Extraits du Courrier Français

Aujourd’hui ont été terminées les dépositions des témoins dans le procès qui occupe depuis six jours la cour d’assises. La partie la plus hideuse des dissensions civiles, c’est ce cortège de poursuites, de procédures par lesquelles le plus fort signale sa victoire, croyant sans doute l’affermir; ce sont ces rigueurs invoquées à froid, quand la colère est passée et que la passion s’éteint. Voilà deux mois que nous voyons demander des peines capitales, qui ne peuvent ni réparer les malheurs consommés, ni en prévenir de nouveaux. Une longue série de procès du même genre nous est encore réservée. Parmi les hommes qui nous gouvernent, il n’y en a pas un qui ait le cœur assez haut placé pour comprendre que quand le pouvoir a à lutter contre l’exaltation politique ce n’est pas par des vengeances qu’il peut la désarmer, et qu’entre l’égarement et la perversité la distance est grande. Les débats entamés depuis quelques jours sont tristes, ils rouvrent des plaies encore saignantes, ils nous montrent, surgissant du sein de la guerre civile, des courages qui eussent pu être utiles à la patrie: ils réveillent des inimitiés qu’il eût mieux valu laisser s’effacer. C’est avec peine qu’on a vu des jurés céder à des impulsions dont ils ne peuvent être exempts comme hommes, mais que leur position leur prescrivait de maîtriser. Cependant nous avions passé sous silence ces déplorables incidens, ne voulant pas qu’on nous reprochât de faire entendre les accens de la passion, quand la justice allait prononcer. Le ministère n’a point imité cette réserve; il lui a paru que ce n’était point assez de l’acte d’accusation, des témoins à décharge, de l’éloquence du ministère public pour rendre dangereuse la position des accusés; il a fallu qu il fît entendre du dehors la voix de la haine, les instigations de la vengeance. Un moyen de défense a été adopté par les avocats des accusés, confirmé par les dépositions d’un grand nombre de témoins; il s’agissait d établir, non pas que la force armée avait pris l’iniative des hostilités, mais que telle avait été, telle avait dû être la croyance des accusés. Eh bien! l’on a craint que ce moyen ne trouvât accès dans la conscience des jurés; on se hâte de le combattre comme si l’avocat-général n’avait pas déjà rempli cette tâche; on essaie de briser entre les mains des accusés la branche à laquelle ils s’attachent; on répète des accusations à l’appui desquelles on n’a pu apporter aucun indice dans les procès déjà vidés; on renouvelle ces imputations de complot prémédité démenties par les débats même; on ne craint pas de désigner implicitement comme complices ou fauteurs de ce complot les témoins qui sont venus loyablement déposer ce qu’ils savaient, et qui n’ont pas chargé les accuses parce qu’ils n’avaient rien à dire contre eux.

Voilà comme on respecte le droit de la défense, la liberté des témoins, l’indépendance des jurés! Si la déposition des officiers de dragons a détruit, comme on le dit, le moyen invoqué par les accusés, les jurés ne sont-ils pas capables d’apprécier ces dépositions; et faut-il qu’on vienne du dehors leur enjoindre d’y trouver des motifs péremptoires de condamnation? Le minsitère doctrinaire se plaignait hier dans ce même journal qu’on l’accusât de penchant à la vengeance, et voilà que son organe foule aux pieds toutes les convenances, tous les sentimens d’humanité devant lesquels la haine même s’arrête; il oublie ce qu’il y a de sacré dans la position d’un accusé placé sous une accusation capitale; il cherche à exciter dans le coeur des jurés des sentimens de colère; il appelle à l’aide de l’acte d’accusation tous les ressentimens qu’avait excités une crédulité irréfléchie, toutes les passions qu’avait allumées le combat. Poursuivre ainsi des accusés, qu’est-ce, sinon demander leurs têtes? Sous le ministère Périer du moins, on laissait les accusés se débattre devant leurs juges; le ministère public ne trouvait pas d’auxiliaires dans la presse ministérielle; c’était une souillure réservée à notre époque. Nous mettons sous les yeux de nos lecteurs ces lignes odieuses que nous livrons à l’appréciation de tous les partis sans distinction:

«C’est pourtant une fable aussi absurde que la défense a cru nécessaire de ressusciter et de faire comparaître devant la cour. Quelques témoins ont été appelés, qui ont déclaré que le jour du convoi du général Lamarque Ils avaient entendu dire que les dragons avaient chargé les premiers. Pour qui se donne la peine de réfléchir, cela n’était pas fort surprenant, puisque, nous le répétons, la tactique des insurgés consistait précisément à répandre ce bruit. Mais enfin, il était bon que la vérité fût encore une fois publiquement rétablie: elle l’a été, et nous ne saurions trop appeler l’attention de nos lecteurs sur les dépositions du chef d’escadron Desolliers, des capitaines Grand et Bricqueville. Ces dépositions ont prouvé qu’il y avait eu de la part de la force publique non seulement modération, mais patience courageuse et au-dessus de tout éloge. Elles ont prouvé que l’insurrection de juin, préparée et combinée d’avance, avait partout pris l’initiative, partout porté, sans provocation, la guerre et le meurtre dans Paris. Elles ont prouvé enfin que toutes les instructions du gouvernement dans cette déplorable affaire tendaient à éviter le sanglant conflit qu’il a malheureusement été impossible d’empêcher.

«Maintenant nous verrons ce que les journaux de l’opposition diront de cette séance, et comment ils la dénatureront à leur profit. Il parait que la chose leur a paru difficile, et qu’ils ont eu besoin d’un jour pour y réfléchir. A demain donc les commentaires, à demain les insinuations et les interprétations. Il y a pourtant un autre parti à prendre, c’est de se taire. Nous ne serions pas fort surpris qu’après mûre délibération, les journaux ne se tirassent ainsi d’embarras.»

Les journaux de l’opposition ne répondront à cette joie féroce qu’en exprimant leur profonde indignation, qu’en disant que jamais le mépris de la justice, de l’humanité n’a été poussé plus loin, et qu’un pouvoir qui ne désavouerait pas toute solidarité dans de tels sentimens, se placerait au niveau de ceux qui ont souillé, par des traces sanglantes, les pages de notre histoire.

A M. le Rédacteur du Courrier Français.

Paris, 29 octobre 1832.

Monsieur,

Je viens de lire, dans le compte que vous rendez aujourd’hui des débats de la cour d’assises, la déposition de M. le capitaine de dragons de Bricqueville. Ce n’est pas sans surprise que j’y ai remarqué le passage suivant: «On m a dit qu’étant tombé de cheval, on avait tiré au commandant Chollet deux coups de pistolet dans le ventre.»

M. de Bricqueville n’affirme pas, il a entendu dire. Hé bien! Monsieur, j’affirme, j’ai vu. Le commandant Chollet est tombé un peu en avant du grenier d’abondance. Lancé au grand galop à la suite de soixante à quatrevingts dragons qui se dirigeaient ventre â terre de la place de la Bastille vers le pont d’Austerlitz, le cheval de M. Chollet se trouvait à vingt pas environ du reste de la troupe. Le commandant était tête nue et paraissait blessé; lorsqu’il tomba, deux ou trois gardes nationaux, un élève de l’école et moi, qui nous trouvions rangés le long des maisons, nous courûmes aussitôt vers lui, le primes dans nos bras, et le portâmes dans une petite boutique (de cordonnier, je crois,) qui est en face du canal.

Voilà, Monsieur, toute la vérité. Loin d’avoir, lors de sa chute, été victime d’un acte atroce, le commandant Chollet a trouvé dans les citoyens qui en ont été témoins, tous les soins que réclamait sa malheurense position.

Veuillez, monsieur, avoir l’obligeance d’insérer cette réclamation dans votre plus prochain numéro, et agréer l’expression de la considération distinguée avec laquelle j’ai l’honneur d’être, etc.

Achille de Vaulabelle,
Rue de la Michodière, n. 3.

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