Volume 2/Book 6/Chapter 1

From Les Misérables Annotation Project
< Volume 2/Book 6
Revision as of 00:09, 21 November 2018 by Akallabeth-joie (talk | contribs) (Created page with "Les Misérables, Volume 2: Cosette, Book Sixth: Le Petit-Picpus, Chapter 1: Number 62 Rue Petit-Picpus<br /> (Tome 2: Cosette, Livre sixième: Le Petit-Picpus, Chapitre...")
(diff) ← Older revision | Latest revision (diff) | Newer revision → (diff)
Jump to: navigation, search

Les Misérables, Volume 2: Cosette, Book Sixth: Le Petit-Picpus, Chapter 1: Number 62 Rue Petit-Picpus
(Tome 2: Cosette, Livre sixième: Le Petit-Picpus, Chapitre 1: Petite rue Picpus, numéro 62 )

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Rien ne ressemblait plus, il y a un demi-siècle, à la première porte cochère venue que la porte cochère du numéro 62 de la petite rue Picpus. Cette porte, habituellement entrouverte de la façon la plus engageante, laissait voir deux choses qui n'ont rien de très funèbre, une cour entourée de murs tapissés de vigne et la face d'un portier qui flâne. Au-dessus du mur du fond on apercevait de grands arbres. Quand un rayon de soleil égayait la cour, quand un verre de vin égayait le portier, il était difficile de passer devant le numéro 62 de la petite rue Picpus sans en emporter une idée riante. C'était pourtant un lieu sombre qu'on avait entrevu.

Le seuil souriait; la maison priait et pleurait.

Si l'on parvenait, ce qui n'était point facile, à franchir le portier,—ce qui même pour presque tous était impossible, car il y avait un sésame, ouvre-toi! qu'il fallait savoir;—si, le portier franchi, on entrait à droite dans un petit vestibule où donnait un escalier resserré entre deux murs et si étroit qu'il n'y pouvait passer qu'une personne à la fois, si l'on ne se laissait pas effrayer par le badigeonnage jaune serin avec soubassement chocolat qui enduisait cet escalier, si l'on s'aventurait à monter, on dépassait un premier palier, puis un deuxième, et l'on arrivait au premier étage dans un corridor où la détrempe jaune et la plinthe chocolat vous suivaient avec un acharnement paisible. Escalier et corridor étaient éclairés par deux belles fenêtres. Le corridor faisait un coude et devenait obscur. Si l'on doublait ce cap, on parvenait après quelques pas devant une porte d'autant plus mystérieuse qu'elle n'était pas fermée. On la poussait, et l'on se trouvait dans une petite chambre d'environ six pieds carrés, carrelée, lavée, propre, froide, tendue de papier nankin à fleurettes vertes, à quinze sous le rouleau. Un jour blanc et mat venait d'une grande fenêtre à petits carreaux qui était à gauche et qui tenait toute la largeur de la chambre. On regardait, on ne voyait personne; on écoutait, on n'entendait ni un pas ni un murmure humain. La muraille était nue; la chambre n'était point meublée; pas une chaise.

On regardait encore, et l'on voyait au mur en face de la porte un trou quadrangulaire d'environ un pied carré, grillé d'une grille en fer à barreaux entre-croisés, noirs, noueux, solides, lesquels formaient des carreaux, j'ai presque dit des mailles, de moins d'un pouce et demi de diagonale. Les petites fleurettes vertes du papier nankin arrivaient avec calme et en ordre jusqu'à ces barreaux de fer, sans que ce contact funèbre les effarouchât et les fît tourbillonner. En supposant qu'un être vivant eût été assez admirablement maigre pour essayer d'entrer ou de sortir par le trou carré, cette grille l'en eût empêché. Elle ne laissait point passer le corps, mais elle laissait passer les yeux, c'est-à-dire l'esprit. Il semblait qu'on eût songé à cela, car on l'avait doublée d'une lame de fer-blanc sertie dans la muraille un peu en arrière et piquée de mille trous plus microscopiques que les trous d'une écumoire. Au bas de cette plaque était percée une ouverture tout à fait pareille à la bouche d'une boîte aux lettres. Un ruban de fil attaché à un mouvement de sonnette pendait à droite du trou grillé.

Si l'on agitait ce ruban, une clochette tintait et l'on entendait une voix, tout près de soi, ce qui faisait tressaillir.

—Qui est là? demandait la voix.

C'était une voix de femme, une voix douce, si douce qu'elle en était lugubre.

Ici encore il y avait un mot magique qu'il fallait savoir. Si on ne le savait pas, la voix se taisait, et le mur redevenait silencieux comme si l'obscurité effarée du sépulcre eût été de l'autre côté.

Si l'on savait le mot, la voix reprenait:

—Entrez à droite.

On remarquait alors à sa droite, en face de la fenêtre, une porte vitrée surmontée d'un châssis vitré et peinte en gris. On soulevait le loquet, on franchissait la porte, et l'on éprouvait absolument la même impression que lorsqu'on entre au spectacle dans une baignoire grillée avant que la grille soit baissée et que le lustre soit allumé. On était en effet dans une espèce de loge de théâtre, à peine éclairée par le jour vague de la porte vitrée, étroite, meublée de deux vieilles chaises et d'un paillasson tout démaillé, véritable loge avec sa devanture à hauteur d'appui qui portait une tablette en bois noir. Cette loge était grillée, seulement ce n'était pas une grille de bois doré comme à l'Opéra, c'était un monstrueux treillis de barres de fer affreusement enchevêtrées et scellées au mur par des scellements énormes qui ressemblaient à des poings fermés.

Les premières minutes passées, quand le regard commençait à se faire à ce demi-jour de cave, il essayait de franchir la grille, mais il n'allait pas plus loin que six pouces au delà. Là il rencontrait une barrière de volets noirs, assurés et fortifiés de traverses de bois peintes en jaune pain d'épice. Ces volets étaient à jointures, divisés en longues lames minces, et masquaient toute la longueur de la grille. Ils étaient toujours clos.

Au bout de quelques instants, on entendait une voix qui vous appelait de derrière ces volets et qui vous disait:

—Je suis là. Que me voulez-vous?

C'était une voix aimée, quelquefois une voix adorée. On ne voyait personne. On entendait à peine le bruit d'un souffle. Il semblait que ce fût une évocation qui vous parlait à travers la cloison de la tombe.

Si l'on était dans de certaines conditions voulues, bien rares, l'étroite lame d'un des volets s'ouvrait en face de vous, et l'évocation devenait une apparition. Derrière la grille, derrière le volet, on apercevait, autant que la grille permettait d'apercevoir, une tête dont on ne voyait que la bouche et le menton; le reste était couvert d'un voile noir. On entrevoyait une guimpe noire et une forme à peine distincte couverte d'un suaire noir. Cette tête vous parlait, mais ne vous regardait pas et ne vous souriait jamais.

Le jour qui venait de derrière vous était disposé de telle façon que vous la voyiez blanche et qu'elle vous voyait noir. Ce jour était un symbole.

Cependant les yeux plongeaient avidement par cette ouverture qui s'était faite dans ce lieu clos à tous les regards. Un vague profond enveloppait cette forme vêtue de deuil. Les yeux fouillaient ce vague et cherchaient à démêler ce qui était autour de l'apparition. Au bout de très peu de temps on s'apercevait qu'on ne voyait rien. Ce qu'on voyait, c'était la nuit, le vide, les ténèbres, une brume de l'hiver mêlée à une vapeur du tombeau, une sorte de paix effrayante, un silence où l'on ne recueillait rien, pas même des soupirs, une ombre où l'on ne distinguait rien, pas même des fantômes.

Ce qu'on voyait, c'était l'intérieur d'un cloître.

C'était l'intérieur de cette maison morne et sévère qu'on appelait le couvent des bernardines de l'Adoration Perpétuelle. Cette loge où l'on était, c'était le parloir. Cette voix, la première qui vous avait parlé, c'était la voix de la tourière qui était toujours assise, immobile et silencieuse, de l'autre côté du mur, près de l'ouverture carrée, défendue par la grille de fer et par la plaque à mille trous comme par une double visière.

L'obscurité où plongeait la loge grillée venait de ce que le parloir qui avait une fenêtre du côté du monde n'en avait aucune du côté du couvent. Les yeux profanes ne devaient rien voir de ce lieu sacré.

Pourtant il y avait quelque chose au delà de cette ombre, il y avait une lumière; il y avait une vie dans cette mort. Quoique ce couvent fût le plus muré de tous, nous allons essayer d'y pénétrer et d'y faire pénétrer le lecteur, et de dire, sans oublier la mesure, des choses que les raconteurs n'ont jamais vues et par conséquent jamais dites.


English text[edit]

Nothing, half a century ago, more resembled every other carriage gate than the carriage gate of Number 62 Rue Petit-Picpus. This entrance, which usually stood ajar in the most inviting fashion, permitted a view of two things, neither of which have anything very funereal about them,—a courtyard surrounded by walls hung with vines, and the face of a lounging porter. Above the wall, at the bottom of the court, tall trees were visible. When a ray of sunlight enlivened the courtyard, when a glass of wine cheered up the porter, it was difficult to pass Number 62 Little Picpus Street without carrying away a smiling impression of it. Nevertheless, it was a sombre place of which one had had a glimpse.

The threshold smiled; the house prayed and wept.

If one succeeded in passing the porter, which was not easy,—which was even nearly impossible for every one, for there was an open sesame! which it was necessary to know,—if, the porter once passed, one entered a little vestibule on the right, on which opened a staircase shut in between two walls and so narrow that only one person could ascend it at a time, if one did not allow one’s self to be alarmed by a daubing of canary yellow, with a dado of chocolate which clothed this staircase, if one ventured to ascend it, one crossed a first landing, then a second, and arrived on the first story at a corridor where the yellow wash and the chocolate-hued plinth pursued one with a peaceable persistency. Staircase and corridor were lighted by two beautiful windows. The corridor took a turn and became dark. If one doubled this cape, one arrived a few paces further on, in front of a door which was all the more mysterious because it was not fastened. If one opened it, one found one’s self in a little chamber about six feet square, tiled, well-scrubbed, clean, cold, and hung with nankin paper with green flowers, at fifteen sous the roll. A white, dull light fell from a large window, with tiny panes, on the left, which usurped the whole width of the room. One gazed about, but saw no one; one listened, one heard neither a footstep nor a human murmur. The walls were bare, the chamber was not furnished; there was not even a chair.

One looked again, and beheld on the wall facing the door a quadrangular hole, about a foot square, with a grating of interlacing iron bars, black, knotted, solid, which formed squares—I had almost said meshes—of less than an inch and a half in diagonal length. The little green flowers of the nankin paper ran in a calm and orderly manner to those iron bars, without being startled or thrown into confusion by their funereal contact. Supposing that a living being had been so wonderfully thin as to essay an entrance or an exit through the square hole, this grating would have prevented it. It did not allow the passage of the body, but it did allow the passage of the eyes; that is to say, of the mind. This seems to have occurred to them, for it had been re-enforced by a sheet of tin inserted in the wall a little in the rear, and pierced with a thousand holes more microscopic than the holes of a strainer. At the bottom of this plate, an aperture had been pierced exactly similar to the orifice of a letter box. A bit of tape attached to a bell-wire hung at the right of the grated opening.

If the tape was pulled, a bell rang, and one heard a voice very near at hand, which made one start.

“Who is there?” the voice demanded.

It was a woman’s voice, a gentle voice, so gentle that it was mournful.

Here, again, there was a magical word which it was necessary to know. If one did not know it, the voice ceased, the wall became silent once more, as though the terrified obscurity of the sepulchre had been on the other side of it.

If one knew the password, the voice resumed, “Enter on the right.”

One then perceived on the right, facing the window, a glass door surmounted by a frame glazed and painted gray. On raising the latch and crossing the threshold, one experienced precisely the same impression as when one enters at the theatre into a grated baignoire, before the grating is lowered and the chandelier is lighted. One was, in fact, in a sort of theatre-box, narrow, furnished with two old chairs, and a much-frayed straw matting, sparely illuminated by the vague light from the glass door; a regular box, with its front just of a height to lean upon, bearing a tablet of black wood. This box was grated, only the grating of it was not of gilded wood, as at the opera; it was a monstrous lattice of iron bars, hideously interlaced and riveted to the wall by enormous fastenings which resembled clenched fists.

The first minutes passed; when one’s eyes began to grow used to this cellar-like half-twilight, one tried to pass the grating, but got no further than six inches beyond it. There he encountered a barrier of black shutters, re-enforced and fortified with transverse beams of wood painted a gingerbread yellow. These shutters were divided into long, narrow slats, and they masked the entire length of the grating. They were always closed. At the expiration of a few moments one heard a voice proceeding from behind these shutters, and saying:—

“I am here. What do you wish with me?”

It was a beloved, sometimes an adored, voice. No one was visible. Hardly the sound of a breath was audible. It seemed as though it were a spirit which had been evoked, that was speaking to you across the walls of the tomb.

If one chanced to be within certain prescribed and very rare conditions, the slat of one of the shutters opened opposite you; the evoked spirit became an apparition. Behind the grating, behind the shutter, one perceived so far as the grating permitted sight, a head, of which only the mouth and the chin were visible; the rest was covered with a black veil. One caught a glimpse of a black guimpe, and a form that was barely defined, covered with a black shroud. That head spoke with you, but did not look at you and never smiled at you.

The light which came from behind you was adjusted in such a manner that you saw her in the white, and she saw you in the black. This light was symbolical.

Nevertheless, your eyes plunged eagerly through that opening which was made in that place shut off from all glances. A profound vagueness enveloped that form clad in mourning. Your eyes searched that vagueness, and sought to make out the surroundings of the apparition. At the expiration of a very short time you discovered that you could see nothing. What you beheld was night, emptiness, shadows, a wintry mist mingled with a vapor from the tomb, a sort of terrible peace, a silence from which you could gather nothing, not even sighs, a gloom in which you could distinguish nothing, not even phantoms.

What you beheld was the interior of a cloister.

It was the interior of that severe and gloomy edifice which was called the Convent of the Bernardines of the Perpetual Adoration. The box in which you stood was the parlor. The first voice which had addressed you was that of the portress who always sat motionless and silent, on the other side of the wall, near the square opening, screened by the iron grating and the plate with its thousand holes, as by a double visor. The obscurity which bathed the grated box arose from the fact that the parlor, which had a window on the side of the world, had none on the side of the convent. Profane eyes must see nothing of that sacred place.

Nevertheless, there was something beyond that shadow; there was a light; there was life in the midst of that death. Although this was the most strictly walled of all convents, we shall endeavor to make our way into it, and to take the reader in, and to say, without transgressing the proper bounds, things which story-tellers have never seen, and have, therefore, never described.


Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]