Extrait du Temps

L’attention publique est vivement intéressée par les débats de la cour d’assises. Les journées de juin sont en cause; acteurs supposés dans le dénoûment de ce drame terrible, vingt-deux accusés y figurent. S’ils étaient convaincus, le souvenir des malheureux incidens de la guerre civile, le deuil de ces braves gardes nationaux morts pour l’ordre et pour la loi, et le fatal prétexte donné par la révolte a la violation de la charte, tout cela ferait sans doute encore une pénible impression sur le juri. Mais le procès a développé un ordre d’idées qui ne mène ni à l’échafaud ni à l’infamie.

Si la société demandait vengeance, la société est vengée. On a fait une hécatombe des défenseurs de Saint-Méry; les moins coupables, des innocens même ont rempli les prisons pendant cinq mois. Le sang a effacé le sang. Et ce qui reste des vaincus excite plus de pitié que de haine.

On sait bien, après tout, que dans les discordes civiles le droit est encore plus du côté de la force que du côté de la loi. Ici la loi a vaincu ceux qui protestaient contre elle les armes à la main. Que la loi soit humaine!

Les délits politiques sont châtiés par la société: c’est peut-être une précaution utile. Mais ceux qu’elle condamne, elle ne les croit pas toujours criminels; leurs convictions les ont absous: leur ame n’était pas gangrenée. Qui n’a pas été de quelque conspiration durant ces quarante années d’orages politiques? Des conspirateurs sout aujourd’hui près du trône, qui pouvaient hier porter leur tête sur l’échafaud. Il en est qui sont morts; l’histoire en a fait des martyrs. En Espagne on envoie les vaincus politiques peupler les galères: mais aussi c’est presque un honneur en Espagne que d’avoir été aux galères!

Tous les partis en France ont eu leur jour de triomphe; tous en ont abusé. Mais la révolution de juillet était pure de ces excès judiciaires avant qu’un pouvoir imprudent eût irrité les passions.

Depuis les journées de juin, le ministère public a obtenu contre les accusés trois condamnations à mort; plusieurs ont été condamnés aux travaux forcés. Nous espérons que la clémence royale, qui a communé la peine de Cuny et de Lepage, s’étendra aussi à tous les malheureux qu’elle a oubliés. Cependant les ministres de Charles X, plus coupables cent fois que le plus coupable des révoltés de St-Méry, n’ont pas eu besoin d’invoquer la clémence; la justice les avait épargnés.

Nous ne sommes pas suspects de pencher pour la république. Mais dans ces accusations un intérêt domine l’opinion, la cause même de notre révolution et de l’humanité, qu’il ne faut pas souiller par de barbares représailles. Accordons aux délits politiques toute l’indulgence que la loi peut leur mesurer.

Après une bataille, les prisonniers ne sont pas froidement égorgés; on ne les enchaîne point au bagne. Les Anglais qui parquaient les leurs dans les pontons se sont déshonorés par cette cruauté. Ne livrons pas au bourreau les têtes qui ont survécu à la guerre civile. Et s’il fallait opter entre la mort et les galères, des hommes tels que Jeanne demanderaient la mort!

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