En révolution on se bat, on ne se juge pas

(Le Temps.)

On a dit, il y a déjà long-temps: En révolution on se bat, et on ne se juge pas. Ce principe, qu’on ne paraît plus vouloir admettre aujourd’hui, repose cependant sur une pensée toute morale. Quand après s’être battu on se juge, il ne peut y avoir pour accusés que des vaincus, pour accusateurs, pour témoins et pour juges que des vainqueurs. Or, entre vainqueurs et vaincus la justice est-elle bien possible?

De deux choses l’une: ou le vainqueur, accusateur, témoin, ou juge, cédera à un sentiment de générosité bien naturel à un homme de cœur; ou bien, à peine sorti d’une lutte dans laquelle les passions politiques auront été mises en jeu, tout ému encore des dangers qu’il aura courus, il subira malgré lui l’influence d’une pensée haineuse: dans les deux hypothèses la justice disparait.

Après les journées de vendémiaire, qui furent autre chose que nos journées de juin, on sentit qu’il est toujours fâcheux d’éterniser les haines en appelant pendant plusieurs mois les vaincus au tribunal des vainqueurs. Trois conseils de guerre furent organisés; les coupables étaient nombreux et bien connus. Il y en eut deux condamnés et exécutés; les autres, jugés par contumace, se promenaient en plein jour dans Paris, et la nuit répondaient au qui vive des sentinelles un tel, contumace. Les deux condamnations exécutées le furent pour ainsi dire à la sortie du combat. Aujourd’hui nous sommes à cinq mois des événemens de juin. Depuis cinq mois on a prodigué tout le luxe de notre Code pénal: peine de mort, travaux forcés, la réclusion et l’emprisonnement. Et on appelle cela faire justice, comme si on pouvait être juste en jugeant ses adversaires.

Ce que nous disons là n’a rien qui doive blesser personne. Parce qu’on siège à un tribunal, parce qu’on est avocat-général ou témoin, cesse-t-on d’être homme? peut-on dépouiller les faiblesses, les passions de l’humanité? On dépose de bonne foi, on accuse, on juge en conscience, et l’on s’apercevra plus tard que l’on n’a fait que continuer le combat.

Voyez ce qui se passe à la cour d’assises de Paris: des accusés sont en présence de douze jurés, de douze honorables citoyens qu’aucun de nous n’aurait la pensée de récuser; et cependant nous en voyons un offrir à l’accusation deux témoins qu’elle a oublié de citer; un autre qui, par ces mots: C’est une erreur, oppose son propre témoignage à celui d’un témoin assermenté. Un autre enfin, qui, sans y réfléchir sans doute, demande à un témoin ce qu’il a fait le 6 juin pour concourir au rétablissement de l’ordre, et semble chercher par là à rendre suspect de partialité, de complicité en quelque sorte, un témoignage favorable aux accusés.

Tout cela est parfaitement naturel, les jurés sont des hommes. Aussi, nous le répéterons, en révolution, on se bat, et on ne se juge pas.

Voilà pourquoi nous avons demandé et nous ne cesserons de demander une amnistie, promise, ajournée et puis enfin oubliée!

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