Volume 1/Book 8/Chapter 4

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Les Misérables, Volume 1: Fantine, Book eighth: A Counter-Blow, Chapter 4: Authority reasserts its rights
(Tome 1: Fantine, Livre huitième: Contre-coup, Chapitre 4: L'autorité reprend ses droits)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

La Fantine n'avait point vu Javert depuis le jour où M. le maire l'avait arrachée à cet homme. Son cerveau malade ne se rendit compte de rien, seulement elle ne douta pas qu'il ne revint la chercher. Elle ne put supporter cette figure affreuse, elle se sentit expirer, elle cacha son visage de ses deux mains et cria avec angoisse:

—Monsieur Madeleine, sauvez-moi!

Jean Valjean—nous ne le nommerons plus désormais autrement—s'était levé. Il dit à Fantine de sa voix la plus douce et la plus calme:

—Soyez tranquille. Ce n'est pas pour vous qu'il vient.

Puis il s'adressa à Javert et lui dit:

—Je sais ce que vous voulez.

Javert répondit:

—Allons, vite!

Il y eut dans l'inflexion qui accompagna ces deux mots je ne sais quoi de fauve et de frénétique. Javert ne dit pas: «Allons, vite!» il dit: «Allonouaite!» Aucune orthographe ne pourrait rendre l'accent dont cela fut prononcé; ce n'était plus une parole humaine, c'était un rugissement.

Il ne fit point comme d'habitude; il n'entra point en matière; il n'exhiba point de mandat d'amener. Pour lui, Jean Valjean était une sorte de combattant mystérieux et insaisissable, un lutteur ténébreux qu'il étreignait depuis cinq ans sans pouvoir le renverser. Cette arrestation n'était pas un commencement, mais une fin. Il se borna à dire: «Allons, vite!»

En parlant ainsi, il ne fit point un pas; il lança sur Jean Valjean ce regard qu'il jetait comme un crampon, et avec lequel il avait coutume de tirer violemment les misérables à lui.

C'était ce regard que la Fantine avait senti pénétrer jusque dans la moelle de ses os deux mois auparavant.

Au cri de Javert, Fantine avait rouvert les yeux. Mais M. le maire était là. Que pouvait-elle craindre?

Javert avança au milieu de la chambre et cria:

—Ah çà! viendras-tu?

La malheureuse regarda autour d'elle. Il n'y avait personne que la religieuse et monsieur le maire. À qui pouvait s'adresser ce tutoiement abject? elle seulement. Elle frissonna.

Alors elle vit une chose inouïe, tellement inouïe que jamais rien de pareil ne lui était apparu dans les plus noirs délires de la fièvre.

Elle vit le mouchard Javert saisir au collet monsieur le maire; elle vit monsieur le maire courber la tête. Il lui sembla que le monde s'évanouissait.

Javert, en effet, avait pris Jean Valjean au collet.

—Monsieur le maire! cria Fantine.

Javert éclata de rire, de cet affreux rire qui lui déchaussait toutes les dents.

—Il n'y a plus de monsieur le maire ici!

Jean Valjean n'essaya pas de déranger la main qui tenait le col de sa redingote. Il dit:

—Javert....

Javert l'interrompit:

—Appelle-moi monsieur l'inspecteur.

—Monsieur, reprit Jean Valjean, je voudrais vous dire un mot en particulier.

—Tout haut! parle tout haut! répondit Javert; on me parle tout haut à moi!

Jean Valjean continua en baissant la voix:

—C'est une prière que j'ai à vous faire....

—Je te dis de parler tout haut.

—Mais cela ne doit être entendu que de vous seul....

—Qu'est-ce que cela me fait? je n'écoute pas!

Jean Valjean se tourna vers lui et lui dit rapidement et très bas:

—Accordez-moi trois jours! trois jours pour aller chercher l'enfant de cette malheureuse femme! Je payerai ce qu'il faudra. Vous m'accompagnerez si vous voulez.

—Tu veux rire! cria Javert. Ah çà! je ne te croyais pas bête! Tu me demandes trois jours pour t'en aller! Tu dis que c'est pour aller chercher l'enfant de cette fille! Ah! ah! c'est bon! voilà qui est bon! Fantine eut un tremblement.

—Mon enfant! s'écria-t-elle, aller chercher mon enfant! Elle n'est donc pas ici! Ma sœur, répondez-moi, où est Cosette? Je veux mon enfant! Monsieur Madeleine! monsieur le maire!

Javert frappa du pied.

—Voilà l'autre, à présent! Te tairas-tu, drôlesse! Gredin de pays où les galériens sont magistrats et où les filles publiques sont soignées comme des comtesses! Ah mais! tout ça va changer; il était temps!

Il regarda fixement Fantine et ajouta en reprenant à poignée la cravate, la chemise et le collet de Jean Valjean:

—Je te dis qu'il n'y a point de monsieur Madeleine et qu'il n'y a point de monsieur le maire. Il y a un voleur, il y a un brigand, il y a un forçat appelé Jean Valjean! c'est lui que je tiens! voilà ce qu'il y a!

Fantine se dressa en sursaut, appuyée sur ses bras roides et sur ses deux mains, elle regarda Jean Valjean, elle regarda Javert, elle regarda la religieuse, elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d'elle comme quelqu'un qui se noie, puis elle s'affaissa subitement sur l'oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

Elle était morte.

Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l'ouvrit comme il eût ouvert la main d'un enfant, puis il dit à Javert:

—Vous avez tué cette femme.

—Finirons-nous! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes!

Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient. Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d'œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d'une voix qu'on entendait à peine:

—Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

Ce qui est certain, c'est que Javert tremblait.

Il eut l'idée d'aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s'évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s'adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.

Jean Valjean posa son coude sur la pomme du chevet du lit et son front sur sa main, et se mit à contempler Fantine immobile et étendue. Il demeura ainsi, absorbé, muet, et ne songeant évidemment plus à aucune chose de cette vie. Il n'y avait plus rien sur son visage et dans son attitude qu'une inexprimable pitié. Après quelques instants de cette rêverie, il se pencha vers Fantine et lui parla à voix basse.

Que lui dit-il? Que pouvait dire cet homme qui était réprouvé à cette femme qui était morte? Qu'était-ce que ces paroles? Personne sur la terre ne les a entendues. La morte les entendit-elle? Il y a des illusions touchantes qui sont peut-être des réalités sublimes. Ce qui est hors de doute, c'est que la sœur Simplice, unique témoin de la chose qui se passait, a souvent raconté qu'au moment où Jean Valjean parla à l'oreille de Fantine, elle vit distinctement poindre un ineffable sourire sur ces lèvres pâles et dans ces prunelles vagues, pleines de l'étonnement du tombeau.

Jean Valjean prit dans ses deux mains la tête de Fantine et l'arrangea sur l'oreiller comme une mère eût fait pour son enfant, il lui rattacha le cordon de sa chemise et rentra ses cheveux sous son bonnet. Cela fait, il lui ferma les yeux.

La face de Fantine en cet instant semblait étrangement éclairée.

La mort, c'est l'entrée dans la grande lueur.

La main de Fantine pendait hors du lit. Jean Valjean s'agenouilla devant cette main, la souleva doucement, et la baisa.

Puis il se redressa, et, se tournant vers Javert:

—Maintenant, dit-il, je suis à vous.

English text[edit]

Fantine had not seen Javert since the day on which the mayor had torn her from the man. Her ailing brain comprehended nothing, but the only thing which she did not doubt was that he had come to get her. She could not endure that terrible face; she felt her life quitting her; she hid her face in both hands, and shrieked in her anguish:—

"Monsieur Madeleine, save me!"

Jean Valjean—we shall henceforth not speak of him otherwise—had risen. He said to Fantine in the gentlest and calmest of voices:—

"Be at ease; it is not for you that he is come."

Then he addressed Javert, and said:—

"I know what you want."

Javert replied:—

"Be quick about it!"

There lay in the inflection of voice which accompanied these words something indescribably fierce and frenzied. Javert did not say, "Be quick about it!" he said "Bequiabouit."

No orthography can do justice to the accent with which it was uttered: it was no longer a human word: it was a roar.

He did not proceed according to his custom, he did not enter into the matter, he exhibited no warrant of arrest. In his eyes, Jean Valjean was a sort of mysterious combatant, who was not to be laid hands upon, a wrestler in the dark whom he had had in his grasp for the last five years, without being able to throw him. This arrest was not a beginning, but an end. He confined himself to saying, "Be quick about it!"

As he spoke thus, he did not advance a single step; he hurled at Jean Valjean a glance which he threw out like a grappling-hook, and with which he was accustomed to draw wretches violently to him.

It was this glance which Fantine had felt penetrating to the very marrow of her bones two months previously.

At Javert's exclamation, Fantine opened her eyes once more. But the mayor was there; what had she to fear?

Javert advanced to the middle of the room, and cried:—

"See here now! Art thou coming?"

The unhappy woman glanced about her. No one was present excepting the nun and the mayor. To whom could that abject use of "thou" be addressed? To her only. She shuddered.

Then she beheld a most unprecedented thing, a thing so unprecedented that nothing equal to it had appeared to her even in the blackest deliriums of fever.

She beheld Javert, the police spy, seize the mayor by the collar; she saw the mayor bow his head. It seemed to her that the world was coming to an end.

Javert had, in fact, grasped Jean Valjean by the collar.

"Monsieur le Maire!" shrieked Fantine.

Javert burst out laughing with that frightful laugh which displayed all his gums.

"There is no longer any Monsieur le Maire here!"

Jean Valjean made no attempt to disengage the hand which grasped the collar of his coat. He said:—

"Javert—"

Javert interrupted him: "Call me Mr. Inspector."

"Monsieur," said Jean Valjean, "I should like to say a word to you in private."

"Aloud! Say it aloud!" replied Javert; "people are in the habit of talking aloud to me."

Jean Valjean went on in a lower tone:—

"I have a request to make of you—"

"I tell you to speak loud."

"But you alone should hear it—"

"What difference does that make to me? I shall not listen."

Jean Valjean turned towards him and said very rapidly and in a very low voice:—

"Grant me three days' grace! three days in which to go and fetch the child of this unhappy woman. I will pay whatever is necessary. You shall accompany me if you choose."

"You are making sport of me!" cried Javert. "Come now, I did not think you such a fool! You ask me to give you three days in which to run away! You say that it is for the purpose of fetching that creature's child! Ah! Ah! That's good! That's really capital!"

Fantine was seized with a fit of trembling.

"My child!" she cried, "to go and fetch my child! She is not here, then! Answer me, sister; where is Cosette? I want my child! Monsieur Madeleine! Monsieur le Maire!"

Javert stamped his foot.

"And now there's the other one! Will you hold your tongue, you hussy? It's a pretty sort of a place where convicts are magistrates, and where women of the town are cared for like countesses! Ah! But we are going to change all that; it is high time!"

He stared intently at Fantine, and added, once more taking into his grasp Jean Valjean's cravat, shirt and collar:—

"I tell you that there is no Monsieur Madeleine and that there is no Monsieur le Maire. There is a thief, a brigand, a convict named Jean Valjean! And I have him in my grasp! That's what there is!"

Fantine raised herself in bed with a bound, supporting herself on her stiffened arms and on both hands: she gazed at Jean Valjean, she gazed at Javert, she gazed at the nun, she opened her mouth as though to speak; a rattle proceeded from the depths of her throat, her teeth chattered; she stretched out her arms in her agony, opening her hands convulsively, and fumbling about her like a drowning person; then suddenly fell back on her pillow.

Her head struck the head-board of the bed and fell forwards on her breast, with gaping mouth and staring, sightless eyes.

She was dead.

Jean Valjean laid his hand upon the detaining hand of Javert, and opened it as he would have opened the hand of a baby; then he said to Javert:—

"You have murdered that woman."

"Let's have an end of this!" shouted Javert, in a fury; "I am not here to listen to argument. Let us economize all that; the guard is below; march on instantly, or you'll get the thumb-screws!"

In the corner of the room stood an old iron bedstead, which was in a decidedly decrepit state, and which served the sisters as a camp-bed when they were watching with the sick. Jean Valjean stepped up to this bed, in a twinkling wrenched off the head-piece, which was already in a dilapidated condition, an easy matter to muscles like his, grasped the principal rod like a bludgeon, and glanced at Javert. Javert retreated towards the door. Jean Valjean, armed with his bar of iron, walked slowly up to Fantine's couch. When he arrived there he turned and said to Javert, in a voice that was barely audible:—

"I advise you not to disturb me at this moment."

One thing is certain, and that is, that Javert trembled.

It did occur to him to summon the guard, but Jean Valjean might avail himself of that moment to effect his escape; so he remained, grasped his cane by the small end, and leaned against the door-post, without removing his eyes from Jean Valjean.

Jean Valjean rested his elbow on the knob at the head of the bed, and his brow on his hand, and began to contemplate the motionless body of Fantine, which lay extended there. He remained thus, mute, absorbed, evidently with no further thought of anything connected with this life. Upon his face and in his attitude there was nothing but inexpressible pity. After a few moments of this meditation he bent towards Fantine, and spoke to her in a low voice.

What did he say to her? What could this man, who was reproved, say to that woman, who was dead? What words were those? No one on earth heard them. Did the dead woman hear them? There are some touching illusions which are, perhaps, sublime realities. The point as to which there exists no doubt is, that Sister Simplice, the sole witness of the incident, often said that at the moment that Jean Valjean whispèred in Fantine's ear, she distinctly beheld an ineffable smile dawn on those pale lips, and in those dim eyes, filled with the amazement of the tomb.

Jean Valjean took Fantine's head in both his hands, and arranged it on the pillow as a mother might have done for her child; then he tied the string of her chemise, and smoothed her hair back under her cap. That done, he closed her eyes.

Fantine's face seemed strangely illuminated at that moment.

Death, that signifies entrance into the great light.

Fantine's hand was hanging over the side of the bed. Jean Valjean knelt down before that hand, lifted it gently, and kissed it.

Then he rose, and turned to Javert.

"Now," said he, "I am at your disposal."

Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]