Volume 1/Book 2/Chapter 13

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Les Misérables, Volume 1: Fantine, Book Second: The Fall, Chapter 13: Little Gervais
(Tome 1: Fantine, Livre deuxième: La Chute, Chapitre 13: Petit-Gervais)

General notes on this chapter

French text

Jean Valjean sortit de la ville comme s'il s'échappait. Il se mit à marcher en toute hâte dans les champs, prenant les chemins et les sentiers qui se présentaient sans s'apercevoir qu'il revenait à chaque instant sur ses pas. Il erra ainsi toute la matinée, n'ayant pas mangé et n'ayant pas faim. Il était en proie à une foule de sensations nouvelles. Il se sentait une sorte de colère; il ne savait contre qui. Il n'eût pu dire s'il était touché ou humilié. Il lui venait par moments un attendrissement étrange qu'il combattait et auquel il opposait l'endurcissement de ses vingt dernières années. Cet état le fatiguait. Il voyait avec inquiétude s'ébranler au dedans de lui l'espèce de calme affreux que l'injustice de son malheur lui avait donné. Il se demandait qu'est-ce qui remplacerait cela. Parfois il eût vraiment mieux aimé être en prison avec les gendarmes, et que les choses ne se fussent point passées ainsi; cela l'eût moins agité. Bien que la saison fut assez avancée, il y avait encore çà et là dans les haies quelques fleurs tardives dont l'odeur, qu'il traversait en marchant, lui rappelait des souvenirs d'enfance. Ces souvenirs lui étaient presque insupportables, tant il y avait longtemps qu'ils ne lui étaient apparus.

Des pensées inexprimables s'amoncelèrent ainsi en lui toute la journée.

Comme le soleil déclinait au couchant, allongeant sur le sol l'ombre du moindre caillou, Jean Valjean était assis derrière un buisson dans une grande plaine rousse absolument déserte. Il n'y avait à l'horizon que les Alpes. Pas même le clocher d'un village lointain. Jean Valjean pouvait être à trois lieues de Digne. Un sentier qui coupait la plaine passait à quelques pas du buisson.

Au milieu de cette méditation qui n'eût pas peu contribué à rendre ses haillons effrayants pour quelqu'un qui l'eût rencontré, il entendit un bruit joyeux.

Il tourna la tête, et vit venir par le sentier un petit savoyard d'une dizaine d'années qui chantait, sa vielle au flanc et sa boîte à marmotte sur le dos; un de ces doux et gais enfants qui vont de pays en pays, laissant voir leurs genoux par les trous de leur pantalon.

Tout en chantant l'enfant interrompait de temps en temps sa marche et jouait aux osselets avec quelques pièces de monnaie qu'il avait dans sa main, toute sa fortune probablement. Parmi cette monnaie il y avait une pièce de quarante sous. L'enfant s'arrêta à côté du buisson sans voir Jean Valjean et fit sauter sa poignée de sous que jusque-là il avait reçue avec assez d'adresse tout entière sur le dos de sa main.

Cette fois la pièce de quarante sous lui échappa, et vint rouler vers la broussaille jusqu'à Jean Valjean.

Jean Valjean posa le pied dessus.

Cependant l'enfant avait suivi sa pièce du regard, et l'avait vu.

Il ne s'étonna point et marcha droit à l'homme.

C'était un lieu absolument solitaire. Aussi loin que le regard pouvait s'étendre, il n'y avait personne dans la plaine ni dans le sentier. On n'entendait que les petits cris faibles d'une nuée d'oiseaux de passage qui traversaient le ciel à une hauteur immense. L'enfant tournait le dos au soleil qui lui mettait des fils d'or dans les cheveux et qui empourprait d'une lueur sanglante la face sauvage de Jean Valjean.

—Monsieur, dit le petit savoyard, avec cette confiance de l'enfance qui se compose d'ignorance et d'innocence,—ma pièce?

—Comment t'appelles-tu? dit Jean Valjean.

—Petit-Gervais, monsieur.

—Va-t'en, dit Jean Valjean.

—Monsieur, reprit l'enfant, rendez-moi ma pièce.

Jean Valjean baissa la tête et ne répondit pas.

L'enfant recommença:

—Ma pièce, monsieur!

L'œil de Jean Valjean resta fixé à terre.

—Ma pièce! cria l'enfant, ma pièce blanche! mon argent! Il semblait que Jean Valjean n'entendit point. L'enfant le prit au collet de sa blouse et le secoua. Et en même temps il faisait effort pour déranger le gros soulier ferré posé sur son trésor.

—Je veux ma pièce! ma pièce de quarante sous!

L'enfant pleurait. La tête de Jean Valjean se releva. Il était toujours assis. Ses yeux étaient troubles. Il considéra l'enfant avec une sorte d'étonnement, puis il étendit la main vers son bâton et cria d'une voix terrible:

—Qui est là?

—Moi, monsieur, répondit l'enfant. Petit-Gervais! moi! moi! Rendez-moi mes quarante sous, s'il vous plaît! Ôtez votre pied, monsieur, s'il vous plaît!

Puis irrité, quoique tout petit, et devenant presque menaçant:

—Ah, çà, ôterez-vous votre pied? Ôtez donc votre pied, voyons.

—Ah! c'est encore toi! dit Jean Valjean, et se dressant brusquement tout debout, le pied toujours sur la pièce d'argent, il ajouta:—Veux-tu bien te sauver!

L'enfant effaré le regarda, puis commença à trembler de la tête aux pieds, et, après quelques secondes de stupeur, se mit à s'enfuir en courant de toutes ses forces sans oser tourner le cou ni jeter un cri.

Cependant à une certaine distance l'essoufflement le força de s'arrêter, et Jean Valjean, à travers sa rêverie, l'entendit qui sanglotait.

Au bout de quelques instants l'enfant avait disparu. Le soleil s'était couché. L'ombre se faisait autour de Jean Valjean. Il n'avait pas mangé de la journée; il est probable qu'il avait la fièvre.

Il était resté debout, et n'avait pas changé d'attitude depuis que l'enfant s'était enfui. Son souffle soulevait sa poitrine à des intervalles longs et inégaux. Son regard, arrêté à dix ou douze pas devant lui, semblait étudier avec une attention profonde la forme d'un vieux tesson de faïence bleue tombé dans l'herbe. Tout à coup il tressaillit; il venait de sentir le froid du soir.

Il raffermit sa casquette sur son front, chercha machinalement à croiser et à boutonner sa blouse, fit un pas, et se baissa pour reprendre à terre son bâton. En ce moment il aperçut la pièce de quarante sous que son pied avait à demi enfoncée dans la terre et qui brillait parmi les cailloux.

Ce fut comme une commotion galvanique. Qu'est-ce que c'est que ça? dit-il entre ses dents. Il recula de trois pas, puis s'arrêta, sans pouvoir détacher son regard de ce point que son pied avait foulé l'instant d'auparavant, comme si cette chose qui luisait là dans l'obscurité eût été un œil ouvert fixé sur lui.

Au bout de quelques minutes, il s'élança convulsivement vers la pièce d'argent, la saisit, et, se redressant, se mit à regarder au loin dans la plaine, jetant à la fois ses yeux vers tous les points de l'horizon, debout et frissonnant comme une bête fauve effarée qui cherche un asile.

Il ne vit rien. La nuit tombait, la plaine était froide et vague, de grandes brumes violettes montaient dans la clarté crépusculaire.

Il dit: «Ah!» et se mit à marcher rapidement dans une certaine direction, du côté où l'enfant avait disparu. Après une centaine de pas, il s'arrêta, regarda, et ne vit rien.

Alors il cria de toute sa force: «Petit-Gervais! Petit-Gervais!»

Il se tut, et attendit.

Rien ne répondit.

La campagne était déserte et morne. Il était environné de l'étendue. Il n'y avait rien autour de lui qu'une ombre où se perdait son regard et un silence où sa voix se perdait.

Une bise glaciale soufflait, et donnait aux choses autour de lui une sorte de vie lugubre. Des arbrisseaux secouaient leurs petits bras maigres avec une furie incroyable. On eût dit qu'ils menaçaient et poursuivaient quelqu'un.

Il recommença à marcher, puis il se mit à courir, et de temps en temps il s'arrêtait, et criait dans cette solitude, avec une voix qui était ce qu'on pouvait entendre de plus formidable et de plus désolé: «Petit-Gervais! Petit-Gervais!»

Certes, si l'enfant l'eût entendu, il eût eu peur et se fût bien gardé de se montrer. Mais l'enfant était sans doute déjà bien loin.

Il rencontra un prêtre qui était à cheval. Il alla à lui et lui dit:

—Monsieur le curé, avez-vous vu passer un enfant?

—Non, dit le prêtre.

—Un nommé Petit-Gervais?

—Je n'ai vu personne.

Il tira deux pièces de cinq francs de sa sacoche et les remit au prêtre.

—Monsieur le curé, voici pour vos pauvres.—Monsieur le curé, c'est un petit d'environ dix ans qui a une marmotte, je crois, et une vielle. Il allait. Un de ces savoyards, vous savez?

—Je ne l'ai point vu.

—Petit-Gervais? il n'est point des villages d'ici? pouvez-vous me dire?

—Si c'est comme vous dites, mon ami, c'est un petit enfant étranger. Cela passe dans le pays. On ne les connaît pas.

Jean Valjean prit violemment deux autres écus de cinq francs qu'il donna au prêtre.

—Pour vos pauvres, dit-il.

Puis il ajouta avec égarement:

—Monsieur l'abbé, faites-moi arrêter. Je suis un voleur.

Le prêtre piqua des deux et s'enfuit très effrayé.

Jean Valjean se remit à courir dans la direction qu'il avait d'abord prise.

Il fit de la sorte un assez long chemin, regardant, appelant, criant, mais il ne rencontra plus personne. Deux ou trois fois il courut dans la plaine vers quelque chose qui lui faisait l'effet d'un être couché ou accroupi; ce n'étaient que des broussailles ou des roches à fleur de terre. Enfin, à un endroit où trois sentiers se croisaient, il s'arrêta. La lune s'était levée. Il promena sa vue au loin et appela une dernière fois: «Petit-Gervais! Petit-Gervais! Petit-Gervais!» Son cri s'éteignit dans la brume, sans même éveiller un écho. Il murmura encore: «Petit-Gervais!» mais d'une voix faible et presque inarticulée. Ce fut là son dernier effort; ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible l'accablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience; il tomba épuisé sur une grosse pierre, les poings dans ses cheveux et le visage dans ses genoux, et il cria: «Je suis un misérable!»

Alors son cœur creva et il se mit à pleurer. C'était la première fois qu'il pleurait depuis dix-neuf ans.

Quand Jean Valjean était sorti de chez l'évêque, on l'a vu, il était hors de tout ce qui avait été sa pensée jusque-là. Il ne pouvait se rendre compte de ce qui se passait en lui. Il se raidissait contre l'action angélique et contre les douces paroles du vieillard. «Vous m'avez promis de devenir honnête homme. Je vous achète votre âme. Je la retire à l'esprit de perversité et je la donne au bon Dieu.» Cela lui revenait sans cesse. Il opposait à cette indulgence céleste l'orgueil, qui est en nous comme la forteresse du mal. Il sentait indistinctement que le pardon de ce prêtre était le plus grand assaut et la plus formidable attaque dont il eût encore été ébranlé; que son endurcissement serait définitif s'il résistait à cette clémence; que, s'il cédait, il faudrait renoncer à cette haine dont les actions des autres hommes avaient rempli son âme pendant tant d'années, et qui lui plaisait; que cette fois il fallait vaincre ou être vaincu, et que la lutte, une lutte colossale et décisive, était engagée entre sa méchanceté à lui et la bonté de cet homme.

En présence de toutes ces lueurs, il allait comme un homme ivre. Pendant qu'il marchait ainsi, les yeux hagards, avait-il une perception distincte de ce qui pourrait résulter pour lui de son aventure à Digne? Entendait-il tous ces bourdonnements mystérieux qui avertissent ou importunent l'esprit à de certains moments de la vie? Une voix lui disait-elle à l'oreille qu'il venait de traverser l'heure solennelle de sa destinée, qu'il n'y avait plus de milieu pour lui, que si désormais il n'était pas le meilleur des hommes il en serait le pire, qu'il fallait pour ainsi dire que maintenant il montât plus haut que l'évêque ou retombât plus bas que le galérien, que s'il voulait devenir bon il fallait qu'il devînt ange; que s'il voulait rester méchant il fallait qu'il devînt monstre?

Ici encore il faut se faire ces questions que nous nous sommes déjà faites ailleurs, recueillait-il confusément quelque ombre de tout ceci dans sa pensée? Certes, le malheur, nous l'avons dit, fait l'éducation de l'intelligence; cependant il est douteux que Jean Valjean fût en état de démêler tout ce que nous indiquons ici. Si ces idées lui arrivaient, il les entrevoyait plutôt qu'il ne les voyait, et elles ne réussissaient qu'à le jeter dans un trouble insupportable et presque douloureux. Au sortir de cette chose difforme et noire qu'on appelle le bagne, l'évêque lui avait fait mal à l'âme comme une clarté trop vive lui eût fait mal aux yeux en sortant des ténèbres. La vie future, la vie possible qui s'offrait désormais à lui toute pure et toute rayonnante le remplissait de frémissements et d'anxiété. Il ne savait vraiment plus où il en était. Comme une chouette qui verrait brusquement se lever le soleil, le forçat avait été ébloui et comme aveuglé par la vertu.

Ce qui était certain, ce dont il ne se doutait pas, c'est qu'il n'était déjà plus le même homme, c'est que tout était changé en lui, c'est qu'il n'était plus en son pouvoir de faire que l'évêque ne lui eût pas parlé et ne l'eût pas touché.

Dans cette situation d'esprit, il avait rencontré Petit-Gervais et lui avait volé ses quarante sous. Pourquoi? Il n'eût assurément pu l'expliquer; était-ce un dernier effet et comme un suprême effort des mauvaises pensées qu'il avait apportées du bagne, un reste d'impulsion, un résultat de ce qu'on appelle en statique la force acquise? C'était cela, et c'était aussi peut-être moins encore que cela. Disons-le simplement, ce n'était pas lui qui avait volé, ce n'était pas l'homme, c'était la bête qui, par habitude et par instinct, avait stupidement posé le pied sur cet argent, pendant que l'intelligence se débattait au milieu de tant d'obsessions inouïes et nouvelles. Quand l'intelligence se réveilla et vit cette action de la brute, Jean Valjean recula avec angoisse et poussa un cri d'épouvante.

C'est que, phénomène étrange et qui n'était possible que dans la situation où il était, en volant cet argent à cet enfant, il avait fait une chose dont il n'était déjà plus capable.

Quoi qu'il en soit, cette dernière mauvaise action eut sur lui un effet décisif; elle traversa brusquement ce chaos qu'il avait dans l'intelligence et le dissipa, mit d'un côté les épaisseurs obscures et de l'autre la lumière, et agit sur son âme, dans l'état où elle se trouvait, comme de certains réactifs chimiques agissent sur un mélange trouble en précipitant un élément et en clarifiant l'autre.

Tout d'abord, avant même de s'examiner et de réfléchir, éperdu, comme quelqu'un qui cherche à se sauver, il tâcha de retrouver l'enfant pour lui rendre son argent, puis, quand il reconnut que cela était inutile et impossible, il s'arrêta désespéré. Au moment où il s'écria: «je suis un misérable!» il venait de s'apercevoir tel qu'il était, et il était déjà à ce point séparé de lui-même, qu'il lui semblait qu'il n'était plus qu'un fantôme, et qu'il avait là devant lui, en chair et en os, le bâton à la main, la blouse sur les reins, son sac rempli d'objets volés sur le dos, avec son visage résolu et morne, avec sa pensée pleine de projets abominables, le hideux galérien Jean Valjean.

L'excès du malheur, nous l'avons remarqué, l'avait fait en quelque sorte visionnaire. Ceci fut donc comme une vision. Il vit véritablement ce Jean Valjean, cette face sinistre devant lui. Il fut presque au moment de se demander qui était cet homme, et il en eut horreur.

Son cerveau était dans un de ces moments violents et pourtant affreusement calmes où la rêverie est si profonde qu'elle absorbe la réalité. On ne voit plus les objets qu'on a autour de soi, et l'on voit comme en dehors de soi les figures qu'on a dans l'esprit.

Il se contempla donc, pour ainsi dire, face à face, et en même temps, à travers cette hallucination, il voyait dans une profondeur mystérieuse une sorte de lumière qu'il prit d'abord pour un flambeau. En regardant avec plus d'attention cette lumière qui apparaissait à sa conscience, il reconnut qu'elle avait la forme humaine, et que ce flambeau était l'évêque.

Sa conscience considéra tour à tour ces deux hommes ainsi placés devant elle, l'évêque et Jean Valjean. Il n'avait pas fallu moins que le premier pour détremper le second. Par un de ces effets singuliers qui sont propres à ces sortes d'extases, à mesure que sa rêverie se prolongeait, l'évêque grandissait et resplendissait à ses yeux, Jean Valjean s'amoindrissait et s'effaçait. À un certain moment il ne fut plus qu'une ombre. Tout à coup il disparut. L'évêque seul était resté.

Il remplissait toute l'âme de ce misérable d'un rayonnement magnifique. Jean Valjean pleura longtemps. Il pleura à chaudes larmes, il pleura à sanglots, avec plus de faiblesse qu'une femme, avec plus d'effroi qu'un enfant.

Pendant qu'il pleurait, le jour se faisait de plus en plus dans son cerveau, un jour extraordinaire, un jour ravissant et terrible à la fois. Sa vie passée, sa première faute, sa longue expiation, son abrutissement extérieur, son endurcissement intérieur, sa mise en liberté réjouie par tant de plans de vengeance, ce qui lui était arrivé chez l'évêque, la dernière chose qu'il avait faite, ce vol de quarante sous à un enfant, crime d'autant plus lâche et d'autant plus monstrueux qu'il venait après le pardon de l'évêque, tout cela lui revint et lui apparut, clairement, mais dans une clarté qu'il n'avait jamais vue jusque-là. Il regarda sa vie, et elle lui parut horrible; son âme, et elle lui parut affreuse. Cependant un jour doux était sur cette vie et sur cette âme. Il lui semblait qu'il voyait Satan à la lumière du paradis.

Combien d'heures pleura-t-il ainsi? que fit-il après avoir pleuré? où alla-t-il? on ne l'a jamais su. Il paraît seulement avéré que, dans cette même nuit, le voiturier qui faisait à cette époque le service de Grenoble et qui arrivait à Digne vers trois heures du matin, vit en traversant la rue de l'évêché un homme dans l'attitude de la prière, à genoux sur le pavé, dans l'ombre, devant la porte de monseigneur Bienvenu.

English text

Jean Valjean left the town as though he were fleeing from it. He set out at a very hasty pace through the fields, taking whatever roads and paths presented themselves to him, without perceiving that he was incessantly retracing his steps. He wandered thus the whole morning, without having eaten anything and without feeling hungry. He was the prey of a throng of novel sensations. He was conscious of a sort of rage; he did not know against whom it was directed. He could not have told whether he was touched or humiliated. There came over him at moments a strange emotion which he resisted and to which he opposed the hardness acquired during the last twenty years of his life. This state of mind fatigued him. He perceived with dismay that the sort of frightful calm which the injustice of his misfortune had conferred upon him was giving way within him. He asked himself what would replace this. At times he would have actually preferred to be in prison with the gendarmes, and that things should not have happened in this way; it would have agitated him less. Although the season was tolerably far advanced, there were still a few late flowers in the hedge-rows here and there, whose odor as he passed through them in his march recalled to him memories of his childhood. These memories were almost intolerable to him, it was so long since they had recurred to him.

Unutterable thoughts assembled within him in this manner all day long.

As the sun declined to its setting, casting long shadows athwart the soil from every pebble, Jean Valjean sat down behind a bush upon a large ruddy plain, which was absolutely deserted. There was nothing on the horizon except the Alps. Not even the spire of a distant village. Jean Valjean might have been three leagues distant from D---- A path which intersected the plain passed a few paces from the bush.

In the middle of this meditation, which would have contributed not a little to render his rags terrifying to any one who might have encountered him, a joyous sound became audible.

He turned his head and saw a little Savoyard, about ten years of age, coming up the path and singing, his hurdy-gurdy on his hip, and his marmot-box on his back,

One of those gay and gentle children, who go from land to land affording a view of their knees through the holes in their trousers.

Without stopping his song, the lad halted in his march from time to time, and played at knuckle-bones with some coins which he had in his hand--his whole fortune, probably.

Among this money there was one forty-sou piece.

The child halted beside the bush, without perceiving Jean Valjean, and tossed up his handful of sous, which, up to that time, he had caught with a good deal of adroitness on the back of his hand.

This time the forty-sou piece escaped him, and went rolling towards the brushwood until it reached Jean Valjean.

Jean Valjean set his foot upon it.

In the meantime, the child had looked after his coin and had caught sight of him.

He showed no astonishment, but walked straight up to the man.

The spot was absolutely solitary. As far as the eye could see there was not a person on the plain or on the path. The only sound was the tiny, feeble cries of a flock of birds of passage, which was traversing the heavens at an immense height. The child was standing with his back to the sun, which cast threads of gold in his hair and empurpled with its blood-red gleam the savage face of Jean Valjean.

"Sir," said the little Savoyard, with that childish confidence which is composed of ignorance and innocence, "my money."

"What is your name?" said Jean Valjean.

"Little Gervais, sir."

"Go away," said Jean Valjean.

"Sir," resumed the child, "give me back my money."

Jean Valjean dropped his head, and made no reply.

The child began again, "My money, sir."

Jean Valjean's eyes remained fixed on the earth.

"My piece of money!" cried the child, "my white piece! my silver!"

It seemed as though Jean Valjean did not hear him. The child grasped him by the collar of his blouse and shook him. At the same time he made an effort to displace the big iron-shod shoe which rested on his treasure.

"I want my piece of money! my piece of forty sous!"

The child wept. Jean Valjean raised his head. He still remained seated. His eyes were troubled. He gazed at the child, in a sort of amazement, then he stretched out his hand towards his cudgel and cried in a terrible voice, "Who's there?"

"I, sir," replied the child. "Little Gervais! I! Give me back my forty sous, if you please! Take your foot away, sir, if you please!"

Then irritated, though he was so small, and becoming almost menacing:--

"Come now, will you take your foot away? Take your foot away, or we'll see!"

"Ah! It's still you!" said Jean Valjean, and rising abruptly to his feet, his foot still resting on the silver piece, he added:--

"Will you take yourself off!"

The frightened child looked at him, then began to tremble from head to foot, and after a few moments of stupor he set out, running at the top of his speed, without daring to turn his neck or to utter a cry.

Nevertheless, lack of breath forced him to halt after a certain distance, and Jean Valjean heard him sobbing, in the midst of his own revery.

At the end of a few moments the child had disappeared.

The sun had set.

The shadows were descending around Jean Valjean. He had eaten nothing all day; it is probable that he was feverish.

He had remained standing and had not changed his attitude after the child's flight. The breath heaved his chest at long and irregular intervals. His gaze, fixed ten or twelve paces in front of him, seemed to be scrutinizing with profound attention the shape of an ancient fragment of blue earthenware which had fallen in the grass. All at once he shivered; he had just begun to feel the chill of evening.

He settled his cap more firmly on his brow, sought mechanically to cross and button his blouse, advanced a step and stopped to pick up his cudgel.

At that moment he caught sight of the forty-sou piece, which his foot had half ground into the earth, and which was shining among the pebbles. It was as though he had received a galvanic shock. "What is this?" he muttered between his teeth. He recoiled three paces, then halted, without being able to detach his gaze from the spot which his foot had trodden but an instant before, as though the thing which lay glittering there in the gloom had been an open eye riveted upon him.

At the expiration of a few moments he darted convulsively towards the silver coin, seized it, and straightened himself up again and began to gaze afar off over the plain, at the same time casting his eyes towards all points of the horizon, as he stood there erect and shivering, like a terrified wild animal which is seeking refuge.

He saw nothing. Night was falling, the plain was cold and vague, great banks of violet haze were rising in the gleam of the twilight.

He said, "Ah!" and set out rapidly in the direction in which the child had disappeared. After about thirty paces he paused, looked about him and saw nothing.

Then he shouted with all his might:--

"Little Gervais! Little Gervais!"

He paused and waited.

There was no reply.

The landscape was gloomy and deserted. He was encompassed by space. There was nothing around him but an obscurity in which his gaze was lost, and a silence which engulfed his voice.

An icy north wind was blowing, and imparted to things around him a sort of lugubrious life. The bushes shook their thin little arms with incredible fury. One would have said that they were threatening and pursuing some one.

He set out on his march again, then he began to run; and from time to time he halted and shouted into that solitude, with a voice which was the most formidable and the most disconsolate that it was possible to hear, "Little Gervais! Little Gervais!"

Assuredly, if the child had heard him, he would have been alarmed and would have taken good care not to show himself. But the child was no doubt already far away.

He encountered a priest on horseback. He stepped up to him and said:--

"Monsieur le Cure, have you seen a child pass?"

"No," said the priest.

"One named Little Gervais?"

"I have seen no one."

He drew two five-franc pieces from his money-bag and handed them to the priest.

"Monsieur le Cure, this is for your poor people. Monsieur le Cure, he was a little lad, about ten years old, with a marmot, I think, and a hurdy-gurdy. One of those Savoyards, you know?"

"I have not seen him."

"Little Gervais? There are no villages here? Can you tell me?"

"If he is like what you say, my friend, he is a little stranger. Such persons pass through these parts. We know nothing of them."

Jean Valjean seized two more coins of five francs each with violence, and gave them to the priest.

"For your poor," he said.

Then he added, wildly:--

"Monsieur l'Abbe, have me arrested. I am a thief."

The priest put spurs to his horse and fled in haste, much alarmed.

Jean Valjean set out on a run, in the direction which he had first taken.

In this way he traversed a tolerably long distance, gazing, calling, shouting, but he met no one. Two or three times he ran across the plain towards something which conveyed to him the effect of a human being reclining or crouching down; it turned out to be nothing but brushwood or rocks nearly on a level with the earth. At length, at a spot where three paths intersected each other, he stopped. The moon had risen. He sent his gaze into the distance and shouted for the last time, "Little Gervais! Little Gervais! Little Gervais!" His shout died away in the mist, without even awakening an echo. He murmured yet once more, "Little Gervais!" but in a feeble and almost inarticulate voice. It was his last effort; his legs gave way abruptly under him, as though an invisible power had suddenly overwhelmed him with the weight of his evil conscience; he fell exhausted, on a large stone, his fists clenched in his hair and his face on his knees, and he cried, "I am a wretch!"

Then his heart burst, and he began to cry. It was the first time that he had wept in nineteen years.

When Jean Valjean left the Bishop's house, he was, as we have seen, quite thrown out of everything that had been his thought hitherto. He could not yield to the evidence of what was going on within him. He hardened himself against the angelic action and the gentle words of the old man. "You have promised me to become an honest man. I buy your soul. I take it away from the spirit of perversity; I give it to the good God."

This recurred to his mind unceasingly. To this celestial kindness he opposed pride, which is the fortress of evil within us. He was indistinctly conscious that the pardon of this priest was the greatest assault and the most formidable attack which had moved him yet; that his obduracy was finally settled if he resisted this clemency; that if he yielded, he should be obliged to renounce that hatred with which the actions of other men had filled his soul through so many years, and which pleased him; that this time it was necessary to conquer or to be conquered; and that a struggle, a colossal and final struggle, had been begun between his viciousness and the goodness of that man.

In the presence of these lights, he proceeded like a man who is intoxicated. As he walked thus with haggard eyes, did he have a distinct perception of what might result to him from his adventure at D----? Did he understand all those mysterious murmurs which warn or importune the spirit at certain moments of life? Did a voice whisper in his ear that he had just passed the solemn hour of his destiny; that there no longer remained a middle course for him; that if he were not henceforth the best of men, he would be the worst; that it behooved him now, so to speak, to mount higher than the Bishop, or fall lower than the convict; that if he wished to become good be must become an angel; that if he wished to remain evil, he must become a monster?

Here, again, some questions must be put, which we have already put to ourselves elsewhere: did he catch some shadow of all this in his thought, in a confused way? Misfortune certainly, as we have said, does form the education of the intelligence; nevertheless, it is doubtful whether Jean Valjean was in a condition to disentangle all that we have here indicated. If these ideas occurred to him, he but caught glimpses of, rather than saw them, and they only succeeded in throwing him into an unutterable and almost painful state of emotion. On emerging from that black and deformed thing which is called the galleys, the Bishop had hurt his soul, as too vivid a light would have hurt his eyes on emerging from the dark. The future life, the possible life which offered itself to him henceforth, all pure and radiant, filled him with tremors and anxiety. He no longer knew where he really was. Like an owl, who should suddenly see the sun rise, the convict had been dazzled and blinded, as it were, by virtue.

That which was certain, that which he did not doubt, was that he was no longer the same man, that everything about him was changed, that it was no longer in his power to make it as though the Bishop had not spoken to him and had not touched him.

In this state of mind he had encountered little Gervais, and had robbed him of his forty sous. Why? He certainly could not have explained it; was this the last effect and the supreme effort, as it were, of the evil thoughts which he had brought away from the galleys,-- a remnant of impulse, a result of what is called in statics, acquired force? It was that, and it was also, perhaps, even less than that. Let us say it simply, it was not he who stole; it was not the man; it was the beast, who, by habit and instinct, had simply placed his foot upon that money, while the intelligence was struggling amid so many novel and hitherto unheard-of thoughts besetting it.

When intelligence re-awakened and beheld that action of the brute, Jean Valjean recoiled with anguish and uttered a cry of terror.

It was because,--strange phenomenon, and one which was possible only in the situation in which he found himself,--in stealing the money from that child, he had done a thing of which he was no longer capable.

However that may be, this last evil action had a decisive effect on him; it abruptly traversed that chaos which he bore in his mind, and dispersed it, placed on one side the thick obscurity, and on the other the light, and acted on his soul, in the state in which it then was, as certain chemical reagents act upon a troubled mixture by precipitating one element and clarifying the other.

First of all, even before examining himself and reflecting, all bewildered, like one who seeks to save himself, he tried to find the child in order to return his money to him; then, when he recognized the fact that this was impossible, he halted in despair. At the moment when he exclaimed "I am a wretch!" he had just perceived what he was, and he was already separated from himself to such a degree, that he seemed to himself to be no longer anything more than a phantom, and as if he had, there before him, in flesh and blood, the hideous galley-convict, Jean Valjean, cudgel in hand, his blouse on his hips, his knapsack filled with stolen objects on his back, with his resolute and gloomy visage, with his thoughts filled with abominable projects.

Excess of unhappiness had, as we have remarked, made him in some sort a visionary. This, then, was in the nature of a vision. He actually saw that Jean Valjean, that sinister face, before him. He had almost reached the point of asking himself who that man was, and he was horrified by him.

His brain was going through one of those violent and yet perfectly calm moments in which revery is so profound that it absorbs reality. One no longer beholds the object which one has before one, and one sees, as though apart from one's self, the figures which one has in one's own mind.

Thus he contemplated himself, so to speak, face to face, and at the same time, athwart this hallucination, he perceived in a mysterious depth a sort of light which he at first took for a torch. On scrutinizing this light which appeared to his conscience with more attention, he recognized the fact that it possessed a human form and that this torch was the Bishop.

His conscience weighed in turn these two men thus placed before it,-- the Bishop and Jean Valjean. Nothing less than the first was required to soften the second. By one of those singular effects, which are peculiar to this sort of ecstasies, in proportion as his revery continued, as the Bishop grew great and resplendent in his eyes, so did Jean Valjean grow less and vanish. After a certain time he was no longer anything more than a shade. All at once he disappeared. The Bishop alone remained; he filled the whole soul of this wretched man with a magnificent radiance.

Jean Valjean wept for a long time. He wept burning tears, he sobbed with more weakness than a woman, with more fright than a child.

As he wept, daylight penetrated more and more clearly into his soul; an extraordinary light; a light at once ravishing and terrible. His past life, his first fault, his long expiation, his external brutishness, his internal hardness, his dismissal to liberty, rejoicing in manifold plans of vengeance, what had happened to him at the Bishop's, the last thing that he had done, that theft of forty sous from a child, a crime all the more cowardly, and all the more monstrous since it had come after the Bishop's pardon,--all this recurred to his mind and appeared clearly to him, but with a clearness which he had never hitherto witnessed. He examined his life, and it seemed horrible to him; his soul, and it seemed frightful to him. In the meantime a gentle light rested over this life and this soul. It seemed to him that he beheld Satan by the light of Paradise.

How many hours did he weep thus? What did he do after he had wept? Whither did he go! No one ever knew. The only thing which seems to be authenticated is that that same night the carrier who served Grenoble at that epoch, and who arrived at D---- about three o'clock in the morning, saw, as he traversed the street in which the Bishop's residence was situated, a man in the attitude of prayer, kneeling on the pavement in the shadow, in front of the door of Monseigneur Welcome.

Translation notes

Textual notes

Citations