Volume 2/Book 5/Chapter 6

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Les Misérables, Volume 2: Cosette, Book Fifth: For A Black Hunt, A Mute Pack, Chapter 6: The beginning of an enigma
(Tome 2: Cosette, Livre cinqième: À chasse noire, meute muette, Chapitre 6: Commencement d'une énigme )

General notes on this chapter

French text

Jean Valjean se trouvait dans une espèce de jardin fort vaste et d'un aspect singulier; un de ces jardins tristes qui semblent faits pour être regardés l'hiver et la nuit. Ce jardin était d'une forme oblongue, avec une allée de grands peupliers au fond, des futaies assez hautes dans les coins, et un espace sans ombre au milieu, où l'on distinguait un très grand arbre isolé, puis quelques arbres fruitiers tordus et hérissés comme de grosses broussailles, des carrés de légumes, une melonnière dont les cloches brillaient à la lune, et un vieux puisard. Il y avait çà et là des bancs de pierre qui semblaient noirs de mousse. Les allées étaient bordées de petits arbustes sombres, et toutes droites. L'herbe en envahissait la moitié et une moisissure verte couvrait le reste.

Jean Valjean avait à côté de lui la bâtisse dont le toit lui avait servi pour descendre, un tas de fagots, et derrière les fagots, tout contre le mur, une statue de pierre dont la face mutilée n'était plus qu'un masque informe qui apparaissait vaguement dans l'obscurité.

La bâtisse était une sorte de ruine où l'on distinguait des chambres démantelées dont une, tout encombrée, semblait servir de hangar.

Le grand bâtiment de la rue Droit-Mur qui faisait retour sur la petite rue Picpus développait sur ce jardin deux façades en équerre. Ces façades du dedans étaient plus tragiques encore que celles du dehors. Toutes les fenêtres étaient grillées. On n'y entrevoyait aucune lumière. Aux étages supérieurs il y avait des hottes comme aux prisons. L'une de ces façades projetait sur l'autre son ombre qui retombait sur le jardin comme un immense drap noir.

On n'apercevait pas d'autre maison. Le fond du jardin se perdait dans la brume et dans la nuit. Cependant on y distinguait confusément des murailles qui s'entrecoupaient comme s'il y avait d'autres cultures au delà, et les toits bas de la rue Polonceau.

On ne pouvait rien se figurer de plus farouche et de plus solitaire que ce jardin. Il n'y avait personne, ce qui était tout simple à cause de l'heure; mais il ne semblait pas que cet endroit fût fait pour que quelqu'un y marchât, même en plein midi.

Le premier soin de Jean Valjean avait été de retrouver ses souliers et de se rechausser, puis d'entrer dans le hangar avec Cosette. Celui qui s'évade ne se croit jamais assez caché. L'enfant, songeant toujours à la Thénardier, partageait son instinct de se blottir le plus possible.

Cosette tremblait et se serrait contre lui. On entendait le bruit tumultueux de la patrouille qui fouillait le cul-de-sac et la rue, les coups de crosse contre les pierres, les appels de Javert aux mouchards qu'il avait postés, et ses imprécations mêlées de paroles qu'on ne distinguait point.

Au bout d'un quart d'heure, il sembla que cette espèce de grondement orageux commençait à s'éloigner. Jean Valjean ne respirait pas.

Il avait posé doucement sa main sur la bouche de Cosette.

Au reste la solitude où il se trouvait était si étrangement calme que cet effroyable tapage, si furieux et si proche, n'y jetait même pas l'ombre d'un trouble. Il semblait que ces murs fussent bâtis avec ces pierres sourdes dont parle l'Écriture.

Tout à coup, au milieu de ce calme profond, un nouveau bruit s'éleva; un bruit céleste, divin, ineffable, aussi ravissant que l'autre était horrible. C'était un hymne qui sortait des ténèbres, un éblouissement de prière et d'harmonie dans l'obscur et effrayant silence de la nuit; des voix de femmes, mais des voix composées à la fois de l'accent pur des vierges et de l'accent naïf des enfants, de ces voix qui ne sont pas de la terre et qui ressemblent à celles que les nouveau-nés entendent encore et que les moribonds entendent déjà. Ce chant venait du sombre édifice qui dominait le jardin. Au moment où le vacarme des démons s'éloignait, on eût dit un chœur d'anges qui s'approchait dans l'ombre.

Cosette et Jean Valjean tombèrent à genoux.

Ils ne savaient pas ce que c'était, ils ne savaient pas où ils étaient, mais ils sentaient tous deux, l'homme et l'enfant, le pénitent et l'innocent, qu'il fallait qu'ils fussent à genoux.

Ces voix avaient cela d'étrange qu'elles n'empêchaient pas que le bâtiment ne parût désert. C'était comme un chant surnaturel dans une demeure inhabitée.

Pendant que ces voix chantaient, Jean Valjean ne songeait plus à rien. Il ne voyait plus la nuit, il voyait un ciel bleu. Il lui semblait sentir s'ouvrir ces ailes que nous avons tous au dedans de nous.

Le chant s'éteignit. Il avait peut-être duré longtemps. Jean Valjean n'aurait pu le dire. Les heures de l'extase ne sont jamais qu'une minute.

Tout était retombé dans le silence. Plus rien dans la rue, plus rien dans le jardin. Ce qui menaçait, ce qui rassurait, tout s'était évanoui. Le vent froissait dans la crête du mur quelques herbes sèches qui faisaient un petit bruit doux et lugubre.


English text

Jean Valjean found himself in a sort of garden which was very vast and of singular aspect; one of those melancholy gardens which seem made to be looked at in winter and at night. This garden was oblong in shape, with an alley of large poplars at the further end, tolerably tall forest trees in the corners, and an unshaded space in the centre, where could be seen a very large, solitary tree, then several fruit-trees, gnarled and bristling like bushes, beds of vegetables, a melon patch, whose glass frames sparkled in the moonlight, and an old well. Here and there stood stone benches which seemed black with moss. The alleys were bordered with gloomy and very erect little shrubs. The grass had half taken possession of them, and a green mould covered the rest.

Jean Valjean had beside him the building whose roof had served him as a means of descent, a pile of fagots, and, behind the fagots, directly against the wall, a stone statue, whose mutilated face was no longer anything more than a shapeless mask which loomed vaguely through the gloom.

The building was a sort of ruin, where dismantled chambers were distinguishable, one of which, much encumbered, seemed to serve as a shed.

The large building of the Rue Droit-Mur, which had a wing on the Rue Petit-Picpus, turned two façades, at right angles, towards this garden. These interior façades were even more tragic than the exterior. All the windows were grated. Not a gleam of light was visible at any one of them. The upper story had scuttles like prisons. One of those façades cast its shadow on the other, which fell over the garden like an immense black pall.

No other house was visible. The bottom of the garden was lost in mist and darkness. Nevertheless, walls could be confusedly made out, which intersected as though there were more cultivated land beyond, and the low roofs of the Rue Polonceau.

Nothing more wild and solitary than this garden could be imagined. There was no one in it, which was quite natural in view of the hour; but it did not seem as though this spot were made for any one to walk in, even in broad daylight.

Jean Valjean’s first care had been to get hold of his shoes and put them on again, then to step under the shed with Cosette. A man who is fleeing never thinks himself sufficiently hidden. The child, whose thoughts were still on the Thénardier, shared his instinct for withdrawing from sight as much as possible.

Cosette trembled and pressed close to him. They heard the tumultuous noise of the patrol searching the blind alley and the streets; the blows of their gun-stocks against the stones; Javert’s appeals to the police spies whom he had posted, and his imprecations mingled with words which could not be distinguished.

At the expiration of a quarter of an hour it seemed as though that species of stormy roar were becoming more distant. Jean Valjean held his breath.

He had laid his hand lightly on Cosette’s mouth.

However, the solitude in which he stood was so strangely calm, that this frightful uproar, close and furious as it was, did not disturb him by so much as the shadow of a misgiving. It seemed as though those walls had been built of the deaf stones of which the Scriptures speak.

All at once, in the midst of this profound calm, a fresh sound arose; a sound as celestial, divine, ineffable, ravishing, as the other had been horrible. It was a hymn which issued from the gloom, a dazzling burst of prayer and harmony in the obscure and alarming silence of the night; women’s voices, but voices composed at one and the same time of the pure accents of virgins and the innocent accents of children,—voices which are not of the earth, and which resemble those that the newborn infant still hears, and which the dying man hears already. This song proceeded from the gloomy edifice which towered above the garden. At the moment when the hubbub of demons retreated, one would have said that a choir of angels was approaching through the gloom.

Cosette and Jean Valjean fell on their knees.

They knew not what it was, they knew not where they were; but both of them, the man and the child, the penitent and the innocent, felt that they must kneel.

These voices had this strange characteristic, that they did not prevent the building from seeming to be deserted. It was a supernatural chant in an uninhabited house.

While these voices were singing, Jean Valjean thought of nothing. He no longer beheld the night; he beheld a blue sky. It seemed to him that he felt those wings which we all have within us, unfolding.

The song died away. It may have lasted a long time. Jean Valjean could not have told. Hours of ecstasy are never more than a moment.

All fell silent again. There was no longer anything in the street; there was nothing in the garden. That which had menaced, that which had reassured him,—all had vanished. The breeze swayed a few dry weeds on the crest of the wall, and they gave out a faint, sweet, melancholy sound.

Translation notes

Textual notes

Citations