Volume 4/Book 3/Chapter 1

From Les Misérables Annotation Project
Jump to: navigation, search

Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Third: The House in the Rue Plumet, Chapter 1: The House with a Secret
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre troisième: La maison de la rue Plumet, Chapitre 1: La maison à secret)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Vers le milieu du siècle dernier, un président à mortier au parlement de Paris ayant une maîtresse et s'en cachant, car à cette époque les grands seigneurs montraient leurs maîtresses et les bourgeois les cachaient, fit construire «une petite maison» faubourg Saint-Germain, dans la rue déserte de Blomet, qu'on nomme aujourd'hui rue Plumet, non loin de l'endroit qu'on appelait alors le Combat des Animaux.

Cette maison se composait d'un pavillon à un seul étage, deux salles au rez-de-chaussée, deux chambres au premier, en bas une cuisine, en haut un boudoir, sous le toit un grenier, le tout précédé d'un jardin avec large grille donnant sur la rue. Ce jardin avait environ un arpent. C'était là tout ce que les passants pouvaient entrevoir; mais en arrière du pavillon il y avait une cour étroite et au fond de la cour un logis bas de deux pièces sur cave, espèce d'en-cas destiné à dissimuler au besoin un enfant et une nourrice. Ce logis communiquait, par derrière, par une porte masquée et ouvrant à secret, avec un long couloir étroit, pavé, sinueux, à ciel ouvert, bordé de deux hautes murailles, lequel, caché avec un art prodigieux et comme perdu entre les clôtures des jardins et des cultures dont il suivait tous les angles et tous les détours, allait aboutir à une autre porte également à secret qui s'ouvrait à un demi-quart de lieue de là, presque dans un autre quartier, à l'extrémité solitaire de la rue de Babylone.

M. le président s'introduisait par là, si bien que ceux-là mêmes qui l'eussent épié et suivi et qui eussent observé que M. le président se rendait tous les jours mystérieusement quelque part, n'eussent pu se douter qu'aller rue de Babylone c'était aller rue Blomet. Grâce à d'habiles achats de terrains, l'ingénieux magistrat avait pu faire faire ce travail de voirie secrète chez lui, sur sa propre terre, et par conséquent sans contrôle. Plus tard il avait revendu par petites parcelles pour jardins et cultures les lots de terre riverains du corridor, et les propriétaires de ces lots de terre croyaient des deux côtés avoir devant les yeux un mur mitoyen, et ne soupçonnaient pas même l'existence de ce long ruban de pavé serpentant entre deux murailles parmi leurs plates-bandes et leurs vergers. Les oiseaux seuls voyaient cette curiosité. Il est probable que les fauvettes et les mésanges du siècle dernier avaient fort jasé sur le compte de M. le président.

Le pavillon, bâti en pierre dans le goût Mansart, lambrissé et meublé dans le goût Watteau, rocaille au dedans, perruque au dehors, muré d'une triple haie de fleurs, avait quelque chose de discret, de coquet et de solennel, comme il sied à un caprice de l'amour et de la magistrature.

Cette maison et ce couloir, qui ont disparu aujourd'hui, existaient encore il y a une quinzaine d'années. En 93, un chaudronnier avait acheté la maison pour la démolir, mais n'ayant pu en payer le prix, la nation le mit en faillite. De sorte que ce fut la maison qui démolit le chaudronnier. Depuis la maison resta inhabitée, et tomba lentement en ruine, comme toute demeure à laquelle la présence de l'homme ne communique plus la vie. Elle était restée meublée de ses vieux meubles et toujours à vendre ou à louer, et les dix ou douze personnes qui passent par an rue Plumet en étaient averties par un écriteau jaune et illisible accroché à la grille du jardin depuis 1810.

Vers la fin de la Restauration, ces mêmes passants purent remarquer que l'écriteau avait disparu, et que, même, les volets du premier étage étaient ouverts. La maison en effet était occupée. Les fenêtres avaient «des petits rideaux», signe qu'il y avait une femme.

Au mois d'octobre 1829, un homme d'un certain âge s'était présenté et avait loué la maison telle qu'elle était, y compris, bien entendu, l'arrière-corps de logis et le couloir qui allait aboutir à la rue de Babylone. Il avait fait rétablir les ouvertures à secret des deux portes de ce passage. La maison, nous venons de le dire, était encore à peu près meublée des vieux ameublements du président, le nouveau locataire avait ordonné quelques réparations, ajouté çà et là ce qui manquait, remis des pavés à la cour, des briques aux carrelages, des marches à l'escalier, des feuilles aux parquets et des vitres aux croisées, et enfin était venu s'installer avec une jeune fille et une servante âgée, sans bruit, plutôt comme quelqu'un qui se glisse que comme quelqu'un qui entre chez soi. Les voisins n'en jasèrent point, par la raison qu'il n'y avait pas de voisins.

Ce locataire peu à effet était Jean Valjean, la jeune fille était Cosette. La servante était une fille appelée Toussaint que Jean Valjean avait sauvée de l'hôpital et de la misère et qui était vieille, provinciale et bègue, trois qualités qui avaient déterminé Jean Valjean à la prendre avec lui. Il avait loué la maison sous le nom de M. Fauchelevent, rentier. Dans tout ce qui a été raconté plus haut, le lecteur a sans doute moins tardé encore que Thénardier à reconnaître Jean Valjean.

Pourquoi Jean Valjean avait-il quitté le couvent du Petit-Picpus? Que s'était-il passé?

Il ne s'était rien passé.

On s'en souvient. Jean Valjean était heureux dans le couvent, si heureux que sa conscience finit par s'inquiéter. Il voyait Cosette tous les jours, il sentait la paternité naître et se développer en lui de plus en plus, il couvait de l'âme cette enfant, il se disait qu'elle était à lui, que rien ne pouvait la lui enlever, que cela serait ainsi indéfiniment, que certainement elle se ferait religieuse, y étant chaque jour doucement provoquée, qu'ainsi le couvent était désormais l'univers pour elle comme pour lui, qu'il y vieillirait et qu'elle y grandirait, qu'elle y vieillirait et qu'il y mourrait, qu'enfin, ravissante espérance, aucune séparation n'était possible. En réfléchissant à ceci, il en vint à tomber dans des perplexités. Il s'interrogea. Il se demandait si tout ce bonheur-là était bien à lui, s'il ne se composait pas du bonheur d'un autre, du bonheur de cette enfant qu'il confisquait et qu'il dérobait, lui vieillard; si ce n'était point là un vol? Il se disait que cette enfant avait le droit de connaître la vie avant d'y renoncer, que lui retrancher, d'avance et en quelque sorte sans la consulter, toutes les joies sous prétexte de lui sauver toutes les épreuves, profiter de son ignorance et de son isolement pour lui faire germer une vocation artificielle, c'était dénaturer une créature humaine et mentir à Dieu. Et qui sait si, se rendant compte un jour de tout cela et religieuse à regret, Cosette n'en viendrait pas à le haïr? Dernière pensée, presque égoïste et moins héroïque que les autres, mais qui lui était insupportable. Il résolut de quitter le couvent.

Il le résolut, il reconnut avec désolation qu'il le fallait. Quant aux objections, il n'y en avait pas. Cinq ans de séjour entre ces quatre murs et de disparition avaient nécessairement détruit ou dispersé les éléments de crainte. Il pouvait rentrer parmi les hommes tranquillement. Il avait vieilli, et tout avait changé. Qui le reconnaîtrait maintenant? Et puis, à voir le pire, il n'y avait de danger que pour lui-même, et il n'avait pas le droit de condamner Cosette au cloître par la raison qu'il avait été condamné au bagne. D'ailleurs, qu'est-ce que le danger devant le devoir? Enfin, rien ne l'empêchait d'être prudent et de prendre ses précautions.

Quant à l'éducation de Cosette, elle était à peu près terminée et complète.

Une fois sa détermination arrêtée, il attendit l'occasion. Elle ne tarda pas à se présenter. Le vieux Fauchelevent mourut.

Jean Valjean demanda audience à la révérende prieure et lui dit qu'ayant fait à la mort de son frère un petit héritage qui lui permettait de vivre désormais sans travailler, il quittait le service du couvent, et emmenait sa fille; mais que, comme il n'était pas juste que Cosette, ne prononçant point ses vœux, eût été élevée gratuitement, il suppliait humblement la révérende prieure de trouver bon qu'il offrît à la communauté, comme indemnité des cinq années que Cosette y avait passées, une somme de cinq mille francs.

C'est ainsi que Jean Valjean sortit du couvent de l'Adoration Perpétuelle.

En quittant le couvent, il prit lui-même dans ses bras et ne voulut confier à aucun commissionnaire la petite valise dont il avait toujours la clef sur lui. Cette valise intriguait Cosette, à cause de l'odeur d'embaumement qui en sortait.

Disons tout de suite que désormais cette malle ne le quitta plus. Il l'avait toujours dans sa chambre. C'était la première et quelquefois l'unique chose qu'il emportait dans ses déménagements. Cosette en riait, et appelait cette valise l'inséparable, disant: J'en suis jalouse.

Jean Valjean du reste ne reparut pas à l'air libre sans une profonde anxiété.

Il découvrit la maison de la rue Plumet et s'y blottit. Il était désormais en possession du nom d'Ultime Fauchelevent.

En même temps il loua deux autres appartements dans Paris, afin de moins attirer l'attention que s'il fût toujours resté dans le même quartier, de pouvoir faire au besoin des absences à la moindre inquiétude qui le prendrait, et enfin de ne plus se trouver au dépourvu comme la nuit où il avait si miraculeusement échappé à Javert. Ces deux appartements étaient deux logis fort chétifs et d'apparence pauvre, dans deux quartiers très éloignés l'un de l'autre, l'un rue de l'Ouest, l'autre rue de l'Homme-Armé.

Il allait de temps en temps, tantôt rue de l'Homme-Armé, tantôt rue de l'Ouest, passer un mois ou six semaines avec Cosette sans emmener Toussaint. Il s'y faisait servir par les portiers et s'y donnait pour un rentier de la banlieue ayant un pied-à-terre en ville. Cette haute vertu avait trois domiciles dans Paris pour échapper à la police.


English text[edit]

About the middle of the last century, a chief justice in the Parliament of Paris having a mistress and concealing the fact, for at that period the grand seignors displayed their mistresses, and the bourgeois concealed them, had "a little house" built in the Faubourg Saint-Germain, in the deserted Rue Blomet, which is now called Rue Plumet, not far from the spot which was then designated as Combat des Animaux.

This house was composed of a single-storied pavilion; two rooms on the ground floor, two chambers on the first floor, a kitchen down stairs, a boudoir up stairs, an attic under the roof, the whole preceded by a garden with a large gate opening on the street. This garden was about an acre and a half in extent. This was all that could be seen by passers-by; but behind the pavilion there was a narrow courtyard, and at the end of the courtyard a low building consisting of two rooms and a cellar, a sort of preparation destined to conceal a child and nurse in case of need. This building communicated in the rear by a masked door which opened by a secret spring, with a long, narrow, paved winding corridor, open to the sky, hemmed in with two lofty walls, which, hidden with wonderful art, and lost as it were between garden enclosures and cultivated land, all of whose angles and detours it followed, ended in another door, also with a secret lock which opened a quarter of a league away, almost in another quarter, at the solitary extremity of the Rue du Babylone.

Through this the chief justice entered, so that even those who were spying on him and following him would merely have observed that the justice betook himself every day in a mysterious way somewhere, and would never have suspected that to go to the Rue de Babylone was to go to the Rue Blomet. Thanks to clever purchasers of land, the magistrate had been able to make a secret, sewer-like passage on his own property, and consequently, without interference. Later on, he had sold in little parcels, for gardens and market gardens, the lots of ground adjoining the corridor, and the proprietors of these lots on both sides thought they had a party wall before their eyes, and did not even suspect the long, paved ribbon winding between two walls amid their flower-beds and their orchards. Only the birds beheld this curiosity. It is probable that the linnets and tomtits of the last century gossiped a great deal about the chief justice.

The pavilion, built of stone in the taste of Mansard, wainscoted and furnished in the Watteau style, rocaille on the inside, old-fashioned on the outside, walled in with a triple hedge of flowers, had something discreet, coquettish, and solemn about it, as befits a caprice of love and magistracy.

This house and corridor, which have now disappeared, were in existence fifteen years ago. In '93 a coppersmith had purchased the house with the idea of demolishing it, but had not been able to pay the price; the nation made him bankrupt. So that it was the house which demolished the coppersmith. After that, the house remained uninhabited, and fell slowly to ruin, as does every dwelling to which the presence of man does not communicate life. It had remained fitted with its old furniture, was always for sale or to let, and the ten or a dozen people who passed through the Rue Plumet were warned of the fact by a yellow and illegible bit of writing which had hung on the garden wall since 1819.

Towards the end of the Restoration, these same passers-by might have noticed that the bill had disappeared, and even that the shutters on the first floor were open. The house was occupied, in fact. The windows had short curtains, a sign that there was a woman about.

In the month of October, 1829, a man of a certain age had presented himself and had hired the house just as it stood, including, of course, the back building and the lane which ended in the Rue de Babylone. He had had the secret openings of the two doors to this passage repaired. The house, as we have just mentioned, was still very nearly furnished with the justice's old fitting; the new tenant had ordered some repairs, had added what was lacking here and there, had replaced the paving-stones in the yard, bricks in the floors, steps in the stairs, missing bits in the inlaid floors and the glass in the lattice windows, and had finally installed himself there with a young girl and an elderly maid-servant, without commotion, rather like a person who is slipping in than like a man who is entering his own house. The neighbors did not gossip about him, for the reason that there were no neighbors.

This unobtrusive tenant was Jean Valjean, the young girl was Cosette. The servant was a woman named Toussaint, whom Jean Valjean had saved from the hospital and from wretchedness, and who was elderly, a stammerer, and from the provinces, three qualities which had decided Jean Valjean to take her with him. He had hired the house under the name of M. Fauchelevent, independent gentleman. In all that has been related heretofore, the reader has, doubtless, been no less prompt than Thenardier to recognize Jean Valjean.

Why had Jean Valjean quitted the convent of the Petit-Picpus? What had happened?

Nothing had happened.

It will be remembered that Jean Valjean was happy in the convent, so happy that his conscience finally took the alarm. He saw Cosette every day, he felt paternity spring up and develop within him more and more, he brooded over the soul of that child, he said to himself that she was his, that nothing could take her from him, that this would last indefinitely, that she would certainly become a nun, being thereto gently incited every day, that thus the convent was henceforth the universe for her as it was for him, that he should grow old there, and that she would grow up there, that she would grow old there, and that he should die there; that, in short, delightful hope, no separation was possible. On reflecting upon this, he fell into perplexity. He interrogated himself. He asked himself if all that happiness were really his, if it were not composed of the happiness of another, of the happiness of that child which he, an old man, was confiscating and stealing; if that were not theft? He said to himself, that this child had a right to know life before renouncing it, that to deprive her in advance, and in some sort without consulting her, of all joys, under the pretext of saving her from all trials, to take advantage of her ignorance of her isolation, in order to make an artificial vocation germinate in her, was to rob a human creature of its nature and to lie to God. And who knows if, when she came to be aware of all this some day, and found herself a nun to her sorrow, Cosette would not come to hate him? A last, almost selfish thought, and less heroic than the rest, but which was intolerable to him. He resolved to quit the convent.

He resolved on this; he recognized with anguish, the fact that it was necessary. As for objections, there were none. Five years' sojourn between these four walls and of disappearance had necessarily destroyed or dispersed the elements of fear. He could return tranquilly among men. He had grown old, and all had undergone a change. Who would recognize him now? And then, to face the worst, there was danger only for himself, and he had no right to condemn Cosette to the cloister for the reason that he had been condemned to the galleys. Besides, what is danger in comparison with the right? Finally, nothing prevented his being prudent and taking his precautions.

As for Cosette's education, it was almost finished and complete.

His determination once taken, he awaited an opportunity. It was not long in presenting itself. Old Fauchelevent died.

Jean Valjean demanded an audience with the revered prioress and told her that, having come into a little inheritance at the death of his brother, which permitted him henceforth to live without working, he should leave the service of the convent and take his daughter with him; but that, as it was not just that Cosette, since she had not taken the vows, should have received her education gratuitously, he humbly begged the Reverend Prioress to see fit that he should offer to the community, as indemnity, for the five years which Cosette had spent there, the sum of five thousand francs.

It was thus that Jean Valjean quitted the convent of the Perpetual Adoration.

On leaving the convent, he took in his own arms the little valise the key to which he still wore on his person, and would permit no porter to touch it. This puzzled Cosette, because of the odor of embalming which proceeded from it.

Let us state at once, that this trunk never quitted him more. He always had it in his chamber. It was the first and only thing sometimes, that he carried off in his moving when he moved about. Cosette laughed at it, and called this valise his inseparable, saying: "I am jealous of it."

Nevertheless, Jean Valjean did not reappear in the open air without profound anxiety.

He discovered the house in the Rue Plumet, and hid himself from sight there. Henceforth he was in the possession of the name:—Ultime Fauchelevent.

At the same time he hired two other apartments in Paris, in order that he might attract less attention than if he were to remain always in the same quarter, and so that he could, at need, take himself off at the slightest disquietude which should assail him, and in short, so that he might not again be caught unprovided as on the night when he had so miraculously escaped from Javert. These two apartments were very pitiable, poor in appearance, and in two quarters which were far remote from each other, the one in the Rue de l'Ouest, the other in the Rue de l'Homme Arme.

He went from time to time, now to the Rue de l'Homme Arme, now to the Rue de l'Ouest, to pass a month or six weeks, without taking Toussaint. He had himself served by the porters, and gave himself out as a gentleman from the suburbs, living on his funds, and having a little temporary resting-place in town. This lofty virtue had three domiciles in Paris for the sake of escaping from the police.

Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]