Volume 4/Book 12/Chapter 5
Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Twelfth: Corinthe, Chapter 5: Preparations
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre douzième: Corinthe, Chapitre 5: Les préparatifs)
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General notes on this chapter
French text
Les journaux du temps qui ont dit que la barricade de la rue de la Chanvrerie, cette construction presque inexpugnable, comme ils l'appellent, atteignait au niveau d'un premier étage, se sont trompés. Le fait est qu'elle ne dépassait pas une hauteur moyenne de six ou sept pieds. Elle était bâtie de manière que les combattants pouvaient, à volonté, ou disparaître derrière, ou dominer le barrage et même en escalader la crête au moyen d'une quadruple rangée de pavés superposés et arrangés en gradins à l'intérieur. Au dehors le front de la barricade, composé de piles de pavés et de tonneaux reliés par des poutres et des planches qui s'enchevêtraient dans les roues de la charrette Anceau et de l'omnibus renversé, avait un aspect hérissé et inextricable. Une coupure suffisante pour qu'un homme y pût passer avait été ménagée entre le mur des maisons et l'extrémité de la barricade la plus éloignée du cabaret, de façon qu'une sortie était possible. La flèche de l'omnibus était dressée droite et maintenue avec des cordes, et un drapeau rouge, fixé à cette flèche, flottait sur la barricade.
La petite barricade Mondétour, cachée derrière la maison du cabaret, ne s'apercevait pas. Les deux barricades réunies formaient une véritable redoute. Enjolras et Courfeyrac n'avaient pas jugé à propos de barricader l'autre tronçon de la rue Mondétour qui ouvre par la rue des Prêcheurs une issue sur les halles, voulant sans doute conserver une communication possible avec le dehors et redoutant peu d'être attaqués par la dangereuse et difficile ruelle des Prêcheurs.
À cela près de cette issue restée libre, qui constituait ce que Folard, dans son style stratégique, eût appelé un boyau, et en tenant compte aussi de la coupure exiguë ménagée sur la rue de la Chanvrerie, l'intérieur de la barricade, où le cabaret faisait un angle saillant, présentait un quadrilatère irrégulier fermé de toutes parts. Il y avait une vingtaine de pas d'intervalle entre le grand barrage et les hautes maisons qui formaient le fond de la rue, en sorte qu'on pouvait dire que la barricade était adossée à ces maisons, toutes habitées, mais closes du haut en bas.
Tout ce travail se fit sans empêchement en moins d'une heure et sans que cette poignée d'hommes hardis vît surgir un bonnet à poil ni une bayonnette. Les bourgeois peu fréquents qui se hasardaient encore à ce moment de l'émeute dans la rue Saint-Denis jetaient un coup d'œil rue de la Chanvrerie, apercevaient la barricade, et doublaient le pas.
Les deux barricades terminées, le drapeau arboré, on traîna une table hors du cabaret? et Courfeyrac monta sur la table. Enjolras apporta le coffre carré et Courfeyrac l'ouvrit. Ce coffre était rempli de cartouches. Quand on vit les cartouches, il y eut un tressaillement parmi les plus braves et un moment de silence.
Courfeyrac les distribua en souriant.
Chacun reçut trente cartouches. Beaucoup avaient de la poudre et se mirent à en faire d'autres avec les balles qu'on fondait. Quant au baril de poudre, il était sur une table à part, près de la porte, et on le réserva.
Le rappel, qui parcourait tout Paris, ne discontinuait pas, mais cela avait fini par ne plus être qu'un bruit monotone auquel ils ne faisaient plus attention. Ce bruit tantôt s'éloignait, tantôt s'approchait, avec des ondulations lugubres.
On chargea les fusils et les carabines, tous ensemble, sans précipitation, avec une gravité solennelle. Enjolras alla placer trois sentinelles hors des barricades, l'une rue de la Chanvrerie, la seconde rue des Prêcheurs, la troisième au coin de la Petite-Truanderie.
Puis, les barricades bâties, les postes assignés, les fusils chargés, les vedettes posées, seuls dans ces rues redoutables où personne ne passait plus, entourés de ces maisons muettes et comme mortes où ne palpitait aucun mouvement humain, enveloppés des ombres croissantes du crépuscule qui commençait, au milieu de cette obscurité et de ce silence où l'on sentait s'avancer quelque chose et qui avaient je ne sais quoi de tragique et de terrifiant, isolés, armés, déterminés, tranquilles, ils attendirent.
English text
The journals of the day which said that that nearly impregnable structure, of the barricade of the Rue de la Chanvrerie, as they call it, reached to the level of the first floor, were mistaken. The fact is, that it did not exceed an average height of six or seven feet. It was built in such a manner that the combatants could, at their will, either disappear behind it or dominate the barrier and even scale its crest by means of a quadruple row of paving-stones placed on top of each other and arranged as steps in the interior. On the outside, the front of the barricade, composed of piles of paving-stones and casks bound together by beams and planks, which were entangled in the wheels of Anceau's dray and of the overturned omnibus, had a bristling and inextricable aspect.
An aperture large enough to allow a man to pass through had been made between the wall of the houses and the extremity of the barricade which was furthest from the wine-shop, so that an exit was possible at this point. The pole of the omnibus was placed upright and held up with ropes, and a red flag, fastened to this pole, floated over the barricade.
The little Mondetour barricade, hidden behind the wine-shop building, was not visible. The two barricades united formed a veritable redoubt. Enjolras and Courfeyrac had not thought fit to barricade the other fragment of the Rue Mondetour which opens through the Rue des Prêcheurs an issue into the Halles, wishing, no doubt, to preserve a possible communication with the outside, and not entertaining much fear of an attack through the dangerous and difficult street of the Rue des Prêcheurs.
With the exception of this issue which was left free, and which constituted what Folard in his strategical style would have termed a branch and taking into account, also, the narrow cutting arranged on the Rue de la Chanvrerie, the interior of the barricade, where the wine-shop formed a salient angle, presented an irregular square, closed on all sides. There existed an interval of twenty paces between the grand barrier and the lofty houses which formed the background of the street, so that one might say that the barricade rested on these houses, all inhabited, but closed from top to bottom.
All this work was performed without any hindrance, in less than an hour, and without this handful of bold men seeing a single bear-skin cap or a single bayonet make their appearance. The very bourgeois who still ventured at this hour of riot to enter the Rue Saint-Denis cast a glance at the Rue de la Chanvrerie, caught sight of the barricade, and redoubled their pace.
The two barricades being finished, and the flag run up, a table was dragged out of the wine-shop; and Courfeyrac mounted on the table. Enjolras brought the square coffer, and Courfeyrac opened it. This coffer was filled with cartridges. When the mob saw the cartridges, a tremor ran through the bravest, and a momentary silence ensued.
Courfeyrac distributed them with a smile.
Each one received thirty cartridges. Many had powder, and set about making others with the bullets which they had run. As for the barrel of powder, it stood on a table on one side, near the door, and was held in reserve.
The alarm beat which ran through all Paris, did not cease, but it had finally come to be nothing more than a monotonous noise to which they no longer paid any attention. This noise retreated at times, and again drew near, with melancholy undulations.
They loaded the guns and carbines, all together, without haste, with solemn gravity. Enjolras went and stationed three sentinels outside the barricades, one in the Rue de la Chanvrerie, the second in the Rue des Prêcheurs, the third at the corner of the Rue de la Petite Truanderie.
Then, the barricades having been built, the posts assigned, the guns loaded, the sentinels stationed, they waited, alone in those redoubtable streets through which no one passed any longer, surrounded by those dumb houses which seemed dead and in which no human movement palpitated, enveloped in the deepening shades of twilight which was drawing on, in the midst of that silence through which something could be felt advancing, and which had about it something tragic and terrifying, isolated, armed, determined, and tranquil.