Procès des vingt-deux accusés du Cloître Saint-Méry

Avant-propos

Encore un procès politique ! encore une condamnation ! Nous sera-t-il permis d’ajouter : encore des victimes ! Eh ! qui pourrait ne point en convenir aujourd’hui ? à quelque opinion, à quelque parti que l’on appartienne, on ne peut que plaindre les hommes extraordinaires du Cloître-Saint-Merry. Si l’on a vanté l’héroïsme des défenseurs de la liberté en 1830, on ne peut voir d’un oeil sec les mêmes hommes frappés de condamnation en 1832, pour des faits qui, d’après leur conviction, n’étaient autre chose que les actes d’un dévouement sublime à la même cause.

Si l’on croit que la révolution de juillet ne devait avoir d’autres résultats que l’évènement du 7 août, d’autres conséquences que quelques changemens de domiciles et de décorations, il faudra bien encore les plaindre, car les actions pour lesquelles on appelle sur eux les rigueurs de la loi aujourd’hui, ne sont pas des crimes de tous les temps et de tous les lieux, ce sont de ces actions dont l’opportunité fait des vertus et dont le moment intempestif peut faire des actions coupables. La loi, qui n’est point un être intelligent, frappe telle action : tels et tels sont accusés de cette action, les organes de la loi appliquent la peine, nous y souscrivons avec respect. Mais la loi ne peut nous défendre la pitié, l’intérêt, l’admiration pour des hommes pleins de courage et de vertus patriotiques, qu’un moment d’erreur a soumis à ses redoutables arrêts ; nous ne cesserons donc de plaindre et d’appeler la fraternelle sollicitude de nos compatriotes sur les infortunés du Cloître Saint-Merry, qui ont eu le malheur de ne pas savoir assez positivement que ce qui était dévouement, courage, héroïsme digne du temple de mémoire les 27, 28, et 29 juillet 1830, pouvait être révolte, fureur, crime digne de l’échafaud les 5 et 6 juin 1832. Nous les plaindrons d’autant plus sincèrement que, lors même qu’ils encouraient l’animadversion des lois, c’étaient des héros qui prodiguaient leur sang dans la croyance qu’ils servaient la patrie ; et, cela est si évident pour tous ceux qui jugent ces tristes évènements sans passion, qu’il est digne de remarque qu’on ne leur en ait tenu aucun compte.

Il faut en convenir, le jugement contre les hommes du Cloître Saint-Merry est un sujet de profondes méditations. On ne peut penser sans être douloureusement affecté que l’enchaînement obscur des causes, après avoir fait des monumens héroïques des barricades de juillet, ait fait un objet d’horreur et de réprobation des barricades de juin 1832, composées des mêmes élémens rassemblés par les mêmes mains qui croyaient servir la même cause ! Eh quoi ! si1 la garde municipale a fait son devoir, les gendarmes et la garde royale ont donc fait le leur en 1830 ?… Si la troupe de ligne a fait son devoir en se battant contre les hommes du Cloître Saint-Méry, avec la même ardeur quelle l’eût fait contre des barbares qui massacrèrent la Pologne, ou contre ces bandes anti-françaises de la Vendée, pourquoi a-t-on déclaré que les régimens qui mirent bas les armes contre l’insurrection de 1830, avaient bien mérité de la patrie ? L’insurrection était donc alors pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ?…..

Quelle déplorable existence que celle que l’on use au milieu d’évènemens aussi décevans et combien doit-on désirer de voir s’adoucir la rigueur des lois envers des actions qui sont plus souvent des erreurs que des crimes !

Ô France ! ô patrie ! quels sacrifices tu commandes ! Le sang et les pleurs de tes enfans doivent-ils toujours arroser ton sol sacré ?

Le fanatisme cruel, l’orgueil aveugle, l’égoïsme glacé, la soif insatiable des honneurs et des richesses étoufferont-ils toujours les cris de la nature ? des frères impitoyables voueront-ils encore longtemps leurs frères au désespoir et à la mort.

Et toi, jeune homme intrépide, que la liberté compte au nombre de ses plus illustres défenseurs, faut-il te croire perdu pour elle ?… Souviens-toi, ô Jeanne, que le juste Aristide est rentré dans Athènes, comblé des voeux de ses concitoyens après avoir subi l’ostracisme. Souviens-toi que de nos jours des hommes vertueux subirent l’exil et la déportation pour des causes politiques…. Souviens-toi que la Pologne est exilée ; que les rois eux-mêmes ont pleuré et pleurent encore dans l’exil, mais n’oublie pas surtout que l’admiration suit la vertu malheureuse, et que l’indignation et la haine poursuivent les tyrans et les repoussent à jamais.

Plein du plus tendre intérêt pour des citoyens infortunés qui viennent d’être frappés d’une condamnation rigoureuse, j’ai recueilli les documens de ce mémorable procès afin d’en mettre l’ensemble sous les yeux du public, dont l’arrêt solennel doit aller à la postérité avec cette épigraphe : Stupete gentes !

Le lecteur verra que je n’ai rien négligé pour rassembler non seulement tout ce qui a été publié dans les journaux, mais encore les morceaux infiniment précieux qui n’ont pu être saisis par les sténographes, et qui m’ont été fournis par les honorables défenseurs.

1 Par respect pour les lois je déclare que la particule SI n’est point un signe de doute, mais seulement une forme logique.

Leave a Comment

CAPTCHA * Time limit is exhausted. Please reload CAPTCHA.