Volume 4/Book 8/Chapter 7
Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Eighth: Enchantments and Desolations, Chapter 7: The Old Heart and the Young Heart in the Presence of Each Other
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre huitième: Les enchantements et les désolations, Chapitre 7: Le vieux cœur et le jeune cœur en présence)
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General notes on this chapter
French text
Le père Gillenormand avait à cette époque ses quatre-vingt-onze ans bien sonnés. Il demeurait toujours avec mademoiselle Gillenormand rue des Filles-du-Calvaire, nº 6, dans cette vieille maison qui était à lui. C'était, on s'en souvient, un de ces vieillards antiques qui attendent la mort tout droits, que l'âge charge sans les faire plier, et que le chagrin même ne courbe pas.
Cependant, depuis quelque temps, sa fille disait: mon père baisse. Il ne
souffletait plus les servantes; il ne frappait plus de sa canne avec
autant de verve le palier de l'escalier quand Basque tardait à lui
ouvrir. La Révolution de Juillet l'avait à peine exaspéré pendant six
mois. Il avait vu presque avec tranquillité dans le Moniteur cet
accouplement de mots: M. Humblot-Conté, pair de France. Le fait est que
le vieillard était rempli d'accablement. Il ne fléchissait pas, il ne se
rendait pas, ce n'était pas plus dans sa nature physique que dans sa
nature morale; mais il se sentait intérieurement défaillir. Depuis
quatre ans il attendait Marius, de pied ferme, c'est bien le mot, avec
la conviction que ce mauvais petit garnement sonnerait à la porte un
jour ou l'autre; maintenant il en venait, dans de certaines heures
mornes, à se dire que pour peu que Marius se fît encore attendre...—Ce
n'était pas la mort qui lui était insupportable, c'était l'idée que
peut-être il ne reverrait plus Marius. Ne plus revoir Marius, ceci
n'était pas entré un seul instant dans son cerveau jusqu'à ce jour; à
présent cette idée commençait à lui apparaître, et le glaçait.
L'absence, comme il arrive toujours dans les sentiments naturels et
vrais, n'avait fait qu'accroître son amour de grand-père pour l'enfant
ingrat qui s'en était allé comme cela. C'est dans les nuits de décembre,
par dix degrés de froid, qu'on pense le plus au soleil. M. Gillenormand
était ou se croyait, par-dessus tout incapable de faire un pas, lui
l'aïeul, vers son petit-fils;—je crèverais plutôt, disait-il. Il ne se
trouvait aucun tort, mais il ne songeait à Marius qu'avec un
attendrissement profond et le muet désespoir d'un vieux bonhomme qui
s'en va dans les ténèbres.
Il commençait à perdre ses dents, ce qui s'ajoutait à sa tristesse.
M. Gillenormand, sans pourtant se l'avouer à lui-même, car il en eut été
furieux et honteux, n'avait jamais aimé une maîtresse comme il aimait
Marius.
Il avait fait placer dans sa chambre, devant le chevet de son lit, comme
la première chose qu'il voulait voir en s'éveillant, un ancien portrait
de son autre fille, celle qui était morte, madame Pontmercy, portrait
fait lorsqu'elle avait dix-huit ans. Il regardait sans cesse ce
portrait. Il lui arriva un jour de dire en le considérant:
—Je trouve qu'il lui ressemble.
—À ma sœur? reprit mademoiselle Gillenormand. Mais oui.
Le vieillard ajouta:
—Et à lui aussi.
Une fois, comme il était assis, les deux genoux l'un contre l'autre et
l'œil presque fermé, dans une posture d'abattement, sa fille se risqua
à lui dire:
—Mon père, est-ce que vous en voulez toujours autant?...
Elle s'arrêta, n'osant aller plus loin.
—À qui? demanda-t-il.
—À ce pauvre Marius?
Il souleva sa vieille tête, posa son poing amaigri et ridé sur la table,
et cria de son accent le plus irrité et le plus vibrant:
—Pauvre Marius, vous dites! Ce monsieur est un drôle, un mauvais gueux,
un petit vaniteux ingrat, sans cœur, sans âme, un orgueilleux, un
méchant homme!
Et il se détourna pour que sa fille ne vît pas une larme qu'il avait
dans les yeux.
Trois jours après, il sortit d'un silence qui durait depuis quatre
heures pour dire à sa fille à brûle-pourpoint:
—J'avais eu l'honneur de prier mademoiselle Gillenormand de ne jamais
m'en parler.
La tante Gillenormand renonça à toute tentative et porta ce diagnostic
profond:—Mon père n'a jamais beaucoup aimé ma sœur depuis sa sottise.
Il est clair qu'il déteste Marius.
«Depuis sa sottise», signifiait: depuis qu'elle avait épousé le colonel.
Du reste, comme on a pu le conjecturer, mademoiselle Gillenormand avait
échoué dans sa tentative de substituer son favori, l'officier de
lanciers, à Marius. Le remplaçant Théodule n'avait point réussi. M.
Gillenormand n'avait pas accepté le quiproquo. Le vide du cœur ne
s'accommode point d'un bouche-trou. Théodule, de son côté, tout en
flairant l'héritage, répugnait à la corvée de plaire. Le bonhomme
ennuyait le lancier, et le lancier choquait le bonhomme. Le lieutenant
Théodule était gai sans doute, mais bavard; frivole, mais vulgaire; bon
vivant, mais de mauvaise compagnie; il avait des maîtresses, c'est vrai,
et il en parlait beaucoup, c'est vrai encore; mais il en parlait mal.
Toutes ses qualités avaient un défaut. M. Gillenormand était excédé de
l'entendre conter les bonnes fortunes quelconques qu'il avait autour de
sa caserne, rue de Babylone. Et puis le lieutenant Gillenormand venait
quelquefois en uniforme avec la cocarde tricolore. Ceci le rendait tout
bonnement impossible. Le père Gillenormand avait fini par dire à sa
fille:—J'en ai assez, du Théodule. J'ai peu de goût pour les gens de
guerre en temps de paix. Reçois-les si tu veux. Je ne sais pas si je
n'aime pas mieux encore les sabreurs que les traîneurs de sabre. Le
cliquetis des lames dans la bataille est moins misérable, après tout,
que le tapage des fourreaux sur le pavé. Et puis, se cambrer comme un
matamore et se sangler comme une femmelette, avoir un corset sous une
cuirasse, c'est être ridicule deux fois. Quand on est un véritable
homme, on se tient à égale distance de la fanfaronnade et de la
mièvrerie. Ni fier-à-bras, ni joli cœur. Garde ton Théodule pour toi.
Sa fille eut beau lui dire:—C'est pourtant votre petit-neveu,—il se
trouva que M. Gillenormand, qui était grand-père jusqu'au bout des
ongles, n'était pas grand-oncle du tout.
Au fond, comme il avait de l'esprit et qu'il comparait, Théodule n'avait
servi qu'à lui faire mieux regretter Marius.
Un soir, c'était le 4 juin, ce qui n'empêchait pas que le père
Gillenormand n'eût un très bon feu dans sa cheminée, il avait congédié
sa fille qui cousait dans la pièce voisine. Il était seul dans sa
chambre à bergerades, les pieds sur ses chenets, à demi enveloppé dans
son vaste paravent de Coromandel à neuf feuilles, accoudé à sa table où
brûlaient deux bougies sous un abat-jour vert, englouti dans son
fauteuil de tapisserie, un livre à la main, mais ne lisant pas. Il était
vêtu, selon sa mode, en incroyable, et ressemblait à un antique
portrait de Garat. Cela l'eût fait suivre dans les rues, mais sa fille
le couvrait toujours, lorsqu'il sortait, d'une vaste douillette
d'évêque, qui cachait ses vêtements. Chez lui, excepté pour se lever et
se coucher, il ne portait jamais de robe de chambre.—Cela donne l'air
vieux, disait-il.
Le père Gillenormand songeait à Marius amoureusement et amèrement, et,
comme d'ordinaire, l'amertume dominait. Sa tendresse aigrie finissait
toujours par bouillonner et par tourner en indignation. Il en était à ce
point où l'on cherche à prendre son parti et à accepter ce qui déchire.
Il était en train de s'expliquer qu'il n'y avait maintenant plus de
raison pour que Marius revînt, que s'il avait dû revenir, il l'aurait
déjà fait, qu'il fallait y renoncer. Il essayait de s'habituer à l'idée
que c'était fini, et qu'il mourrait sans revoir «ce monsieur». Mais
toute sa nature se révoltait; sa vieille paternité n'y pouvait
consentir.—Quoi! disait-il, c'était son refrain douloureux, il ne
reviendra pas!—Sa tête chauve était tombée sur sa poitrine, et il
fixait vaguement sur la cendre de son foyer un regard lamentable et
irrité.
Au plus profond de cette rêverie, son vieux domestique, Basque, entra et
demanda:
—Monsieur peut-il recevoir monsieur Marius?
Le vieillard se dressa sur son séant, blême et pareil à un cadavre qui
se lève sous une secousse galvanique. Tout son sang avait reflué à son
cœur. Il bégaya:
—Monsieur Marius quoi?
—Je ne sais pas, répondit Basque intimidé et décontenancé par l'air du
maître, je ne l'ai pas vu. C'est Nicolette qui vient de me dire: Il y a
là un jeune homme, dites que c'est monsieur Marius.
Le père Gillenormand balbutia à voix basse:
—Faites entrer.
Et il resta dans la même attitude, la tête branlante, l'œil fixé sur la
porte. Elle se rouvrit. Un jeune homme entra. C'était Marius.
Marius s'arrêta à la porte comme attendant qu'on lui dît d'entrer.
Son vêtement presque misérable ne s'apercevait pas dans l'obscurité que
faisait l'abat-jour. On ne distinguait que son visage calme et grave,
mais étrangement triste.
Le père Gillenormand, hébété de stupeur et de joie, resta quelques
instants sans voir autre chose qu'une clarté comme lorsqu'on est devant
une apparition. Il était prêt à défaillir; il apercevait Marius à
travers un éblouissement. C'était bien lui, c'átait bien Marius!
Enfin! après quatre ans! Il le saisit, pour ainsi dire, tout entier d'un
coup d'œil. Il le trouva beau, noble, distingué, grandi, homme fait,
l'attitude convenable, l'air charmant. Il eut envie d'ouvrir ses bras,
de l'appeler, de se précipiter, ses entrailles se fondirent en
ravissement, les paroles affectueuses le gonflaient et débordaient de sa
poitrine; enfin toute cette tendresse se fit jour et lui arriva aux
lèvres, et par le contraste qui était le fond de sa nature, il en sortit
une dureté. Il dit brusquement:
—Qu'est-ce que vous venez faire ici?
Marius répondit avec embarras:
—Monsieur....
M. Gillenormand eût voulu que Marius se jetât dans ses bras. Il fut
mécontent de Marius et de lui-même. Il sentit qu'il était brusque et que
Marius était froid. C'était pour le bonhomme une insupportable et
irritante anxiété de se sentir si tendre et si éploré au dedans et de ne
pouvoir être que dur au dehors. L'amertume lui revint. Il interrompit
Marius avec un accent bourru:
—Alors pourquoi venez-vous?
Cet «alors» signifiait: si vous ne venez pas m'embrasser. Marius
regarda son aïeul à qui la pâleur faisait un visage de marbre.
—Monsieur....
Le vieillard reprit d'une voix sévère:
—Venez-vous me demander pardon? avez-vous reconnu vos torts?
Il croyait mettre Marius sur la voie et que «l'enfant» allait fléchir.
Marius frissonna; c'était le désaveu de son père qu'on lui demandait; il
baissa les yeux et répondit:
—Non, monsieur.
—Et alors, s'écria impétueusement le vieillard avec une douleur
poignante et pleine de colère, qu'est-ce que vous me voulez?
Marius joignit les mains, fit un pas et dit d'une voix faible et qui
tremblait:
—Monsieur, ayez pitié de moi.
Ce mot remua M. Gillenormand; dit plus tôt, il l'eût attendri, mais il
venait trop tard. L'aïeul se leva; il s'appuyait sur sa canne de ses
deux mains, ses lèvres étaient blanches, son front vacillait, mais sa
haute taille dominait Marius incliné.
—Pitié de vous, monsieur! C'est l'adolescent qui demande de la pitié au
vieillard de quatre-vingt-onze ans! Vous entrez dans la vie, j'en sors;
vous allez au spectacle, au bal, au café, au billard, vous avez de
l'esprit, vous plaisez aux femmes, vous êtes joli garçon; moi je crache
en plein été sur mes tisons; vous êtes riche des seules richesses qu'il
y ait, moi j'ai toutes les pauvretés de la vieillesse, l'infirmité,
l'isolement! vous avez vos trente-deux dents, un bon estomac, l'œil
vif, la force, l'appétit, la santé, la gaîté, une forêt de cheveux
noirs; moi je n'ai même plus de cheveux blancs, j'ai perdu mes dents, je
perds mes jambes, je perds la mémoire, il y a trois noms de rues que je
confonds sans cesse, la rue Charlot, la rue du Chaume et la rue
Saint-Claude, j'en suis là; vous avez devant vous tout l'avenir plein de
soleil, moi je commence à n'y plus voir goutte, tant j'avance dans la
nuit; vous êtes amoureux, Ça va sans dire, moi, je ne suis aimé de
personne au monde, et vous me demandez de la pitié! Parbleu, Molière a
oublié ceci. Si c'est comme cela que vous plaisantez au palais,
messieurs les avocats, je vous fais mon sincère compliment. Vous êtes
drôles.
Et l'octogénaire reprit d'une voix courroucée et grave:
—Ah çà, qu'est-ce que vous me voulez?
—Monsieur, dit Marius, je sais que ma présence vous déplaît, mais je
viens seulement pour vous demander une chose, et puis je vais m'en aller
tout de suite.
Vous êtes un sot! dit le vieillard. Qui est-ce qui vous dit de vous en
aller?
Ceci était la traduction de cette parole tendre qu'il avait au fond du
cœur: Mais demande-moi donc pardon! Jette-toi donc à mon cou! M.
Gillenormand sentait que Marius allait dans quelques instants le
quitter, que son mauvais accueil le rebutait, que sa dureté le chassait,
il se disait tout cela, et sa douleur s'en accroissait, et comme sa
douleur se tournait immédiatement en colère, sa dureté en augmentait. Il
eût voulu que Marius comprît, et Marius ne comprenait pas; ce qui
rendait le bonhomme furieux. Il reprit:
—Comment! vous m'avez manqué, à moi, votre grand-père, vous avez quitté
ma maison pour aller on ne sait où, vous avez désolé votre tante, vous
avez été, cela se devine, c'est plus commode, mener la vie de garçon,
faire le muscadin, rentrer à toutes les heures, vous amuser, vous ne
m'avez pas donné signe de vie, vous avez fait des dettes sans même me
dire de les payer, vous vous êtes fait casseur de vitres et tapageur,
et, au bout de quatre ans, vous venez chez moi, et vous n'avez pas autre
chose à me dire que cela!
Cette façon violente de pousser le petit-fils à la tendresse ne
produisit que le silence de Marius. M. Gillenormand croisa les bras,
geste qui, chez lui, était particulièrement impérieux, et apostropha
Marius amèrement:
—Finissons. Vous venez me demander quelque chose, dites-vous? Eh bien
quoi? qu'est-ce? Parlez.
—Monsieur, dit Marius avec le regard d'un homme qui sent qu'il va
tomber dans un précipice, je viens vous demander la permission de me
marier.
M. Gillenormand sonna. Basque entr'ouvrit la porte.
—Faites venir ma fille.
Une seconde après, la porte se rouvrit, mademoiselle Gillenormand
n'entra pas, mais se montra; Marius était debout, muet, les bras
pendants, avec une figure de criminel; M. Gillenormand allait et venait
en long et en large dans la chambre. Il se tourna vers sa fille et lui
dit:
—Rien. C'est monsieur Marius. Dites-lui bonjour. Monsieur veut se
marier. Voilà. Allez-vous-en.
Le son de voix bref et rauque du vieillard annonçait une étrange
plénitude d'emportement. La tante regarda Marius d'un air effaré, parut
à peine le reconnaître, ne laissa pas échapper un geste ni une syllabe,
et disparut au souffle de son père plus vite qu'un fétu devant
l'ouragan.
Cependant le père Gillenormand était revenu s'adosser à la cheminée.
—Vous marier! à vingt et un ans! Vous avez arrangé cela! Vous n'avez
plus qu'une permission à demander! une formalité. Asseyez-vous,
monsieur. Eh bien, vous avez eu une révolution depuis que je n'ai eu
l'honneur de vous voir. Les jacobins ont eu le dessus. Vous avez dû être
content. N'êtes-vous pas républicain depuis que vous êtes baron? Vous
accommodez cela. La république fait une sauce à la baronnie. Êtes-vous
décoré de Juillet? avez-vous un peu pris le Louvre, monsieur? Il y a ici
tout près, rue Saint-Antoine, vis-à-vis la rue des Nonaindières, un
boulet incrusté dans le mur au troisième étage d'une maison avec cette
inscription: 28 juillet 1830. Allez voir cela. Cela fait bon effet. Ah!
ils font de jolies choses, vos amis! À propos, ne font-ils pas une
fontaine à la place du monument de M. le duc de Berry? Ainsi vous voulez
vous marier? à qui? peut-on sans indiscrétion demander à qui?
Il s'arrêta, et, avant que Marius eût eu le temps de répondre, il ajouta
violemment:
—Ah çà, vous avez un état? une fortune faite? combien gagnez-vous dans
votre métier d'avocat?
—Rien, dit Marius avec une sorte de fermeté et de résolution presque
farouche.
—Rien? vous n'avez pour vivre que les douze cents livres que je vous
fais?
Marius ne répondit point. M. Gillenormand continua:
—Alors, je comprends, c'est que la fille est riche?
—Comme moi.
—Quoi! pas de dot?
—Non.
—Des espérances?
—Je ne crois pas.
—Toute nue! et qu'est-ce que c'est que le père?
—Je ne sais pas.
—Et comment s'appelle-t-elle?
—Mademoiselle Fauchelevent.
—Fauchequoi?
—Fauchelevent.
—Pttt! fit le vieillard.
—Monsieur! s'écria Marius.
M. Gillenormand l'interrompit du ton d'un homme qui se parle à lui-même.
—C'est cela, vingt et un ans, pas d'état, douze cents livres par an,
madame la baronne Pontmercy ira acheter deux sous de persil chez la
fruitière.
—Monsieur, reprit Marius, dans l'égarement de la dernière espérance qui
s'évanouit, je vous en supplie! je vous en conjure, au nom du ciel, à
mains jointes, monsieur, je me mets à vos pieds, permettez-moi de
l'épouser.
Le vieillard poussa un éclat de rire strident et lugubre à travers
lequel il toussait et parlait.
—Ah! ah! ah! vous vous êtes dit: Pardine! je vais aller trouver cette
vieille perruque, cette absurde ganache! Quel dommage que je n'aie pas
mes vingt-cinq ans! comme je te vous lui flanquerais une bonne sommation
respectueuse! comme je me passerais de lui! C'est égal, je lui dirai:
Vieux crétin, tu es trop heureux de me voir, j'ai envie de me marier,
j'ai envie d'épouser mamselle n'importe qui, fille de monsieur n'importe
quoi, je n'ai pas de souliers, elle n'a pas de chemise, ça va, j'ai
envie de jeter à l'eau ma carrière, mon avenir, ma jeunesse, ma vie,
j'ai envie de faire un plongeon dans la misère avec une femme au cou,
c'est mon idée, il faut que tu y consentes! et le vieux fossile
consentira. Va, mon garçon, comme tu voudras, attache-toi ton pavé,
épouse ta Pousselevent, ta Coupelevent...—Jamais, monsieur! jamais!
—Mon père!
—Jamais!
À l'accent dont ce «jamais» fut prononcé, Marius perdit tout espoir. Il
traversa la chambre à pas lents, la tête ployée, chancelant, plus
semblable encore à quelqu'un qui se meurt qu'à quelqu'un qui s'en va. M.
Gillenormand le suivait des yeux, et au moment où la porte s'ouvrait et
où Marius allait sortir, il fit quatre pas avec cette vivacité sénile
des vieillards impérieux et gâtés, saisit Marius au collet, le ramena
énergiquement dans la chambre, le jeta dans un fauteuil, et lui dit:
—Conte-moi ça!
C'était ce seul mot, mon père, échappé à Marius, qui avait fait cette
révolution.
Marius le regarda égaré. Le visage mobile de M. Gillenormand n'exprimait
plus rien qu'une rude et ineffable bonhomie. L'aïeul avait fait place au
grand-père.
—Allons, voyons, parle, conte-moi tes amourettes, jabote, dis-moi tout!
Sapristi! que les jeunes gens sont bêtes!
—Mon père! reprit Marius.
Toute la face du vieillard s'illumina d'un indicible rayonnement.
—Oui, c'est ça! appelle-moi ton père, et tu verras!
Il y avait maintenant quelque chose de si bon, de si doux, de si ouvert,
de si paternel en cette brusquerie, que Marius, dans ce passage subit du
découragement à l'espérance, en fut comme étourdi et enivré. Il était
assis près de la table, la lumière des bougies faisait saillir le
délabrement de son costume que le père Gillenormand considérait avec
étonnement.
—Eh bien, mon père, dit Marius.
—Ah çà, interrompit M. Gillenormand, tu n'as donc vraiment pas le sou?
Tu es mis comme un voleur.
Il fouilla dans un tiroir, et y prit une bourse qu'il posa sur la table:
—Tiens, voilà cent louis, achète-toi un chapeau.
—Mon père, poursuivit Marius, mon bon père, si vous saviez! je l'aime.
Vous ne vous figurez pas, la première fois que je l'ai vue, c'était au
Luxembourg, elle y venait; au commencement je n'y faisais pas grande
attention, et puis je ne sais pas comment cela s'est fait, j'en suis
devenu amoureux. Oh! comme cela m'a rendu malheureux! Enfin je la vois
maintenant, tous les jours, chez elle, son père ne sait pas, imaginez
qu'ils vont partir, c'est dans le jardin que nous nous voyons, le soir,
son père veut l'emmener en Angleterre, alors je me suis dit: Je vais
aller voir mon grand-père et lui conter la chose. Je deviendrais fou
d'abord, je mourrais, je ferais une maladie, je me jetterais à l'eau. Il
faut absolument que je l'épouse, puisque je deviendrais fou. Enfin voilà
toute la vérité, je ne crois pas que j'aie oublié quelque chose. Elle
demeure dans un jardin où il y a une grille, rue Plumet. C'est du côté
des Invalides.
Le père Gillenormand s'était assis radieux près de Marius. Tout en
l'écoutant et en savourant le son de sa voix, il savourait en même temps
une longue prise de tabac. À ce mot, rue Plumet, il interrompit son
aspiration, et laissa tomber le reste de son tabac sur ses genoux.
—Rue Plumet! tu dis rue plumet?—Voyons donc!—N'y a-t-il pas une
caserne par là?—Mais oui, c'est ça. Ton cousin Théodule m'en a parlé.
Le lancier, l'officier.—Une fillette, mon bon ami, une
fillette!—Pardieu oui, rue Plumet. C'est ce qu'on appelait autrefois la
rue Blomet.—Voilà que ça me revient. J'en ai entendu parler de cette
petite de la grille de la rue Plumet. Dans un jardin. Une Paméla. Tu
n'as pas mauvais goût. On la dit proprette. Entre nous, je crois que ce
dadais de lancier lui a un peu fait la cour. Je ne sais pas jusqu'où
cela a été. Enfin ça ne fait rien. D'ailleurs il ne faut pas le croire.
Il se vante. Marius! je trouve ça très bien qu'un jeune homme comme toi
soit amoureux. C'est de ton âge. Je t'aime mieux amoureux que jacobin.
Je t'aime mieux épris d'un cotillon, sapristi! de vingt cotillons que de
monsieur de Robespierre. Pour ma part, je me rends cette justice qu'en
fait de sans-culottes, je n'ai jamais aimé que les femmes. Les jolies
filles sont les jolies filles, que diable! il n'y a pas d'objection à
ça. Quant à la petite, elle te reçoit en cachette du papa. C'est dans
l'ordre. J'ai eu des histoires comme ça, moi aussi. Plus d'une. Sais-tu
ce qu'on fait? On ne prend pas la chose avec férocité; on ne se
précipite pas dans le tragique; on ne conclut pas au mariage et à
monsieur le maire avec son écharpe. On est tout bêtement un garçon
d'esprit. On a du bon sens. Glissez, mortels, n'épousez pas. On vient
trouver le grand-père qui est bonhomme au fond, et qui a bien toujours
quelques rouleaux de louis dans un vieux tiroir; on lui dit: Grand-père,
voilà. Et le grand-père dit: C'est tout simple. Il faut que jeunesse se
passe et que vieillesse se casse. J'ai été jeune, tu seras vieux. Va,
mon garçon, tu rendras ça à ton petit-fils. Voilà deux cents pistoles.
Amuse-toi, mordi! Rien de mieux! C'est ainsi que l'affaire doit se
passer. On n'épouse point, mais ça n'empêche pas. Tu me comprends?
Marius, pétrifié et hors d'état d'articuler une parole, fit de la tête
signe que non.
Le bonhomme éclata de rire, cligna sa vieille paupière, lui donna une
tape sur le genou, le regarda entre deux yeux d'un air mystérieux et
rayonnant, et lui dit avec le plus tendre des haussements d'épaules:
—Bêta! fais-en ta maîtresse.
Marius pâlit. Il n'avait rien compris à tout ce que venait de dire son
grand-père. Ce rabâchage de rue Blomet, de Paméla, de caserne, de
lancier, avait passé devant Marius comme une fantasmagorie. Rien de tout
cela ne pouvait se rapporter à Cosette qui était un lys. Le bonhomme
divaguait. Mais cette divagation avait abouti à un mot que Marius avait
compris et qui était une mortelle injure à Cosette. Ce mot, fais-en ta
maîtresse, entra dans le cœur du sévère jeune homme comme une épée.
Il se leva, ramassa son chapeau qui était à terre, et marcha vers la
porte d'un pas assuré et ferme. Là il se retourna, s'inclina
profondément devant son grand-père, redressa la tête, et dit:
—Il y a cinq ans, vous avez outragé mon père; aujourd'hui vous outragez
ma femme. Je ne vous demande plus rien, monsieur. Adieu.
Le père Gillenormand, stupéfait, ouvrit la bouche, étendit les bras,
essaya de se lever, et, avant qu'il eût pu prononcer un mot, la porte
s'était refermée et Marius avait disparu.
Le vieillard resta quelques instants immobile et comme foudroyé sans
pouvoir parler ni respirer, comme si un poing fermé lui serrait le
gosier. Enfin il s'arracha de son fauteuil, courut à la porte autant
qu'on peut courir à quatre-vingt-onze ans, l'ouvrit, et cria:
—Au secours! au secours!
Sa fille parut, puis les domestiques. Il reprit avec un râle lamentable:
—Courez après lui! rattrapez-le! Qu'est-ce que je lui ai fait? Il est
fou! il s'en va! Ah! mon Dieu! ah! mon Dieu! cette fois il ne reviendra
plus!
Il alla à la fenêtre qui donnait sur la rue, l'ouvrit de ses vieilles
mains chevrotantes, se pencha plus d'à mi-corps pendant que Basque et
Nicolette le retenaient par-derrière, et cria:
—Marius! Marius! Marius! Marius!
Mais Marius ne pouvait déjà plus entendre, et tournait en ce moment-là
même l'angle de la rue Saint-Louis.
L'octogénaire porta deux ou trois fois ses deux mains à ses tempes avec
une expression d'angoisse, recula en chancelant et s'affaissa sur un
fauteuil, sans pouls, sans voix, sans larmes, branlant la tête et
agitant les lèvres d'un air stupide, n'ayant plus rien dans les yeux et
dans le cœur que quelque chose de morne et de profond qui ressemblait à
la nuit.
English text
At that epoch, Father Gillenormand was well past his ninety-first birthday. He still lived with Mademoiselle Gillenormand in the Rue des Filles-du-Calvaire, No. 6, in the old house which he owned. He was, as the reader will remember, one of those antique old men who await death perfectly erect, whom age bears down without bending, and whom even sorrow cannot curve.
Still, his daughter had been saying for some time: "My father is sinking."
He no longer boxed the maids' ears; he no longer thumped the landing-place
so vigorously with his cane when Basque was slow in opening the door. The
Revolution of July had exasperated him for the space of barely six months.
He had viewed, almost tranquilly, that coupling of words, in the Moniteur:
M. Humblot-Conte, peer of France. The fact is, that the old man was deeply
dejected. He did not bend, he did not yield; this was no more a
characteristic of his physical than of his moral nature, but he felt
himself giving way internally. For four years he had been waiting for
Marius, with his foot firmly planted, that is the exact word, in the
conviction that that good-for-nothing young scamp would ring at his door
some day or other; now he had reached the point, where, at certain gloomy
hours, he said to himself, that if Marius made him wait much longer—It
was not death that was insupportable to him; it was the idea that perhaps
he should never see Marius again. The idea of never seeing Marius again
had never entered his brain until that day; now the thought began to recur
to him, and it chilled him. Absence, as is always the case in genuine and
natural sentiments, had only served to augment the grandfather's love for
the ungrateful child, who had gone off like a flash. It is during December
nights, when the cold stands at ten degrees, that one thinks oftenest of
the son.
M. Gillenormand was, or thought himself, above all things, incapable of
taking a single step, he—the grandfather, towards his grandson; "I
would die rather," he said to himself. He did not consider himself as the
least to blame; but he thought of Marius only with profound tenderness,
and the mute despair of an elderly, kindly old man who is about to vanish
in the dark.
He began to lose his teeth, which added to his sadness.
M. Gillenormand, without however acknowledging it to himself, for it would
have rendered him furious and ashamed, had never loved a mistress as he
loved Marius.
He had had placed in his chamber, opposite the head of his bed, so that it
should be the first thing on which his eyes fell on waking, an old
portrait of his other daughter, who was dead, Madame Pontmercy, a portrait
which had been taken when she was eighteen. He gazed incessantly at that
portrait. One day, he happened to say, as he gazed upon it:—
"I think the likeness is strong."
"To my sister?" inquired Mademoiselle Gillenormand. "Yes, certainly."
"The old man added:—
"And to him also."
Once as he sat with his knees pressed together, and his eyes almost
closed, in a despondent attitude, his daughter ventured to say to him:—
"Father, are you as angry with him as ever?"
She paused, not daring to proceed further.
"With whom?" he demanded.
"With that poor Marius."
He raised his aged head, laid his withered and emaciated fist on the
table, and exclaimed in his most irritated and vibrating tone:—
"Poor Marius, do you say! That gentleman is a knave, a wretched scoundrel,
a vain little ingrate, a heartless, soulless, haughty, and wicked man!"
And he turned away so that his daughter might not see the tear that stood
in his eye.
Three days later he broke a silence which had lasted four hours, to say to
his daughter point-blank:—
"I had the honor to ask Mademoiselle Gillenormand never to mention him to
me."
Aunt Gillenormand renounced every effort, and pronounced this acute
diagnosis: "My father never cared very much for my sister after her folly.
It is clear that he detests Marius."
"After her folly" meant: "after she had married the colonel."
However, as the reader has been able to conjecture, Mademoiselle
Gillenormand had failed in her attempt to substitute her favorite, the
officer of lancers, for Marius. The substitute, Theodule, had not been a
success. M. Gillenormand had not accepted the quid pro quo. A vacancy in
the heart does not accommodate itself to a stop-gap. Theodule, on his
side, though he scented the inheritance, was disgusted at the task of
pleasing. The goodman bored the lancer; and the lancer shocked the
goodman. Lieutenant Theodule was gay, no doubt, but a chatter-box,
frivolous, but vulgar; a high liver, but a frequenter of bad company; he
had mistresses, it is true, and he had a great deal to say about them, it
is true also; but he talked badly. All his good qualities had a defect. M.
Gillenormand was worn out with hearing him tell about the love affairs
that he had in the vicinity of the barracks in the Rue de Babylone. And
then, Lieutenant Gillenormand sometimes came in his uniform, with the
tricolored cockade. This rendered him downright intolerable. Finally,
Father Gillenormand had said to his daughter: "I've had enough of that
Theodule. I haven't much taste for warriors in time of peace. Receive him
if you choose. I don't know but I prefer slashers to fellows that drag
their swords. The clash of blades in battle is less dismal, after all,
than the clank of the scabbard on the pavement. And then, throwing out
your chest like a bully and lacing yourself like a girl, with stays under
your cuirass, is doubly ridiculous. When one is a veritable man, one holds
equally aloof from swagger and from affected airs. He is neither a
blusterer nor a finnicky-hearted man. Keep your Theodule for yourself."
It was in vain that his daughter said to him: "But he is your grandnephew,
nevertheless,"—it turned out that M. Gillenormand, who was a
grandfather to the very finger-tips, was not in the least a grand-uncle.
In fact, as he had good sense, and as he had compared the two, Theodule
had only served to make him regret Marius all the more.
One evening,—it was the 24th of June, which did not prevent Father
Gillenormand having a rousing fire on the hearth,—he had dismissed
his daughter, who was sewing in a neighboring apartment. He was alone in
his chamber, amid its pastoral scenes, with his feet propped on the
andirons, half enveloped in his huge screen of coromandel lacquer, with
its nine leaves, with his elbow resting on a table where burned two
candles under a green shade, engulfed in his tapestry armchair, and in his
hand a book which he was not reading. He was dressed, according to his
wont, like an incroyable, and resembled an antique portrait by Garat. This
would have made people run after him in the street, had not his daughter
covered him up, whenever he went out, in a vast bishop's wadded cloak,
which concealed his attire. At home, he never wore a dressing gown, except
when he rose and retired. "It gives one a look of age," said he.
Father Gillenormand was thinking of Marius lovingly and bitterly; and, as
usual, bitterness predominated. His tenderness once soured always ended by
boiling and turning to indignation. He had reached the point where a man
tries to make up his mind and to accept that which rends his heart. He was
explaining to himself that there was no longer any reason why Marius
should return, that if he intended to return, he should have done it long
ago, that he must renounce the idea. He was trying to accustom himself to
the thought that all was over, and that he should die without having
beheld "that gentleman" again. But his whole nature revolted; his aged
paternity would not consent to this. "Well!" said he,—this was his
doleful refrain,—"he will not return!" His bald head had fallen upon
his breast, and he fixed a melancholy and irritated gaze upon the ashes on
his hearth.
In the very midst of his revery, his old servant Basque entered, and
inquired:—
"Can Monsieur receive M. Marius?"
The old man sat up erect, pallid, and like a corpse which rises under the
influence of a galvanic shock. All his blood had retreated to his heart.
He stammered:—
"M. Marius what?"
"I don't know," replied Basque, intimidated and put out of countenance by
his master's air; "I have not seen him. Nicolette came in and said to me:
'There's a young man here; say that it is M. Marius.'"
Father Gillenormand stammered in a low voice:—
"Show him in."
And he remained in the same attitude, with shaking head, and his eyes
fixed on the door. It opened once more. A young man entered. It was
Marius.
Marius halted at the door, as though waiting to be bidden to enter.
His almost squalid attire was not perceptible in the obscurity caused by
the shade. Nothing could be seen but his calm, grave, but strangely sad
face.
It was several minutes before Father Gillenormand, dulled with amazement
and joy, could see anything except a brightness as when one is in the
presence of an apparition. He was on the point of swooning; he saw Marius
through a dazzling light. It certainly was he, it certainly was Marius.
At last! After the lapse of four years! He grasped him entire, so to
speak, in a single glance. He found him noble, handsome, distinguished,
well-grown, a complete man, with a suitable mien and a charming air. He
felt a desire to open his arms, to call him, to fling himself forward; his
heart melted with rapture, affectionate words swelled and overflowed his
breast; at length all his tenderness came to the light and reached his
lips, and, by a contrast which constituted the very foundation of his
nature, what came forth was harshness. He said abruptly:—
"What have you come here for?"
Marius replied with embarrassment:—
"Monsieur—"
M. Gillenormand would have liked to have Marius throw himself into his
arms. He was displeased with Marius and with himself. He was conscious
that he was brusque, and that Marius was cold. It caused the goodman
unendurable and irritating anxiety to feel so tender and forlorn within,
and only to be able to be hard outside. Bitterness returned. He
interrupted Marius in a peevish tone:—
"Then why did you come?"
That "then" signified: If you do not come to embrace me. Marius looked at
his grandfather, whose pallor gave him a face of marble.
"Monsieur—"
"Have you come to beg my pardon? Do you acknowledge your faults?"
He thought he was putting Marius on the right road, and that "the child"
would yield. Marius shivered; it was the denial of his father that was
required of him; he dropped his eyes and replied:—
"No, sir."
"Then," exclaimed the old man impetuously, with a grief that was poignant
and full of wrath, "what do you want of me?"
Marius clasped his hands, advanced a step, and said in a feeble and
trembling voice:—
"Sir, have pity on me."
These words touched M. Gillenormand; uttered a little sooner, they would
have rendered him tender, but they came too late. The grandfather rose; he
supported himself with both hands on his cane; his lips were white, his
brow wavered, but his lofty form towered above Marius as he bowed.
"Pity on you, sir! It is youth demanding pity of the old man of
ninety-one! You are entering into life, I am leaving it; you go to the
play, to balls, to the cafe, to the billiard-hall; you have wit, you
please the women, you are a handsome fellow; as for me, I spit on my
brands in the heart of summer; you are rich with the only riches that are
really such, I possess all the poverty of age; infirmity, isolation! You
have your thirty-two teeth, a good digestion, bright eyes, strength,
appetite, health, gayety, a forest of black hair; I have no longer even
white hair, I have lost my teeth, I am losing my legs, I am losing my
memory; there are three names of streets that I confound incessantly, the
Rue Charlot, the Rue du Chaume, and the Rue Saint-Claude, that is what I
have come to; you have before you the whole future, full of sunshine, and
I am beginning to lose my sight, so far am I advancing into the night; you
are in love, that is a matter of course, I am beloved by no one in all the
world; and you ask pity of me! Parbleu! Moliere forgot that. If that is
the way you jest at the courthouse, Messieurs the lawyers, I sincerely
compliment you. You are droll."
And the octogenarian went on in a grave and angry voice:—
"Come, now, what do you want of me?"
"Sir," said Marius, "I know that my presence is displeasing to you, but I
have come merely to ask one thing of you, and then I shall go away
immediately."
"You are a fool!" said the old man. "Who said that you were to go away?"
This was the translation of the tender words which lay at the bottom of
his heart:—
"Ask my pardon! Throw yourself on my neck!"
M. Gillenormand felt that Marius would leave him in a few moments, that
his harsh reception had repelled the lad, that his hardness was driving
him away; he said all this to himself, and it augmented his grief; and as
his grief was straightway converted into wrath, it increased his
harshness. He would have liked to have Marius understand, and Marius did
not understand, which made the goodman furious.
He began again:—
"What! you deserted me, your grandfather, you left my house to go no one
knows whither, you drove your aunt to despair, you went off, it is easily
guessed, to lead a bachelor life; it's more convenient, to play the dandy,
to come in at all hours, to amuse yourself; you have given me no signs of
life, you have contracted debts without even telling me to pay them, you
have become a smasher of windows and a blusterer, and, at the end of four
years, you come to me, and that is all you have to say to me!"
This violent fashion of driving a grandson to tenderness was productive
only of silence on the part of Marius. M. Gillenormand folded his arms; a
gesture which with him was peculiarly imperious, and apostrophized Marius
bitterly:—
"Let us make an end of this. You have come to ask something of me, you
say? Well, what? What is it? Speak!"
"Sir," said Marius, with the look of a man who feels that he is falling
over a precipice, "I have come to ask your permission to marry."
M. Gillenormand rang the bell. Basque opened the door half-way.
"Call my daughter."
A second later, the door was opened once more, Mademoiselle Gillenormand
did not enter, but showed herself; Marius was standing, mute, with pendant
arms and the face of a criminal; M. Gillenormand was pacing back and forth
in the room. He turned to his daughter and said to her:—
"Nothing. It is Monsieur Marius. Say good day to him. Monsieur wishes to
marry. That's all. Go away."
The curt, hoarse sound of the old man's voice announced a strange degree
of excitement. The aunt gazed at Marius with a frightened air, hardly
appeared to recognize him, did not allow a gesture or a syllable to escape
her, and disappeared at her father's breath more swiftly than a straw
before the hurricane.
In the meantime, Father Gillenormand had returned and placed his back
against the chimney-piece once more.
"You marry! At one and twenty! You have arranged that! You have only a
permission to ask! a formality. Sit down, sir. Well, you have had a
revolution since I had the honor to see you last. The Jacobins got the
upper hand. You must have been delighted. Are you not a Republican since
you are a Baron? You can make that agree. The Republic makes a good sauce
for the barony. Are you one of those decorated by July? Have you taken the
Louvre at all, sir? Quite near here, in the Rue Saint-Antoine, opposite
the Rue des Nonamdieres, there is a cannon-ball incrusted in the wall of
the third story of a house with this inscription: 'July 28th, 1830.' Go
take a look at that. It produces a good effect. Ah! those friends of yours
do pretty things. By the way, aren't they erecting a fountain in the place
of the monument of M. le Duc de Berry? So you want to marry? Whom? Can one
inquire without indiscretion?"
He paused, and, before Marius had time to answer, he added violently:—
"Come now, you have a profession? A fortune made? How much do you earn at
your trade of lawyer?"
"Nothing," said Marius, with a sort of firmness and resolution that was
almost fierce.
"Nothing? Then all that you have to live upon is the twelve hundred livres
that I allow you?"
Marius did not reply. M. Gillenormand continued:—
"Then I understand the girl is rich?"
"As rich as I am."
"What! No dowry?"
"No."
"Expectations?"
"I think not."
"Utterly naked! What's the father?"
"I don't know."
"And what's her name?"
"Mademoiselle Fauchelevent."
"Fauchewhat?"
"Fauchelevent."
"Pttt!" ejaculated the old gentleman.
"Sir!" exclaimed Marius.
M. Gillenormand interrupted him with the tone of a man who is speaking to
himself:—
"That's right, one and twenty years of age, no profession, twelve hundred
livres a year, Madame la Baronne de Pontmercy will go and purchase a
couple of sous' worth of parsley from the fruiterer."
"Sir," repeated Marius, in the despair at the last hope, which was
vanishing, "I entreat you! I conjure you in the name of Heaven, with
clasped hands, sir, I throw myself at your feet, permit me to marry her!"
The old man burst into a shout of strident and mournful laughter, coughing
and laughing at the same time.
"Ah! ah! ah! You said to yourself: 'Pardine! I'll go hunt up that old
blockhead, that absurd numskull! What a shame that I'm not twenty-five!
How I'd treat him to a nice respectful summons! How nicely I'd get along
without him! It's nothing to me, I'd say to him: "You're only too happy to
see me, you old idiot, I want to marry, I desire to wed Mamselle
No-matter-whom, daughter of Monsieur No-matter-what, I have no shoes, she
has no chemise, that just suits; I want to throw my career, my future, my
youth, my life to the dogs; I wish to take a plunge into wretchedness with
a woman around my neck, that's an idea, and you must consent to it!" and
the old fossil will consent.' Go, my lad, do as you like, attach your
paving-stone, marry your Pousselevent, your Coupelevent—Never, sir,
never!"
"Father—"
"Never!"
At the tone in which that "never" was uttered, Marius lost all hope. He
traversed the chamber with slow steps, with bowed head, tottering and more
like a dying man than like one merely taking his departure. M.
Gillenormand followed him with his eyes, and at the moment when the door
opened, and Marius was on the point of going out, he advanced four paces,
with the senile vivacity of impetuous and spoiled old gentlemen, seized
Marius by the collar, brought him back energetically into the room, flung
him into an armchair and said to him:—
"Tell me all about it!"
"It was that single word "father" which had effected this revolution.
Marius stared at him in bewilderment. M. Gillenormand's mobile face was no
longer expressive of anything but rough and ineffable good-nature. The
grandsire had given way before the grandfather.
"Come, see here, speak, tell me about your love affairs, jabber, tell me
everything! Sapristi! how stupid young folks are!"
"Father—" repeated Marius.
The old man's entire countenance lighted up with indescribable radiance.
"Yes, that's right, call me father, and you'll see!"
There was now something so kind, so gentle, so openhearted, and so
paternal in this brusqueness, that Marius, in the sudden transition from
discouragement to hope, was stunned and intoxicated by it, as it were. He
was seated near the table, the light from the candles brought out the
dilapidation of his costume, which Father Gillenormand regarded with
amazement.
"Well, father—" said Marius.
"Ah, by the way," interrupted M. Gillenormand, "you really have not a
penny then? You are dressed like a pickpocket."
He rummaged in a drawer, drew forth a purse, which he laid on the table:
"Here are a hundred louis, buy yourself a hat."
"Father," pursued Marius, "my good father, if you only knew! I love her.
You cannot imagine it; the first time I saw her was at the Luxembourg, she
came there; in the beginning, I did not pay much heed to her, and then, I
don't know how it came about, I fell in love with her. Oh! how unhappy
that made me! Now, at last, I see her every day, at her own home, her
father does not know it, just fancy, they are going away, it is in the
garden that we meet, in the evening, her father means to take her to
England, then I said to myself: 'I'll go and see my grandfather and tell
him all about the affair. I should go mad first, I should die, I should
fall ill, I should throw myself into the water. I absolutely must marry
her, since I should go mad otherwise.' This is the whole truth, and I do
not think that I have omitted anything. She lives in a garden with an iron
fence, in the Rue Plumet. It is in the neighborhood of the Invalides."
Father Gillenormand had seated himself, with a beaming countenance, beside
Marius. As he listened to him and drank in the sound of his voice, he
enjoyed at the same time a protracted pinch of snuff. At the words "Rue
Plumet" he interrupted his inhalation and allowed the remainder of his
snuff to fall upon his knees.
"The Rue Plumet, the Rue Plumet, did you say?—Let us see!—Are
there not barracks in that vicinity?—Why, yes, that's it. Your
cousin Theodule has spoken to me about it. The lancer, the officer. A gay
girl, my good friend, a gay girl!—Pardieu, yes, the Rue Plumet. It
is what used to be called the Rue Blomet.—It all comes back to me
now. I have heard of that little girl of the iron railing in the Rue
Plumet. In a garden, a Pamela. Your taste is not bad. She is said to be a
very tidy creature. Between ourselves, I think that simpleton of a lancer
has been courting her a bit. I don't know where he did it. However, that's
not to the purpose. Besides, he is not to be believed. He brags, Marius! I
think it quite proper that a young man like you should be in love. It's
the right thing at your age. I like you better as a lover than as a
Jacobin. I like you better in love with a petticoat, sapristi! with twenty
petticoats, than with M. de Robespierre. For my part, I will do myself the
justice to say, that in the line of sans-culottes, I have never loved any
one but women. Pretty girls are pretty girls, the deuce! There's no
objection to that. As for the little one, she receives you without her
father's knowledge. That's in the established order of things. I have had
adventures of that same sort myself. More than one. Do you know what is
done then? One does not take the matter ferociously; one does not
precipitate himself into the tragic; one does not make one's mind to
marriage and M. le Maire with his scarf. One simply behaves like a fellow
of spirit. One shows good sense. Slip along, mortals; don't marry. You
come and look up your grandfather, who is a good-natured fellow at bottom,
and who always has a few rolls of louis in an old drawer; you say to him:
'See here, grandfather.' And the grandfather says: 'That's a simple
matter. Youth must amuse itself, and old age must wear out. I have been
young, you will be old. Come, my boy, you shall pass it on to your
grandson. Here are two hundred pistoles. Amuse yourself, deuce take it!'
Nothing better! That's the way the affair should be treated. You don't
marry, but that does no harm. You understand me?"
Marius, petrified and incapable of uttering a syllable, made a sign with
his head that he did not.
The old man burst out laughing, winked his aged eye, gave him a slap on
the knee, stared him full in the face with a mysterious and beaming air,
and said to him, with the tenderest of shrugs of the shoulder:—
"Booby! make her your mistress."
Marius turned pale. He had understood nothing of what his grandfather had
just said. This twaddle about the Rue Blomet, Pamela, the barracks, the
lancer, had passed before Marius like a dissolving view. Nothing of all
that could bear any reference to Cosette, who was a lily. The good man was
wandering in his mind. But this wandering terminated in words which Marius
did understand, and which were a mortal insult to Cosette. Those words,
"make her your mistress," entered the heart of the strict young man like a
sword.
He rose, picked up his hat which lay on the floor, and walked to the door
with a firm, assured step. There he turned round, bowed deeply to his
grandfather, raised his head erect again, and said:—
"Five years ago you insulted my father; to-day you have insulted my wife.
I ask nothing more of you, sir. Farewell."
Father Gillenormand, utterly confounded, opened his mouth, extended his
arms, tried to rise, and before he could utter a word, the door closed
once more, and Marius had disappeared.
The old man remained for several minutes motionless and as though struck
by lightning, without the power to speak or breathe, as though a clenched
fist grasped his throat. At last he tore himself from his arm-chair, ran,
so far as a man can run at ninety-one, to the door, opened it, and cried:—
"Help! Help!"
His daughter made her appearance, then the domestics. He began again, with
a pitiful rattle: "Run after him! Bring him back! What have I done to him?
He is mad! He is going away! Ah! my God! Ah! my God! This time he will not
come back!"
He went to the window which looked out on the street, threw it open with
his aged and palsied hands, leaned out more than half-way, while Basque
and Nicolette held him behind, and shouted:—
"Marius! Marius! Marius! Marius!"
But Marius could no longer hear him, for at that moment he was turning the
corner of the Rue Saint-Louis.
The octogenarian raised his hands to his temples two or three times with
an expression of anguish, recoiled tottering, and fell back into an
arm-chair, pulseless, voiceless, tearless, with quivering head and lips
which moved with a stupid air, with nothing in his eyes and nothing any
longer in his heart except a gloomy and profound something which resembled
night.