Volume 4/Book 5/Chapter 4
Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Fifth: The End of Which Does Not Resemble the Beginning, Chapter 4: A Heart beneath a Stone
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre cinquième: Dont la fin ne ressemble pas au commencement, Chapitre 4: Un cœur sous une pierre)
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General notes on this chapter
French text
La réduction de l'univers à un seul être, la dilatation d'un seul être jusqu'à Dieu, voilà l'amour.
L'amour, c'est la salutation des anges aux astres.
Comme l'âme est triste quand elle est triste par l'amour!
Quel vide que l'absence de l'être qui à lui seul remplit le monde! Oh! comme il est vrai que l'être aimé devient Dieu. On comprendrait que Dieu en fût jaloux si le Père de tout n'avait pas évidemment fait la création pour l'âme, et l'âme pour l'amour.
Il suffît d'un sourire entrevu là-bas sous un chapeau de crêpe blanc à bavolet lilas, pour que l'âme entre dans le palais des rêves.
Dieu est derrière tout, mais tout cache Dieu. Les choses sont noires, les créatures sont opaques. Aimer un être, c'est le rendre transparent.
De certaines pensées sont des prières. Il y a des moments où, quelle que soit l'attitude du corps, l'âme est à genoux.
Les amants séparés trompent l'absence par mille choses chimériques qui ont pourtant leur réalité. On les empêche de se voir, ils ne peuvent s'écrire; ils trouvent une foule de moyens mystérieux de correspondre. Ils s'envoient le chant des oiseaux, le parfum des fleurs, le rire des enfants, la lumière du soleil, les soupirs du vent, les rayons des étoiles, toute la création. Et pourquoi non? Toutes les œuvres de Dieu sont faites pour servir l'amour. L'amour est assez puissant pour charger la nature entière de ses messages.
O printemps, tu es une lettre que je lui écris.
L'avenir appartient encore bien plus aux cœurs qu'aux esprits. Aimer, voilà la seule chose qui puisse occuper et emplir l'éternité. À l'infini, il faut l'inépuisable.
L'amour participe de l'âme même. Il est de même nature qu'elle. Comme elle il est étincelle divine, comme elle il est incorruptible, indivisible, impérissable. C'est un point de feu qui est en nous, qui est immortel et infini, que rien ne peut borner et que rien ne peut éteindre. On le sent brûler jusque dans la moelle des os et on le voit rayonner jusqu'au fond du ciel.
Ô amour! adorations! volupté de deux esprits qui se comprennent, de deux cœurs qui s'échangent, de deux regards qui se pénètrent? Vous me viendrez, n'est-ce pas, bonheurs! Promenades à deux dans les solitudes! journées bénies et rayonnantes! J'ai quelquefois rêvé que de temps en temps des heures se détachaient de la vie des anges et venaient ici-bas traverser la destinée des hommes.
Dieu ne peut rien ajouter au bonheur de ceux qui s'aiment que de leur donner la durée sans fin. Après une vie d'amour, une éternité d'amour, c'est une augmentation en effet; mais accroître en son intensité même la félicité ineffable que l'amour donne à l'âme dès ce monde, c'est impossible, même à Dieu. Dieu, c'est la plénitude du ciel; l'amour, c'est la plénitude de l'homme.
Vous regardez une étoile pour deux motifs, parce qu'elle est lumineuse et parce qu'elle est impénétrable. Vous avez auprès de vous un plus doux rayonnement et un plus grand mystère, la femme.
Tous, qui ne nous soyons, nous avons nos êtres respirables. S'ils nous manquent, l'air nous manque, nous étouffons. Alors on meurt. Mourir par manque d'amour, c'est affreux! L'asphyxie de l'âme!
Quand l'amour a fondu et mêlé deux êtres dans une unité angélique et sacrée, le secret de la vie est trouvé pour eux; ils ne sont plus que les deux termes d'une même destinée; ils ne sont plus que les deux ailes d'un même esprit. Aimez, planez!
Le jour où une femme qui passe devant vous dégage de la lumière en marchant, vous êtes perdu, vous aimez. Vous n'avez plus qu'une chose à faire, penser à elle si fixement qu'elle soit contrainte de penser à vous.
Ce que l'amour commence ne peut être achevé que par Dieu.
L'amour vrai se désole et s'enchante pour un gant perdu ou pour un mouchoir trouvé, et il a besoin de l'éternité pour son dévouement et ses espérances. Il se compose à la fois de l'infiniment grand et de l'infiniment petit.
Si vous êtes pierre, soyez aimant; si vous êtes plante, soyez sensitive; si vous êtes homme, soyez amour.
Rien ne suffit à l'amour. On a le bonheur, on veut le paradis; on a le paradis, on veut le ciel.
Ô vous qui vous aimez, tout cela est dans l'amour. Sachez l'y trouver. L'amour a autant que le ciel, la contemplation, et de plus que le ciel, la volupté.
—Vient-elle encore au Luxembourg?—Non, monsieur.—C'est dans cette église qu'elle entend la messe, n'est-ce pas?—Elle n'y vient plus.—Habite-t-elle toujours cette maison?—Elle est déménagée.—Où est-elle allée demeurer?—Elle ne l'a pas dit.
Quelle chose sombre de ne pas savoir l'adresse de son âme!
L'amour a des enfantillages, les autres passions ont des petitesses. Honte aux passions qui rendent l'homme petit! Honneur à celle qui le fait enfant!
C'est une chose étrange, savez-vous cela? Je suis dans la nuit. Il y a un être qui en s'en allant a emporté le ciel.
Oh! être couchés côte à côte dans le même tombeau la main dans la main, et de temps en temps, dans les ténèbres, nous caresser doucement un doigt, cela suffirait à mon éternité.
Vous qui souffrez parce que vous aimez, aimez plus encore. Mourir d'amour, c'est en vivre.
Aimez. Une sombre transfiguration étoilée est mêlée à ce supplice. Il y a de l'extase dans l'agonie.
Ô joie des oiseaux! c'est parce qu'ils ont le nid qu'ils ont le chant.
L'amour est une respiration céleste de l'air du paradis.
Cœurs profonds, esprits sages, prenez la vie comme Dieu la faite; c'est une longue épreuve, une préparation inintelligible à la destinée inconnue. Cette destinée, la vraie, commence pour l'homme à la première marche de l'intérieur du tombeau. Alors il lui apparaît quelque chose, et il commence à distinguer le définitif. Le définitif, songez à ce mot. Les vivants voient l'infini; le définitif ne se laisse voir qu'aux morts. En attendant, aimez et souffrez, espérez et contemplez. Malheur, hélas! à qui n'aura aimé que des corps, des formes, des apparences! La mort lui ôtera tout. Tâchez d'aimer des âmes, vous les retrouverez.
J'ai rencontré dans la rue un jeune homme très pauvre qui aimait. Son chapeau était vieux, son habit était usé; il avait les coudes troués; l'eau passait à travers ses souliers et les astres à travers son âme.
Quelle grande chose, être aimé! Quelle chose plus grande encore, aimer! Le cœur devient héroïque à force de passion. Il ne se compose plus de rien que de pur; il ne s'appuie plus sur rien que d'élevé et de grand. Une pensée indigne n'y peut pas plus germer qu'une ortie sur un glacier. L'âme haute et sereine, inaccessible aux passions et aux émotions vulgaires, dominant les nuées et les ombres de ce monde, les folies, les mensonges, les haines, les vanités, les misères, habite le bleu du ciel, et ne sent plus que les ébranlements profonds et souterrains de la destinée, comme le haut des montagnes sent les tremblements de terre.
S'il n'y avait pas quelqu'un qui aime, le soleil s'éteindrait.
English text
The reduction of the universe to a single being, the expansion of a single being even to God, that is love.
Love is the salutation of the angels to the stars.
How sad is the soul, when it is sad through love!
What a void in the absence of the being who, by herself alone fills the world! Oh! how true it is that the beloved being becomes God. One could comprehend that God might be jealous of this had not God the Father of all evidently made creation for the soul, and the soul for love.
The glimpse of a smile beneath a white crape bonnet with a lilac curtain is sufficient to cause the soul to enter into the palace of dreams.
God is behind everything, but everything hides God. Things are black, creatures are opaque. To love a being is to render that being transparent.
Certain thoughts are prayers. There are moments when, whatever the attitude of the body may be, the soul is on its knees.
Parted lovers beguile absence by a thousand chimerical devices, which possess, however, a reality of their own. They are prevented from seeing each other, they cannot write to each other; they discover a multitude of mysterious means to correspond. They send each other the song of the birds, the perfume of the flowers, the smiles of children, the light of the sun, the sighings of the breeze, the rays of stars, all creation. And why not? All the works of God are made to serve love. Love is sufficiently potent to charge all nature with its messages. Oh Spring! Thou art a letter that I write to her.
The future belongs to hearts even more than it does to minds. Love, that is the only thing that can occupy and fill eternity. In the infinite, the inexhaustible is requisite.
Love participates of the soul itself. It is of the same nature. Like it, it is the divine spark; like it, it is incorruptible, indivisible, imperishable. It is a point of fire that exists within us, which is immortal and infinite, which nothing can confine, and which nothing can extinguish. We feel it burning even to the very marrow of our bones, and we see it beaming in the very depths of heaven.
Oh Love! Adorations! voluptuousness of two minds which understand each other, of two hearts which exchange with each other, of two glances which penetrate each other! You will come to me, will you not, bliss! strolls by twos in the solitudes! Blessed and radiant days! I have sometimes dreamed that from time to time hours detached themselves from the lives of the angels and came here below to traverse the destinies of men.
God can add nothing to the happiness of those who love, except to give them endless duration. After a life of love, an eternity of love is, in fact, an augmentation; but to increase in intensity even the ineffable felicity which love bestows on the soul even in this world, is impossible, even to God. God is the plenitude of heaven; love is the plenitude of man.
You look at a star for two reasons, because it is luminous, and because it is impenetrable. You have beside you a sweeter radiance and a greater mystery, woman.
All of us, whoever we may be, have our respirable beings. We lack air and we stifle. Then we die. To die for lack of love is horrible. Suffocation of the soul.
When love has fused and mingled two beings in a sacred and angelic unity, the secret of life has been discovered so far as they are concerned; they are no longer anything more than the two boundaries of the same destiny; they are no longer anything but the two wings of the same spirit. Love, soar.
On the day when a woman as she passes before you emits light as she walks, you are lost, you love. But one thing remains for you to do: to think of her so intently that she is constrained to think of you.
What love commences can be finished by God alone.
True love is in despair and is enchanted over a glove lost or a handkerchief found, and eternity is required for its devotion and its hopes. It is composed both of the infinitely great and the infinitely little.
If you are a stone, be adamant; if you are a plant, be the sensitive plant; if you are a man, be love.
Nothing suffices for love. We have happiness, we desire paradise; we possess paradise, we desire heaven.
Oh ye who love each other, all this is contained in love. Understand how to find it there. Love has contemplation as well as heaven, and more than heaven, it has voluptuousness.
"Does she still come to the Luxembourg?" "No, sir." "This is the church where she attends mass, is it not?" "She no longer comes here." "Does she still live in this house?" "She has moved away." "Where has she gone to dwell?"
"She did not say."
What a melancholy thing not to know the address of one's soul!
Love has its childishness, other passions have their pettinesses. Shame on the passions which belittle man! Honor to the one which makes a child of him!
There is one strange thing, do you know it? I dwell in the night. There is a being who carried off my sky when she went away.
Oh! would that we were lying side by side in the same grave, hand in hand, and from time to time, in the darkness, gently caressing a finger,—that would suffice for my eternity!
Ye who suffer because ye love, love yet more. To die of love, is to live in it.
Love. A sombre and starry transfiguration is mingled with this torture. There is ecstasy in agony.
Oh joy of the birds! It is because they have nests that they sing.
Love is a celestial respiration of the air of paradise.
Deep hearts, sage minds, take life as God has made it; it is a long trial, an incomprehensible preparation for an unknown destiny. This destiny, the true one, begins for a man with the first step inside the tomb. Then something appears to him, and he begins to distinguish the definitive. The definitive, meditate upon that word. The living perceive the infinite; the definitive permits itself to be seen only by the dead. In the meanwhile, love and suffer, hope and contemplate. Woe, alas! to him who shall have loved only bodies, forms, appearances! Death will deprive him of all. Try to love souls, you will find them again.
I encountered in the street, a very poor young man who was in love. His hat was old, his coat was worn, his elbows were in holes; water trickled through his shoes, and the stars through his soul.
What a grand thing it is to be loved! What a far grander thing it is to love! The heart becomes heroic, by dint of passion. It is no longer composed of anything but what is pure; it no longer rests on anything that is not elevated and great. An unworthy thought can no more germinate in it, than a nettle on a glacier. The serene and lofty soul, inaccessible to vulgar passions and emotions, dominating the clouds and the shades of this world, its follies, its lies, its hatreds, its vanities, its miseries, inhabits the blue of heaven, and no longer feels anything but profound and subterranean shocks of destiny, as the crests of mountains feel the shocks of earthquake.
If there did not exist some one who loved, the sun would become extinct.