Volume 3/Book 1/Chapter 12
Les Misérables, Volume 3: Marius, Book First: Paris Studied in its Atom, Chapter 12: The Future Latent in the People
(Tome 3: Marius, Livre premier: Paris étudié dans son atome, Chapitre 12: L'avenir latent dans le peuple)
Contents
General notes on this chapter
French text
Quant au peuple parisien, même homme fait, il est toujours le gamin; peindre l'enfant, c'est peindre la ville; et c'est pour cela que nous avons étudié cet aigle dans ce moineau franc.
C'est surtout dans les faubourgs, insistons-y, que la race parisienne
apparaît; là est le pur sang; là est la vraie physionomie; là ce peuple
travaille et souffre, et la souffrance et le travail sont les deux
figures de l'homme. Il y a là des quantités profondes d'êtres inconnus
où fourmillent les types les plus étranges depuis le déchargeur de la
Râpée jusqu'à l'équarrisseur de Montfaucon. Fex urbis, s'écrie
Cicéron; mob, ajoute Burke indigné; tourbe, multitude, populace. Ces
mots-là sont vite dits. Mais soit. Qu'importe? qu'est-ce que cela fait
qu'ils aillent pieds nus? Ils ne savent pas lire; tant pis. Les
abandonnerez-vous pour cela? leur ferez-vous de leur détresse une
malédiction? la lumière ne peut-elle pénétrer ces masses? Revenons à ce
cri: Lumière! et obstinons-nous-y! Lumière! lumière!—Qui sait si ces
opacités ne deviendront pas transparentes? les révolutions ne sont-elles
pas des transfigurations? Allez, philosophes, enseignez, éclairez,
allumez, pensez haut, parlez haut, courez joyeux au grand soleil,
fraternisez avec les places publiques, annoncez les bonnes nouvelles,
prodiguez les alphabets, proclamez les droits, chantez les
Marseillaises, semez les enthousiasmes, arrachez des branches vertes aux
chênes. Faites de l'idée un tourbillon. Cette foule peut être sublimée.
Sachons nous servir de ce vaste embrasement des principes et des vertus
qui pétille, éclate et frissonne à de certaines heures. Ces pieds nus,
ces bras nus, ces haillons, ces ignorances, ces abjections, ces
ténèbres, peuvent être employés à la conquête de l'idéal. Regardez à
travers le peuple et vous apercevrez la vérité. Ce vil sable que vous
foulez aux pieds, qu'on le jette dans la fournaise, qu'il y fonde et
qu'il y bouillonne, il deviendra cristal splendide, et c'est grâce à lui
que Galilée et Newton découvriront les astres.
English text
Quant au peuple parisien, même homme fait, il est toujours le gamin; peindre l'enfant, c'est peindre la ville; et c'est pour cela que nous avons étudié cet aigle dans ce moineau franc.
C'est surtout dans les faubourgs, insistons-y, que la race parisienne
apparaît; là est le pur sang; là est la vraie physionomie; là ce peuple
travaille et souffre, et la souffrance et le travail sont les deux
figures de l'homme. Il y a là des quantités profondes d'êtres inconnus
où fourmillent les types les plus étranges depuis le déchargeur de la
Râpée jusqu'à l'équarrisseur de Montfaucon. Fex urbis, s'écrie
Cicéron; mob, ajoute Burke indigné; tourbe, multitude, populace. Ces
mots-là sont vite dits. Mais soit. Qu'importe? qu'est-ce que cela fait
qu'ils aillent pieds nus? Ils ne savent pas lire; tant pis. Les
abandonnerez-vous pour cela? leur ferez-vous de leur détresse une
malédiction? la lumière ne peut-elle pénétrer ces masses? Revenons à ce
cri: Lumière! et obstinons-nous-y! Lumière! lumière!—Qui sait si ces
opacités ne deviendront pas transparentes? les révolutions ne sont-elles
pas des transfigurations? Allez, philosophes, enseignez, éclairez,
allumez, pensez haut, parlez haut, courez joyeux au grand soleil,
fraternisez avec les places publiques, annoncez les bonnes nouvelles,
prodiguez les alphabets, proclamez les droits, chantez les
Marseillaises, semez les enthousiasmes, arrachez des branches vertes aux
chênes. Faites de l'idée un tourbillon. Cette foule peut être sublimée.
Sachons nous servir de ce vaste embrasement des principes et des vertus
qui pétille, éclate et frissonne à de certaines heures. Ces pieds nus,
ces bras nus, ces haillons, ces ignorances, ces abjections, ces
ténèbres, peuvent être employés à la conquête de l'idéal. Regardez à
travers le peuple et vous apercevrez la vérité. Ce vil sable que vous
foulez aux pieds, qu'on le jette dans la fournaise, qu'il y fonde et
qu'il y bouillonne, il deviendra cristal splendide, et c'est grâce à lui
que Galilée et Newton découvriront les astres.