Volume 5/Book 2/Chapter 4

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Les Misérables, Volume 5: Jean Valjean, Book Second: The Intestine of the Leviathan, Chapter 4: Unknown Details
(Tome 5: Jean Valjean, Livre deuxième: L'intestin de Léviathan, Chapitre 4: Détails ignorés)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

La visite eut lieu. Ce fut une campagne redoutable; une bataille nocturne contre la peste et l'asphyxie. Ce fut en même temps un voyage de découvertes. Un des survivants de cette exploration, ouvrier intelligent, très jeune alors, en racontait encore il y a quelques années les curieux détails que Bruneseau crut devoir omettre dans son rapport au préfet de police, comme indignes du style administratif. Les procédés désinfectants étaient à cette époque très rudimentaires. À peine Bruneseau eut-il franchi les premières articulations du réseau souterrain, que huit des travailleurs sur vingt refusèrent d'aller plus loin. L'opération était compliquée; la visite entraînait le curage; il fallait donc curer, et en même temps arpenter: noter les entrées d'eau, compter les grilles et les bouches, détailler les branchements, indiquer les courants à points de partage, reconnaître les circonscriptions respectives des divers bassins, sonder les petits égouts greffés sur l'égout principal, mesurer la hauteur sous clef de chaque couloir, et la largeur, tant à la naissance des voûtes qu'à fleur du radier, enfin déterminer les ordonnées du nivellement au droit de chaque entrée d'eau, soit du radier de l'égout, soit du sol de la rue. On avançait péniblement. Il n'était pas rare que les échelles de descente plongeassent dans trois pieds de vase. Les lanternes agonisaient dans les miasmes. De temps en temps on emportait un égoutier évanoui. À de certains endroits, précipice. Le sol s'était effondré, le dallage avait croulé, l'égout s'était changé en puits perdu; on ne trouvait plus le solide; un homme disparut brusquement; on eut grand'peine à le retirer. Par le conseil de Fourcroy, on allumait de distance en distance, dans les endroits suffisamment assainis, de grandes cages pleines d'étoupe imbibée de résine. La muraille, par places, était couverte de fongus difformes, et l'on eût dit des tumeurs, la pierre elle-même semblait malade dans ce milieu irrespirable.

Bruneseau, dans son exploration, procéda d'amont en aval. Au point de partage des deux conduites d'eau du Grand-Hurleur, il déchiffra sur une pierre en saillie la date 1550; cette pierre indiquait la limite où s'était arrêté Philibert Delorme, chargé par Henri II de visiter la voirie souterraine de Paris. Cette pierre était la marque du seizième siècle à l'égout. Bruneseau retrouva la main-d'œuvre du dix-septième dans le conduit du Ponceau et dans le conduit de la rue Vieille-du-Temple, voûtés entre 1600 et 1650, et la main-d'œuvre du dix-huitième dans la section ouest du canal collecteur, encaissée et voûtée en 1740. Ces deux voûtes, surtout la moins ancienne, celle de 1740, étaient plus lézardées et plus décrépites que la maçonnerie de l'égout de ceinture, laquelle datait de 1412, époque où le ruisseau d'eau vive de Ménilmontant fut élevé à la dignité de grand égout de Paris, avancement analogue à celui d'un paysan qui deviendrait premier valet de chambre du roi; quelque chose comme Gros-Jean transformé en Lebel.

On crut reconnaître çà et là, notamment sous le Palais de justice, des alvéoles d'anciens cachots pratiqués dans l'égout même. In pace hideux. Un carcan de fer pendait dans l'une de ces cellules. On les mura toutes. Quelques trouvailles furent bizarres; entre autres le squelette d'un orang-outang disparu du Jardin des plantes en 1800, disparition probablement connexe à la fameuse et incontestable apparition du diable rue des Bernardins dans la dernière année du dix-huitième siècle. Le pauvre diable avait fini par se noyer dans l'égout.

Sous le long couloir cintré qui aboutit à l'Arche-Marion, une hotte de chiffonnier, parfaitement conservée, fit l'admiration des connaisseurs. Partout, la vase, que les égoutiers en étaient venus à manier intrépidement, abondait en objets précieux, bijoux d'or et d'argent, pierreries, monnaies. Un géant qui eût filtré ce cloaque eût eu dans son tamis la richesse des siècles. Au point de partage des deux branchements de la rue du Temple et de la rue Sainte-Avoye, on ramassa une singulière médaille huguenote en cuivre, portant d'un côté un porc coiffé d'un chapeau de cardinal et de l'autre un loup la tiare en tête.

La rencontre la plus surprenante fut à l'entrée du Grand Égout. Cette entrée avait été autrefois fermée par une grille dont il ne restait plus que les gonds. À l'un de ces gonds pendait une sorte de loque informe et souillée qui, sans doute arrêtée là au passage, y flottait dans l'ombre et achevait de s'y déchiqueter. Bruneseau approcha sa lanterne et examina ce lambeau. C'était de la batiste très fine, et l'on distinguait à l'un des coins moins rongé que le reste une couronne héraldique brodée au-dessus de ces sept lettres: LAVBESP. La couronne était une couronne de marquis et les sept lettres signifiaient Laubespine. On reconnut que ce qu'on avait sous les yeux était un morceau du linceul de Marat. Marat, dans sa jeunesse, avait eu des amours. C'était quand il faisait partie de la maison du comte d'Artois en qualité de médecin des écuries. De ces amours, historiquement constatés, avec une grande dame, il lui était resté ce drap de lit. Épave ou souvenir. À sa mort, comme c'était le seul linge un peu fin qu'il eût chez lui, on l'y avait enseveli. De vieilles femmes avaient emmailloté pour la tombe, dans ce lange où il y avait eu de la volupté, le tragique Ami du Peuple.

Bruneseau passa outre. On laissa cette guenille où elle était; on ne l'acheva pas. Fut-ce mépris ou respect? Marat méritait les deux. Et puis, la destinée y était assez empreinte pour qu'on hésitât à y toucher. D'ailleurs, il faut laisser aux choses du sépulcre la place qu'elles choisissent. En somme, la relique était étrange. Une marquise y avait dormi; Marat y avait pourri; elle avait traversé le Panthéon pour aboutir aux rats d'égout. Ce chiffon d'alcôve, dont Watteau eût jadis joyeusement dessiné tous les plis, avait fini par être digne du regard fixe de Dante.

La visite totale de la voirie immonditielle souterraine de Paris dura sept ans, de 1805 à 1812. Tout en cheminant, Bruneseau désignait, dirigeait et mettait à fin des travaux considérables; en 1808, il abaissait le radier du Ponceau, et, créant partout des lignes nouvelles, il poussait l'égout, en 1809, sous la rue Saint-Denis jusqu'à la fontaine des Innocents; en 1810, sous la rue Froidmanteau et sous la Salpêtrière, en 1811, sous la rue Neuve-des-Petits-Pères, sous la rue du Mail, sous la rue de l'Écharpe, sous la place Royale, en 1812, sous la rue de la Paix et sous la chaussée d'Antin. En même temps, il faisait désinfecter et assainir tout le réseau. Dès la deuxième année, Bruneseau s'était adjoint son gendre Nargaud.

C'est ainsi qu'au commencement de ce siècle la vieille société cura son double-fond et fit la toilette de son égout. Ce fut toujours cela de nettoyé.

Tortueux, crevassé, dépavé, craquelé, coupé de fondrières, cahoté par des coudes bizarres, montant et descendant sans logique, fétide, sauvage, farouche, submergé d'obscurité, avec des cicatrices sur ses dalles et des balafres sur ses murs, épouvantable, tel était, vu rétrospectivement, l'antique égout de Paris. Ramifications en tous sens, croisements de tranchées, branchements, pattes d'oie, étoiles comme dans les sapes, cæcums, culs-de-sac, voûtes salpêtrées, puisards infects, suintements dartreux sur les parois, gouttes tombant des plafonds, ténèbres; rien n'égalait l'horreur de cette vieille crypte exutoire, appareil digestif de Babylone, antre, fosse, gouffre percé de rues, taupinière titanique où l'esprit croit voir rôder à travers l'ombre, dans de l'ordure qui a été de la splendeur, cette énorme taupe aveugle, le passé.

Ceci, nous le répétons, c'était l'égout d'autrefois.

English text[edit]

The visit took place. It was a formidable campaign; a nocturnal battle against pestilence and suffocation. It was, at the same time, a voyage of discovery. One of the survivors of this expedition, an intelligent workingman, who was very young at the time, related curious details with regard to it, several years ago, which Bruneseau thought himself obliged to omit in his report to the prefect of police, as unworthy of official style. The processes of disinfection were, at that epoch, extremely rudimentary. Hardly had Bruneseau crossed the first articulations of that subterranean network, when eight laborers out of the twenty refused to go any further. The operation was complicated; the visit entailed the necessity of cleaning; hence it was necessary to cleanse and at the same time, to proceed; to note the entrances of water, to count the gratings and the vents, to lay out in detail the branches, to indicate the currents at the point where they parted, to define the respective bounds of the divers basins, to sound the small sewers grafted on the principal sewer, to measure the height under the key-stone of each drain, and the width, at the spring of the vaults as well as at the bottom, in order to determine the arrangements with regard to the level of each water-entrance, either of the bottom of the arch, or on the soil of the street. They advanced with toil. The lanterns pined away in the foul atmosphere. From time to time, a fainting sewerman was carried out. At certain points, there were precipices. The soil had given away, the pavement had crumbled, the sewer had changed into a bottomless well; they found nothing solid; a man disappeared suddenly; they had great difficulty in getting him out again. On the advice of Fourcroy, they lighted large cages filled with tow steeped in resin, from time to time, in spots which had been sufficiently disinfected. In some places, the wall was covered with misshapen fungi,—one would have said tumors; the very stone seemed diseased within this unbreathable atmosphere.

Bruneseau, in his exploration, proceeded down hill. At the point of separation of the two water-conduits of the Grand-Hurleur, he deciphered upon a projecting stone the date of 1550; this stone indicated the limits where Philibert Delorme, charged by Henri II. with visiting the subterranean drains of Paris, had halted. This stone was the mark of the sixteenth century on the sewer; Bruneseau found the handiwork of the seventeenth century once more in the Ponceau drain of the old Rue Vielle-du-Temple, vaulted between 1600 and 1650; and the handiwork of the eighteenth in the western section of the collecting canal, walled and vaulted in 1740. These two vaults, especially the less ancient, that of 1740, were more cracked and decrepit than the masonry of the belt sewer, which dated from 1412, an epoch when the brook of fresh water of Menilmontant was elevated to the dignity of the Grand Sewer of Paris, an advancement analogous to that of a peasant who should become first valet de chambre to the King; something like Gros-Jean transformed into Lebel.

Here and there, particularly beneath the Court-House, they thought they recognized the hollows of ancient dungeons, excavated in the very sewer itself. Hideous in-pace. An iron neck-collar was hanging in one of these cells. They walled them all up. Some of their finds were singular; among others, the skeleton of an ourang-outan, who had disappeared from the Jardin des Plantes in 1800, a disappearance probably connected with the famous and indisputable apparition of the devil in the Rue des Bernardins, in the last year of the eighteenth century. The poor devil had ended by drowning himself in the sewer.

Beneath this long, arched drain which terminated at the Arche-Marion, a perfectly preserved rag-picker's basket excited the admiration of all connoisseurs. Everywhere, the mire, which the sewermen came to handle with intrepidity, abounded in precious objects, jewels of gold and silver, precious stones, coins. If a giant had filtered this cesspool, he would have had the riches of centuries in his lair. At the point where the two branches of the Rue du Temple and of the Rue Sainte-Avoye separate, they picked up a singular Huguenot medal in copper, bearing on one side the pig hooded with a cardinal's hat, and on the other, a wolf with a tiara on his head.

The most surprising rencounter was at the entrance to the Grand Sewer. This entrance had formerly been closed by a grating of which nothing but the hinges remained. From one of these hinges hung a dirty and shapeless rag which, arrested there in its passage, no doubt, had floated there in the darkness and finished its process of being torn apart. Bruneseau held his lantern close to this rag and examined it. It was of very fine batiste, and in one of the corners, less frayed than the rest, they made out a heraldic coronet and embroidered above these seven letters: LAVBESP. The crown was the coronet of a Marquis, and the seven letters signified Laubespine. They recognized the fact, that what they had before their eyes was a morsel of the shroud of Marat. Marat in his youth had had amorous intrigues. This was when he was a member of the household of the Comte d'Artois, in the capacity of physician to the Stables. From these love affairs, historically proved, with a great lady, he had retained this sheet. As a waif or a souvenir. At his death, as this was the only linen of any fineness which he had in his house, they buried him in it. Some old women had shrouded him for the tomb in that swaddling-band in which the tragic Friend of the people had enjoyed voluptuousness. Bruneseau passed on. They left that rag where it hung; they did not put the finishing touch to it. Did this arise from scorn or from respect? Marat deserved both. And then, destiny was there sufficiently stamped to make them hesitate to touch it. Besides, the things of the sepulchre must be left in the spot which they select. In short, the relic was a strange one. A Marquise had slept in it; Marat had rotted in it; it had traversed the Pantheon to end with the rats of the sewer. This chamber rag, of which Watteau would formerly have joyfully sketched every fold, had ended in becoming worthy of the fixed gaze of Dante.

The whole visit to the subterranean stream of filth of Paris lasted seven years, from 1805 to 1812. As he proceeded, Bruneseau drew, directed, and completed considerable works; in 1808 he lowered the arch of the Ponceau, and, everywhere creating new lines, he pushed the sewer, in 1809, under the Rue Saint-Denis as far as the fountain of the Innocents; in 1810, under the Rue Froidmanteau and under the Salpetriere; in 1811 under the Rue Neuve-des-Petits-Peres, under the Rue du Mail, under the Rue de l'Echarpe, under the Place Royale; in 1812, under the Rue de la Paix, and under the Chaussée d'Antin. At the same time, he had the whole net-work disinfected and rendered healthful. In the second year of his work, Bruneseau engaged the assistance of his son-in-law Nargaud.

It was thus that, at the beginning of the century, ancient society cleansed its double bottom, and performed the toilet of its sewer. There was that much clean, at all events.

Tortuous, cracked, unpaved, full of fissures, intersected by gullies, jolted by eccentric elbows, mounting and descending illogically, fetid, wild, fierce, submerged in obscurity, with cicatrices on its pavements and scars on its walls, terrible,—such was, retrospectively viewed, the antique sewer of Paris. Ramifications in every direction, crossings, of trenches, branches, goose-feet, stars, as in military mines, coecum, blind alleys, vaults lined with saltpetre, pestiferous pools, scabby sweats, on the walls, drops dripping from the ceilings, darkness; nothing could equal the horror of this old, waste crypt, the digestive apparatus of Babylon, a cavern, ditch, gulf pierced with streets, a titanic mole-burrow, where the mind seems to behold that enormous blind mole, the past, prowling through the shadows, in the filth which has been splendor.

This, we repeat, was the sewer of the past.

Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]