Volume 1/Book 7/Chapter 5

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Les Misérables, Volume 1: Fantine, Book seventh: The Champmathieu Affair, Chapter 5: Hindrances
(Tome 1: Fantine, Livre septième: L'affaire Champmathieu, Chapitre 5: Bâtons dans les roues)

General notes on this chapter

French text

Le service des postes d'Arras à Montreuil-sur-mer se faisait encore à cette époque par de petites malles du temps de l'empire. Ces malles étaient des cabriolets à deux roues, tapissés de cuir fauve au dedans, suspendus sur des ressorts à pompe, et n'ayant que deux places, l'une pour le courrier, l'autre pour le voyageur. Les roues étaient armées de ces longs moyeux offensifs qui tiennent les autres voitures à distance et qu'on voit encore sur les routes d'Allemagne. Le coffre aux dépêches, immense boîte oblongue, était placé derrière le cabriolet et faisait corps avec lui. Ce coffre était peint en noir et le cabriolet en jaune.

Ces voitures, auxquelles rien ne ressemble aujourd'hui, avaient je ne sais quoi de difforme et de bossu, et, quand on les voyait passer de loin et ramper dans quelque route à l'horizon, elles ressemblaient à ces insectes qu'on appelle, je crois, termites, et qui, avec un petit corsage, traînent un gros arrière-train. Elles allaient, du reste, fort vite. La malle partie d'Arras toutes les nuits à une heure, après le passage du courrier de Paris, arrivait à Montreuil-sur-mer un peu avant cinq heures du matin.

Cette nuit-là, la malle qui descendait à Montreuil-sur-mer par la route de Hesdin accrocha, au tournant d'une rue, au moment où elle entrait dans la ville, un petit tilbury attelé d'un cheval blanc, qui venait en sens inverse et dans lequel il n'y avait qu'une personne, un homme enveloppé d'un manteau. La roue du tilbury reçut un choc assez rude. Le courrier cria à cet homme d'arrêter, mais le voyageur n'écouta pas, et continua sa route au grand trot.

—Voilà un homme diablement pressé! dit le courrier.

L'homme qui se hâtait ainsi, c'est celui que nous venons de voir se débattre dans des convulsions dignes à coup sûr de pitié.

Où allait-il? Il n'eût pu le dire. Pourquoi se hâtait-il? Il ne savait. Il allait au hasard devant lui. Où? À Arras sans doute; mais il allait peut-être ailleurs aussi. Par moments il le sentait, et il tressaillait.

Il s'enfonçait dans cette nuit comme dans un gouffre. Quelque chose le poussait, quelque chose l'attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n'est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l'inconnu?

Du reste il n'avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n'avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment. Pourquoi allait-il à Arras?

Il se répétait ce qu'il s'était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire,—que, quel que dût être le résultat, il n'y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même;—que cela même était prudent, qu'il fallait savoir ce qui se passerait; qu'on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté;—que de loin on se faisait des montagnes de tout; qu'au bout du compte, lorsqu'il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place;—qu'à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l'avaient connu; mais qu'à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas;—bah! quelle idée!—que Javert en était à cent lieues;—que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n'est entêté comme les suppositions et les conjectures;—qu'il n'y avait donc aucun danger. Que sans doute c'était un moment noir, mais qu'il en sortirait;—qu'après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu'elle voulût être, dans sa main;—qu'il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.

Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

Cependant il y allait.

Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l'heure.

À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

Au point du jour il était en rase campagne; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l'horizon blanchir; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d'une aube d'hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d'arbres et de collines ajoutaient à l'état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

Chaque fois qu'il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait: il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment!

Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste. Il était grand jour lorsqu'il arriva à Hesdin. Il s'arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l'avoine.

Ce cheval était, comme l'avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre et pas assez d'encolure, mais qui a le poitrail ouvert, la croupe large, la jambe sèche et fine et le pied solide; race laide, mais robuste et saine. L'excellente bête avait fait cinq lieues en deux heures et n'avait pas une goutte de sueur sur la croupe.

Il n'était pas descendu du tilbury. Le garçon d'écurie qui apportait l'avoine se baissa tout à coup et examina la roue de gauche.

—Allez-vous loin comme cela? dit cet homme.

Il répondit, presque sans sortir de sa rêverie:

—Pourquoi?

—Venez-vous de loin? reprit le garçon.

—De cinq lieues d'ici.

—Ah!

—Pourquoi dites-vous: ah?

Le garçon se pencha de nouveau, resta un moment silencieux, l'œil fixé sur la roue, puis se redressa en disant:

—C'est que voilà une roue qui vient de faire cinq lieues, c'est possible, mais qui à coup sûr ne fera pas maintenant un quart de lieue.

Il sauta à bas du tilbury.

—Que dites-vous là, mon ami?

—Je dis que c'est un miracle que vous ayez fait cinq lieues sans rouler, vous et votre cheval, dans quelque fossé de la grande route. Regardez plutôt.

La roue en effet était gravement endommagée. Le choc de la malle-poste avait fendu deux rayons et labouré le moyeu dont l'écrou ne tenait plus.

—Mon ami, dit-il au garçon d'écurie, il y a un charron ici?

—Sans doute, monsieur.

—Rendez-moi le service de l'aller chercher.

—Il est là, à deux pas. Hé! maître Bourgaillard!

Maître Bourgaillard, le charron, était sur le seuil de sa porte. Il vint examiner la roue et fit la grimace d'un chirurgien qui considère une jambe cassée.

—Pouvez-vous raccommoder cette roue sur-le-champ?

—Oui, monsieur.

—Quand pourrai-je repartir?

—Demain.

—Demain!

—Il y a une grande journée d'ouvrage. Est-ce que monsieur est pressé?

—Très pressé. Il faut que je reparte dans une heure au plus tard.

—Impossible, monsieur.

—Je payerai tout ce qu'on voudra.

—Impossible.

—Eh bien! dans deux heures.

—Impossible pour aujourd'hui. Il faut refaire deux rais et un moyeu. Monsieur ne pourra repartir avant demain.

—L'affaire que j'ai ne peut attendre à demain. Si, au lieu de raccommoder cette roue, on la remplaçait?

—Comment cela?

—Vous êtes charron?

—Sans doute, monsieur.

—Est-ce que vous n'auriez pas une roue à me vendre? Je pourrais repartir tout de suite.

—Une roue de rechange?

—Oui.

—Je n'ai pas une roue toute faite pour votre cabriolet. Deux roues font la paire. Deux roues ne vont pas ensemble au hasard.

—En ce cas, vendez-moi une paire de roues.

—Monsieur, toutes les roues ne vont pas à tous les essieux.

—Essayez toujours.

—C'est inutile, monsieur. Je n'ai à vendre que des roues de charrette. Nous sommes un petit pays ici.

—Auriez-vous un cabriolet à me louer?

Le maître charron, du premier coup d'œil, avait reconnu que le tilbury était une voiture de louage. Il haussa les épaules.

—Vous les arrangez bien, les cabriolets qu'on vous loue! j'en aurais un que je ne vous le louerais pas.

—Eh bien, à me vendre?

—Je n'en ai pas.

—Quoi! pas une carriole? Je ne suis pas difficile, comme vous voyez.

—Nous sommes un petit pays. J'ai bien là sous la remise, ajouta le charron, une vieille calèche qui est à un bourgeois de la ville qui me l'a donnée en garde et qui s'en sert tous les trente-six du mois. Je vous la louerais bien, qu'est-ce que cela me fait? mais il ne faudrait pas que le bourgeois la vît passer; et puis, c'est une calèche, il faudrait deux chevaux.

—Je prendrai des chevaux de poste.

—Où va monsieur?

—À Arras.

—Et monsieur veut arriver aujourd'hui?

—Mais oui.

—En prenant des chevaux de poste?

—Pourquoi pas?

—Est-il égal à monsieur d'arriver cette nuit à quatre heures du matin?

—Non certes.

—C'est que, voyez-vous bien, il y a une chose à dire, en prenant des chevaux de poste....

—Monsieur a son passeport?

—Oui.

—Eh bien, en prenant des chevaux de poste, monsieur n'arrivera pas à Arras avant demain. Nous sommes un chemin de traverse. Les relais sont mal servis, les chevaux sont aux champs. C'est la saison des grandes charrues qui commence, il faut de forts attelages, et l'on prend les chevaux partout, à la poste comme ailleurs. Monsieur attendra au moins trois ou quatre heures à chaque relais. Et puis on va au pas. Il y a beaucoup de côtes à monter.

—Allons, j'irai à cheval. Dételez le cabriolet. On me vendra bien une selle dans le pays.

—Sans doute. Mais ce cheval-ci endure-t-il la selle?

—C'est vrai, vous m'y faites penser. Il ne l'endure pas.

—Alors....

—Mais je trouverai bien dans le village un cheval à louer?

—Un cheval pour aller à Arras d'une traite!

—Oui.

—Il faudrait un cheval comme on n'en a pas dans nos endroits. Il faudrait l'acheter d'abord, car on ne vous connaît pas. Mais ni à vendre ni à louer, ni pour cinq cents francs, ni pour mille, vous ne le trouveriez pas!

—Comment faire?

—Le mieux, là, en honnête homme, c'est que je raccommode la roue et que vous remettiez votre voyage à demain.

—Demain il sera trop tard.

—Dame!

—N'y a-t-il pas la malle-poste qui va à Arras? Quand passe-t-elle?

—La nuit prochaine. Les deux malles font le service la nuit, celle qui monte comme celle qui descend.

—Comment! il vous faut une journée pour raccommoder cette roue?

—Une journée, et une bonne!

—En mettant deux ouvriers?

—En en mettant dix!

—Si on liait les rayons avec des cordes?

—Les rayons, oui; le moyeu, non. Et puis la jante aussi est en mauvais état.

—Y a-t-il un loueur de voitures dans la ville?

—Non.

—Y a-t-il un autre charron?

Le garçon d'écurie et le maître charron répondirent en même temps en hochant la tête.

—Non.

Il sentit une immense joie.

Il était évident que la providence s'en mêlait. C'était elle qui avait brisé la roue du tilbury et qui l'arrêtait en route. Il ne s'était pas rendu à cette espèce de première sommation; il venait de faire tous les efforts possibles pour continuer son voyage; il avait loyalement et scrupuleusement épuisé tous les moyens; il n'avait reculé ni devant la saison, ni devant la fatigue, ni devant la dépense; il n'avait rien à se reprocher. S'il n'allait pas plus loin, cela ne le regardait plus. Ce n'était plus sa faute, c'était, non le fait de sa conscience, mais le fait de la providence.

Il respira. Il respira librement et à pleine poitrine pour la première fois depuis la visite de Javert. Il lui semblait que le poignet de fer qui lui serrait le cœur depuis vingt heures venait de le lâcher.

Il lui paraissait que maintenant Dieu était pour lui, et se déclarait.

Il se dit qu'il avait fait tout ce qu'il pouvait, et qu'à présent il n'avait qu'à revenir sur ses pas, tranquillement.

Si sa conversation avec le charron eût eu lieu dans une chambre de l'auberge, elle n'eût point eu de témoins, personne ne l'eût entendue, les choses en fussent restées là, et il est probable que nous n'aurions eu à raconter aucun des événements qu'on va lire; mais cette conversation s'était faite dans la rue. Tout colloque dans la rue produit inévitablement un cercle. Il y a toujours des gens qui ne demandent qu'à être spectateurs. Pendant qu'il questionnait le charron, quelques allants et venants s'étaient arrêtés autour d'eux. Après avoir écouté pendant quelques minutes, un jeune garçon, auquel personne n'avait pris garde, s'était détaché du groupe en courant.

Au moment où le voyageur, après la délibération intérieure que nous venons d'indiquer, prenait la résolution de rebrousser chemin, cet enfant revenait. Il était accompagné d'une vieille femme.

—Monsieur, dit la femme, mon garçon me dit que vous avez envie de louer un cabriolet. Cette simple parole, prononcée par une vieille femme que conduisait un enfant, lui fit ruisseler la sueur dans les reins. Il crut voir la main qui l'avait lâché reparaître dans l'ombre derrière lui, toute prête à le reprendre.

Il répondit:

—Oui, bonne femme, je cherche un cabriolet à louer.

Et il se hâta d'ajouter:

—Mais il n'y en a pas dans le pays.

—Si fait, dit la vieille.

—Où ça donc? reprit le charron.

—Chez moi, répliqua la vieille.

Il tressaillit. La main fatale l'avait ressaisi.

La vieille avait en effet sous un hangar une façon de carriole en osier. Le charron et le garçon d'auberge, désolés que le voyageur leur échappât, intervinrent.

—C'était une affreuse guimbarde,—cela était posé à cru sur l'essieu,—il est vrai que les banquettes étaient suspendues à l'intérieur avec des lanières de cuir,—il pleuvait dedans,—les roues étaient rouillées et rongées d'humidité,—cela n'irait pas beaucoup plus loin que le tilbury,—une vraie patache!—Ce monsieur aurait bien tort de s'y embarquer,—etc., etc.

Tout cela était vrai, mais cette guimbarde, cette patache, cette chose, quelle qu'elle fût, roulait sur ses deux roues et pouvait aller à Arras.

Il paya ce qu'on voulut, laissa le tilbury à réparer chez le charron pour l'y retrouver à son retour, fit atteler le cheval blanc à la carriole, y monta, et reprit la route qu'il suivait depuis le matin.

Au moment où la carriole s'ébranla, il s'avoua qu'il avait eu l'instant d'auparavant une certaine joie de songer qu'il n'irait point où il allait. Il examina cette joie avec une sorte de colère et la trouva absurde. Pourquoi de la joie à revenir en arrière? Après tout, il faisait ce voyage librement. Personne ne l'y forçait. Et, certainement, rien n'arriverait que ce qu'il voudrait bien.

Comme il sortait de Hesdin, il entendit une voix qui lui criait: arrêtez! arrêtez! Il arrêta la carriole d'un mouvement vif dans lequel il y avait encore je ne sais quoi de fébrile et de convulsif qui ressemblait à de l'espérance.

C'était le petit garçon de la vieille.

—Monsieur, dit-il, c'est moi qui vous ai procuré la carriole.

—Eh bien!

—Vous ne m'avez rien donné.

Lui qui donnait à tous et si facilement, il trouva cette prétention exorbitante et presque odieuse.

—Ah! c'est toi, drôle? dit-il, tu n'auras rien!

Il fouetta le cheval et repartit au grand trot.

Il avait perdu beaucoup de temps à Hesdin, il eût voulu le rattraper. Le petit cheval était courageux et tirait comme deux; mais on était au mois de février, il avait plu, les routes étaient mauvaises. Et puis, ce n'était plus le tilbury. La carriole était dure et très lourde. Avec cela force montées.

Il mit près de quatre heures pour aller de Hesdin à Saint-Pol. Quatre heures pour cinq lieues.

À Saint-Pol il détela à la première auberge venue, et fit mener le cheval à l'écurie. Comme il l'avait promis à Scaufflaire, il se tint près du râtelier pendant que le cheval mangeait. Il songeait à des choses tristes et confuses.

La femme de l'aubergiste entre dans l'écurie.

—Est-ce que monsieur ne veut pas déjeuner?

—Tiens, c'est vrai, dit-il, j'ai même bon appétit. Il suivit cette femme qui avait une figure fraîche et réjouie. Elle le conduisit dans une salle basse où il y avait des tables ayant pour nappes des toiles cirées.

—Dépêchez-vous, reprit-il, il faut que je reparte. Je suis pressé.

Une grosse servante flamande mit son couvert en toute hâte. Il regardait cette fille avec un sentiment de bien-être.

—C'est là ce que j'avais, pensa-t-il. Je n'avais pas déjeuné.

On le servit. Il se jeta sur le pain, mordit une bouchée, puis le reposa lentement sur la table et n'y toucha plus.

Un routier mangeait à une autre table. Il dit à cet homme:

—Pourquoi leur pain est-il donc si amer?

Le routier était allemand et n'entendit pas.

Il retourna dans l'écurie près du cheval.

Une heure après, il avait quitté Saint-Pol et se dirigeait vers Tinques qui n'est qu'à cinq lieues d'Arras.

Que faisait-il pendant ce trajet? À quoi pensait-il? Comme le matin, il regardait passer les arbres, les toits de chaume, les champs cultivés, et les évanouissements du paysage qui se disloque à chaque coude du chemin. C'est là une contemplation qui suffit quelquefois à l'âme et qui la dispense presque de penser. Voir mille objets pour la première et pour la dernière fois, quoi de plus mélancolique et de plus profond! Voyager, c'est naître et mourir à chaque instant. Peut-être, dans la région la plus vague de son esprit, faisait-il des rapprochements entre ces horizons changeants et l'existence humaine. Toutes les choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s'entremêlent: après un éblouissement, une éclipse; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe; chaque événement est un tournant de la route; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s'arrête, et l'on voit quelqu'un de voilé et d'inconnu qui le dételle dans les ténèbres.

Le crépuscule tombait au moment où des enfants qui sortaient de l'école regardèrent ce voyageur entrer dans Tinques. Il est vrai qu'on était encore aux jours courts de l'année. Il ne s'arrêta pas à Tinques. Comme il débouchait du village, un cantonnier qui empierrait la route dressa la tête et dit:

—Voilà un cheval bien fatigué.

La pauvre bête en effet n'allait plus qu'au pas.

—Est-ce que vous allez à Arras? ajouta le cantonnier.

—Oui.

—Si vous allez de ce train, vous n'y arriverez pas de bonne heure.

Il arrêta le cheval et demanda au cantonnier:

—Combien y a-t-il encore d'ici à Arras?

—Près de sept grandes lieues.

—Comment cela? le livre de poste ne marque que cinq lieues et un quart.

—Ah! reprit le cantonnier, vous ne savez donc pas que la route est en réparation? Vous allez la trouver coupée à un quart d'heure d'ici. Pas moyen d'aller plus loin.

—Vraiment.

—Vous prendrez à gauche, le chemin qui va à Carency, vous passerez la rivière; et, quand vous serez à Camblin, vous tournerez à droite; c'est la route de Mont-Saint-Éloy qui va à Arras.

—Mais voilà la nuit, je me perdrai.

—Vous n'êtes pas du pays?

—Non.

—Avec ça, c'est tout chemins de traverse. Tenez, Monsieur, reprit le cantonnier, voulez-vous que je vous donne un conseil? Votre cheval est las, rentrez dans Tinques. Il y a une bonne auberge. Couchez-y. Vous irez demain à Arras.

—Il faut que j'y sois ce soir.

—C'est différent. Alors allez tout de même à cette auberge et prenez-y un cheval de renfort. Le garçon du cheval vous guidera dans la traverse.

Il suivit le conseil du cantonnier, rebroussa chemin, et une demi-heure après il repassait au même endroit, mais au grand trot, avec un bon cheval de renfort. Un garçon d'écurie qui s'intitulait postillon était assis sur le brancard de la carriole.

Cependant il sentait qu'il perdait du temps.

Il faisait tout à fait nuit.

Ils s'engagèrent dans la traverse. La route devint affreuse. La carriole tombait d'une ornière dans l'autre. Il dit au postillon:

—Toujours au trot, et double pourboire.

Dans un cahot le palonnier cassa.

—Monsieur, dit le postillon, voilà le palonnier cassé, je ne sais plus comment atteler mon cheval, cette route-ci est bien mauvaise la nuit; si vous vouliez revenir coucher à Tinques, nous pourrions être demain matin de bonne heure à Arras.

Il répondit:

—As-tu un bout de corde et un couteau?

—Oui, monsieur.

Il coupa une branche d'arbre et en fit un palonnier.

Ce fut encore une perte de vingt minutes; mais ils repartirent au galop.

La plaine était ténébreuse. Des brouillards bas, courts et noirs rampaient sur les collines et s'en arrachaient comme des fumées. Il y avait des lueurs blanchâtres dans les nuages. Un grand vent qui venait de la mer faisait dans tous les coins de l'horizon le bruit de quelqu'un qui remue des meubles. Tout ce qu'on entrevoyait avait des attitudes de terreur. Que de choses frissonnent sous ces vastes souffles de la nuit!

Le froid le pénétrait. Il n'avait pas mangé depuis la veille. Il se rappelait vaguement son autre course nocturne dans la grande plaine aux environs de Digne. Il y avait huit ans; et cela lui semblait hier.

Une heure sonna à quelque clocher lointain. Il demanda au garçon:

—Quelle est cette heure?

—Sept heures, monsieur. Nous serons à Arras à huit. Nous n'avons plus que trois lieues. En ce moment il fit pour la première fois cette réflexion—en trouvant étrange qu'elle ne lui fût pas venue plus tôt—que c'était peut-être inutile, toute la peine qu'il prenait; qu'il ne savait seulement pas l'heure du procès; qu'il aurait dû au moins s'en informer; qu'il était extravagant d'aller ainsi devant soi sans savoir si cela servirait à quelque chose.—Puis il ébaucha quelques calculs dans son esprit:—qu'ordinairement les séances des cours d'assises commençaient à neuf heures du matin;—que cela ne devait pas être long, cette affaire-là;—que le vol de pommes, ce serait très court;—qu'il n'y aurait plus ensuite qu'une question d'identité;—quatre ou cinq dépositions, peu de chose à dire pour les avocats;—qu'il allait arriver lorsque tout serait fini!

Le postillon fouettait les chevaux. Ils avaient passé la rivière et laissé derrière eux Mont-Saint-Éloy.

La nuit devenait de plus en plus profonde.


English text

The posting service from Arras to M. sur M. was still operated at this period by small mail-wagons of the time of the Empire. These mail-wagons were two-wheeled cabriolets, upholstered inside with fawn-colored leather, hung on springs, and having but two seats, one for the postboy, the other for the traveller. The wheels were armed with those long, offensive axles which keep other vehicles at a distance, and which may still be seen on the road in Germany. The despatch box, an immense oblong coffer, was placed behind the vehicle and formed a part of it. This coffer was painted black, and the cabriolet yellow.

These vehicles, which have no counterparts nowadays, had something distorted and hunchbacked about them; and when one saw them passing in the distance, and climbing up some road to the horizon, they resembled the insects which are called, I think, termites, and which, though with but little corselet, drag a great train behind them. But they travelled at a very rapid rate. The post-wagon which set out from Arras at one o’clock every night, after the mail from Paris had passed, arrived at M. sur M. a little before five o’clock in the morning.

That night the wagon which was descending to M. sur M. by the Hesdin road, collided at the corner of a street, just as it was entering the town, with a little tilbury harnessed to a white horse, which was going in the opposite direction, and in which there was but one person, a man enveloped in a mantle. The wheel of the tilbury received quite a violent shock. The postman shouted to the man to stop, but the traveller paid no heed and pursued his road at full gallop.

“That man is in a devilish hurry!” said the postman.

The man thus hastening on was the one whom we have just seen struggling in convulsions which are certainly deserving of pity.

Whither was he going? He could not have told. Why was he hastening? He did not know. He was driving at random, straight ahead. Whither? To Arras, no doubt; but he might have been going elsewhere as well. At times he was conscious of it, and he shuddered. He plunged into the night as into a gulf. Something urged him forward; something drew him on. No one could have told what was taking place within him; every one will understand it. What man is there who has not entered, at least once in his life, into that obscure cavern of the unknown?

However, he had resolved on nothing, decided nothing, formed no plan, done nothing. None of the actions of his conscience had been decisive. He was, more than ever, as he had been at the first moment.

Why was he going to Arras?

He repeated what he had already said to himself when he had hired Scaufflaire’s cabriolet: that, whatever the result was to be, there was no reason why he should not see with his own eyes, and judge of matters for himself; that this was even prudent; that he must know what took place; that no decision could be arrived at without having observed and scrutinized; that one made mountains out of everything from a distance; that, at any rate, when he should have seen that Champmathieu, some wretch, his conscience would probably be greatly relieved to allow him to go to the galleys in his stead; that Javert would indeed be there; and that Brevet, that Chenildieu, that Cochepaille, old convicts who had known him; but they certainly would not recognize him;—bah! what an idea! that Javert was a hundred leagues from suspecting the truth; that all conjectures and all suppositions were fixed on Champmathieu, and that there is nothing so headstrong as suppositions and conjectures; that accordingly there was no danger.

That it was, no doubt, a dark moment, but that he should emerge from it; that, after all, he held his destiny, however bad it might be, in his own hand; that he was master of it. He clung to this thought.

At bottom, to tell the whole truth, he would have preferred not to go to Arras.

Nevertheless, he was going thither.

As he meditated, he whipped up his horse, which was proceeding at that fine, regular, and even trot which accomplishes two leagues and a half an hour.

In proportion as the cabriolet advanced, he felt something within him draw back.

At daybreak he was in the open country; the town of M. sur M. lay far behind him. He watched the horizon grow white; he stared at all the chilly figures of a winter’s dawn as they passed before his eyes, but without seeing them. The morning has its spectres as well as the evening. He did not see them; but without his being aware of it, and by means of a sort of penetration which was almost physical, these black silhouettes of trees and of hills added some gloomy and sinister quality to the violent state of his soul.

Each time that he passed one of those isolated dwellings which sometimes border on the highway, he said to himself, “And yet there are people there within who are sleeping!”

The trot of the horse, the bells on the harness, the wheels on the road, produced a gentle, monotonous noise. These things are charming when one is joyous, and lugubrious when one is sad.

It was broad daylight when he arrived at Hesdin. He halted in front of the inn, to allow the horse a breathing spell, and to have him given some oats.

The horse belonged, as Scaufflaire had said, to that small race of the Boulonnais, which has too much head, too much belly, and not enough neck and shoulders, but which has a broad chest, a large crupper, thin, fine legs, and solid hoofs—a homely, but a robust and healthy race. The excellent beast had travelled five leagues in two hours, and had not a drop of sweat on his loins.

He did not get out of the tilbury. The stableman who brought the oats suddenly bent down and examined the left wheel.

“Are you going far in this condition?” said the man.

He replied, with an air of not having roused himself from his reverie:—

“Why?”

“Have you come from a great distance?” went on the man.

“Five leagues.”

“Ah!”

“Why do you say, ‘Ah?’”

The man bent down once more, was silent for a moment, with his eyes fixed on the wheel; then he rose erect and said:—

“Because, though this wheel has travelled five leagues, it certainly will not travel another quarter of a league.”

He sprang out of the tilbury.

“What is that you say, my friend?”

“I say that it is a miracle that you should have travelled five leagues without you and your horse rolling into some ditch on the highway. Just see here!”

The wheel really had suffered serious damage. The shock administered by the mail-wagon had split two spokes and strained the hub, so that the nut no longer held firm.

“My friend,” he said to the stableman, “is there a wheelwright here?”

“Certainly, sir.”

“Do me the service to go and fetch him.”

“He is only a step from here. Hey! Master Bourgaillard!”

Master Bourgaillard, the wheelwright, was standing on his own threshold. He came, examined the wheel and made a grimace like a surgeon when the latter thinks a limb is broken.

“Can you repair this wheel immediately?”

“Yes, sir.”

“When can I set out again?”

“To-morrow.”

“To-morrow!”

“There is a long day’s work on it. Are you in a hurry, sir?”

“In a very great hurry. I must set out again in an hour at the latest.”

“Impossible, sir.”

“I will pay whatever you ask.”

“Impossible.”

“Well, in two hours, then.”

“Impossible to-day. Two new spokes and a hub must be made. Monsieur will not be able to start before to-morrow morning.”

“The matter cannot wait until to-morrow. What if you were to replace this wheel instead of repairing it?”

“How so?”

“You are a wheelwright?”

“Certainly, sir.”

“Have you not a wheel that you can sell me? Then I could start again at once.”

“A spare wheel?”

“Yes.”

“I have no wheel on hand that would fit your cabriolet. Two wheels make a pair. Two wheels cannot be put together hap-hazard.”

“In that case, sell me a pair of wheels.”

“Not all wheels fit all axles, sir.”

“Try, nevertheless.”

“It is useless, sir. I have nothing to sell but cart-wheels. We are but a poor country here.”

“Have you a cabriolet that you can let me have?”

The wheelwright had seen at the first glance that the tilbury was a hired vehicle. He shrugged his shoulders.

“You treat the cabriolets that people let you so well! If I had one, I would not let it to you!”

“Well, sell it to me, then.”

“I have none.”

“What! not even a spring-cart? I am not hard to please, as you see.”

“We live in a poor country. There is, in truth,” added the wheelwright, “an old calash under the shed yonder, which belongs to a bourgeois of the town, who gave it to me to take care of, and who only uses it on the thirty-sixth of the month—never, that is to say. I might let that to you, for what matters it to me? But the bourgeois must not see it pass—and then, it is a calash; it would require two horses.”

“I will take two post-horses.”

“Where is Monsieur going?”

“To Arras.”

“And Monsieur wishes to reach there to-day?”

“Yes, of course.”

“By taking two post-horses?”

“Why not?”

“Does it make any difference whether Monsieur arrives at four o’clock to-morrow morning?”

“Certainly not.”

“There is one thing to be said about that, you see, by taking post-horses—Monsieur has his passport?”

“Yes.”

“Well, by taking post-horses, Monsieur cannot reach Arras before to-morrow. We are on a crossroad. The relays are badly served, the horses are in the fields. The season for ploughing is just beginning; heavy teams are required, and horses are seized upon everywhere, from the post as well as elsewhere. Monsieur will have to wait three or four hours at the least at every relay. And, then, they drive at a walk. There are many hills to ascend.”

“Come then, I will go on horseback. Unharness the cabriolet. Some one can surely sell me a saddle in the neighborhood.”

“Without doubt. But will this horse bear the saddle?”

“That is true; you remind me of that; he will not bear it.”

“Then—”

“But I can surely hire a horse in the village?”

“A horse to travel to Arras at one stretch?”

“Yes.”

“That would require such a horse as does not exist in these parts. You would have to buy it to begin with, because no one knows you. But you will not find one for sale nor to let, for five hundred francs, or for a thousand.”

“What am I to do?”

“The best thing is to let me repair the wheel like an honest man, and set out on your journey to-morrow.”

“To-morrow will be too late.”

“The deuce!”

“Is there not a mail-wagon which runs to Arras? When will it pass?”

“To-night. Both the posts pass at night; the one going as well as the one coming.”

“What! It will take you a day to mend this wheel?”

“A day, and a good long one.”

“If you set two men to work?”

“If I set ten men to work.”

“What if the spokes were to be tied together with ropes?”

“That could be done with the spokes, not with the hub; and the felly is in a bad state, too.”

“Is there any one in this village who lets out teams?”

“No.”

“Is there another wheelwright?”

The stableman and the wheelwright replied in concert, with a toss of the head.

“No.”

He felt an immense joy.

It was evident that Providence was intervening. That it was it who had broken the wheel of the tilbury and who was stopping him on the road. He had not yielded to this sort of first summons; he had just made every possible effort to continue the journey; he had loyally and scrupulously exhausted all means; he had been deterred neither by the season, nor fatigue, nor by the expense; he had nothing with which to reproach himself. If he went no further, that was no fault of his. It did not concern him further. It was no longer his fault. It was not the act of his own conscience, but the act of Providence.

He breathed again. He breathed freely and to the full extent of his lungs for the first time since Javert’s visit. It seemed to him that the hand of iron which had held his heart in its grasp for the last twenty hours had just released him.

It seemed to him that God was for him now, and was manifesting Himself.

He said to himself that he had done all he could, and that now he had nothing to do but retrace his steps quietly.

If his conversation with the wheelwright had taken place in a chamber of the inn, it would have had no witnesses, no one would have heard him, things would have rested there, and it is probable that we should not have had to relate any of the occurrences which the reader is about to peruse; but this conversation had taken place in the street. Any colloquy in the street inevitably attracts a crowd. There are always people who ask nothing better than to become spectators. While he was questioning the wheelwright, some people who were passing back and forth halted around them. After listening for a few minutes, a young lad, to whom no one had paid any heed, detached himself from the group and ran off.

At the moment when the traveller, after the inward deliberation which we have just described, resolved to retrace his steps, this child returned. He was accompanied by an old woman.

“Monsieur,” said the woman, “my boy tells me that you wish to hire a cabriolet.”

These simple words uttered by an old woman led by a child made the perspiration trickle down his limbs. He thought that he beheld the hand which had relaxed its grasp reappear in the darkness behind him, ready to seize him once more.

He answered:—

“Yes, my good woman; I am in search of a cabriolet which I can hire.”

And he hastened to add:—

“But there is none in the place.”

“Certainly there is,” said the old woman.

“Where?” interpolated the wheelwright.

“At my house,” replied the old woman.

He shuddered. The fatal hand had grasped him again.

The old woman really had in her shed a sort of basket spring-cart. The wheelwright and the stable-man, in despair at the prospect of the traveller escaping their clutches, interfered.

“It was a frightful old trap; it rests flat on the axle; it is an actual fact that the seats were suspended inside it by leather thongs; the rain came into it; the wheels were rusted and eaten with moisture; it would not go much further than the tilbury; a regular ramshackle old stage-wagon; the gentleman would make a great mistake if he trusted himself to it,” etc., etc.

All this was true; but this trap, this ramshackle old vehicle, this thing, whatever it was, ran on its two wheels and could go to Arras.

He paid what was asked, left the tilbury with the wheelwright to be repaired, intending to reclaim it on his return, had the white horse put to the cart, climbed into it, and resumed the road which he had been travelling since morning.

At the moment when the cart moved off, he admitted that he had felt, a moment previously, a certain joy in the thought that he should not go whither he was now proceeding. He examined this joy with a sort of wrath, and found it absurd. Why should he feel joy at turning back? After all, he was taking this trip of his own free will. No one was forcing him to it.

And assuredly nothing would happen except what he should choose.

As he left Hesdin, he heard a voice shouting to him: “Stop! Stop!” He halted the cart with a vigorous movement which contained a feverish and convulsive element resembling hope.

It was the old woman’s little boy.

“Monsieur,” said the latter, “it was I who got the cart for you.”

“Well?”

“You have not given me anything.”

He who gave to all so readily thought this demand exorbitant and almost odious.

“Ah! it’s you, you scamp?” said he; “you shall have nothing.”

He whipped up his horse and set off at full speed.

He had lost a great deal of time at Hesdin. He wanted to make it good. The little horse was courageous, and pulled for two; but it was the month of February, there had been rain; the roads were bad. And then, it was no longer the tilbury. The cart was very heavy, and in addition, there were many ascents.

He took nearly four hours to go from Hesdin to Saint-Pol; four hours for five leagues.

At Saint-Pol he had the horse unharnessed at the first inn he came to and led to the stable; as he had promised Scaufflaire, he stood beside the manger while the horse was eating; he thought of sad and confusing things.

The inn-keeper’s wife came to the stable.

“Does not Monsieur wish to breakfast?”

“Come, that is true; I even have a good appetite.”

He followed the woman, who had a rosy, cheerful face; she led him to the public room where there were tables covered with waxed cloth.

“Make haste!” said he; “I must start again; I am in a hurry.”

A big Flemish servant-maid placed his knife and fork in all haste; he looked at the girl with a sensation of comfort.

“That is what ailed me,” he thought; “I had not breakfasted.”

His breakfast was served; he seized the bread, took a mouthful, and then slowly replaced it on the table, and did not touch it again.

A carter was eating at another table; he said to this man:—

“Why is their bread so bitter here?”

The carter was a German and did not understand him.

He returned to the stable and remained near the horse.

An hour later he had quitted Saint-Pol and was directing his course towards Tinques, which is only five leagues from Arras.

What did he do during this journey? Of what was he thinking? As in the morning, he watched the trees, the thatched roofs, the tilled fields pass by, and the way in which the landscape, broken at every turn of the road, vanished; this is a sort of contemplation which sometimes suffices to the soul, and almost relieves it from thought. What is more melancholy and more profound than to see a thousand objects for the first and the last time? To travel is to be born and to die at every instant; perhaps, in the vaguest region of his mind, he did make comparisons between the shifting horizon and our human existence: all the things of life are perpetually fleeing before us; the dark and bright intervals are intermingled; after a dazzling moment, an eclipse; we look, we hasten, we stretch out our hands to grasp what is passing; each event is a turn in the road, and, all at once, we are old; we feel a shock; all is black; we distinguish an obscure door; the gloomy horse of life, which has been drawing us halts, and we see a veiled and unknown person unharnessing amid the shadows.

Twilight was falling when the children who were coming out of school beheld this traveller enter Tinques; it is true that the days were still short; he did not halt at Tinques; as he emerged from the village, a laborer, who was mending the road with stones, raised his head and said to him:—

“That horse is very much fatigued.”

The poor beast was, in fact, going at a walk.

“Are you going to Arras?” added the road-mender.

“Yes.”

“If you go on at that rate you will not arrive very early.”

He stopped his horse, and asked the laborer:—

“How far is it from here to Arras?”

“Nearly seven good leagues.”

“How is that? the posting guide only says five leagues and a quarter.”

“Ah!” returned the road-mender, “so you don’t know that the road is under repair? You will find it barred a quarter of an hour further on; there is no way to proceed further.”

“Really?”

“You will take the road on the left, leading to Carency; you will cross the river; when you reach Camblin, you will turn to the right; that is the road to Mont-Saint-Éloy which leads to Arras.”

“But it is night, and I shall lose my way.”

“You do not belong in these parts?”

“No.”

“And, besides, it is all crossroads; stop! sir,” resumed the road-mender; “shall I give you a piece of advice? your horse is tired; return to Tinques; there is a good inn there; sleep there; you can reach Arras to-morrow.”

“I must be there this evening.”

“That is different; but go to the inn all the same, and get an extra horse; the stable-boy will guide you through the crossroads.”

He followed the road-mender’s advice, retraced his steps, and, half an hour later, he passed the same spot again, but this time at full speed, with a good horse to aid; a stable-boy, who called himself a postilion, was seated on the shaft of the cariole.

Still, he felt that he had lost time.

Night had fully come.

They turned into the crossroad; the way became frightfully bad; the cart lurched from one rut to the other; he said to the postilion:—

“Keep at a trot, and you shall have a double fee.”

In one of the jolts, the whiffle-tree broke.

“There’s the whiffle-tree broken, sir,” said the postilion; “I don’t know how to harness my horse now; this road is very bad at night; if you wish to return and sleep at Tinques, we could be in Arras early to-morrow morning.”

He replied, “Have you a bit of rope and a knife?”

“Yes, sir.”

He cut a branch from a tree and made a whiffle-tree of it.

This caused another loss of twenty minutes; but they set out again at a gallop.

The plain was gloomy; low-hanging, black, crisp fogs crept over the hills and wrenched themselves away like smoke: there were whitish gleams in the clouds; a strong breeze which blew in from the sea produced a sound in all quarters of the horizon, as of some one moving furniture; everything that could be seen assumed attitudes of terror. How many things shiver beneath these vast breaths of the night!

He was stiff with cold; he had eaten nothing since the night before; he vaguely recalled his other nocturnal trip in the vast plain in the neighborhood of D——, eight years previously, and it seemed but yesterday.

The hour struck from a distant tower; he asked the boy:—

“What time is it?”

“Seven o’clock, sir; we shall reach Arras at eight; we have but three leagues still to go.”

At that moment, he for the first time indulged in this reflection, thinking it odd the while that it had not occurred to him sooner: that all this trouble which he was taking was, perhaps, useless; that he did not know so much as the hour of the trial; that he should, at least, have informed himself of that; that he was foolish to go thus straight ahead without knowing whether he would be of any service or not; then he sketched out some calculations in his mind: that, ordinarily, the sittings of the Court of Assizes began at nine o’clock in the morning; that it could not be a long affair; that the theft of the apples would be very brief; that there would then remain only a question of identity, four or five depositions, and very little for the lawyers to say; that he should arrive after all was over.

The postilion whipped up the horses; they had crossed the river and left Mont-Saint-Éloy behind them.

The night grew more profound.


Translation notes

Textual notes

Citations