Volume 4/Book 14/Chapter 6

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Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Fourteenth: The Grandeurs of Despair, Chapter 6: The Agony of Death after the Agony of Life
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre quatorzième: Les grandeurs du désespoir, Chapitre 6: L'agonie de la mort après l'agonie de la vie)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Une singularité de ce genre de guerre, c'est que l'attaque des barricades se fait presque toujours de front, et qu'en général les assaillants s'abstiennent de tourner les positions, soit qu'ils redoutent des embuscades, soit qu'ils craignent de s'engager dans des rues tortueuses. Toute l'attention des insurgés se portait donc du côté de la grande barricade qui était évidemment le point toujours menacé et où devait recommencer infailliblement la lutte. Marius pourtant songea à la petite barricade et y alla. Elle était déserte et n'était gardée que par le lampion qui tremblait entre les pavés. Du reste la ruelle Mondétour et les embranchements de la Petite-Truanderie et du Cygne étaient profondément calmes.

Comme Marius, l'inspection faite, se retirait, il entendit son nom prononcé faiblement dans l'obscurité:

—Monsieur Marius!

Il tressaillit, car il reconnut la voix qui l'avait appelé deux heures auparavant à travers la grille de la rue Plumet.

Seulement cette voix maintenant semblait n'être plus qu'un souffle.

Il regarda autour de lui et ne vit personne.

Marius crut s'être trompé, et que c'était une illusion ajoutée par son esprit aux réalités extraordinaires qui se heurtaient autour de lui. Il fit un pas pour sortir de l'enfoncement reculé où était la barricade.

—Monsieur Marius! répéta la voix.

Cette fois il ne pouvait douter, il avait distinctement entendu; il regarda, et ne vit rien.

—À vos pieds, dit la voix.

Il se courba et vit dans l'ombre une forme qui se traînait vers lui. Cela rampait sur le pavé. C'était cela qui lui parlait.

Le lampion permettait de distinguer une blouse, un pantalon de gros velours déchiré, des pieds nus, et quelque chose qui ressemblait à une mare de sang. Marius entrevit une tête pâle qui se dressait vers lui et qui lui dit:

—Vous ne me reconnaissez pas?

—Non.

—Éponine.

Marius se baissa vivement. C'était en effet cette malheureuse enfant. Elle était habillée en homme.

—Comment êtes-vous ici? que faites-vous là?

—Je meurs, lui dit-elle.

Il y a des mots et des incidents qui réveillent les êtres accablés. Marius s'écria comme en sursaut:

—Vous êtes blessée! Attendez, je vais vous porter dans la salle. On va vous panser. Est-ce grave? comment faut-il vous prendre pour ne pas vous faire mal? où souffrez-vous? Du secours! mon Dieu! Mais qu'êtes-vous venue faire ici?

Et il essaya de passer son bras sous elle pour la soulever.

En la soulevant il rencontra sa main.

Elle poussa un cri faible.

—Vous ai-je fait mal? demanda Marius.

—Un peu.

—Mais je n'ai touché que votre main.

Elle leva sa main vers le regard de Marius, et Marius au milieu de cette main vit un trou noir.

—Qu'avez-vous donc à la main? dit-il.

—Elle est percée.

—Percée!

—Oui.

—De quoi?

—D'une balle.

—Comment?

—Avez-vous vu un fusil qui vous couchait en joue?

—Oui, et une main qui l'a bouché.

—C'était la mienne.

Marius eut un frémissement:

—Quelle folie! Pauvre enfant! Mais tant mieux, si c'est cela, ce n'est rien. Laissez-moi vous porter sur un lit. On va vous panser, on ne meurt pas d'une main percée.

Elle murmura:

—La balle a traversé la main, mais elle est sortie par le dos. C'est inutile de m'ôter d'ici. Je vais vous dire comment vous pouvez me panser, mieux qu'un chirurgien. Asseyez-vous près de moi sur cette pierre.

Il obéit; elle posa sa tête sur les genoux de Marius, et, sans le regarder, elle dit:

—Oh! que c'est bon! Comme on est bien! Voilà! Je ne souffre plus.

Elle demeura un moment en silence, puis elle tourna son visage avec effort et regarda Marius.

—Savez-vous, monsieur Marius? Cela me taquinait que vous entriez dans ce jardin, c'était bête, puisque c'était moi qui vous avais montré la maison, et puis enfin je devais bien me dire qu'un jeune homme comme vous....

Elle s'interrompit, et, franchissant les sombres transitions qui étaient sans doute dans son esprit, elle reprit avec un déchirant sourire:

—Vous me trouviez laide, n'est-ce pas?

Elle continua:

—Voyez-vous, vous êtes perdu! Maintenant personne ne sortira de la barricade. C'est moi qui vous ai amené ici, tiens! Vous allez mourir. J'y compte bien. Et pourtant, quand j'ai vu qu'on vous visait, j'ai mis la main sur la bouche du canon de fusil. Comme c'est drôle! Mais c'est que je voulais mourir avant vous. Quand j'ai reçu cette balle, je me suis traînée ici, on ne m'a pas vue, on ne m'a pas ramassée. Je vous attendais, je disais: Il ne viendra donc pas? Oh! si vous saviez, je mordais ma blouse, je souffrais tant! Maintenant je suis bien. Vous rappelez-vous le jour où je suis entrée dans votre chambre et où je me suis mirée dans votre miroir, et le jour où je vous ai rencontré sur le boulevard près des femmes en journée? Comme les oiseaux chantaient! Il n'y a pas bien longtemps. Vous m'avez donné cent sous, et je vous ai dit: Je ne veux pas de votre argent. Avez-vous ramassé votre pièce au moins? Vous n'êtes pas riche. Je n'ai pas pensé à vous dire de la ramasser. Il faisait beau soleil, on n'avait pas froid. Vous souvenez-vous, monsieur Marius? Oh! je suis heureuse! Tout le monde va mourir.

Elle avait un air insensé, grave et navrant. Sa blouse déchirée montrait sa gorge nue. Elle appuyait en parlant sa main percée sur sa poitrine où il y avait un autre trou, et d'où il sortait par instants un flot de sang comme le jet de vin d'une bonde ouverte.

Marius considérait cette créature infortunée avec une profonde compassion.

—Oh! reprit-elle tout à coup, cela revient. J'étouffe!

Elle prit sa blouse et la mordit, et ses jambes se raidissaient sur le pavé.

En ce moment la voix de jeune coq du petit Gavroche retentit dans la barricade. L'enfant était monté sur une table pour charger son fusil et chantait gaîment la chanson alors si populaire:

En voyant Lafayette, Le gendarme répète: Sauvons-nous! sauvons-nous! sauvons-nous!

Éponine se souleva, et écouta, puis elle murmura:

—C'est lui.

Et se tournant vers Marius:

—Mon frère est là. Il ne faut pas qu'il me voie. Il me gronderait.

—Votre frère? demanda Marius qui songeait dans le plus amer et le plus douloureux de son cœur aux devoirs que son père lui avait légués envers les Thénardier, qui est votre frère?

—Ce petit.

—Celui qui chante?

—Oui.

Marius fit un mouvement.

—Oh! ne vous en allez pas! dit-elle, cela ne sera pas long à présent.

Elle était presque sur son séant, mais sa voix était très basse et coupée de hoquets. Par intervalles le râle l'interrompait. Elle approchait le plus qu'elle pouvait son visage du visage de Marius. Elle ajouta avec une expression étrange:

—Écoutez, je ne veux pas vous faire une farce. J'ai dans ma poche une lettre pour vous. Depuis hier. On m'avait dit de la mettre à la poste. Je l'ai gardée. Je ne voulais pas qu'elle vous parvînt. Mais vous m'en voudriez peut-être quand nous allons nous revoir tout à l'heure. On se revoit, n'est-ce pas? Prenez votre lettre.

Elle saisit convulsivement la main de Marius avec sa main trouée, mais elle semblait ne plus percevoir la souffrance. Elle mit la main de Marius dans la poche de sa blouse. Marius y sentit en effet un papier.

—Prenez, dit-elle.

Marius prit la lettre.

Elle fit un signe de satisfaction et de consentement.

—Maintenant pour ma peine, promettez-moi....

Et elle s'arrêta.

—Quoi? demanda Marius.

—Promettez-moi!

—Je vous promets.

—Promettez-moi de me donner un baiser sur le front quand je serai morte.—Je le sentirai.

Elle laissa retomber sa tête sur les genoux de Marius et ses paupières se fermèrent. Il crut cette pauvre âme partie. Éponine restait immobile; tout à coup, à l'instant où Marius la croyait à jamais endormie, elle ouvrit lentement ses yeux où apparaissait la sombre profondeur de la mort, et lui dit avec un accent dont la douceur semblait déjà venir d'un autre monde:

—Et puis, tenez, monsieur Marius, je crois que j'étais un peu amoureuse de vous.

Elle essaya encore de sourire et expira.

English text[edit]

A peculiarity of this species of war is, that the attack of the barricades is almost always made from the front, and that the assailants generally abstain from turning the position, either because they fear ambushes, or because they are afraid of getting entangled in the tortuous streets. The insurgents' whole attention had been directed, therefore, to the grand barricade, which was, evidently, the spot always menaced, and there the struggle would infallibly recommence. But Marius thought of the little barricade, and went thither. It was deserted and guarded only by the fire-pot which trembled between the paving-stones. Moreover, the Mondetour alley, and the branches of the Rue de la Petite Truanderie and the Rue du Cygne were profoundly calm.

As Marius was withdrawing, after concluding his inspection, he heard his name pronounced feebly in the darkness.

"Monsieur Marius!"

He started, for he recognized the voice which had called to him two hours before through the gate in the Rue Plumet.

Only, the voice now seemed to be nothing more than a breath.

He looked about him, but saw no one.

Marius thought he had been mistaken, that it was an illusion added by his mind to the extraordinary realities which were clashing around him. He advanced a step, in order to quit the distant recess where the barricade lay.

"Monsieur Marius!" repeated the voice.

This time he could not doubt that he had heard it distinctly; he looked and saw nothing.

"At your feet," said the voice.

He bent down, and saw in the darkness a form which was dragging itself towards him.

It was crawling along the pavement. It was this that had spoken to him.

The fire-pot allowed him to distinguish a blouse, torn trousers of coarse velvet, bare feet, and something which resembled a pool of blood. Marius indistinctly made out a pale head which was lifted towards him and which was saying to him:—

"You do not recognize me?"

"No."

"Eponine."

Marius bent hastily down. It was, in fact, that unhappy child. She was dressed in men's clothes.

"How come you here? What are you doing here?"

"I am dying," said she.

There are words and incidents which arouse dejected beings. Marius cried out with a start:—

"You are wounded! Wait, I will carry you into the room! They will attend to you there. Is it serious? How must I take hold of you in order not to hurt you? Where do you suffer? Help! My God! But why did you come hither?"

And he tried to pass his arm under her, in order to raise her.

She uttered a feeble cry.

"Have I hurt you?" asked Marius.

"A little."

"But I only touched your hand."

She raised her hand to Marius, and in the middle of that hand Marius saw a black hole.

"What is the matter with your hand?" said he.

"It is pierced."

"Pierced?"

"Yes."

"What with?"

"A bullet."

"How?"

"Did you see a gun aimed at you?"

"Yes, and a hand stopping it."

"It was mine."

Marius was seized with a shudder.

"What madness! Poor child! But so much the better, if that is all, it is nothing, let me carry you to a bed. They will dress your wound; one does not die of a pierced hand."

She murmured:—

"The bullet traversed my hand, but it came out through my back. It is useless to remove me from this spot. I will tell you how you can care for me better than any surgeon. Sit down near me on this stone."

He obeyed; she laid her head on Marius' knees, and, without looking at him, she said:—

"Oh! How good this is! How comfortable this is! There; I no longer suffer."

She remained silent for a moment, then she turned her face with an effort, and looked at Marius.

"Do you know what, Monsieur Marius? It puzzled me because you entered that garden; it was stupid, because it was I who showed you that house; and then, I ought to have said to myself that a young man like you—"

She paused, and overstepping the sombre transitions that undoubtedly existed in her mind, she resumed with a heartrending smile:—

"You thought me ugly, didn't you?"

She continued:—

"You see, you are lost! Now, no one can get out of the barricade. It was I who led you here, by the way! You are going to die, I count upon that. And yet, when I saw them taking aim at you, I put my hand on the muzzle of the gun. How queer it is! But it was because I wanted to die before you. When I received that bullet, I dragged myself here, no one saw me, no one picked me up, I was waiting for you, I said: 'So he is not coming!' Oh, if you only knew. I bit my blouse, I suffered so! Now I am well. Do you remember the day I entered your chamber and when I looked at myself in your mirror, and the day when I came to you on the boulevard near the washerwomen? How the birds sang! That was a long time ago. You gave me a hundred sous, and I said to you: 'I don't want your money.' I hope you picked up your coin? You are not rich. I did not think to tell you to pick it up. The sun was shining bright, and it was not cold. Do you remember, Monsieur Marius? Oh! How happy I am! Every one is going to die."

She had a mad, grave, and heart-breaking air. Her torn blouse disclosed her bare throat.

As she talked, she pressed her pierced hand to her breast, where there was another hole, and whence there spurted from moment to moment a stream of blood, like a jet of wine from an open bung-hole.

Marius gazed at this unfortunate creature with profound compassion.

"Oh!" she resumed, "it is coming again, I am stifling!"

She caught up her blouse and bit it, and her limbs stiffened on the pavement.

At that moment the young cock's crow executed by little Gavroche resounded through the barricade.

The child had mounted a table to load his gun, and was singing gayly the song then so popular:—

  "En voyant Lafayette,             "On beholding Lafayette,
   Le gendarme répète:—             The gendarme repeats:—
   Sauvons nous! sauvons nous!       Let us flee! let us flee!
         sauvons nous!"                     let us flee!

Eponine raised herself and listened; then she murmured:—

"It is he."

And turning to Marius:—

"My brother is here. He must not see me. He would scold me."

"Your brother?" inquired Marius, who was meditating in the most bitter and sorrowful depths of his heart on the duties to the Thenardiers which his father had bequeathed to him; "who is your brother?"

"That little fellow."

"The one who is singing?"

"Yes."

Marius made a movement.

"Oh! don't go away," said she, "it will not be long now."

She was sitting almost upright, but her voice was very low and broken by hiccoughs.

At intervals, the death rattle interrupted her. She put her face as near that of Marius as possible. She added with a strange expression:—

"Listen, I do not wish to play you a trick. I have a letter in my pocket for you. I was told to put it in the post. I kept it. I did not want to have it reach you. But perhaps you will be angry with me for it when we meet again presently? Take your letter."

She grasped Marius' hand convulsively with her pierced hand, but she no longer seemed to feel her sufferings. She put Marius' hand in the pocket of her blouse. There, in fact, Marius felt a paper.

"Take it," said she.

Marius took the letter.

She made a sign of satisfaction and contentment.

"Now, for my trouble, promise me—"

And she stopped.

"What?" asked Marius.

"Promise me!"

"I promise."

"Promise to give me a kiss on my brow when I am dead.—I shall feel it."

She dropped her head again on Marius' knees, and her eyelids closed. He thought the poor soul had departed. Eponine remained motionless. All at once, at the very moment when Marius fancied her asleep forever, she slowly opened her eyes in which appeared the sombre profundity of death, and said to him in a tone whose sweetness seemed already to proceed from another world:—

"And by the way, Monsieur Marius, I believe that I was a little bit in love with you."

She tried to smile once more and expired.

Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]