Volume 4/Book 9/Chapter 3

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Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Ninth: Whither are they Going?, Chapter 3: M. Mabeuf
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre neuvième: Où vont-ils?, Chapitre 3: M. Mabeuf)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

La bourse de Jean Valjean fut inutile à M. Mabeuf. M. Mabeuf, dans sa vénérable austérité enfantine, n'avait point accepté le cadeau des astres; il n'avait point admis qu'une étoile pût se monnayer en louis d'or. Il n'avait pas deviné que ce qui tombait du ciel venait de Gavroche. Il avait porté la bourse au commissaire de police du quartier, comme objet perdu mis par le trouveur à la disposition des réclamants. La bourse fut perdue en effet. Il va sans dire que personne ne la réclama, et elle ne secourut point M. Mabeuf.

Du reste, M. Mabeuf avait continué de descendre.

Les expériences sur l'indigo n'avaient pas mieux réussi au Jardin des plantes que dans son jardin d'Austerlitz. L'année d'auparavant, il devait les gages de sa gouvernante; maintenant, on l'a vu, il devait les termes de son loyer. Le mont-de-piété, au bout des treize mois écoulés, avait vendu les cuivres de sa Flore. Quelque chaudronnier en avait fait des casseroles. Ses cuivres disparus, ne pouvant plus compléter même les exemplaires dépareillés de sa Flore qu'il possédait encore, il avait cédé à vil prix à un libraire-brocanteur planches et texte, comme défets. Il ne lui était plus rien resté de l'œuvre de toute sa vie. Il se mit à manger l'argent de ces exemplaires. Quand il vit que cette chétive ressource s'épuisait, il renonça à son jardin et le laissa en friche. Auparavant, et longtemps auparavant, il avait renoncé aux deux œufs et au morceau de bœuf qu'il mangeait de temps en temps. Il dînait avec du pain et des pommes de terre. Il avait vendu ses derniers meubles, puis tout ce qu'il avait en double en fait de literie, de vêtements et de couvertures, puis ses herbiers et ses estampes; mais il avait encore ses livres les plus précieux, parmi lesquels plusieurs d'une haute rareté, entre autres les Quadrains historiques de la Bible, édition de 1560, la Concordance des Bibles de Pierre de Besse, les Marguerites de la Marguerite de Jean de La Haye avec dédicace à la reine de Navarre, le livre de la Charge et dignité de l'ambassadeur par le sieur de Villiers-Hotman, un Florilegium rabbinicum de 1644, un Tibulle de 1567 avec cette splendide inscription: Venetiis, in oedibus Manutianis; enfin un Diogène Laërce, imprimé à Lyon en 1644, et où se trouvaient les fameuses variantes du manuscrit 411, treizième siècle, du Vatican, et celles des deux manuscrits de Venise, 393 et 394, si fructueusement consultés par Henri Estienne, et tous les passages en dialecte dorique qui ne se trouvent que dans le célèbre manuscrit du douzième siècle de la bibliothèque de Naples. M. Mabeuf ne faisait jamais de feu dans sa chambre et se couchait avec le jour pour ne pas brûler de chandelle. Il semblait qu'il n'eût plus de voisins, on l'évitait quand il sortait, il s'en apercevait. La misère d'un enfant intéresse une mère, la misère d'un jeune homme intéresse une jeune fille, la misère d'un vieillard n'intéresse personne. C'est de toutes les détresses la plus froide. Cependant le père Mabeuf n'avait pas entièrement perdu sa sérénité d'enfant. Sa prunelle prenait quelque vivacité lorsqu'elle se fixait sur ses livres, et il souriait lorsqu'il considérait le Diogène Laërce, qui était un exemplaire unique. Son armoire vitrée était le seul meuble qu'il eût conservé en dehors de l'indispensable.

Un jour la mère Plutarque lui dit:

—Je n'ai pas de quoi acheter le dîner.

Ce qu'elle appelait le dîner, c'était un pain et quatre ou cinq pommes de terre.

—À crédit? fit M. Mabeuf.

—Vous savez bien qu'on me refuse.

M. Mabeuf ouvrit sa bibliothèque, regarda longtemps tous ses livres l'un après l'autre, comme un père obligé de décimer ses enfants les regarderait avant de choisir, puis en prit un vivement, le mit sous son bras, et sortit. Il rentra deux heures après n'ayant plus rien sous le bras, posa trente sous sur la table et dit:

—Vous ferez à dîner.

À partir de ce moment, la mère Plutarque vit s'abaisser sur le candide visage du vieillard un voile sombre qui ne se releva plus.

Le lendemain, le surlendemain, tous les jours, il fallut recommencer. M. Mabeuf sortait avec un livre et rentrait avec une pièce d'argent. Comme les libraires brocanteurs le voyaient forcé de vendre, ils lui rachetaient vingt sous ce qu'il avait payé vingt francs, quelquefois aux mêmes libraires. Volume à volume, toute la bibliothèque y passait. Il disait par moments: J'ai pourtant quatre-vingts ans, comme s'il avait je ne sais quelle arrière-espérance d'arriver à la fin de ses jours avant d'arriver à la fin de ses livres. Sa tristesse croissait. Une fois pourtant il eut une joie. Il sortit avec un Robert Estienne qu'il vendit trente-cinq sous quai Malaquais et revint avec un Alde qu'il avait acheté quarante sous rue des Grès.—Je dois cinq sous, dit-il tout rayonnant à la mère Plutarque. Ce jour-là il ne dîna point.

Il était de la Société d'horticulture. On y savait son dénûment. Le président de cette société le vint voir, lui promit de parler de lui au ministre de l'Agriculture et du Commerce, et le fit.—Mais comment donc! s'écria le ministre. Je crois bien! Un vieux savant! un botaniste! un bonhomme inoffensif! Il faut faire quelque chose pour lui! Le lendemain M. Mabeuf reçut une invitation à dîner chez le ministre. Il montra en tremblant de joie la lettre à la mère Plutarque.—Nous sommes sauvés! dit-il. Au jour fixé, il alla chez le ministre. Il s'aperçut que sa cravate chiffonnée, son grand vieil habit carré et ses souliers cirés à l'œuf étonnaient les huissiers. Personne ne lui parla, pas même le ministre. Vers dix heures du soir, comme il attendait toujours une parole, il entendit la femme du ministre, belle dame décolletée dont il n'avait osé s'approcher, qui demandait: Quel est donc ce vieux monsieur? Il s'en retourna chez lui à pied, à minuit, par une pluie battante. Il avait vendu un Elzévir pour payer son fiacre en allant.

Tous les soirs avant de se coucher il avait pris l'habitude de lire quelques pages de son Diogène Laërce. Il savait assez de grec pour jouir des particularités du texte qu'il possédait. Il n'avait plus maintenant d'autre joie. Quelques semaines s'écoulèrent. Tout à coup la mère Plutarque tomba malade. Il est une chose plus triste que de n'avoir pas de quoi acheter du pain chez le boulanger, c'est de n'avoir pas de quoi acheter des drogues chez l'apothicaire. Un soir, le médecin avait ordonné une potion fort chère. Et puis, la maladie s'aggravait, il fallait une garde. M. Mabeuf ouvrit sa bibliothèque, il n'y avait plus rien. Le dernier volume était parti. Il ne lui restait que le Diogène Laërce.

Il mit l'exemplaire unique sous son bras et sortit, c'était le 4 juin 1832; il alla porte Saint-Jacques chez le successeur de Royol, et revint avec cent francs. Il posa la pile de pièces de cinq francs sur la table de nuit de la vieille servante et rentra dans sa chambre sans dire une parole.

Le lendemain, dès l'aube, il s'assit sur la borne renversée dans son jardin, et par-dessus la haie on put le voir toute la matinée immobile, le front baissé, l'œil vaguement fixé sur ses plates-bandes flétries. Il pleuvait par instants, le vieillard ne semblait pas s'en apercevoir. Dans l'après-midi, des bruits extraordinaires éclatèrent dans Paris. Cela ressemblait à des coups de fusil et aux clameurs d'une multitude.

Le père Mabeuf leva la tête. Il aperçut un jardinier qui passait, et demanda:

—Qu'est-ce que c'est?

Le jardinier répondit, sa bêche sur le dos, et de l'accent le plus paisible:

—Ce sont des émeutes.

—Comment! des émeutes?

—Oui. On se bat.

—Pourquoi se bat-on?

—Ah! dame! fit le jardinier.

—De quel côté? reprit M. Mabeuf.

—Du côté de l'Arsenal.

Le père Mabeuf rentra chez lui, prit son chapeau, chercha machinalement un livre pour le mettre sous son bras, n'en trouva point, dit: Ah c'est vrai et s'en alla d'un air égaré.

English text[edit]

Jean Valjean's purse was of no use to M. Mabeuf. M. Mabeuf, in his venerable, infantile austerity, had not accepted the gift of the stars; he had not admitted that a star could coin itself into louis d'or. He had not divined that what had fallen from heaven had come from Gavroche. He had taken the purse to the police commissioner of the quarter, as a lost article placed by the finder at the disposal of claimants. The purse was actually lost. It is unnecessary to say that no one claimed it, and that it did not succor M. Mabeuf.

Moreover, M. Mabeuf had continued his downward course.

His experiments on indigo had been no more successful in the Jardin des Plantes than in his garden at Austerlitz. The year before he had owed his housekeeper's wages; now, as we have seen, he owed three quarters of his rent. The pawnshop had sold the plates of his Flora after the expiration of thirteen months. Some coppersmith had made stewpans of them. His copper plates gone, and being unable to complete even the incomplete copies of his Flora which were in his possession, he had disposed of the text, at a miserable price, as waste paper, to a second-hand bookseller. Nothing now remained to him of his life's work. He set to work to eat up the money for these copies. When he saw that this wretched resource was becoming exhausted, he gave up his garden and allowed it to run to waste. Before this, a long time before, he had given up his two eggs and the morsel of beef which he ate from time to time. He dined on bread and potatoes. He had sold the last of his furniture, then all duplicates of his bedding, his clothing and his blankets, then his herbariums and prints; but he still retained his most precious books, many of which were of the greatest rarity, among others, Les Quadrins Historiques de la Bible, edition of 1560; La Concordance des Bibles, by Pierre de Besse; Les Marguerites de la Marguerite, of Jean de La Haye, with a dedication to the Queen of Navarre; the book de la Charge et Dignite de l'Ambassadeur, by the Sieur de Villiers Hotman; a Florilegium Rabbinicum of 1644; a Tibullus of 1567, with this magnificent inscription: Venetiis, in aedibus Manutianis; and lastly, a Diogenes Laertius, printed at Lyons in 1644, which contained the famous variant of the manuscript 411, thirteenth century, of the Vatican, and those of the two manuscripts of Venice, 393 and 394, consulted with such fruitful results by Henri Estienne, and all the passages in Doric dialect which are only found in the celebrated manuscript of the twelfth century belonging to the Naples Library. M. Mabeuf never had any fire in his chamber, and went to bed at sundown, in order not to consume any candles. It seemed as though he had no longer any neighbors: people avoided him when he went out; he perceived the fact. The wretchedness of a child interests a mother, the wretchedness of a young man interests a young girl, the wretchedness of an old man interests no one. It is, of all distresses, the coldest. Still, Father Mabeuf had not entirely lost his childlike serenity. His eyes acquired some vivacity when they rested on his books, and he smiled when he gazed at the Diogenes Laertius, which was a unique copy. His bookcase with glass doors was the only piece of furniture which he had kept beyond what was strictly indispensable.

One day, Mother Plutarque said to him:—

"I have no money to buy any dinner."

What she called dinner was a loaf of bread and four or five potatoes.

"On credit?" suggested M. Mabeuf.

"You know well that people refuse me."

M. Mabeuf opened his bookcase, took a long look at all his books, one after another, as a father obliged to decimate his children would gaze upon them before making a choice, then seized one hastily, put it in under his arm and went out. He returned two hours later, without anything under his arm, laid thirty sous on the table, and said:—

"You will get something for dinner."

From that moment forth, Mother Plutarque saw a sombre veil, which was never more lifted, descend over the old man's candid face.

On the following day, on the day after, and on the day after that, it had to be done again.

M. Mabeuf went out with a book and returned with a coin. As the second-hand dealers perceived that he was forced to sell, they purchased of him for twenty sous that for which he had paid twenty francs, sometimes at those very shops. Volume by volume, the whole library went the same road. He said at times: "But I am eighty;" as though he cherished some secret hope that he should arrive at the end of his days before reaching the end of his books. His melancholy increased. Once, however, he had a pleasure. He had gone out with a Robert Estienne, which he had sold for thirty-five sous under the Quai Malaquais, and he returned with an Aldus which he had bought for forty sous in the Rue des Gres.—"I owe five sous," he said, beaming on Mother Plutarque. That day he had no dinner.

He belonged to the Horticultural Society. His destitution became known there. The president of the society came to see him, promised to speak to the Minister of Agriculture and Commerce about him, and did so.—"Why, what!" exclaimed the Minister, "I should think so! An old savant! a botanist! an inoffensive man! Something must be done for him!" On the following day, M. Mabeuf received an invitation to dine with the Minister. Trembling with joy, he showed the letter to Mother Plutarque. "We are saved!" said he. On the day appointed, he went to the Minister's house. He perceived that his ragged cravat, his long, square coat, and his waxed shoes astonished the ushers. No one spoke to him, not even the Minister. About ten o'clock in the evening, while he was still waiting for a word, he heard the Minister's wife, a beautiful woman in a low-necked gown whom he had not ventured to approach, inquire: "Who is that old gentleman?" He returned home on foot at midnight, in a driving rain-storm. He had sold an Elzevir to pay for a carriage in which to go thither.

He had acquired the habit of reading a few pages in his Diogenes Laertius every night, before he went to bed. He knew enough Greek to enjoy the peculiarities of the text which he owned. He had now no other enjoyment. Several weeks passed. All at once, Mother Plutarque fell ill. There is one thing sadder than having no money with which to buy bread at the baker's and that is having no money to purchase drugs at the apothecary's. One evening, the doctor had ordered a very expensive potion. And the malady was growing worse; a nurse was required. M. Mabeuf opened his bookcase; there was nothing there. The last volume had taken its departure. All that was left to him was Diogenes Laertius. He put this unique copy under his arm, and went out. It was the 4th of June, 1832; he went to the Porte Saint-Jacques, to Royal's successor, and returned with one hundred francs. He laid the pile of five-franc pieces on the old serving-woman's nightstand, and returned to his chamber without saying a word.

On the following morning, at dawn, he seated himself on the overturned post in his garden, and he could be seen over the top of the hedge, sitting the whole morning motionless, with drooping head, his eyes vaguely fixed on the withered flower-beds. It rained at intervals; the old man did not seem to perceive the fact.

In the afternoon, extraordinary noises broke out in Paris. They resembled shots and the clamors of a multitude.

Father Mabeuf raised his head. He saw a gardener passing, and inquired:—

"What is it?"

The gardener, spade on back, replied in the most unconcerned tone:—

"It is the riots."

"What riots?"

"Yes, they are fighting."

"Why are they fighting?"

"Ah, good Heavens!" ejaculated the gardener.

"In what direction?" went on M. Mabeuf.

"In the neighborhood of the Arsenal."

Father Mabeuf went to his room, took his hat, mechanically sought for a book to place under his arm, found none, said: "Ah! truly!" and went off with a bewildered air.

Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]