Volume 5/Book 5/Chapter 3

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Les Misérables, Volume 5: Jean Valjean, Book Fifth: The Grandson and the Grandfather, Chapter 3: Marius Attacked
(Tome 5: Jean Valjean, Livre cinquième: Le petit-fils et le grand-père. Chapitre 3: Marius attaque)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Un jour, M. Gillenormand, tandis que sa fille mettait en ordre les fioles et les tasses sur le marbre de la commode, était penché sur Marius, et lui disait de son accent le plus tendre:

—Vois-tu, mon petit Marius, à ta place je mangerais maintenant plutôt de la viande que du poisson. Une sole frite, cela est excellent pour commencer une convalescence, mais, pour mettre le malade debout, il faut une bonne côtelette.

Marius, dont presque toutes les forces étaient revenues, les rassembla, se dressa sur son séant, appuya ses deux poings crispés sur les draps de son lit, regarda son grand-père en face, prit un air terrible et dit:

—Ceci m'amène à vous dire une chose.

—Laquelle?

—C'est que je veux me marier.

—Prévu, dit le grand-père. Et il éclata de rire.

—Comment, prévu?

—Oui, prévu. Tu l'auras, ta fillette.

Marius, stupéfait et accablé par l'éblouissement, trembla de tous ses membres.

M. Gillenormand continua:

—Oui, tu l'auras, ta belle jolie petite fille. Elle vient tous les jours sous la forme d'un vieux monsieur savoir de tes nouvelles. Depuis que tu es blessé, elle passe son temps à pleurer et à faire de la charpie. Je me suis informé. Elle demeure rue de l'Homme-Armé, numéro sept. Ah, nous y voilà! Ah! tu la veux. Eh bien, tu l'auras. Ça t'attrape. Tu avais fait ton petit complot, tu t'étais dit:—Je vais lui signifier cela carrément à ce grand-père, à cette momie de la régence et du directoire, à cet ancien beau, à ce Dorante devenu Géronte; il a eu ses légèretés aussi, lui, et ses amourettes, et ses grisettes, et ses Cosettes; il a fait son frou-frou, il a eu ses ailes, il a mangé du pain du printemps; il faudra bien qu'il s'en souvienne. Nous allons voir. Bataille. Ah! Tu prends le hanneton par les cornes. C'est bon. Je t'offre une côtelette, et tu me réponds: À propos, je veux me marier. C'est ça qui est une transition! Ah! tu avais compté sur de la bisbille. Tu ne savais pas que j'étais un vieux lâche. Qu'est-ce que tu dis de ça? Tu bisques. Trouver ton grand-père encore plus bête que toi, tu ne t'y attendais pas, tu perds le discours que tu devais me faire, monsieur l'avocat, c'est taquinant. Eh bien, tant pis, rage. Je fais ce que tu veux, ça te la coupe, imbécile! Écoute. J'ai pris des renseignements, moi aussi je suis sournois; elle est charmante, elle est sage, le lancier n'est pas vrai, elle a fait des tas de charpie, c'est un bijou; elle t'adore. Si tu étais mort, nous aurions été trois; sa bière aurait accompagné la mienne. J'avais bien eu l'idée, dès que tu as été mieux, de te la camper tout bonnement à ton chevet, mais il n'y a que dans les romans qu'on introduit tout de go les jeunes filles près du lit des jolis blessés qui les intéressent. Ça ne se fait pas. Qu'aurait dit ta tante? Tu étais tout nu les trois quarts du temps, mon bonhomme. Demande à Nicolette, qui ne t'a pas quitté une minute, s'il y avait moyen qu'une femme fût là. Et puis qu'aurait dit le médecin? Ça ne guérit pas la fièvre, une jolie fille. Enfin, c'est bon, n'en parlons plus, c'est dit, c'est fait, c'est bâclé, prends-la. Telle est ma férocité. Vois-tu, j'ai vu que tu ne m'aimais pas, j'ai dit: Qu'est-ce que je pourrais donc faire pour que cet animal-là m'aime? J'ai dit: Tiens, j'ai ma petite Cosette sous la main, je vais la lui donner, il faudra bien qu'il m'aime alors un peu, ou qu'il dise pourquoi. Ah! tu croyais que le vieux allait tempêter, faire la grosse voix, crier non, et lever la canne sur toute cette aurore. Pas du tout. Cosette, soit. Amour, soit. Je ne demande pas mieux. Monsieur, prenez la peine de vous marier. Sois heureux, mon enfant bien-aimé.

Cela dit, le vieillard éclata en sanglots.

Et il prit la tête de Marius, et il la serra dans ses deux bras contre sa vieille poitrine, et tous deux se mirent à pleurer. C'est là une des formes du bonheur suprême.

—Mon père! s'écria Marius.

—Ah! tu m'aimes donc? dit le vieillard.

Il y eut un moment ineffable. Ils étouffaient et ne pouvaient parler.

Enfin le vieillard bégaya:

—Allons! le voilà débouché. Il m'a dit: Mon père.

Marius dégagea sa tête des bras de l'aïeul, et dit doucement:

—Mais, mon père, à présent que je me porte bien, il me semble que je pourrais la voir.

—Prévu encore, tu la verras demain.

—Mon père!

—Quoi?

—Pourquoi pas aujourd'hui?

—Eh bien, aujourd'hui. Va pour aujourd'hui. Tu m'as dit trois fois «mon père», ça vaut bien ça. Je vais m'en occuper. On te l'amènera. Prévu, te dis-je. Ceci a déjà été mis en vers. C'est le dénouement de l'élégie du Jeune malade d'André Chénier, d'André Chénier qui a été égorgé par les scélér...—par les géants de 93.

M. Gillenormand crut apercevoir un léger froncement du sourcil de Marius, qui, en vérité, nous devons le dire, ne l'écoutait plus, envolé qu'il était dans l'extase, et pensant beaucoup plus à Cosette qu'à 1793. Le grand-père, tremblant d'avoir introduit si mal à propos André Chénier, reprit précipitamment:

—Égorgé n'est pas le mot. Le fait est que les grands génies révolutionnaires, qui n'étaient pas méchants, cela est incontestable, qui étaient des héros, pardi! trouvaient qu'André Chénier les gênait un peu, et qu'ils l'ont fait guillot....—C'est-à-dire que ces grands hommes, le sept thermidor, dans l'intérêt du salut public, ont prié André Chénier de vouloir bien aller....

M. Gillenormand, pris à la gorge par sa propre phrase, ne put continuer; ne pouvant ni la terminer, ni la rétracter, pendant que sa fille arrangeait derrière Marius l'oreiller, bouleversé de tant d'émotions, le vieillard se jeta, avec autant de vitesse que son âge le lui permit, hors de la chambre à coucher, en repoussa la porte derrière lui, et, pourpre, étranglant, écumant, les yeux hors de la tête, se trouva nez à nez avec l'honnête Basque qui cirait les bottes dans l'antichambre. Il saisit Basque au collet et lui cria en plein visage avec fureur:—Par les cent mille Javottes du diable, ces brigands l'ont assassiné!

—Qui, monsieur?

—André Chénier!

—Oui, monsieur, dit Basque épouvanté.

English text[edit]

One day, M. Gillenormand, while his daughter was putting in order the phials and cups on the marble of the commode, bent over Marius and said to him in his tenderest accents: “Look here, my little Marius, if I were in your place, I would eat meat now in preference to fish. A fried sole is excellent to begin a convalescence with, but a good cutlet is needed to put a sick man on his feet.”

Marius, who had almost entirely recovered his strength, collected the whole of it, drew himself up into a sitting posture, laid his two clenched fists on the sheets of his bed, looked his grandfather in the face, assumed a terrible air, and said:

“This leads me to say something to you.”

“What is it?”

“That I wish to marry.”

“Agreed,” said his grandfather.—And he burst out laughing.

“How agreed?”

“Yes, agreed. You shall have your little girl.”

Marius, stunned and overwhelmed with the dazzling shock, trembled in every limb.

M. Gillenormand went on:

“Yes, you shall have her, that pretty little girl of yours. She comes every day in the shape of an old gentleman to inquire after you. Ever since you were wounded, she has passed her time in weeping and making lint. I have made inquiries. She lives in the Rue de l’Homme Armé, No. 7. Ah! There we have it! Ah! so you want her! Well, you shall have her. You’re caught. You had arranged your little plot, you had said to yourself:—‘I’m going to signify this squarely to my grandfather, to that mummy of the Regency and of the Directory, to that ancient beau, to that Dorante turned Géronte; he has indulged in his frivolities also, that he has, and he has had his love affairs, and his grisettes and his Cosettes; he has made his rustle, he has had his wings, he has eaten of the bread of spring; he certainly must remember it.’ Ah! you take the cockchafer by the horns. That’s good. I offer you a cutlet and you answer me: ‘By the way, I want to marry.’ There’s a transition for you! Ah! you reckoned on a bickering! You do not know that I am an old coward. What do you say to that? You are vexed? You did not expect to find your grandfather still more foolish than yourself, you are wasting the discourse which you meant to bestow upon me, Mr. Lawyer, and that’s vexatious. Well, so much the worse, rage away. I’ll do whatever you wish, and that cuts you short, imbecile! Listen. I have made my inquiries, I’m cunning too; she is charming, she is discreet, it is not true about the lancer, she has made heaps of lint, she’s a jewel, she adores you, if you had died, there would have been three of us, her coffin would have accompanied mine. I have had an idea, ever since you have been better, of simply planting her at your bedside, but it is only in romances that young girls are brought to the bedsides of handsome young wounded men who interest them. It is not done. What would your aunt have said to it? You were nude three quarters of the time, my good fellow. Ask Nicolette, who has not left you for a moment, if there was any possibility of having a woman here. And then, what would the doctor have said? A pretty girl does not cure a man of fever. In short, it’s all right, let us say no more about it, all’s said, all’s done, it’s all settled, take her. Such is my ferocity. You see, I perceived that you did not love me. I said to myself: ‘Here now, I have my little Cosette right under my hand, I’m going to give her to him, he will be obliged to love me a little then, or he must tell the reason why.’ Ah! so you thought that the old man was going to storm, to put on a big voice, to shout no, and to lift his cane at all that aurora. Not a bit of it. Cosette, so be it; love, so be it; I ask nothing better. Pray take the trouble of getting married, sir. Be happy, my well-beloved child.”

That said, the old man burst forth into sobs.

And he seized Marius’ head, and pressed it with both arms against his breast, and both fell to weeping. This is one of the forms of supreme happiness.

“Father!” cried Marius.

“Ah, so you love me!” said the old man.

An ineffable moment ensued. They were choking and could not speak.

At length the old man stammered:

“Come! his mouth is unstopped at last. He has said: ‘Father’ to me.”

Marius disengaged his head from his grandfather’s arms, and said gently:

“But, father, now that I am quite well, it seems to me that I might see her.”

“Agreed again, you shall see her to-morrow.”

“Father!”

“What?”

“Why not to-day?”

“Well, to-day then. Let it be to-day. You have called me ‘father’ three times, and it is worth it. I will attend to it. She shall be brought hither. Agreed, I tell you. It has already been put into verse. This is the ending of the elegy of the ‘Jeune Malade’ by André Chénier, by André Chénier whose throat was cut by the ras . . . by the giants of ’93.”

M. Gillenormand fancied that he detected a faint frown on the part of Marius, who, in truth, as we must admit, was no longer listening to him, and who was thinking far more of Cosette than of 1793.

The grandfather, trembling at having so inopportunely introduced André Chénier, resumed precipitately:

“Cut his throat is not the word. The fact is that the great revolutionary geniuses, who were not malicious, that is incontestable, who were heroes, pardi! found that André Chénier embarrassed them somewhat, and they had him guillot . . . that is to say, those great men on the 7th of Thermidor, besought André Chénier, in the interests of public safety, to be so good as to go....”

M. Gillenormand, clutched by the throat by his own phrase, could not proceed. Being able neither to finish it nor to retract it, while his daughter arranged the pillow behind Marius, who was overwhelmed with so many emotions, the old man rushed headlong, with as much rapidity as his age permitted, from the bed-chamber, shut the door behind him, and, purple, choking and foaming at the mouth, his eyes starting from his head, he found himself nose to nose with honest Basque, who was blacking boots in the anteroom. He seized Basque by the collar, and shouted full in his face in fury:—“By the hundred thousand Javottes of the devil, those ruffians did assassinate him!”

“Who, sir?”

“André Chénier!”

“Yes, sir,” said Basque in alarm.

Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]