Volume 4/Book 1/Chapter 6

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Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book First: A Few Pages of History, Chapter 6: Enjolras and his Lieutenants
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre premier: Quelques pages d'histoire, Chapitre 6: Enjolras et ses lieutenants)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

À peu près vers cette époque, Enjolras, en vue de l'événement possible, fit une sorte de recensement mystérieux.

Tous étaient en conciliabule au café Musain.

Enjolras dit, en mêlant à ses paroles quelques métaphores demi-énigmatiques, mais significatives:

—Il convient de savoir où l'on en est et sur qui l'on peut compter. Si l'on veut des combattants, il faut en faire. Avoir de quoi frapper. Cela ne peut nuire. Ceux qui passent ont toujours plus de chance d'attraper des coups de corne quand il y a des bœufs sur la route que lorsqu'il n'y en a pas. Donc comptons un peu le troupeau. Combien sommes-nous? Il ne s'agit pas de remettre ce travail-là à demain. Les révolutionnaires doivent toujours être pressés; le progrès n'a pas de temps à perdre. Défions-nous de l'inattendu. Ne nous laissons pas prendre au dépourvu. Il s'agit de repasser sur toutes les coutures que nous avons faites et de voir si elles tiennent. Cette affaire doit être coulée à fond aujourd'hui. Courfeyrac, tu verras les polytechniciens. C'est leur jour de sortie. Aujourd'hui mercredi. Feuilly, n'est-ce pas? vous verrez ceux de la Glacière. Combeferre m'a promis d'aller à Picpus. Il y a là tout un fourmillement excellent. Bahorel visitera l'Estrapade. Prouvaire, les maçons s'attiédissent; tu nous rapporteras des nouvelles de la loge de la rue de Grenelle-Saint-Honoré. Joly ira à la clinique de Dupuytren et tâtera le pouls à l'école de médecine. Bossuet fera un petit tour au palais et causera avec les stagiaires. Moi, je me charge de la Cougourde.

—Voilà tout réglé, dit Courfeyrac.

—Non.

—Qu'y a-t-il donc encore?

—Une chose très importante.

—Qu'est-ce? demanda Combeferre.

—La barrière du Maine, répondit Enjolras.

Enjolras resta un moment comme absorbé dans ses réflexions, puis reprit:

—Barrière du Maine il y a des marbriers, des peintres, les praticiens des ateliers de sculpture. C'est une famille enthousiaste, mais sujette à refroidissement. Je ne sais pas ce qu'ils ont depuis quelque temps. Ils pensent à autre chose. Ils s'éteignent. Ils passent leur temps à jouer aux dominos. Il serait urgent d'aller leur parler un peu et ferme. C'est chez Richefeu qu'ils se réunissent. On les y trouverait entre midi et une heure. Il faudrait souffler sur ces cendres-là. J'avais compté pour cela sur ce distrait de Marius, qui en somme est bon, mais il ne vient plus. Il me faudrait quelqu'un pour la barrière du Maine. Je n'ai plus personne.

—Et moi, dit Grantaire, je suis là.

—Toi?

—Moi.

—Toi, endoctriner des républicains! toi, réchauffer, au nom des principes, des cœurs refroidis!

—Pourquoi pas?

—Est-ce que tu peux être bon à quelque chose?

—Mais j'en ai la vague ambition, dit Grantaire.

—Tu ne crois à rien.

—Je crois à toi.

—Grantaire, veux-tu me rendre un service?

—Tous. Cirer tes bottes.

—Eh bien, ne te mêle pas de nos affaires. Cuve ton absinthe.

—Tu es un ingrat, Enjolras.

—Tu serais homme à aller barrière du Maine! tu en serais capable!

—Je suis capable de descendre rue des Grès, de traverser la place Saint-Michel, d'obliquer par la rue Monsieur-le-Prince, de prendre la rue de Vaugirard, de dépasser les Carmes, de tourner rue d'Assas, d'arriver rue du Cherche-Midi, de laisser derrière moi le Conseil de guerre, d'arpenter la rue des Vieilles-Tuileries, d'enjamber le boulevard, de suivre la chaussée du Maine, de franchir la barrière, et d'entrer chez Richefeu. Je suis capable de cela. Mes souliers en sont capables.

—Connais-tu un peu ces camarades-là de chez Richefeu?

—Pas beaucoup. Nous nous tutoyons seulement.

—Qu'est-ce que tu leur diras?

—Je leur parlerai de Robespierre, pardi. De Danton. Des principes.

—Toi!

—Moi. Mais on ne me rend pas justice. Quand je m'y mets, je suis terrible. J'ai lu Prud'homme, je connais le Contrat social, je sais par cœur ma constitution de l'an Deux.»La liberté du citoyen finit où la liberté d'un autre citoyen commence.» Est-ce que tu me prends pour une brute? J'ai un vieil assignat dans mon tiroir. Les droits de l'Homme, la souveraineté du peuple, sapristi! Je suis même un peu hébertiste. Je puis rabâcher, pendant six heures d'horloge, montre en main, des choses superbes.

—Sois sérieux, dit Enjolras.

—Je suis farouche, répondit Grantaire.

Enjolras pensa quelques secondes, et fit le geste d'un homme qui prend son parti.

—Grantaire, dit-il gravement, je consens à t'essayer. Tu iras barrière du Maine.

Grantaire logeait dans un garni tout voisin du café Musain. Il sortit, et revint cinq minutes après. Il était allé chez lui mettre un gilet à la Robespierre.

—Rouge, dit-il en entrant, et en regardant fixement Enjolras.

Puis, d'un plat de main énergique, il appuya sur sa poitrine les deux pointes écarlates du gilet.

Et, s'approchant d'Enjolras, il lui dit à l'oreille:

—Sois tranquille.

Il enfonça son chapeau résolument et partit.

Un quart d'heure après, l'arrière-salle du café Musain était déserte. Tous les amis de l'A B C étaient allés, chacun de leur côté, à leur besogne. Enjolras, qui s'était réservé la Cougourde, sortit le dernier.

Ceux de la Cougourde d'Aix qui étaient à Paris se réunissaient alors plaine d'Issy, dans une des carrières abandonnées si nombreuses de ce côté de Paris.

Enjolras, tout en cheminant vers ce lieu de rendez-vous, passait en lui-même la revue de la situation. La gravité des événements était visible. Quand les faits, prodromes d'une espèce de maladie sociale latente, se meuvent lourdement, la moindre complication les arrête et les enchevêtre. Phénomène d'où sortent les écroulements et les renaissances. Enjolras entrevoyait un soulèvement lumineux sous les pans ténébreux de l'avenir. Qui sait? le moment approchait peut-être. Le peuple ressaisissant le droit, quel beau spectacle! la révolution reprenant majestueusement possession de la France, et disant au monde: La suite à demain! Enjolras était content. La fournaise chauffait. Il avait, dans ce même instant-là, une traînée de poudre d'amis éparse sur Paris. Il composait, dans sa pensée, avec l'éloquence philosophique et pénétrante de Combeferre, l'enthousiasme cosmopolite de Feuilly, la verve de Courfeyrac, le rire de Bahorel, la mélancolie de Jean Prouvaire, la science de Joly, les sarcasmes de Bossuet, une sorte de pétillement électrique prenant feu à la fois un peu partout. Tous à l'œuvre. À coup sûr le résultat répondrait à l'effort. C'était bien. Ceci le fit penser à Grantaire.—Tiens, se dit-il, la barrière du Maine me détourne à peine de mon chemin. Si je poussais jusque chez Richefeu? Voyons un peu ce que fait Grantaire, et où il en est.

Une heure sonnait au clocher de Vaugirard quand Enjolras arriva à la tabagie Richefeu. Il poussa la porte, entra, croisa les bras, laissant retomber la porte qui vint lui heurter les épaules, et regarda dans la salle pleine de tables, d'hommes et de fumée.

Une voix éclatait dans cette brume, vivement coupée par une autre voix. C'était Grantaire dialoguant avec un adversaire qu'il avait.

Grantaire était assis vis-à-vis d'une autre figure, à une table de marbre Sainte-Anne semée de grains de son et constellée de dominos, il frappait ce marbre du poing, et voici ce qu'Enjolras entendit:

—Double-six.

—Du quatre.

—Le porc! je n'en ai plus.

—Tu es mort. Du deux.

—Du six.

—Du trois.

—De l'as.

—À moi la pose.

—Quatre points.

—Péniblement.

—À toi.

—J'ai fait une faute énorme.

—Tu vas bien.

—Quinze.

—Sept de plus.

—Cela me fait vingt-deux. (Rêvant.) Vingt-deux!

—Tu ne t'attendais pas au double-six. Si je l'avais mis au commencement, cela changeait tout le jeu.

—Du deux même.

—De l'as.

—De l'as! Eh bien, du cinq.

—Je n'en ai pas.

—C'est toi qui as posé, je crois?

—Oui.

—Du blanc.

—A-t-il de la chance! Ah! tu as une chance! (Longue rêverie.) Du deux.

—De l'as.

—Ni cinq, ni as. C'est embêtant pour toi.

—Domino.

—Nom d'un caniche!

English text[edit]

It was about this epoch that Enjolras, in view of a possible catastrophe, instituted a kind of mysterious census.

All were present at a secret meeting at the Cafe Musain.

Enjolras said, mixing his words with a few half-enigmatical but significant metaphors:—

"It is proper that we should know where we stand and on whom we may count. If combatants are required, they must be provided. It can do no harm to have something with which to strike. Passers-by always have more chance of being gored when there are bulls on the road than when there are none. Let us, therefore, reckon a little on the herd. How many of us are there? There is no question of postponing this task until to-morrow. Revolutionists should always be hurried; progress has no time to lose. Let us mistrust the unexpected. Let us not be caught unprepared. We must go over all the seams that we have made and see whether they hold fast. This business ought to be concluded to-day. Courfeyrac, you will see the polytechnic students. It is their day to go out. To-day is Wednesday. Feuilly, you will see those of the Glaciere, will you not? Combeferre has promised me to go to Picpus. There is a perfect swarm and an excellent one there. Bahorel will visit the Estrapade. Prouvaire, the masons are growing lukewarm; you will bring us news from the lodge of the Rue de Grenelle-Saint-Honore. Joly will go to Dupuytren's clinical lecture, and feel the pulse of the medical school. Bossuet will take a little turn in the court and talk with the young law licentiates. I will take charge of the Cougourde myself."

"That arranges everything," said Courfeyrac.

"No."

"What else is there?"

"A very important thing."

"What is that?" asked Courfeyrac.

"The Barriere du Maine," replied Enjolras.

Enjolras remained for a moment as though absorbed in reflection, then he resumed:—

"At the Barriere du Maine there are marble-workers, painters, and journeymen in the studios of sculptors. They are an enthusiastic family, but liable to cool off. I don't know what has been the matter with them for some time past. They are thinking of something else. They are becoming extinguished. They pass their time playing dominoes. There is urgent need that some one should go and talk with them a little, but with firmness. They meet at Richefeu's. They are to be found there between twelve and one o'clock. Those ashes must be fanned into a glow. For that errand I had counted on that abstracted Marius, who is a good fellow on the whole, but he no longer comes to us. I need some one for the Barriere du Maine. I have no one."

"What about me?" said Grantaire. "Here am I."

"You?"

"I."

"You indoctrinate republicans! you warm up hearts that have grown cold in the name of principle!"

"Why not?"

"Are you good for anything?"

"I have a vague ambition in that direction," said Grantaire.

"You do not believe in everything."

"I believe in you."

"Grantaire will you do me a service?"

"Anything. I'll black your boots."

"Well, don't meddle with our affairs. Sleep yourself sober from your absinthe."

"You are an ingrate, Enjolras."

"You the man to go to the Barriere du Maine! You capable of it!"

"I am capable of descending the Rue de Gres, of crossing the Place Saint-Michel, of sloping through the Rue Monsieur-le-Prince, of taking the Rue de Vaugirard, of passing the Carmelites, of turning into the Rue d'Assas, of reaching the Rue du Cherche-Midi, of leaving behind me the Conseil de Guerre, of pacing the Rue des Vielles Tuileries, of striding across the boulevard, of following the Chaussée du Maine, of passing the barrier, and entering Richefeu's. I am capable of that. My shoes are capable of that."

"Do you know anything of those comrades who meet at Richefeu's?"

"Not much. We only address each other as thou."

"What will you say to them?"

"I will speak to them of Robespierre, pardi! Of Danton. Of principles."

"You?"

"I. But I don't receive justice. When I set about it, I am terrible. I have read Prudhomme, I know the Social Contract, I know my constitution of the year Two by heart. 'The liberty of one citizen ends where the liberty of another citizen begins.' Do you take me for a brute? I have an old bank-bill of the Republic in my drawer. The Rights of Man, the sovereignty of the people, sapristi! I am even a bit of a Hebertist. I can talk the most superb twaddle for six hours by the clock, watch in hand."

"Be serious," said Enjolras.

"I am wild," replied Grantaire.

Enjolras meditated for a few moments, and made the gesture of a man who has taken a resolution.

"Grantaire," he said gravely, "I consent to try you. You shall go to the Barriere du Maine."

Grantaire lived in furnished lodgings very near the Cafe Musain. He went out, and five minutes later he returned. He had gone home to put on a Robespierre waistcoat.

"Red," said he as he entered, and he looked intently at Enjolras. Then, with the palm of his energetic hand, he laid the two scarlet points of the waistcoat across his breast.

And stepping up to Enjolras, he whispèred in his ear:—

"Be easy."

He jammed his hat on resolutely and departed.

A quarter of an hour later, the back room of the Cafe Musain was deserted. All the friends of the A B C were gone, each in his own direction, each to his own task. Enjolras, who had reserved the Cougourde of Aix for himself, was the last to leave.

Those members of the Cougourde of Aix who were in Paris then met on the plain of Issy, in one of the abandoned quarries which are so numerous in that side of Paris.

As Enjolras walked towards this place, he passed the whole situation in review in his own mind. The gravity of events was self-evident. When facts, the premonitory symptoms of latent social malady, move heavily, the slightest complication stops and entangles them. A phenomenon whence arises ruin and new births. Enjolras descried a luminous uplifting beneath the gloomy skirts of the future. Who knows? Perhaps the moment was at hand. The people were again taking possession of right, and what a fine spectacle! The revolution was again majestically taking possession of France and saying to the world: "The sequel to-morrow!" Enjolras was content. The furnace was being heated. He had at that moment a powder train of friends scattered all over Paris. He composed, in his own mind, with Combeferre's philosophical and penetrating eloquence, Feuilly's cosmopolitan enthusiasm, Courfeyrac's dash, Bahorel's smile, Jean Prouvaire's melancholy, Joly's science, Bossuet's sarcasms, a sort of electric spark which took fire nearly everywhere at once. All hands to work. Surely, the result would answer to the effort. This was well. This made him think of Grantaire.

"Hold," said he to himself, "the Barriere du Maine will not take me far out of my way. What if I were to go on as far as Richefeu's? Let us have a look at what Grantaire is about, and see how he is getting on."

One o'clock was striking from the Vaugirard steeple when Enjolras reached the Richefeu smoking-room.

He pushed open the door, entered, folded his arms, letting the door fall to and strike his shoulders, and gazed at that room filled with tables, men, and smoke.

A voice broke forth from the mist of smoke, interrupted by another voice. It was Grantaire holding a dialogue with an adversary.

Grantaire was sitting opposite another figure, at a marble Saint-Anne table, strewn with grains of bran and dotted with dominos. He was hammering the table with his fist, and this is what Enjolras heard:—

"Double-six."

"Fours."

"The pig! I have no more."

"You are dead. A two."

"Six."

"Three."

"One."

"It's my move."

"Four points."

"Not much."

"It's your turn."

"I have made an enormous mistake."

"You are doing well."

"Fifteen."

"Seven more."

"That makes me twenty-two." [Thoughtfully, "Twenty-two!"]

"You weren't expecting that double-six. If I had placed it at the beginning, the whole play would have been changed."

"A two again."

"One."

"One! Well, five."

"I haven't any."

"It was your play, I believe?"

"Yes."

"Blank."

"What luck he has! Ah! You are lucky! [Long revery.] Two."

"One."

"Neither five nor one. That's bad for you."

"Domino."

"Plague take it!"


Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]