Des accusés du Cloître Saint-Méry

(Extrait de la Tribune)

Ils ne seront pas jugés! ils ne peuvent pas l’être! — Car ce n’est pas de la cour d’assises qu’ils sont justiciables. Ils le sont de l’histoire et de l’avenir.

Dans le présent, cherchez des juges, c’est-à-dire des hommes entièrement exempts vis-à-vis d’eux de préjugés, de passions, d’intérêts privés ou publics, des hommes qui ne respirent pas l’atmosphère brûlante qui nous dévore; des hommes qui ne soient pas trempés plus ou moins de ces affections que fait naître la défaite ou qu’engendre la victoire.

Cherchez des hommes qui ne soient amis ni de pouvoir, ni du peuple, d’intelligence assez haute pour qu’ils comprennent ce qu’est le dévouement, le culte, la foi!

Cherchez ceux qui auront assez de force, d’independance et de raison pour se dire en face de ces accusés tout brûlans de patriotisme: «Ils sont là, vaincus; mais, vainqueurs, où seraient-ils?

Est-ce donc la force qui décide seule en ce monde du crime ou de la vertu?

Si c’est la force seule, levez le glaive et frappez; mais ne parlez pas de justice !

Que si vous voulez au contraire des intentions criminelles, fouillez dans ces âmes que le soupçon même ne peut atteindre.

Ceux qui sont là et ceux qui y manquent, savez-vous quels ils sont ?

Les mêmes dont vous avez accepté le coeur et les bras à la révolution de juillet! Les mêmes qui furent alors, comme aujourd’hui, plein d’intrépidité, d’audace, grands par le courage, plus grands encore par le désintéressement.

Si la victoire les avait secondés, vous écririez leurs noms sur les tables d’airain du Panthéon.

Mais être vaincu semble déjà un assez grand malheur! Nous avons traversé tant de révolutions que c’est folie vraiment d’en faire un crime. L’histoire a des changemens brusques, et la fortune est sujette aux plus étranges retours!

Mais la loi!!… Oh! oui, elle est toujours pour le vainqueur: car c’est lui qui la fait. Mais la loi suppose le temps calme, les jours réguliers. La loi n’a rien à voir à la guerre. Le loi règle des rapports entre les membres d’une même société. Elle suppose donc la société. Elle ne la fait pas. Elle n’a donc rien à dire pour des cas où la société elle-même est en question.

Laissez-donc la loi, et allez au fond des choses.

Qu’y a-t-il dans ce procès? Une insurrection. —Qui avait il en juillet? Une insurrection. —Quels étaient les acteurs alors? Les hommes que la société actuelle repousse, renie, exclut, flétrit. —Quels sont-ils aujourd’hui? Lisez leurs professions. C’est la même cause, le même intérêt, le même principe. —Qui provoqua juillet ? Des ordonnances qui furent jugées contraires à la liberté. —Qui provoqua juin? Un système qui avait tué la Pologne, l’Italie, la Belgique, éloigné les patriotes, outragé et nié la révolution même d’où était sorti le gouvernement tout entier.

Notez bien que je laisse de côté la provocation armée de Vidocq, la provocation des dragons, etc.)

Si donc vous voulez être de bon foi, il y a aujourd’hui ce qu’il y avait alors, une question politique, un duel entre deux opinions.

Toute la différence, c’est que la victoire est là-bas, ici la défaite.

Mais, dit-on, les ordonnances de Charles X violaient la Charte!

Et qui donc, je vous prie, avait jugé cette question? Quel pouvoir avait parlé? Le peuple seul s’est levé; peu nombreux le premier jour, un peu plus nombreux le second, vainqueur le troisième. Et alors ont paru les protestations, les encouragemens, les commisions de députés.

La victoire seule les a fait naître.

Savez-vous si cette fois la défaite seule n’a pas été cause que l’insurrection est restée isolée.

Si donc vous criez gloire à juillet, ne prétendez pas condamner juin.

Je sais bien qu’on va disant qu’en juillet on combattait pour les lois et en juin contre. Beau discours de vainqueur!

Ainsi aurait parlé Charles X s’il n’eut pas été obligé de fuir vers Cherbourg. Lui aussi, et mieux que vous, il aurait démontré que l’article 14 était l’article conservateur du pouvoir constituant dans la souveraineté légitimiste; il aurait prouvé que lorsqu’une dissidence s’élevait entre la couronne et la chambre, la couronne devait rester juge suprême, comme principe éternel de l’ordre et de la conservation des lois.

Rien n’aurait manqué, croyez bien, à ce plaidoyer en faveur du despotisme, et appuyé sur une Charte émanée de la couronne.

Qui a rendu ses argumens frivoles? La victoire.

Qui a rendu les vôtres puissans? La victoire.

Croyez-vous que qu’elle eût été plus ingrate pour les combattans du Cloître-Saint-Méry ?

Vous le voyez donc; — il n’y a là que victoire ou défaite, c’est-à-dire, guerre d’opinion que le combat termine, mais où la justice ne dois pas entrer. Car il ne faut pas que jamais on l’accuse de se mêler aux luttes des passions, ou de servir d’instruments aux triomphes des partis!

Puisque les jurés sont appelés à dire devant Dieu et devant les hommes si les accusés sont coupables, c’est-à-dire, s’il y a eu crime dans leur coeur, qu’ils lèvent donc la voix pour déclarer qu’il y a eu guerre après provocation, guerre, défaite, malheur! Mais crime! mais assassinat! Non, jamais!

Et ne le savent-ils pas! Le crime est toujours lâche! Le crime souille le front!

Qu’ils regardent donc s’il y eut jamais plus intrépide fermeté, plus noble et plus héroïque bravoure, que celle de ces autres trois cents, devant lesquels toute une armée de soixante mille hommes fut tenue en échec durant deux jours!

Ici que ce ne soient pas les vaincus qui prononcent dans leur cause. Que les vainqueurs soient seuls entendus! Savaient-ils résister jusqu’a ce que la dernière goutte de leur sang eut mouillé la pierre qu’ils venaient d’arracher? Et encore! que de traits obscurs, inconnus, que le souvenir seul des amis conserve! Quelle nuit que celle du 5 au 6 juin! Quelle histoire que celle de ces quelques hommes qui ont vécu pauvres, qui meurent obscurs, et qui après avoir passé trente, quarante heures sans autre nourriture que la fumée de la poudre, expirent frappés d’une balle, sans qu’un morceau de pain dérobé, sans qu’une seul violence au milieu du plus triste dénuement vienne leur causé un remords, ou laisser la moindre ride sur leur conscience!—

Ah! s’il y a sur notre terre de France des hommages pour le courage et de la sympathie pour la malheur, gloire à eux! gloire à leurs tombeaux!

Ils ne trouvèrent pas en nous un encouragement avant le combat; ils ne nous verront pas les désavouer après la défaite!

Quant à ceux qui restent, s’ils avaient eu affaire à un pouvoir généreux et grand comme le peuple, ce pouvoir, satisfait de sa victoire, les aurait laissés reprendre leur durs travaux. Il aurait dit comme ce général de l’antiquité, auquel on présentait quelques malheureux habitans d’une ville dont il avait fait le sac: «Que me parlez-vous de prisonniers! Il n’y en a pas: ils sont tous morts!»

Armand Marrast

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