Volume 4/Book 7/Chapter 4

From Les Misérables Annotation Project
Jump to: navigation, search

Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Seventh: Slang;Chapter 4: The Two Duties: To Watch and to Hope
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre septième: L'argot, Chapitre 4: Les deux devoirs: veiller et espérer)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Cela étant, tout danger social est-il dissipé? non certes. Point de jacquerie. La société peut se rassurer de ce côté, le sang ne lui portera plus à la tête; mais qu'elle se préoccupe de la façon dont elle respire. L'apoplexie n'est plus à craindre, mais la phtisie est là. La phtisie sociale s'appelle misère.


On meurt miné aussi bien que foudroyé.


Ne nous lassons pas de le répéter, songer, avant tout aux foules déshéritées et douloureuses, les soulager, les aérer, les éclairer, les aimer, leur élargir magnifiquement l'horizon, leur prodiguer sous toutes les formes l'éducation, leur offrir l'exemple du labeur, jamais l'exemple de l'oisiveté, amoindrir le poids du fardeau individuel en accroissant la notion du but universel, limiter la pauvreté sans limiter la richesse, créer de vastes champs d'activité publique et populaire, avoir comme Briarée cent mains à tendre de toutes parts aux accablés et aux faibles, employer la puissance collective à ce grand devoir d'ouvrir des ateliers à tous les bras, des écoles à toutes les aptitudes et des laboratoires à toutes les intelligences, augmenter le salaire, diminuer la peine, balancer le doit et l'avoir, c'est-à-dire proportionner la jouissance à l'effort et l'assouvissement au besoin, en un mot, faire dégager à l'appareil social, au profit de ceux qui souffrent et de ceux qui ignorent, plus de clarté et plus de bien-être, c'est là, que les âmes sympathiques ne l'oublient pas, la première des obligations fraternelles, c'est, que les cœurs égoïstes le sachent, la première des nécessités politiques.


Et, disons-le, tout cela, ce n'est encore qu'un commencement. La vraie question, c'est celle-ci: le travail ne peut être une loi sans être un droit.


Nous n'insistons pas, ce n'est point ici le lieu.


Si la nature s'appelle providence, la société doit s'appeler prévoyance.


La croissance intellectuelle et morale n'est pas moins indispensable que l'amélioration matérielle. Savoir est un viatique; penser est de première nécessité; la vérité est nourriture comme le froment. Une raison, à jeun de science et de sagesse, maigrit. Plaignons, à l'égal des estomacs, les esprits qui ne mangent pas. S'il y a quelque chose de plus poignant qu'un corps agonisant faute de pain, c'est une âme qui meurt de la faim de la lumière.


Le progrès tout entier tend du côté de la solution. Un jour on sera stupéfait. Le genre humain montant, les couches profondes sortiront tout naturellement de la zone de détresse. L'effacement de la misère se fera par une simple élévation de niveau.


Cette solution bénie, on aurait tort d'en douter.


Le passé, il est vrai, est très fort à l'heure où nous sommes. Il reprend. Ce rajeunissement d'un cadavre est surprenant. Le voici qui marche et qui vient. Il semble vainqueur; ce mort est un conquérant. Il arrive avec sa légion, les superstitions, avec son épée, le despotisme, avec son drapeau, l'ignorance; depuis quelque temps il a gagné dix batailles. Il avance, il menace, il rit, il est à nos portes. Quant à nous, ne désespérons pas. Vendons le champ où campe Annibal.


Nous qui croyons, que pouvons-nous craindre?


Il n'y a pas plus de reculs d'idées que de reculs de fleuves.


Mais que ceux qui ne veulent pas de l'avenir y réfléchissent. En disant non au progrès, ce n'est point l'avenir qu'ils condamnent, c'est eux-mêmes. Ils se donnent une maladie sombre; ils s'inoculent le passé. Il n'y a qu'une manière de refuser Demain, c'est de mourir.


Or, aucune mort, celle du corps le plus tard possible, celle de l'âme jamais, c'est là ce que nous voulons.


Oui, l'énigme dira son mot, le sphinx parlera, le problème sera résolu. Oui, le Peuple, ébauché par le dix-huitième siècle, sera achevé par le dix-neuvième. Idiot qui en douterait! L'éclosion future, l'éclosion prochaine du bien-être universel, est un phénomène divinement fatal.


D'immenses poussées d'ensemble régissent les faits humains et les amènent tous dans un temps donné à l'état logique, c'est-à-dire à l'équilibre, c'est-à-dire à l'équité. Une force composée de terre et de ciel résulte de l'humanité et la gouverne; cette force-là est une faiseuse de miracles; les dénoûments merveilleux ne lui sont pas plus difficiles que les péripéties extraordinaires. Aidée de la science qui vient de l'homme et de l'événement qui vient d'un autre, elle s'épouvante peu de ces contradictions dans la pose des problèmes, qui semblent au vulgaire impossibilités. Elle n'est pas moins habile à faire jaillir une solution du rapprochement des idées qu'un enseignement du rapprochement des faits, et l'on peut s'attendre à tout de la part de cette mystérieuse puissance du progrès qui, un beau jour, confronte l'orient et l'occident au fond d'un sépulcre et fait dialoguer les imans avec Bonaparte dans l'intérieur de la grande pyramide.


En attendant, pas de halte, pas d'hésitation, pas de temps d'arrêt dans la grandiose marche en avant des esprits. La philosophie sociale est essentiellement la science de la paix. Elle a pour but et doit avoir pour résultat de dissoudre les colères par l'étude des antagonismes. Elle examine, elle scrute, elle analyse; puis elle recompose. Elle procède par voie de réduction, retranchant de tout la haine.


Qu'une société s'abîme au vent qui se déchaîne sur les hommes, cela s'est vu plus d'une fois; l'histoire est pleine de naufrages de peuples et d'empires; mœurs, lois, religions, un beau jour cet inconnu, l'ouragan, passe et emporte tout cela. Les civilisations de l'Inde, de la Chaldée, de la Perse, de l'Assyrie, de l'Égypte, ont disparu l'une après l'autre. Pourquoi? nous l'ignorons. Quelles sont les causes de ces désastres? nous ne le savons pas. Ces sociétés auraient-elles pu être sauvées? y a-t-il de leur faute? se sont-elles obstinées dans quelque vice fatal qui les a perdues? quelle quantité de suicide y a-t-il dans ces morts terribles d'une nation et d'une race? Questions sans réponse. L'ombre couvre ces civilisations condamnées. Elles faisaient eau puisqu'elles s'engloutissent; nous n'avons rien de plus à dire; et c'est avec une sorte d'effarement que nous regardons, au fond de cette mer qu'on appelle le passé, derrière ces vagues colossales, les siècles, sombrer ces immenses navires, Babylone, Ninive, Tarse, Thèbes, Rome, sous le souffle effrayant qui sort de toutes les bouches des ténèbres. Mais ténèbres là, clarté ici. Nous ignorons les maladies des civilisations antiques, nous connaissons les infirmités de la nôtre. Nous avons partout sur elle le droit de lumière; nous contemplons ses beautés et nous mettons à nu ses difformités. Là où est le mal, nous sondons; et, une fois la souffrance constatée, l'étude de la cause mène à la découverte du remède. Notre civilisation, œuvre de vingt siècles, en est à la fois le monstre et le prodige; elle vaut la peine d'être sauvée. Elle le sera. La soulager, c'est déjà beaucoup; l'éclairer, c'est encore quelque chose. Tous les travaux de la philosophie sociale moderne doivent converger vers ce but. Le penseur aujourd'hui a un grand devoir, ausculter la civilisation.


Nous le répétons, cette auscultation encourage; et c'est par cette insistance dans l'encouragement que nous voulons finir ces quelques pages, entr'acte austère d'un drame douloureux. Sous la mortalité sociale on sent l'impérissabilité humaine. Pour avoir çà et là ces plaies, les cratères, et ces dartres, les solfatares, pour un volcan qui aboutit et qui jette son pus, le globe ne meurt pas. Des maladies de peuple ne tuent pas l'homme.


Et néanmoins, quiconque suit la clinique sociale hoche la tête par instants. Les plus forts, les plus tendres, les plus logiques ont leurs heures de défaillance.


L'avenir arrivera-t-il? il semble qu'on peut presque se faire cette question quand on voit tant d'ombre terrible. Sombre face-à-face des égoïstes et des misérables. Chez les égoïstes, les préjugés, les ténèbres de l'éducation riche, l'appétit croissant par l'enivrement, un étourdissement de prospérité qui assourdit, la crainte de souffrir qui, dans quelques-uns, va jusqu'à l'aversion des souffrants, une satisfaction implacable, le moi si enflé qu'il ferme l'âme; chez les misérables, la convoitise, l'envie, la haine de voir les autres jouir, les profondes secousses de la bête humaine vers les assouvissements, les cœurs pleins de brume, la tristesse, le besoin, la fatalité, l'ignorance impure et simple.


Faut-il continuer de lever les yeux vers le ciel? le point lumineux qu'on y distingue est-il de ceux qui s'éteignent? L'idéal est effrayant à voir, ainsi perdu dans les profondeurs, petit, isolé, imperceptible, brillant, mais entouré de toutes ces grandes menaces noires monstrueusement amoncelées autour de lui; pourtant pas plus en danger qu'une étoile dans les gueules des nuages.


English text[edit]

This being the case, is all social danger dispelled? Certainly not. There is no Jacquerie; society may rest assured on that point; blood will no longer rush to its head. But let society take heed to the manner in which it breathes. Apoplexy is no longer to be feared, but phthisis is there. Social phthisis is called misery.


One can perish from being undermined as well as from being struck by lightning.


Let us not weary of repeating, and sympathetic souls must not forget that this is the first of fraternal obligations, and selfish hearts must understand that the first of political necessities consists in thinking first of all of the disinherited and sorrowing throngs, in solacing, airing, enlightening, loving them, in enlarging their horizon to a magnificent extent, in lavishing upon them education in every form, in offering them the example of labor, never the example of idleness, in diminishing the individual burden by enlarging the notion of the universal aim, in setting a limit to poverty without setting a limit to wealth, in creating vast fields of public and popular activity, in having, like Briareus, a hundred hands to extend in all directions to the oppressed and the feeble, in employing the collective power for that grand duty of opening workshops for all arms, schools for all aptitudes, and laboratories for all degrees of intelligence, in augmenting salaries, diminishing trouble, balancing what should be and what is, that is to say, in proportioning enjoyment to effort and a glut to need; in a word, in evolving from the social apparatus more light and more comfort for the benefit of those who suffer and those who are ignorant.


And, let us say it, all this is but the beginning. The true question is this: labor cannot be a law without being a right.


We will not insist upon this point; this is not the proper place for that.


If nature calls itself Providence, society should call itself foresight.


Intellectual and moral growth is no less indispensable than material improvement. To know is a sacrament, to think is the prime necessity, truth is nourishment as well as grain. A reason which fasts from science and wisdom grows thin. Let us enter equal complaint against stomachs and minds which do not eat. If there is anything more heart-breaking than a body perishing for lack of bread, it is a soul which is dying from hunger for the light.


The whole of progress tends in the direction of solution. Some day we shall be amazed. As the human race mounts upward, the deep layers emerge naturally from the zone of distress. The obliteration of misery will be accomplished by a simple elevation of level.


We should do wrong were we to doubt this blessed consummation.


The past is very strong, it is true, at the present moment. It censures. This rejuvenation of a corpse is surprising. Behold, it is walking and advancing. It seems a victor; this dead body is a conqueror. He arrives with his legions, superstitions, with his sword, despotism, with his banner, ignorance; a while ago, he won ten battles. He advances, he threatens, he laughs, he is at our doors. Let us not despair, on our side. Let us sell the field on which Hannibal is encamped.


What have we to fear, we who believe?


No such thing as a back-flow of ideas exists any more than there exists a return of a river on its course.


But let those who do not desire a future reflect on this matter. When they say "no" to progress, it is not the future but themselves that they are condemning. They are giving themselves a sad malady; they are inoculating themselves with the past. There is but one way of rejecting To-morrow, and that is to die.


Now, no death, that of the body as late as possible, that of the soul never,—this is what we desire.


Yes, the enigma will utter its word, the sphinx will speak, the problem will be solved.


Yes, the people, sketched out by the eighteenth century, will be finished by the nineteenth. He who doubts this is an idiot! The future blossoming, the near blossoming forth of universal well-being, is a divinely fatal phenomenon.


Immense combined propulsions direct human affairs and conduct them within a given time to a logical state, that is to say, to a state of equilibrium; that is to say, to equity. A force composed of earth and heaven results from humanity and governs it; this force is a worker of miracles; marvellous issues are no more difficult to it than extraordinary vicissitudes. Aided by science, which comes from one man, and by the event, which comes from another, it is not greatly alarmed by these contradictions in the attitude of problems, which seem impossibilities to the vulgar herd. It is no less skilful at causing a solution to spring forth from the reconciliation of ideas, than a lesson from the reconciliation of facts, and we may expect anything from that mysterious power of progress, which brought the Orient and the Occident face to face one fine day, in the depths of a sepulchre, and made the imaums converse with Bonaparte in the interior of the Great Pyramid.


In the meantime, let there be no halt, no hesitation, no pause in the grandiose onward march of minds. Social philosophy consists essentially in science and peace. Its object is, and its result must be, to dissolve wrath by the study of antagonisms. It examines, it scrutinizes, it analyzes; then it puts together once more, it proceeds by means of reduction, discarding all hatred.


More than once, a society has been seen to give way before the wind which is let loose upon mankind; history is full of the shipwrecks of nations and empires; manners, customs, laws, religions,—and some fine day that unknown force, the hurricane, passes by and bears them all away. The civilizations of India, of Chaldea, of Persia, of Syria, of Egypt, have disappeared one after the other. Why? We know not. What are the causes of these disasters? We do not know. Could these societies have been saved? Was it their fault? Did they persist in the fatal vice which destroyed them? What is the amount of suicide in these terrible deaths of a nation and a race? Questions to which there exists no reply. Darkness enwraps condemned civilizations. They sprung a leak, then they sank. We have nothing more to say; and it is with a sort of terror that we look on, at the bottom of that sea which is called the past, behind those colossal waves, at the shipwreck of those immense vessels, Babylon, Nineveh, Tarsus, Thebes, Rome, beneath the fearful gusts which emerge from all the mouths of the shadows. But shadows are there, and light is here. We are not acquainted with the maladies of these ancient civilizations, we do not know the infirmities of our own. Everywhere upon it we have the right of light, we contemplate its beauties, we lay bare its defects. Where it is ill, we probe; and the sickness once diagnosed, the study of the cause leads to the discovery of the remedy. Our civilization, the work of twenty centuries, is its law and its prodigy; it is worth the trouble of saving. It will be saved. It is already much to have solaced it; its enlightenment is yet another point. All the labors of modern social philosophies must converge towards this point. The thinker of to-day has a great duty—to auscultate civilization.


We repeat, that this auscultation brings encouragement; it is by this persistence in encouragement that we wish to conclude these pages, an austere interlude in a mournful drama. Beneath the social mortality, we feel human imperishableness. The globe does not perish, because it has these wounds, craters, eruptions, sulphur pits, here and there, nor because of a volcano which ejects its pus. The maladies of the people do not kill man.


And yet, any one who follows the course of social clinics shakes his head at times. The strongest, the tenderest, the most logical have their hours of weakness.


Will the future arrive? It seems as though we might almost put this question, when we behold so much terrible darkness. Melancholy face-to-face encounter of selfish and wretched. On the part of the selfish, the prejudices, shadows of costly education, appetite increasing through intoxication, a giddiness of prosperity which dulls, a fear of suffering which, in some, goes as far as an aversion for the suffering, an implacable satisfaction, the I so swollen that it bars the soul; on the side of the wretched covetousness, envy, hatred of seeing others enjoy, the profound impulses of the human beast towards assuaging its desires, hearts full of mist, sadness, need, fatality, impure and simple ignorance.


Shall we continue to raise our eyes to heaven? is the luminous point which we distinguish there one of those which vanish? The ideal is frightful to behold, thus lost in the depths, small, isolated, imperceptible, brilliant, but surrounded by those great, black menaces, monstrously heaped around it; yet no more in danger than a star in the maw of the clouds.


Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]