Volume 5/Book 9/Chapter 4

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Les Misérables, Volume 5: Jean Valjean, Book Ninth: Supreme Shadow, Supreme Dawn, Chapter 4: A Bottle of Ink Which Only Succeeded in Whitening
(Tome 5: Jean Valjean, Livre neuvième: Suprême ombre, suprême aurore, Chapitre 4: Bouteille d'encre qui ne réussit qu'à blanchir)

General notes on this chapter

French text

Ce même jour, ou, pour mieux dire, ce même soir, comme Marius sortait de table et venait de se retirer dans son cabinet, ayant un dossier à étudier, Basque lui avait remis une lettre en disant: La personne qui a écrit la lettre est dans l'antichambre.


Cosette avait pris le bras du grand-père et faisait un tour dans le jardin.


Une lettre peut, comme un homme, avoir mauvaise tournure. Gros papier, pli grossier, rien qu'à les voir, de certaines missives déplaisent. La lettre qu'avait apportée Basque était de cette espèce.


Marius la prit. Elle sentait le tabac. Rien n'éveille un souvenir comme une odeur. Marius reconnut ce tabac. Il regarda la suscription: À monsieur, monsieur le baron Pommerci. En son hôtel. Le tabac reconnu lui fit reconnaître l'écriture. On pourrait dire que l'étonnement a des éclairs. Marius fut comme illuminé d'un de ces éclairs-là.


L'odorat, ce mystérieux aide-mémoire, venait de faire revivre en lui tout un monde. C'était bien là le papier, la façon de plier, la teinte blafarde de l'encre, c'était bien là l'écriture connue; surtout c'était là le tabac. Le galetas Jondrette lui apparaissait.


Ainsi, étrange coup de tête du hasard! une des deux pistes qu'il avait tant cherchées, celle pour laquelle dernièrement encore il avait fait tant d'efforts et qu'il croyait à jamais perdue, venait d'elle-même s'offrir à lui.


Il décacheta avidement la lettre, et il lut:


«Monsieur le baron,


«Si l'Être Suprême m'en avait donné les talents, j'aurais pu être le baron Thénard, membre de l'institut (académie des sciences), mais je ne le suis pas. Je porte seulement le même nom que lui, heureux si ce souvenir me recommande à l'excellence de vos bontés. Le bienfait dont vous m'honorerez sera réciproque. Je suis en possession d'un secret consernant un individu. Cet individu vous conserne. Je tiens le secret à votre disposition désirant avoir l'honneur de vous être hutile. Je vous donnerai le moyen simple de chaser de votre honorable famille cet individu qui n'y a pas droit, madame la baronne étant de haute naissance. Le sanctuaire de la vertu ne pourrait coabiter plus longtemps avec le crime sans abdiquer.


«J'atends dans l'antichambre les ordres de monsieur le baron.


«Avec respect.»


La lettre était signée «Thénard».


Cette signature n'était pas fausse. Elle était seulement un peu abrégée.


Du reste l'amphigouri et l'orthographe achevaient la révélation. Le certificat d'origine était complet. Aucun doute n'était possible.


L'émotion de Marius fut profonde. Après le mouvement de surprise, il eut un mouvement de bonheur. Qu'il trouvât maintenant l'autre homme qu'il cherchait, celui qui l'avait sauvé lui Marius, et il n'aurait plus rien à souhaiter.


Il ouvrit un tiroir de son secrétaire, y prit quelques billets de banque, les mit dans sa poche, referma le secrétaire et sonna. Basque entre-bâilla la porte.


—Faites entrer, dit Marius.


Basque annonça:


—Monsieur Thénard.


Un homme entra.


Nouvelle surprise pour Marius. L'homme qui entra lui était parfaitement inconnu.


Cet homme, vieux du reste, avait le nez gros, le menton dans la cravate, des lunettes vertes à double abat-jour de taffetas vert sur les yeux, les cheveux lissés et aplatis sur le front au ras des sourcils comme la perruque des cochers anglais de high life. Ses cheveux étaient gris. Il était vêtu de noir de la tête aux pieds, d'un noir très râpé, mais propre; un trousseau de breloques, sortant de son gousset, y faisait supposer une montre. Il tenait à la main un vieux chapeau. Il marchait voûté, et la courbure de son dos s'augmentait de la profondeur de son salut.


Ce qui frappait au premier abord, c'est que l'habit de ce personnage, trop ample, quoique soigneusement boutonné, ne semblait pas fait pour lui. Ici une courte digression est nécessaire.


Il y avait à Paris, à cette époque, dans un vieux logis borgne, rue Beautreillis, près de l'Arsenal, un juif ingénieux qui avait pour profession de changer un gredin en honnête homme. Pas pour trop longtemps, ce qui eût pu être gênant pour le gredin. Le changement se faisait à vue, pour un jour ou deux, à raison de trente sous par jour, au moyen d'un costume ressemblant le plus possible à l'honnêteté de tout le monde. Ce loueur de costumes s'appelait le Changeur; les filous parisiens lui avaient donné ce nom, et ne lui en connaissaient pas d'autre. Il avait un vestiaire assez complet. Les loques dont il affublait les gens étaient à peu près possibles. Il avait des spécialités et des catégories; à chaque clou de son magasin pendait, usée et fripée, une condition sociale; ici l'habit de magistrat, là l'habit de curé, là l'habit de banquier, dans un coin l'habit de militaire en retraite, ailleurs l'habit d'homme de lettres, plus loin l'habit d'homme d'État. Cet être était le costumier du drame immense que la friponnerie joue à Paris. Son bouge était la coulisse d'où le vol sortait et où l'escroquerie rentrait. Un coquin déguenillé arrivait à ce vestiaire, déposait trente sous, et choisissait, selon le rôle qu'il voulait jouer ce jour-là, l'habit qui lui convenait, et, en redescendant l'escalier, le coquin était quelqu'un. Le lendemain les nippes étaient fidèlement rapportées, et le Changeur, qui confiait tout aux voleurs, n'était jamais volé. Ces vêtements avaient un inconvénient, ils «n'allaient pas»; n'étant point faits pour ceux qui les portaient, ils étaient collants pour celui-ci, flottants pour celui-là, et ne s'ajustaient à personne. Tout filou qui dépassait la moyenne humaine en petitesse ou en grandeur, était mal à l'aise dans les costumes du Changeur. Il ne fallait être ni trop gras ni trop maigre. Le Changeur n'avait prévu que les hommes ordinaires. Il avait pris mesure à l'espèce dans la personne du premier gueux venu, lequel n'est ni gros, ni mince, ni grand, ni petit. De là des adaptations quelquefois difficiles dont les pratiques du Changeur se tiraient comme elles pouvaient. Tant pis pour les exceptions! L'habit d'homme d'État, par exemple, noir du haut en bas, et par conséquent convenable, eût été trop large pour Pitt et trop étroit pour Castelcicala. Le vêtement d'homme d'état était désigné comme il suit dans le catalogue du Changeur; nous copions: «Un habit de drap noir, un pantalon de laine noire, un gilet de soie, des bottes et du linge.» Il y avait en marge: Ancien ambassadeur, et une note que nous transcrivons également: «Dans une boîte séparée, une perruque proprement frisée, des lunettes vertes, des breloques, et deux petits tuyaux de plume d'un pouce de long enveloppés de coton.» Tout cela revenait à l'homme d'État, ancien ambassadeur. Tout ce costume était, si l'on peut parler ainsi, exténué; les coutures blanchissaient, une vague boutonnière s'entrouvrait à l'un des coudes; en outre, un bouton manquait à l'habit sur la poitrine; mais ce n'est qu'un détail; la main de l'homme d'État, devant toujours être dans l'habit et sur le cœur, avait pour fonction de cacher le bouton absent.


Si Marius avait été familier avec les institutions occultes de Paris, il eût tout de suite reconnu, sur le dos du visiteur que Basque venait d'introduire, l'habit d'homme d'État emprunté au Décroche-moi-ça du Changeur.


Le désappointement de Marius, en voyant entrer un homme autre que celui qu'il attendait, tourna en disgrâce pour le nouveau venu. Il l'examina des pieds à la tête, pendant que le personnage s'inclinait démesurément, et lui demanda d'un ton bref:


—Que voulez-vous?


L'homme répondit avec un rictus aimable dont le sourire caressant d'un crocodile donnerait quelque idée:


—Il me semble impossible que je n'aie pas déjà eu l'honneur de voir monsieur le baron dans le monde. Je crois bien l'avoir particulièrement rencontré, il y a quelques années, chez madame la princesse Bagration et dans les salons de sa seigneurie le vicomte Dambray, pair de France.


C'est toujours une bonne tactique en coquinerie que d'avoir l'air de reconnaître quelqu'un qu'on ne connaît point.


Marius était attentif au parler de cet homme. Il épiait l'accent et le geste, mais son désappointement croissait; c'était une prononciation nasillarde, absolument différente du son de voix aigre et sec auquel il s'attendait. Il était tout à fait dérouté.


—Je ne connais, dit-il, ni madame Bagration, ni M. Dambray. Je n'ai de ma vie mis le pied ni chez l'un ni chez l'autre.


La réponse était bourrue. Le personnage, gracieux quand même, insista.


—Alors, ce sera chez Chateaubriand que j'aurai vu monsieur! Je connais beaucoup Chateaubriand. Il est très affable. Il me dit quelquefois: Thénard, mon ami... est-ce que vous ne buvez pas un verre avec moi?


Le front de Marius devint de plus en plus sévère:


—Je n'ai jamais eu l'honneur d'être reçu chez monsieur de Chateaubriand. Abrégeons. Qu'est-ce que vous voulez?


L'homme, devant la voix plus dure, salua plus bas.


—Monsieur le baron, daignez m'écouter. Il y a en Amérique, dans un pays qui est du côté de Panama, un village appelé la Joya. Ce village se compose d'une seule maison. Une grande maison carrée de trois étages en briques cuites au soleil, chaque côté du carré long de cinq cents pieds, chaque étage en retraite de douze pieds sur l'étage inférieur de façon à laisser devant soi une terrasse qui fait le tour de l'édifice, au centre une cour intérieure où sont les provisions et les munitions, pas de fenêtres, des meurtrières, pas de porte, des échelles, des échelles pour monter du sol à la première terrasse, et de la première à la seconde, et de la seconde à la troisième, des échelles pour descendre dans la cour intérieure, pas de portes aux chambres, des trappes, pas d'escaliers aux chambres, des échelles; le soir on ferme les trappes, on retire les échelles, on braque des tromblons et des carabines aux meurtrières; nul moyen d'entrer; une maison le jour, une citadelle la nuit, huit cents habitants, voilà ce village. Pourquoi tant de précautions? c'est que ce pays est dangereux; il est plein d'anthropophages. Alors pourquoi y va-t-on? c'est que ce pays est merveilleux; on y trouve de l'or.


—Où voulez-vous en venir? interrompit Marius qui du désappointement passait à l'impatience.


—À ceci, monsieur le baron. Je suis un ancien diplomate fatigué. La vieille civilisation m'a mis sur les dents. Je veux essayer des sauvages.


—Après?


—Monsieur le baron, l'égoïsme est la loi du monde. La paysanne prolétaire qui travaille à la journée se retourne quand la diligence passe, la paysanne propriétaire qui travaille à son champ ne se retourne pas. Le chien du pauvre aboie après le riche, le chien du riche aboie après le pauvre. Chacun pour soi. L'intérêt, voilà le but des hommes. L'or, voilà l'aimant.


—Après? Concluez.


—Je voudrais aller m'établir à la Joya. Nous sommes trois. J'ai mon épouse et ma demoiselle; une fille qui est fort belle. Le voyage est long et cher. Il me faut un peu d'argent.


—En quoi cela me regarde-t-il? demanda Marius.


L'inconnu tendit le cou hors de sa cravate, geste propre au vautour, et répliqua avec un redoublement de sourire:


—Est-ce que monsieur le baron n'a pas lu ma lettre?


Cela était à peu près vrai. Le fait est que le contenu de l'épître avait glissé sur Marius. Il avait vu l'écriture plus qu'il n'avait lu la lettre. Il s'en souvenait à peine. Depuis un moment un nouvel éveil venait de lui être donné. Il avait remarqué ce détail: mon épouse et ma demoiselle. Il attachait sur l'inconnu un œil pénétrant. Un juge d'instruction n'eût pas mieux regardé. Il le guettait presque. Il se borna à lui répondre:


—Précisez.


L'inconnu inséra ses deux mains dans ses deux goussets, releva sa tête sans redresser son épine dorsale, mais en scrutant de son côté Marius avec le regard vert de ses lunettes.


—Soit, monsieur le baron. Je précise. J'ai un secret à vous vendre.


—Un secret?


—Un secret.


—Qui me concerne?


—Un peu.


—Quel est ce secret?


Marius examinait de plus en plus l'homme, tout en l'écoutant.


—Je commence gratis, dit l'inconnu. Vous allez voir que je suis intéressant.


—Parlez.


—Monsieur le baron, vous avez chez vous un voleur et un assassin.


Marius tressaillit.


—Chez moi? non, dit-il.


L'inconnu, imperturbable, brossa son chapeau du coude, et poursuivit:


—Assassin et voleur. Remarquez, monsieur le baron, que je ne parle pas ici de faits anciens, arriérés, caducs, qui peuvent être effacés par la prescription devant la loi et par le repentir devant Dieu. Je parle de faits récents, de faits actuels, de faits encore ignorés de la justice à cette heure. Je continue. Cet homme s'est glissé dans votre confiance, et presque dans votre famille, sous un faux nom. Je vais vous dire son nom vrai. Et vous le dire pour rien.


—J'écoute.


—Il s'appelle Jean Valjean.


—Je le sais.


—Je vais vous dire, également pour rien, qui il est.


—Dites.


—C'est un ancien forçat.


—Je le sais.


—Vous le savez depuis que j'ai eu l'honneur de vous le dire.


—Non. Je le savais auparavant.


Le ton froid de Marius, cette double réplique je le sais, son laconisme réfractaire au dialogue, remuèrent dans l'inconnu quelque colère sourde. Il décocha à la dérobée à Marius un regard furieux, tout de suite éteint. Si rapide qu'il fût, ce regard était de ceux qu'on reconnaît quand on les a vus une fois; il n'échappa point à Marius. De certains flamboiements ne peuvent venir que de certaines âmes; la prunelle, ce soupirail de la pensée, s'en embrase; les lunettes ne cachent rien; mettez donc une vitre à l'enfer.


L'inconnu reprit, en souriant:


—Je ne me permets pas de démentir monsieur le baron. Dans tous les cas, vous devez voir que je suis renseigné. Maintenant ce que j'ai à vous apprendre n'est connu que de moi seul. Cela intéresse la fortune de madame la baronne. C'est un secret extraordinaire. Il est à vendre. C'est à vous que je l'offre d'abord. Bon marché. Vingt mille francs.


—Je sais ce secret-là comme je sais les autres, dit Marius.


Le personnage sentit le besoin de baisser un peu son prix:


—Monsieur le baron, mettez dix mille francs, et je parle.


—Je vous répète que vous n'avez rien à m'apprendre. Je sais ce que vous voulez me dire.


Il y eut dans l'œil de l'homme un nouvel éclair. Il s'écria:


—Il faut pourtant que je dîne aujourd'hui. C'est un secret extraordinaire, vous dis-je. Monsieur le baron, je vais parler. Je parle. Donnez-moi vingt francs.


Marius le regarda fixement:


—Je sais votre secret extraordinaire; de même que je savais le nom de Jean Valjean, de même que je sais votre nom.


—Mon nom?


—Oui.


—Ce n'est pas difficile, monsieur le baron. J'ai eu l'honneur de vous l'écrire et de vous le dire. Thénard.


—Dier.


—Hein?


—Thénardier.


—Qui ça?


Dans le danger, le porc-épic se hérisse, le scarabée fait le mort, la vieille garde se forme en carré; cet homme se mit à rire.


Puis il épousseta d'une chiquenaude un grain de poussière sur la manche de son habit.


Marius continua:


—Vous êtes aussi l'ouvrier Jondrette, le comédien Fabantou, le poète Genflot, l'espagnol don Alvarès, et la femme Balizard.


—La femme quoi?


—Et vous avez tenu une gargote à Montfermeil.


—Une gargote! Jamais.


—Et je vous dis que vous êtes Thénardier.


—Je le nie.


—Et que vous êtes un gueux. Tenez.


Et Marius, tirant de sa poche un billet de banque, le lui jeta à la face.


—Merci! pardon! cinq cents francs! monsieur le baron!


Et l'homme, bouleversé, saluant, saisissant le billet, l'examina.


—Cinq cents francs! reprit-il, ébahi. Et il bégaya à demi-voix: Un fafiot sérieux!


Puis brusquement:


—Eh bien soit, s'écria-t-il. Mettons-nous à notre aise.


Et, avec une prestesse de singe, rejetant ses cheveux en arrière, arrachant ses lunettes, retirant de son nez et escamotant les deux tuyaux de plume dont il a été question tout à l'heure, et qu'on a d'ailleurs déjà vus à une autre page de ce livre, il ôta son visage comme on ôte son chapeau.


L'œil s'alluma; le front inégal, raviné, bossu par endroits, hideusement ridé en haut, se dégagea, le nez redevint aigu comme un bec; le profil féroce et sagace de l'homme de proie reparut.


—Monsieur le baron est infaillible, dit-il d'une voix nette et d'où avait disparu tout nasillement, je suis Thénardier.


Et il redressa son dos voûté.


Thénardier, car c'était bien lui, était étrangement surpris; il eût été troublé s'il avait pu l'être. Il était venu apporter de l'étonnement, et c'était lui qui en recevait. Cette humiliation lui était payée cinq cents francs, et, à tout prendre, il l'acceptait; mais il n'en était pas moins abasourdi.


Il voyait pour la première fois ce baron Pontmercy, et, malgré son déguisement, ce baron Pontmercy le reconnaissait, et le reconnaissait à fond. Et non seulement ce baron était au fait de Thénardier, mais il semblait au fait de Jean Valjean. Qu'était-ce que ce jeune homme presque imberbe, si glacial et si généreux, qui savait les noms des gens, qui savait tous leurs noms, et qui leur ouvrait sa bourse, qui malmenait les fripons comme un juge et qui les payait comme une dupe?


Thénardier, on se le rappelle, quoique ayant été voisin de Marius, ne l'avait jamais vu, ce qui est fréquent à Paris; il avait autrefois entendu vaguement ses filles parler d'un jeune homme très pauvre appelé Marius qui demeurait dans la maison. Il lui avait écrit, sans le connaître, la lettre qu'on sait. Aucun rapprochement n'était possible dans son esprit entre ce Marius-là et M. le baron Pontmercy.


Quant au nom de Pontmercy, on se rappelle que, sur le champ de bataille de Waterloo, il n'en avait entendu que les deux dernières syllabes, pour lesquelles il avait toujours eu le légitime dédain qu'on doit à ce qui n'est qu'un remercîment.


Du reste, par sa fille Azelma, qu'il avait mise à la piste des mariés du 16 février, et par ses fouilles personnelles, il était parvenu à savoir beaucoup de choses, et, du fond de ses ténèbres, il avait réussi à saisir plus d'un fil mystérieux. Il avait, à force d'industrie, découvert, ou, tout au moins, à force d'inductions, deviné, quel était l'homme qu'il avait rencontré un certain jour dans le Grand Égout. De l'homme, il était facilement arrivé au nom. Il savait que madame la baronne Pontmercy, c'était Cosette. Mais de ce côté-là, il comptait être discret. Qui était Cosette? Il ne le savait pas au juste lui-même. Il entrevoyait bien quelque bâtardise, l'histoire de Fantine lui avait toujours semblé louche, mais à quoi bon en parler? Pour se faire payer son silence? Il avait, ou croyait avoir, à vendre mieux que cela. Et, selon toute apparence, venir faire, sans preuve, cette révélation au baron Pontmercy: Votre femme est bâtarde, cela n'eût réussi qu'à attirer la botte du mari vers les reins du révélateur.


Dans la pensée de Thénardier, la conversation avec Marius n'avait pas encore commencé. Il avait dû reculer, modifier sa stratégie, quitter une position, changer de front; mais rien d'essentiel n'était encore compromis, et il avait cinq cents francs dans sa poche. En outre, il avait quelque chose de décisif à dire, et même contre ce baron Pontmercy si bien renseigné et si bien armé, il se sentait fort. Pour les hommes de la nature de Thénardier, tout dialogue est un combat. Dans celui qui allait s'engager, quelle était sa situation? Il ne savait pas à qui il parlait, mais il savait de quoi il parlait. Il fit rapidement cette revue intérieure de ses forces, et après avoir dit: Je suis Thénardier, il attendit.


Marius était resté pensif. Il tenait donc enfin Thénardier. Cet homme, qu'il avait tant désiré retrouver, était là. Il allait donc pouvoir faire honneur à la recommandation du colonel Pontmercy. Il était humilié que ce héros dût quelque chose à ce bandit, et que la lettre de change tirée du fond du tombeau par son père sur lui Marius fût jusqu'à ce jour protestée. Il lui paraissait aussi, dans la situation complexe où était son esprit vis-à-vis de Thénardier, qu'il y avait lieu de venger le colonel du malheur d'avoir été sauvé par un tel gredin. Quoi qu'il en fût, il était content. Il allait donc enfin délivrer de ce créancier indigne l'ombre du colonel, et il lui semblait qu'il allait retirer de la prison pour dettes la mémoire de son père.


À côté de ce devoir, il en avait un autre, éclaircir, s'il se pouvait, la source de la fortune de Cosette. L'occasion semblait se présenter. Thénardier savait peut-être quelque chose. Il pouvait être utile de voir le fond de cet homme. Il commença par là.


Thénardier avait fait disparaître le «fafiot sérieux» dans son gousset, et regardait Marius avec une douceur presque tendre.


Marius rompit le silence.


—Thénardier, je vous ai dit votre nom. À présent, votre secret, ce que vous veniez m'apprendre, voulez-vous que je vous le dise? J'ai mes informations aussi, moi. Vous allez voir que j'en sais plus long que vous. Jean Valjean, comme vous l'avez dit, est un assassin et un voleur. Un voleur, parce qu'il a volé un riche manufacturier dont il a causé la ruine, M. Madeleine. Un assassin, parce qu'il a assassiné l'agent de police Javert.


—Je ne comprends pas, monsieur le baron, fît Thénardier.


—Je vais me faire comprendre. Écoutez. Il y avait, dans un arrondissement du Pas-de-Calais, vers 1822, un homme qui avait eu quelque ancien démêlé avec la justice, et qui, sous le nom de M. Madeleine, s'était relevé et réhabilité. Cet homme était devenu, dans toute la force du terme, un juste. Avec une industrie, la fabrique des verroteries noires, il avait fait la fortune de toute une ville. Quant à sa fortune personnelle, il l'avait faite aussi, mais secondairement et, en quelque sorte, par occasion. Il était le père nourricier des pauvres. Il fondait des hôpitaux, ouvrait des écoles, visitait les malades, dotait les filles, soutenait les veuves, adoptait les orphelins; il était comme le tuteur du pays. Il avait refusé la croix, on l'avait nommé maire. Un forçat libéré savait le secret d'une peine encourue autrefois par cet homme; il le dénonça et le fit arrêter, et profita de l'arrestation pour venir à Paris et se faire remettre par le banquier Laffitte,—Je tiens le fait du caissier lui-même,—au moyen d'une fausse signature, une somme de plus d'un demi-million qui appartenait à M. Madeleine. Ce forçat, qui a volé M. Madeleine, c'est Jean Valjean. Quant à l'autre fait, vous n'avez rien non plus à m'apprendre. Jean Valjean a tué l'agent Javert; il l'a tué d'un coup de pistolet. Moi qui vous parle, j'étais présent.


Thénardier jeta à Marius le coup d'œil souverain d'un homme battu qui remet la main sur la victoire et qui vient de regagner en une minute tout le terrain qu'il avait perdu. Mais le sourire revint tout de suite; l'inférieur vis-à-vis du supérieur doit avoir le triomphe câlin, et Thénardier se borna à dire à Marius:


—Monsieur le baron, nous faisons fausse route.


Et il souligna cette phrase en faisant faire à son trousseau de breloques un moulinet expressif.


—Quoi! repartit Marius, contestez-vous cela? Ce sont des faits.


—Ce sont des chimères. La confiance dont monsieur le baron m'honore me fait un devoir de le lui dire. Avant tout la vérité et la justice. Je n'aime pas voir accuser les gens injustement. Monsieur le baron, Jean Valjean n'a point volé M. Madeleine, et Jean Valjean n'a point tué Javert.


—Voilà qui est fort! comment cela?


—Pour deux raisons.


—Lesquelles? parlez.


—Voici la première: il n'a pas volé M. Madeleine, attendu que c'est lui-même Jean Valjean qui est M. Madeleine.


—Que me contez-vous là?


—Et voici la seconde: il n'a pas assassiné Javert, attendu que celui qui a tué Javert, c'est Javert.


—Que voulez-vous dire?


—Que Javert s'est suicidé.


—Prouvez! prouvez! cria Marius hors de lui.


Thénardier reprit en scandant sa phrase à la façon d'un alexandrin antique:


—L'agent-de-police-Ja-vert-a-été-trouvé-noyé-sous-un-bateau-du-Pont-au-Change.


—Mais prouvez donc!


Thénardier tira de sa poche de côté une large enveloppe de papier gris qui semblait contenir des feuilles pliées de diverses grandeurs.


—J'ai mon dossier, dit-il avec calme.


Et il ajouta:


—Monsieur le baron, dans votre intérêt, j'ai voulu connaître à fond mon Jean Valjean. Je dis que Jean Valjean et Madeleine, c'est le même homme, et je dis que Javert n'a eu d'autre assassin que Javert, et quand je parle, c'est que j'ai des preuves. Non des preuves manuscrites, l'écriture est suspecte, l'écriture est complaisante, mais des preuves imprimées.


Tout en parlant, Thénardier extrayait de l'enveloppe deux numéros de journaux jaunis, fanés, et fortement saturés de tabac. L'un de ces deux journaux, cassé à tous les plis et tombant en lambeaux carrés, semblait beaucoup plus ancien que l'autre.


—Deux faits, deux preuves, fit Thénardier. Et il tendit à Marius les deux journaux déployés.


Ces deux journaux, le lecteur les connaît. L'un, le plus ancien, un numéro du Drapeau blanc du 25 juillet 1823, dont on a pu voir le texte à la page 148 du tome troisième de ce livre, établissait l'identité de M. Madeleine et de Jean Valjean. L'autre, un Moniteur du 15 juin 1832, constatait le suicide de Javert, ajoutant qu'il résultait d'un rapport verbal de Javert au préfet que, fait prisonnier dans la barricade de la rue de la Chanvrerie, il avait dû la vie à la magnanimité d'un insurgé qui, le tenant sous son pistolet, au lieu de lui brûler la cervelle, avait tiré en l'air.


Marius lut. Il y avait évidence, date certaine, preuve irréfragable, ces deux journaux n'avaient pas été imprimés exprès pour appuyer les dires de Thénardier; la note publiée dans le Moniteur était communiquée administrativement par la préfecture de police. Marius ne pouvait douter. Les renseignements du commis-caissier étaient faux et lui-même s'était trompé. Jean Valjean, grandi brusquement, sortait du nuage. Marius ne put retenir un cri de joie:


—Eh bien alors, ce malheureux est un admirable homme! toute cette fortune était vraiment à lui! c'est Madeleine, la providence de tout un pays! c'est Jean Valjean, le sauveur de Javert! c'est un héros! c'est un saint!


—Ce n'est pas un saint, et ce n'est pas un héros, dit Thénardier. C'est un assassin et un voleur.


Et il ajouta du ton d'un homme qui commence à se sentir quelque autorité:—Calmons-nous.


Voleur, assassin, ces mots que Marius croyait disparus, et qui revenaient, tombèrent sur lui comme une douche de glace.


—Encore! dit-il.


—Toujours, fit Thénardier. Jean Valjean n'a pas volé Madeleine, mais c'est un voleur. Il n'a pas tué Javert, mais c'est un meurtrier.


—Voulez-vous parler, reprit Marius, de ce misérable vol d'il y a quarante ans, expié, cela résulte de vos journaux mêmes, par toute une vie de repentir, d'abnégation et de vertu?


—Je dis assassinat et vol, monsieur le baron. Et je répète que je parle de faits actuels. Ce que j'ai à vous révéler est absolument inconnu. C'est de l'inédit. Et peut-être y trouverez-vous la source de la fortune habilement offerte par Jean Valjean à madame la baronne. Je dis habilement, car, par une donation de ce genre, se glisser dans une honorable maison dont on partagera l'aisance, et, du même coup, cacher son crime, jouir de son vol, enfouir son nom, et se créer une famille, ce ne serait pas très maladroit.


—Je pourrais vous interrompre ici, observa Marius, mais continuez.


—Monsieur le baron, je vais vous dire tout, laissant la récompense à votre générosité. Ce secret vaut de l'or massif. Vous me direz: Pourquoi ne t'es-tu pas adressé à Jean Valjean? Par une raison toute simple; je sais qu'il s'est dessaisi, et dessaisi en votre faveur, et je trouve la combinaison ingénieuse; mais il n'a plus le sou, il me montrerait ses mains vides, et, puisque j'ai besoin de quelque argent pour mon voyage à la Joya, je vous préfère, vous qui avez tout, à lui qui n'a rien. Je suis un peu fatigué, permettez-moi de prendre une chaise.


Marius s'assit et lui fit signe de s'asseoir.


Thénardier s'installa sur une chaise capitonnée, reprit les deux journaux, les replongea dans l'enveloppe, et murmura en becquetant avec son ongle le Drapeau blanc: Celui-ci m'a donné du mal pour l'avoir. Cela fait, il croisa les jambes et s'étala sur le dos, attitude propre aux gens sûrs de ce qu'ils disent, puis entra en matière, gravement et en appuyant sur les mots:


—Monsieur le baron, le 6 juin 1832, il y a un an environ, le jour de l'émeute, un homme était dans le Grand Égout de Paris, du côté où l'égout vient rejoindre la Seine, entre le pont des Invalides et le pont d'Iéna.


Marius rapprocha brusquement sa chaise de celle de Thénardier. Thénardier remarqua ce mouvement et continua avec la lenteur d'un orateur qui tient son interlocuteur et qui sent la palpitation de son adversaire sous ses paroles:


—Cet homme, forcé de se cacher, pour des raisons du reste étrangères à la politique, avait pris l'égout pour domicile et en avait une clef. C'était, je le répète, le 6 juin; il pouvait être huit heures du soir. L'homme entendit du bruit dans l'égout. Très surpris, il se blottit, et guetta. C'était un bruit de pas, on marchait dans l'ombre, on venait de son côté. Chose étrange, il y avait dans l'égout un autre homme que lui. La grille de sortie de l'égout n'était pas loin. Un peu de lumière qui en venait lui permit de reconnaître le nouveau venu et de voir que cet homme portait quelque chose sur son dos. Il marchait courbé. L'homme qui marchait courbé était un ancien forçat, et ce qu'il traînait sur ses épaules était un cadavre. Flagrant délit d'assassinat, s'il en fut. Quant au vol, il va de soi; on ne tue pas un homme gratis. Ce forçat allait jeter ce cadavre à la rivière. Un fait à noter, c'est qu'avant d'arriver à la grille de sortie, ce forçat, qui venait de loin dans l'égout, avait nécessairement rencontré une fondrière épouvantable où il semble qu'il eût pu laisser le cadavre; mais, dès le lendemain, les égoutiers, en travaillant à la fondrière, y auraient retrouvé l'homme assassiné, et ce n'était pas le compte de l'assassin. Il avait mieux aimé traverser la fondrière, avec son fardeau, et ses efforts ont dû être effrayants, il est impossible de risquer plus complètement sa vie; je ne comprends pas qu'il soit sorti de là vivant.


La chaise de Marius se rapprocha encore. Thénardier en profita pour respirer longuement. Il poursuivit:


—Monsieur le baron, un égout n'est pas le Champ de Mars. On y manque de tout, et même de place. Quand deux hommes sont là, il faut qu'ils se rencontrent. C'est ce qui arriva. Le domicilié et le passant furent forcés de se dire bonjour, à regret l'un et l'autre. Le passant dit au domicilié:—Tu vois ce que j'ai sur le dos, il faut que je sorte, tu as la clef, donne-la-moi. Ce forçat était un homme d'une force terrible. Il n'y avait pas à refuser. Pourtant celui qui avait la clef parlementa, uniquement pour gagner du temps. Il examina ce mort, mais il ne put rien voir, sinon qu'il était jeune, bien mis, l'air d'un riche, et tout défiguré par le sang. Tout en causant, il trouva moyen de déchirer et d'arracher par derrière, sans que l'assassin s'en aperçût, un morceau de l'habit de l'homme assassiné. Pièce à conviction, vous comprenez; moyen de ressaisir la trace des choses et de prouver le crime au criminel. Il mit la pièce à conviction dans sa poche. Après quoi il ouvrit la grille, fit sortir l'homme avec son embarras sur le dos, referma la grille et se sauva, se souciant peu d'être mêlé au surplus de l'aventure et surtout ne voulant pas être là quand l'assassin jetterait l'assassiné à la rivière. Vous comprenez à présent. Celui qui portait le cadavre, c'est Jean Valjean; celui qui avait la clef vous parle en ce moment; et le morceau de l'habit....


Thénardier acheva la phrase en tirant de sa poche et en tenant, à la hauteur de ses yeux, pincé entre ses deux pouces et ses deux index, un lambeau de drap noir déchiqueté, tout couvert de taches sombres.


Marius s'était levé, pâle, respirant à peine, l'œil fixé sur le morceau de drap noir, et, sans prononcer une parole, sans quitter ce haillon du regard, il reculait vers le mur et, de sa main droite étendue derrière lui, cherchait en tâtonnant sur la muraille une clef qui était à la serrure d'un placard près de la cheminée. Il trouva cette clef, ouvrit le placard, et y enfonça son bras sans y regarder, et sans que sa prunelle effarée se détachât du chiffon que Thénardier tenait déployé.


Cependant Thénardier continuait:


—Monsieur le baron, j'ai les plus fortes raisons de croire que le jeune homme assassiné était un opulent étranger attiré par Jean Valjean dans un piège et porteur d'une somme énorme.


—Le jeune homme c'était moi, et voici l'habit! cria Marius, et il jeta sur le parquet un vieil habit noir tout sanglant.


Puis, arrachant le morceau des mains de Thénardier, il s'accroupit sur l'habit, et rapprocha du pan déchiqueté le morceau déchiré. La déchirure s'adaptait exactement, et le lambeau complétait l'habit.


Thénardier était pétrifié. Il pensa ceci: Je suis épaté.


Marius se redressa frémissant, désespéré, rayonnant.


Il fouilla dans sa poche, et marcha, furieux, vers Thénardier, lui présentant et lui appuyant presque sur le visage son poing rempli de billets de cinq cents francs et de mille francs.


—Vous êtes un infâme! vous êtes un menteur, un calomniateur, un scélérat. Vous veniez accuser cet homme, vous l'avez justifié; vous vouliez le perdre, vous n'avez réussi qu'à le glorifier. Et c'est vous qui êtes un voleur! Et c'est vous qui êtes un assassin! Je vous ai vu, Thénardier Jondrette, dans ce bouge du boulevard de l'Hôpital. J'en sais assez sur vous pour vous envoyer au bagne, et plus loin même, si je voulais. Tenez, voilà mille francs, sacripant que vous êtes!


Et il jeta un billet de mille francs à Thénardier.


—Ah! Jondrette Thénardier, vil coquin! que ceci vous serve de leçon, brocanteur de secrets, marchand de mystères, fouilleur de ténèbres, misérable! Prenez ces cinq cents francs, et sortez d'ici! Waterloo vous protège.


—Waterloo! grommela Thénardier, en empochant les cinq cents francs avec les mille francs.


—Oui, assassin! vous y avez sauvé la vie à un colonel....


—À un général, dit Thénardier, en relevant la tête.


—À un colonel! reprit Marius avec emportement. Je ne donnerais pas un liard pour un général. Et vous veniez ici faire des infamies! Je vous dis que vous avez commis tous les crimes. Partez! disparaissez! Soyez heureux seulement, c'est tout ce que je désire. Ah! monstre! Voilà encore trois mille francs. Prenez-les. Vous partirez dès demain, pour l'Amérique, avec votre fille; car votre femme est morte, abominable menteur! Je veillerai à votre départ, bandit, et je vous compterai à ce moment-là vingt mille francs. Allez vous faire pendre ailleurs!


—Monsieur le baron, répondit Thénardier en saluant jusqu'à terre, reconnaissance éternelle.


Et Thénardier sortit, n'y concevant rien, stupéfait et ravi de ce doux écrasement sous des sacs d'or et de cette foudre éclatant sur sa tête en billets de banque.


Foudroyé, il l'était, mais content aussi; et il eût été très fâché d'avoir un paratonnerre contre cette foudre-là.


Finissons-en tout de suite avec cet homme. Deux jours après les événements que nous racontons en ce moment, il partit, par les soins de Marius, pour l'Amérique, sous un faux nom, avec sa fille Azelma, muni d'une traite de vingt mille francs sur New York. La misère morale de Thénardier, ce bourgeois manqué, était irrémédiable; il fut en Amérique ce qu'il était en Europe. Le contact d'un méchant homme suffit quelquefois pour pourrir une bonne action et pour en faire sortir une chose mauvaise. Avec l'argent de Marius, Thénardier se fit négrier.


Dès que Thénardier fut dehors, Marius courut au jardin où Cosette se promenait encore.


—Cosette! Cosette! cria-t-il. Viens! viens vite. Partons. Basque, un fiacre! Cosette, viens. Ah! mon Dieu! C'est lui qui m'avait sauvé la vie! Ne perdons pas une minute! Mets ton châle.


Cosette le crut fou, et obéit.


Il ne respirait pas, il mettait la main sur son cœur pour en comprimer les battements. Il allait et venait à grands pas, il embrassait Cosette:—Ah! Cosette! je suis un malheureux! disait-il.


Marius était éperdu. Il commençait à entrevoir dans ce Jean Valjean on ne sait quelle haute et sombre figure. Une vertu inouïe lui apparaissait, suprême et douce, humble dans son immensité. Le forçat se transfigurait en Christ. Marius avait l'éblouissement de ce prodige. Il ne savait pas au juste ce qu'il voyait, mais c'était grand.


En un instant, un fiacre fut devant la porte. Marius y fit monter Cosette et s'y élança.


—Cocher, dit-il, rue de l'Homme-Armé, numéro 7. Le fiacre partit.


—Ah! quel bonheur! fit Cosette, rue de l'Homme-Armé. Je n'osais plus t'en parler. Nous allons voir monsieur Jean.


—Ton père, Cosette! ton père plus que jamais. Cosette, je devine. Tu m'as dit que tu n'avais jamais reçu la lettre que je t'avais envoyée par Gavroche. Elle sera tombée dans ses mains. Cosette, il est allé à la barricade, pour me sauver. Comme c'est son besoin d'être un ange, en passant, il en a sauvé d'autres; il a sauvé Javert. Il m'a tiré de ce gouffre pour me donner à toi. Il m'a porté sur son dos dans cet effroyable égout. Ah! je suis un monstrueux ingrat. Cosette, après avoir été ta providence, il a été la mienne. Figure-toi qu'il y avait une fondrière épouvantable, à s'y noyer cent fois, à se noyer dans la boue, Cosette! il me l'a fait traverser. J'étais évanoui je ne voyais rien, je n'entendais rien, je ne pouvais rien savoir de ma propre aventure. Nous allons le ramener, le prendre avec nous, qu'il le veuille ou non, il ne nous quittera plus. Pourvu qu'il soit chez lui! Pourvu que nous le trouvions! Je passerai le reste de ma vie à le vénérer. Oui, ce doit être cela, vois-tu, Cosette? C'est à lui que Gavroche aura remis ma lettre. Tout s'explique. Tu comprends.


Cosette ne comprenait pas un mot.


—Tu as raison, lui dit-elle.


Cependant le fiacre roulait.


English text

That same day, or to speak more accurately, that same evening, as Marius left the table, and was on the point of withdrawing to his study, having a case to look over, Basque handed him a letter saying: "The person who wrote the letter is in the antechamber."


Cosette had taken the grandfather's arm and was strolling in the garden.


A letter, like a man, may have an unprepossessing exterior. Coarse paper, coarsely folded—the very sight of certain missives is displeasing.


The letter which Basque had brought was of this sort.


Marius took it. It smelled of tobacco. Nothing evokes a memory like an odor. Marius recognized that tobacco. He looked at the superscription: "To Monsieur, Monsieur le Baron Pommerci. At his hotel." The recognition of the tobacco caused him to recognize the writing as well. It may be said that amazement has its lightning flashes.


Marius was, as it were, illuminated by one of these flashes.


The sense of smell, that mysterious aid to memory, had just revived a whole world within him. This was certainly the paper, the fashion of folding, the dull tint of ink; it was certainly the well-known handwriting, especially was it the same tobacco.


The Jondrette garret rose before his mind.


Thus, strange freak of chance! one of the two scents which he had so diligently sought, the one in connection with which he had lately again exerted so many efforts and which he supposed to be forever lost, had come and presented itself to him of its own accord.


He eagerly broke the seal, and read:


 "Monsieur le Baron:—If the Supreme Being had given me the talents,
 I might have been baron Thenard, member of the Institute [academy
 of ciences], but I am not.  I only bear the same as him, happy if
 this memory recommends me to the eccellence of your kindnesses.
 The benefit with which you will honor me will be reciprocle.
 I am in possession of a secret concerning an individual.
 This individual concerns you.  I hold the secret at your disposal
 desiring to have the honor to be huseful to you.  I will furnish
 you with the simple means of driving from your honorabel family
 that individual who has no right there, madame la baronne being
 of lofty birth.  The sanctuary of virtue cannot cohabit longer
 with crime without abdicating.

 "I awate in the entichamber the orders of monsieur le baron.

                                               "With respect."

The letter was signed "Thenard."


This signature was not false. It was merely a trifle abridged.


Moreover, the rigmarole and the orthography completed the revelation. The certificate of origin was complete.


Marius' emotion was profound. After a start of surprise, he underwent a feeling of happiness. If he could now but find that other man of whom he was in search, the man who had saved him, Marius, there would be nothing left for him to desire.


He opened the drawer of his secretary, took out several bank-notes, put them in his pocket, closed the secretary again, and rang the bell. Basque half opened the door.


"Show the man in," said Marius.


Basque announced:


"Monsieur Thenard."


A man entered.


A fresh surprise for Marius. The man who entered was an utter stranger to him.


This man, who was old, moreover, had a thick nose, his chin swathed in a cravat, green spectacles with a double screen of green taffeta over his eyes, and his hair was plastered and flattened down on his brow on a level with his eyebrows like the wigs of English coachmen in "high life." His hair was gray. He was dressed in black from head to foot, in garments that were very threadbare but clean; a bunch of seals depending from his fob suggested the idea of a watch. He held in his hand an old hat! He walked in a bent attitude, and the curve in his spine augmented the profundity of his bow.


The first thing that struck the observer was, that this personage's coat, which was too ample although carefully buttoned, had not been made for him.


Here a short digression becomes necessary.


There was in Paris at that epoch, in a low-lived old lodging in the Rue Beautreillis, near the Arsenal, an ingenious Jew whose profession was to change villains into honest men. Not for too long, which might have proved embarrassing for the villain. The change was on sight, for a day or two, at the rate of thirty sous a day, by means of a costume which resembled the honesty of the world in general as nearly as possible. This costumer was called "the Changer"; the pickpockets of Paris had given him this name and knew him by no other. He had a tolerably complete wardrobe. The rags with which he tricked out people were almost probable. He had specialties and categories; on each nail of his shop hung a social status, threadbare and worn; here the suit of a magistrate, there the outfit of a Curé, beyond the outfit of a banker, in one corner the costume of a retired military man, elsewhere the habiliments of a man of letters, and further on the dress of a statesman.


This creature was the costumer of the immense drama which knavery plays in Paris. His lair was the green-room whence theft emerged, and into which roguery retreated. A tattered knave arrived at this dressing-room, deposited his thirty sous and selected, according to the part which he wished to play, the costume which suited him, and on descending the stairs once more, the knave was a somebody. On the following day, the clothes were faithfully returned, and the Changer, who trusted the thieves with everything, was never robbed. There was one inconvenience about these clothes, they "did not fit"; not having been made for those who wore them, they were too tight for one, too loose for another and did not adjust themselves to any one. Every pickpocket who exceeded or fell short of the human average was ill at his ease in the Changer's costumes. It was necessary that one should not be either too fat or too lean. The changer had foreseen only ordinary men. He had taken the measure of the species from the first rascal who came to hand, who is neither stout nor thin, neither tall nor short. Hence adaptations which were sometimes difficult and from which the Changer's clients extricated themselves as best they might. So much the worse for the exceptions! The suit of the statesman, for instance, black from head to foot, and consequently proper, would have been too large for Pitt and too small for Castelcicala. The costume of a statesman was designated as follows in the Changer's catalogue; we copy:


"A coat of black cloth, trowsers of black wool, a silk waistcoat, boots and linen." On the margin there stood: ex-ambassador, and a note which we also copy: "In a separate box, a neatly frizzed peruke, green glasses, seals, and two small quills an inch long, wrapped in cotton." All this belonged to the statesman, the ex-ambassador. This whole costume was, if we may so express ourselves, debilitated; the seams were white, a vague button-hole yawned at one of the elbows; moreover, one of the coat buttons was missing on the breast; but this was only detail; as the hand of the statesman should always be thrust into his coat and laid upon his heart, its function was to conceal the absent button.


If Marius had been familiar with the occult institutions of Paris, he would instantly have recognized upon the back of the visitor whom Basque had just shown in, the statesman's suit borrowed from the pick-me-down-that shop of the Changer.


Marius' disappointment on beholding another man than the one whom he expected to see turned to the newcomer's disadvantage.


He surveyed him from head to foot, while that personage made exaggerated bows, and demanded in a curt tone:


"What do you want?"


The man replied with an amiable grin of which the caressing smile of a crocodile will furnish some idea:


"It seems to me impossible that I should not have already had the honor of seeing Monsieur le Baron in society. I think I actually did meet monsieur personally, several years ago, at the house of Madame la Princesse Bagration and in the drawing-rooms of his Lordship the Vicomte Dambray, peer of France."


It is always a good bit of tactics in knavery to pretend to recognize some one whom one does not know.


Marius paid attention to the manner of this man's speech. He spied on his accent and gesture, but his disappointment increased; the pronunciation was nasal and absolutely unlike the dry, shrill tone which he had expected.


He was utterly routed.


"I know neither Madame Bagration nor M. Dambray," said he. "I have never set foot in the house of either of them in my life."


The reply was ungracious. The personage, determined to be gracious at any cost, insisted.


"Then it must have been at Chateaubriand's that I have seen Monsieur! I know Chateaubriand very well. He is very affable. He sometimes says to me: 'Thenard, my friend . . . won't you drink a glass of wine with me?'"


Marius' brow grew more and more severe:


"I have never had the honor of being received by M. de Chateaubriand. Let us cut it short. What do you want?"


The man bowed lower at that harsh voice.


"Monsieur le Baron, deign to listen to me. There is in America, in a district near Panama, a village called la Joya. That village is composed of a single house, a large, square house of three stories, built of bricks dried in the sun, each side of the square five hundred feet in length, each story retreating twelve feet back of the story below, in such a manner as to leave in front a terrace which makes the circuit of the edifice, in the centre an inner court where the provisions and munitions are kept; no windows, loopholes, no doors, ladders, ladders to mount from the ground to the first terrace, and from the first to the second, and from the second to the third, ladders to descend into the inner court, no doors to the chambers, trap-doors, no staircases to the chambers, ladders; in the evening the traps are closed, the ladders are withdrawn carbines and blunderbusses trained from the loopholes; no means of entering, a house by day, a citadel by night, eight hundred inhabitants,—that is the village. Why so many precautions? because the country is dangerous; it is full of cannibals. Then why do people go there? because the country is marvellous; gold is found there."


"What are you driving at?" interrupted Marius, who had passed from disappointment to impatience.


"At this, Monsieur le Baron. I am an old and weary diplomat. Ancient civilization has thrown me on my own devices. I want to try savages."


"Well?"


"Monsieur le Baron, egotism is the law of the world. The proletarian peasant woman, who toils by the day, turns round when the diligence passes by, the peasant proprietress, who toils in her field, does not turn round. The dog of the poor man barks at the rich man, the dog of the rich man barks at the poor man. Each one for himself. Self-interest—that's the object of men. Gold, that's the loadstone."


"What then? Finish."


"I should like to go and establish myself at la Joya. There are three of us. I have my spouse and my young lady; a very beautiful girl. The journey is long and costly. I need a little money."


"What concern is that of mine?" demanded Marius.


The stranger stretched his neck out of his cravat, a gesture characteristic of the vulture, and replied with an augmented smile.


"Has not Monsieur le Baron perused my letter?"


There was some truth in this. The fact is, that the contents of the epistle had slipped Marius' mind. He had seen the writing rather than read the letter. He could hardly recall it. But a moment ago a fresh start had been given him. He had noted that detail: "my spouse and my young lady."


He fixed a penetrating glance on the stranger. An examining judge could not have done the look better. He almost lay in wait for him.


He confined himself to replying:


"State the case precisely."


The stranger inserted his two hands in both his fobs, drew himself up without straightening his dorsal column, but scrutinizing Marius in his turn, with the green gaze of his spectacles.


"So be it, Monsieur le Baron. I will be precise. I have a secret to sell to you."


"A secret?"


"A secret."


"Which concerns me?"


"Somewhat."


"What is the secret?"


Marius scrutinized the man more and more as he listened to him.


"I commence gratis," said the stranger. "You will see that I am interesting."


"Speak."


"Monsieur le Baron, you have in your house a thief and an assassin."


Marius shuddered.


"In my house? no," said he.


The imperturbable stranger brushed his hat with his elbow and went on:


"An assassin and a thief. Remark, Monsieur le Baron, that I do not here speak of ancient deeds, deeds of the past which have lapsed, which can be effaced by limitation before the law and by repentance before God. I speak of recent deeds, of actual facts as still unknown to justice at this hour. I continue. This man has insinuated himself into your confidence, and almost into your family under a false name. I am about to tell you his real name. And to tell it to you for nothing."


"I am listening."


"His name is Jean Valjean."


"I know it."


"I am going to tell you, equally for nothing, who he is."


"Say on."


"He is an ex-convict."


"I know it."


"You know it since I have had the honor of telling you."


"No. I knew it before."


Marius' cold tone, that double reply of "I know it," his laconicism, which was not favorable to dialogue, stirred up some smouldering wrath in the stranger. He launched a furious glance on the sly at Marius, which was instantly extinguished. Rapid as it was, this glance was of the kind which a man recognizes when he has once beheld it; it did not escape Marius. Certain flashes can only proceed from certain souls; the eye, that vent-hole of the thought, glows with it; spectacles hide nothing; try putting a pane of glass over hell!


The stranger resumed with a smile:


"I will not permit myself to contradict Monsieur le Baron. In any case, you ought to perceive that I am well informed. Now what I have to tell you is known to myself alone. This concerns the fortune of Madame la Baronne. It is an extraordinary secret. It is for sale—I make you the first offer of it. Cheap. Twenty thousand francs."


"I know that secret as well as the others," said Marius.


The personage felt the necessity of lowering his price a trifle.


"Monsieur le Baron, say ten thousand francs and I will speak."


"I repeat to you that there is nothing which you can tell me. I know what you wish to say to me."


A fresh flash gleamed in the man's eye. He exclaimed:


"But I must dine to-day, nevertheless. It is an extraordinary secret, I tell you. Monsieur le Baron, I will speak. I speak. Give me twenty francs."


Marius gazed intently at him:


"I know your extraordinary secret, just as I knew Jean Valjean's name, just as I know your name."


"My name?"


"Yes."


"That is not difficult, Monsieur le Baron. I had the honor to write to you and to tell it to you. Thenard."


"—Dier."


"Hey?"


"Thenardier."


"Who's that?"


In danger the porcupine bristles up, the beetle feigns death, the old guard forms in a square; this man burst into laughter.


Then he flicked a grain of dust from the sleeve of his coat with a fillip.


Marius continued:


"You are also Jondrette the workman, Fabantou the comedian, Genflot the poet, Don Alvares the Spaniard, and Mistress Balizard."


"Mistress what?"


"And you kept a pot-house at Montfermeil."


"A pot-house! Never."


"And I tell you that your name is Thenardier."


"I deny it."


"And that you are a rascal. Here."


And Marius drew a bank-note from his pocket and flung it in his face.


"Thanks! Pardon me! five hundred francs! Monsieur le Baron!"


And the man, overcome, bowed, seized the note and examined it.


"Five hundred francs!" he began again, taken aback. And he stammered in a low voice: "An honest rustler."


Then brusquely:


"Well, so be it!" he exclaimed. "Let us put ourselves at our ease."


And with the agility of a monkey, flinging back his hair, tearing off his spectacles, and withdrawing from his nose by sleight of hand the two quills of which mention was recently made, and which the reader has also met with on another page of this book, he took off his face as the man takes off his hat.


His eye lighted up; his uneven brow, with hollows in some places and bumps in others, hideously wrinkled at the top, was laid bare, his nose had become as sharp as a beak; the fierce and sagacious profile of the man of prey reappeared.


"Monsieur le Baron is infallible," he said in a clear voice whence all nasal twang had disappeared, "I am Thenardier."


And he straightened up his crooked back.


Thenardier, for it was really he, was strangely surprised; he would have been troubled, had he been capable of such a thing. He had come to bring astonishment, and it was he who had received it. This humiliation had been worth five hundred francs to him, and, taking it all in all, he accepted it; but he was none the less bewildered.


He beheld this Baron Pontmercy for the first time, and, in spite of his disguise, this Baron Pontmercy recognized him, and recognized him thoroughly. And not only was this Baron perfectly informed as to Thenardier, but he seemed well posted as to Jean Valjean. Who was this almost beardless young man, who was so glacial and so generous, who knew people's names, who knew all their names, and who opened his purse to them, who bullied rascals like a judge, and who paid them like a dupe?


Thenardier, the reader will remember, although he had been Marius' neighbor, had never seen him, which is not unusual in Paris; he had formerly, in a vague way, heard his daughters talk of a very poor young man named Marius who lived in the house. He had written to him, without knowing him, the letter with which the reader is acquainted.


No connection between that Marius and M. le Baron Pontmercy was possible in his mind.


As for the name Pontmercy, it will be recalled that, on the battlefield of Waterloo, he had only heard the last two syllables, for which he always entertained the legitimate scorn which one owes to what is merely an expression of thanks.


However, through his daughter Azelma, who had started on the scent of the married pair on the 16th of February, and through his own personal researches, he had succeeded in learning many things, and, from the depths of his own gloom, he had contrived to grasp more than one mysterious clew. He had discovered, by dint of industry, or, at least, by dint of induction, he had guessed who the man was whom he had encountered on a certain day in the Grand Sewer. From the man he had easily reached the name. He knew that Madame la Baronne Pontmercy was Cosette. But he meant to be discreet in that quarter.


Who was Cosette? He did not know exactly himself. He did, indeed, catch an inkling of illegitimacy, the history of Fantine had always seemed to him equivocal; but what was the use of talking about that? in order to cause himself to be paid for his silence? He had, or thought he had, better wares than that for sale. And, according to all appearances, if he were to come and make to the Baron Pontmercy this revelation—and without proof: "Your wife is a bastard," the only result would be to attract the boot of the husband towards the loins of the revealer.


From Thenardier's point of view, the conversation with Marius had not yet begun. He ought to have drawn back, to have modified his strategy, to have abandoned his position, to have changed his front; but nothing essential had been compromised as yet, and he had five hundred francs in his pocket. Moreover, he had something decisive to say, and, even against this very well-informed and well-armed Baron Pontmercy, he felt himself strong. For men of Thenardier's nature, every dialogue is a combat. In the one in which he was about to engage, what was his situation? He did not know to whom he was speaking, but he did know of what he was speaking, he made this rapid review of his inner forces, and after having said: "I am Thenardier," he waited.


Marius had become thoughtful. So he had hold of Thenardier at last. That man whom he had so greatly desired to find was before him. He could honor Colonel Pontmercy's recommendation.


He felt humiliated that that hero should have owned anything to this villain, and that the letter of change drawn from the depths of the tomb by his father upon him, Marius, had been protested up to that day. It also seemed to him, in the complex state of his mind towards Thenardier, that there was occasion to avenge the Colonel for the misfortune of having been saved by such a rascal. In any case, he was content. He was about to deliver the Colonel's shade from this unworthy creditor at last, and it seemed to him that he was on the point of rescuing his father's memory from the debtors' prison. By the side of this duty there was another—to elucidate, if possible, the source of Cosette's fortune. The opportunity appeared to present itself. Perhaps Thenardier knew something. It might prove useful to see the bottom of this man.


He commenced with this.


Thenardier had caused the "honest rustler" to disappear in his fob, and was gazing at Marius with a gentleness that was almost tender.


Marius broke the silence.


"Thenardier, I have told you your name. Now, would you like to have me tell you your secret—the one that you came here to reveal to me? I have information of my own, also. You shall see that I know more about it than you do. Jean Valjean, as you have said, is an assassin and a thief. A thief, because he robbed a wealthy manufacturer, whose ruin he brought about. An assassin, because he assassinated police-agent Javert."


"I don't understand, sir," ejaculated Thenardier.


"I will make myself intelligible. In a certain arrondissement of the Pas de Calais, there was, in 1822, a man who had fallen out with justice, and who, under the name of M. Madeleine, had regained his status and rehabilitated himself. This man had become a just man in the full force of the term. In a trade, the manufacture of black glass goods, he made the fortune of an entire city. As far as his personal fortune was concerned he made that also, but as a secondary matter, and in some sort, by accident. He was the foster-father of the poor. He founded hospitals, opened schools, visited the sick, dowered young girls, supported widows, and adopted orphans; he was like the guardian angel of the country. He refused the cross, he was appointed Mayor. A liberated convict knew the secret of a penalty incurred by this man in former days; he denounced him, and had him arrested, and profited by the arrest to come to Paris and cause the banker Laffitte,—I have the fact from the cashier himself,—by means of a false signature, to hand over to him the sum of over half a million which belonged to M. Madeleine. This convict who robbed M. Madeleine was Jean Valjean. As for the other fact, you have nothing to tell me about it either. Jean Valjean killed the agent Javert; he shot him with a pistol. I, the person who is speaking to you, was present."


Thenardier cast upon Marius the sovereign glance of a conquered man who lays his hand once more upon the victory, and who has just regained, in one instant, all the ground which he has lost. But the smile returned instantly. The inferior's triumph in the presence of his superior must be wheedling.


Thenardier contented himself with saying to Marius:


"Monsieur le Baron, we are on the wrong track."


And he emphasized this phrase by making his bunch of seals execute an expressive whirl.


"What!" broke forth Marius, "do you dispute that? These are facts."


"They are chimeras. The confidence with which Monsieur le Baron honors me renders it my duty to tell him so. Truth and justice before all things. I do not like to see folks accused unjustly. Monsieur le Baron, Jean Valjean did not rob M. Madeleine and Jean Valjean did not kill Javert."


"This is too much! How is this?"


"For two reasons."


"What are they? Speak."


"This is the first: he did not rob M. Madeleine, because it is Jean Valjean himself who was M. Madeleine."


"What tale are you telling me?"


"And this is the second: he did not assassinate Javert, because the person who killed Javert was Javert."


"What do you mean to say?"


"That Javert committed suicide."


"Prove it! prove it!" cried Marius beside himself.


Thenardier resumed, scanning his phrase after the manner of the ancient Alexandrine measure:


"Police-agent-Ja-vert-was-found-drowned-un-der-a-boat-of-the-Pont-au-Change."


"But prove it!"


Thenardier drew from his pocket a large envelope of gray paper, which seemed to contain sheets folded in different sizes.


"I have my papers," he said calmly.


And he added:


"Monsieur le Baron, in your interests I desired to know Jean Valjean thoroughly. I say that Jean Valjean and M. Madeleine are one and the same man, and I say that Javert had no other assassin than Javert. If I speak, it is because I have proofs. Not manuscript proofs—writing is suspicious, handwriting is complaisant,—but printed proofs."


As he spoke, Thenardier extracted from the envelope two copies of newspapers, yellow, faded, and strongly saturated with tobacco. One of these two newspapers, broken at every fold and falling into rags, seemed much older than the other.


"Two facts, two proofs," remarked Thenardier. And he offered the two newspapers, unfolded, to Marius.


The reader is acquainted with these two papers. One, the most ancient, a number of the Drapeau Blanc of the 25th of July, 1823, the text of which can be seen in the first volume, established the identity of M. Madeleine and Jean Valjean.


The other, a Moniteur of the 15th of June, 1832, announced the suicide of Javert, adding that it appeared from a verbal report of Javert to the prefect that, having been taken prisoner in the barricade of the Rue de la Chanvrerie, he had owed his life to the magnanimity of an insurgent who, holding him under his pistol, had fired into the air, instead of blowing out his brains.


Marius read. He had evidence, a certain date, irrefragable proof, these two newspapers had not been printed expressly for the purpose of backing up Thenardier's statements; the note printed in the Moniteur had been an administrative communication from the Prefecture of Police. Marius could not doubt.


The information of the cashier-clerk had been false, and he himself had been deceived.


Jean Valjean, who had suddenly grown grand, emerged from his cloud. Marius could not repress a cry of joy.


"Well, then this unhappy wretch is an admirable man! the whole of that fortune really belonged to him! he is Madeleine, the providence of a whole countryside! he is Jean Valjean, Javert's savior! he is a hero! he is a saint!"


"He's not a saint, and he's not a hero!" said Thenardier. "He's an assassin and a robber."


And he added, in the tone of a man who begins to feel that he possesses some authority:


"Let us be calm."


Robber, assassin—those words which Marius thought had disappeared and which returned, fell upon him like an ice-cold shower-bath.


"Again!" said he.


"Always," ejaculated Thenardier. "Jean Valjean did not rob Madeleine, but he is a thief. He did not kill Javert, but he is a murderer."


"Will you speak," retorted Marius, "of that miserable theft, committed forty years ago, and expiated, as your own newspapers prove, by a whole life of repentance, of self-abnegation and of virtue?"


"I say assassination and theft, Monsieur le Baron, and I repeat that I am speaking of actual facts. What I have to reveal to you is absolutely unknown. It belongs to unpublished matter. And perhaps you will find in it the source of the fortune so skilfully presented to Madame la Baronne by Jean Valjean. I say skilfully, because, by a gift of that nature it would not be so very unskilful to slip into an honorable house whose comforts one would then share, and, at the same stroke, to conceal one's crime, and to enjoy one's theft, to bury one's name and to create for oneself a family."


"I might interrupt you at this point," said Marius, "but go on."


"Monsieur le Baron, I will tell you all, leaving the recompense to your generosity. This secret is worth massive gold. You will say to me: 'Why do not you apply to Jean Valjean?' For a very simple reason; I know that he has stripped himself, and stripped himself in your favor, and I consider the combination ingenious; but he has no longer a son, he would show me his empty hands, and, since I am in need of some money for my trip to la Joya, I prefer you, you who have it all, to him who has nothing. I am a little fatigued, permit me to take a chair."


Marius seated himself and motioned to him to do the same.


Thenardier installed himself on a tufted chair, picked up his two newspapers, thrust them back into their envelope, and murmured as he pecked at the Drapeau Blanc with his nail: "It cost me a good deal of trouble to get this one."


That done he crossed his legs and stretched himself out on the back of the chair, an attitude characteristic of people who are sure of what they are saying, then he entered upon his subject gravely, emphasizing his words:


"Monsieur le Baron, on the 6th of June, 1832, about a year ago, on the day of the insurrection, a man was in the Grand Sewer of Paris, at the point where the sewer enters the Seine, between the Pont des Invalides and the Pont de Jena."


Marius abruptly drew his chair closer to that of Thenardier. Thenardier noticed this movement and continued with the deliberation of an orator who holds his interlocutor and who feels his adversary palpitating under his words:


"This man, forced to conceal himself, and for reasons, moreover, which are foreign to politics, had adopted the sewer as his domicile and had a key to it. It was, I repeat, on the 6th of June; it might have been eight o'clock in the evening. The man hears a noise in the sewer. Greatly surprised, he hides himself and lies in wait. It was the sound of footsteps, some one was walking in the dark, and coming in his direction. Strange to say, there was another man in the sewer besides himself. The grating of the outlet from the sewer was not far off. A little light which fell through it permitted him to recognize the newcomer, and to see that the man was carrying something on his back. He was walking in a bent attitude. The man who was walking in a bent attitude was an ex-convict, and what he was dragging on his shoulders was a corpse. Assassination caught in the very act, if ever there was such a thing. As for the theft, that is understood; one does not kill a man gratis. This convict was on his way to fling the body into the river. One fact is to be noticed, that before reaching the exit grating, this convict, who had come a long distance in the sewer, must, necessarily, have encountered a frightful quagmire where it seems as though he might have left the body, but the sewermen would have found the assassinated man the very next day, while at work on the quagmire, and that did not suit the assassin's plans. He had preferred to traverse that quagmire with his burden, and his exertions must have been terrible, for it is impossible to risk one's life more completely; I don't understand how he could have come out of that alive."


Marius' chair approached still nearer. Thenardier took advantage of this to draw a long breath. He went on:


"Monsieur le Baron, a sewer is not the Champ de Mars. One lacks everything there, even room. When two men are there, they must meet. That is what happened. The man domiciled there and the passer-by were forced to bid each other good-day, greatly to the regret of both. The passer-by said to the inhabitant:—"You see what I have on my back, I must get out, you have the key, give it to me." That convict was a man of terrible strength. There was no way of refusing. Nevertheless, the man who had the key parleyed, simply to gain time. He examined the dead man, but he could see nothing, except that the latter was young, well dressed, with the air of being rich, and all disfigured with blood. While talking, the man contrived to tear and pull off behind, without the assassin perceiving it, a bit of the assassinated man's coat. A document for conviction, you understand; a means of recovering the trace of things and of bringing home the crime to the criminal. He put this document for conviction in his pocket. After which he opened the grating, made the man go out with his embarrassment on his back, closed the grating again, and ran off, not caring to be mixed up with the remainder of the adventure and above all, not wishing to be present when the assassin threw the assassinated man into the river. Now you comprehend. The man who was carrying the corpse was Jean Valjean; the one who had the key is speaking to you at this moment; and the piece of the coat . . ."


Thenardier completed his phrase by drawing from his pocket, and holding, on a level with his eyes, nipped between his two thumbs and his two forefingers, a strip of torn black cloth, all covered with dark spots.


Marius had sprung to his feet, pale, hardly able to draw his breath, with his eyes riveted on the fragment of black cloth, and, without uttering a word, without taking his eyes from that fragment, he retreated to the wall and fumbled with his right hand along the wall for a key which was in the lock of a cupboard near the chimney.


He found the key, opened the cupboard, plunged his arm into it without looking, and without his frightened gaze quitting the rag which Thenardier still held outspread.


But Thenardier continued:


"Monsieur le Baron, I have the strongest of reasons for believing that the assassinated young man was an opulent stranger lured into a trap by Jean Valjean, and the bearer of an enormous sum of money."


"The young man was myself, and here is the coat!" cried Marius, and he flung upon the floor an old black coat all covered with blood.


Then, snatching the fragment from the hands of Thenardier, he crouched down over the coat, and laid the torn morsel against the tattered skirt. The rent fitted exactly, and the strip completed the coat.


Thenardier was petrified.


This is what he thought: "I'm struck all of a heap."


Marius rose to his feet trembling, despairing, radiant.


He fumbled in his pocket and stalked furiously to Thenardier, presenting to him and almost thrusting in his face his fist filled with bank-notes for five hundred and a thousand francs.


"You are an infamous wretch! you are a liar, a calumniator, a villain. You came to accuse that man, you have only justified him; you wanted to ruin him, you have only succeeded in glorifying him. And it is you who are the thief! And it is you who are the assassin! I saw you, Thenardier Jondrette, in that lair on the Rue de l'Hopital. I know enough about you to send you to the galleys and even further if I choose. Here are a thousand francs, bully that you are!"


And he flung a thousand franc note at Thenardier.


"Ah! Jondrette Thenardier, vile rascal! Let this serve you as a lesson, you dealer in second-hand secrets, merchant of mysteries, rummager of the shadows, wretch! Take these five hundred francs and get out of here! Waterloo protects you."


"Waterloo!" growled Thenardier, pocketing the five hundred francs along with the thousand.


"Yes, assassin! You there saved the life of a Colonel. . ."


"Of a General," said Thenardier, elevating his head.


"Of a Colonel!" repeated Marius in a rage. "I wouldn't give a ha'penny for a general. And you come here to commit infamies! I tell you that you have committed all crimes. Go! disappear! Only be happy, that is all that I desire. Ah! monster! here are three thousand francs more. Take them. You will depart to-morrow, for America, with your daughter; for your wife is dead, you abominable liar. I shall watch over your departure, you ruffian, and at that moment I will count out to you twenty thousand francs. Go get yourself hung elsewhere!"


"Monsieur le Baron!" replied Thenardier, bowing to the very earth, "eternal gratitude." And Thenardier left the room, understanding nothing, stupefied and delighted with this sweet crushing beneath sacks of gold, and with that thunder which had burst forth over his head in bank-bills.


Struck by lightning he was, but he was also content; and he would have been greatly angered had he had a lightning rod to ward off such lightning as that.


Let us finish with this man at once.


Two days after the events which we are at this moment narrating, he set out, thanks to Marius' care, for America under a false name, with his daughter Azelma, furnished with a draft on New York for twenty thousand francs.


The moral wretchedness of Thenardier, the bourgeois who had missed his vocation, was irremediable. He was in America what he had been in Europe. Contact with an evil man sometimes suffices to corrupt a good action and to cause evil things to spring from it. With Marius' money, Thenardier set up as a slave-dealer.


As soon as Thenardier had left the house, Marius rushed to the garden, where Cosette was still walking.


"Cosette! Cosette!" he cried. "Come! come quick! Let us go. Basque, a carriage! Cosette, come. Ah! My God! It was he who saved my life! Let us not lose a minute! Put on your shawl."


Cosette thought him mad and obeyed.


He could not breathe, he laid his hand on his heart to restrain its throbbing. He paced back and forth with huge strides, he embraced Cosette:


"Ah! Cosette! I am an unhappy wretch!" said he.


Marius was bewildered. He began to catch a glimpse in Jean Valjean of some indescribably lofty and melancholy figure. An unheard-of virtue, supreme and sweet, humble in its immensity, appeared to him. The convict was transfigured into Christ.


Marius was dazzled by this prodigy. He did not know precisely what he beheld, but it was grand.


In an instant, a hackney-carriage stood in front of the door.


Marius helped Cosette in and darted in himself.


"Driver," said he, "Rue de l'Homme Arme, Number 7."


The carriage drove off.


"Ah! what happiness!" ejaculated Cosette. "Rue de l'Homme Arme, I did not dare to speak to you of that. We are going to see M. Jean."


"Thy father! Cosette, thy father more than ever. Cosette, I guess it. You told me that you had never received the letter that I sent you by Gavroche. It must have fallen into his hands. Cosette, he went to the barricade to save me. As it is a necessity with him to be an angel, he saved others also; he saved Javert. He rescued me from that gulf to give me to you. He carried me on his back through that frightful sewer. Ah! I am a monster of ingratitude. Cosette, after having been your providence, he became mine. Just imagine, there was a terrible quagmire enough to drown one a hundred times over, to drown one in mire. Cosette! he made me traverse it. I was unconscious; I saw nothing, I heard nothing, I could know nothing of my own adventure. We are going to bring him back, to take him with us, whether he is willing or not, he shall never leave us again. If only he is at home! Provided only that we can find him, I will pass the rest of my life in venerating him. Yes, that is how it should be, do you see, Cosette? Gavroche must have delivered my letter to him. All is explained. You understand."


Cosette did not understand a word.


"You are right," she said to him.


Meanwhile the carriage rolled on.


Translation notes

"An honest rustler."

Un fafiot serieux. Fafiot is the slang term for a bank-bill, derived from its rustling noise. [1]

Textual notes

Citations

  1. Hugo, Victor. Les Misérables. Complete in Five Volumes. Trans. Isabel F Hapgood. Project Gutenberg eBook, 2008.