be built. But it will be then, when we are well and truly humiliated, divided, exhausted, when hunger and misery have overwhelmed us, that Europe in coalition will hear our death-knell ringing; and that will be the moment for them to have us cheaply, and the total loss of our liberties will shortly give the signal for a Third Restoration.
And then it will be known, too late, which was more sincere: the monarchs’ protocols or their old forty-year hatred of the French people. And then we will learn, too late, that the misfortunes of peoples always come from their governments’ crimes. And then we will ask ourselves why the National Guard, formerly so active against riots, was so constantly blind to the cause that gave it birth? And seeing itself invaded and defenseless, France will say: “Where are my treasures, which the government that followed the barricades extracted from me under the pretext of raising and equipping armies?”
But those billions, the product of the people’s sweat, will have served only to feed the pride of a few bourgeois aristocrats, and their least questionable effect will have been to add financiers to the nobles, and a handful of lawyers to the traitors of the Restoration. And then the Cossacks, who camped twice in the Tuileries to support the Bourbons, will come and camp there again a third time to protect the same race against democratic vengeance, and perhaps we will finally be persuaded that from branch to branch, from relative to relative, the enmities of princes are much less durable than the lines of despots against the people.
And in the shadow of the white flag (or perhaps, who knows, under the shadow of the tricolor flag) we will see royalist scaffolds raised to punish those who cry, “Vengeance for France!” as once was saw spies armed and paid to assassinate and imprison those who cried, “Vengeance for Poland!”
Perhaps at that moment, in a magnificent carriage, some minister of the king will pass by; and if the people’s clamour strikes his ear; and if they stop his horses to demand an accounting of his crimes, he will turn insolently to the people and say to them, as he says today, “What do you want of me?”
What do we want? Justice and nothing but justice against the men who bear, like Cain, Poland’s blood on their foreheads, whose hearts are unmoved at the voices of all the murdered peoples, just like the groans one lets out in a tomb will not reawaken the corpses.
If ministerial responsibility were not a cruel derision insolently written into a patchwork charter, today would mark the beginning of a great trial against France, which is threatened on all sides, and against Louis-Philippe’s government. But for the ministers, around whom so many patriots’ blood is still steaming, for the public officials, guilty of impoverishing and dishonoring France, would a monetary fine or a soft prison term be enough? No, no! For lying ministers, responsibility is death1.
– G.D-P.
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1 Quote from Isnard to the minister Narbonne, who was giving his pledge to the Convention.
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