Volume 1/Book 2/Chapter 5
Les Misérables, Volume 1: Fantine, Book Second: The Fall, Chapter 5: Tranquillity
(Tome 1: Fantine, Livre deuxième: La Chute, Chapitre 5: Tranquillité)
Contents
General notes on this chapter
French text
Après avoir donné le bonsoir à sa sœur, monseigneur Bienvenu prit sur la table un des deux flambeaux d'argent, remit l'autre à son hôte, et lui dit:
—Monsieur, je vais vous conduire à votre chambre.
L'homme le suivit.
Comme on a pu le remarquer dans ce qui a été dit plus haut, le logis était distribué de telle sorte que, pour passer dans l'oratoire où était l'alcôve ou pour en sortir, il fallait traverser la chambre à coucher de l'évêque.
Au moment où ils traversaient cette chambre, madame Magloire serrait l'argenterie dans le placard qui était au chevet du lit. C'était le dernier soin qu'elle prenait chaque soir avant de s'aller coucher.
L'évêque installa son hôte dans l'alcôve. Un lit blanc et frais y était dressé. L'homme posa le flambeau sur une petite table.
—Allons, dit l'évêque, faites une bonne nuit. Demain matin, avant de partir, vous boirez une tasse de lait de nos vaches tout chaud.
—Merci, monsieur l'abbé, dit l'homme.
À peine eut-il prononcé ces paroles pleines de paix que, tout à coup et sans transition, il eut un mouvement étrange et qui eût glacé d'épouvante les deux saintes filles si elles en eussent été témoins. Aujourd'hui même il nous est difficile de nous rendre compte de ce qui le poussait en ce moment. Voulait-il donner un avertissement ou jeter une menace? Obéissait-il simplement à une sorte d'impulsion instinctive et obscure pour lui-même? Il se tourna brusquement vers le vieillard, croisa les bras, et, fixant sur son hôte un regard sauvage, il s'écria d'une voix rauque:
—Ah çà! décidément! vous me logez chez vous près de vous comme cela!
Il s'interrompit et ajouta avec un rire où il y avait quelque chose de monstrueux:
—Avez-vous bien fait toutes vos réflexions? Qui est-ce qui vous dit que je n'ai pas assassiné?
L'évêque leva les yeux vers le plafond et répondit:
—Cela regarde le bon Dieu.
Puis, gravement et remuant les lèvres comme quelqu'un qui prie ou qui se parle à lui-même, il dressa les deux doigts de sa main droite et bénit l'homme qui ne se courba pas, et, sans tourner la tête et sans regarder derrière lui, il rentra dans sa chambre.
Quand l'alcôve était habitée, un grand rideau de serge tiré de part en part dans l'oratoire cachait l'autel. L'évêque s'agenouilla en passant devant ce rideau et fit une courte prière.
Un moment après, il était dans son jardin, marchant, rêvant, contemplant, l'âme et la pensée tout entières à ces grandes choses mystérieuses que Dieu montre la nuit aux yeux qui restent ouverts.
Quant à l'homme, il était vraiment si fatigué qu'il n'avait même pas profité de ces bons draps blancs. Il avait soufflé sa bougie avec sa narine à la manière des forçats et s'était laissé tomber tout habillé sur le lit, où il s'était tout de suite profondément endormi.
Minuit sonnait comme l'évêque rentrait de son jardin dans son appartement.
Quelques minutes après, tout dormait dans la petite maison.
English text
After bidding his sister good night, Monseigneur Bienvenu took one of the two silver candlesticks from the table, handed the other to his guest, and said to him,--
"Monsieur, I will conduct you to your room."
The man followed him.
As might have been observed from what has been said above, the house was so arranged that in order to pass into the oratory where the alcove was situated, or to get out of it, it was necessary to traverse the Bishop's bedroom.
At the moment when he was crossing this apartment, Madame Magloire was putting away the silverware in the cupboard near the head of the bed. This was her last care every evening before she went to bed.
The Bishop installed his guest in the alcove. A fresh white bed had been prepared there. The man set the candle down on a small table.
"Well," said the Bishop, "may you pass a good night. To-morrow morning, before you set out, you shall drink a cup of warm milk from our cows."
"Thanks, Monsieur l'Abbe," said the man.
Hardly had he pronounced these words full of peace, when all of a sudden, and without transition, he made a strange movement, which would have frozen the two sainted women with horror, had they witnessed it. Even at this day it is difficult for us to explain what inspired him at that moment. Did he intend to convey a warning or to throw out a menace? Was he simply obeying a sort of instinctive impulse which was obscure even to himself? He turned abruptly to the old man, folded his arms, and bending upon his host a savage gaze, he exclaimed in a hoarse voice:--
"Ah! really! You lodge me in your house, close to yourself like this?"
He broke off, and added with a laugh in which there lurked something monstrous:--
"Have you really reflected well? How do you know that I have not been an assassin?"
The Bishop replied:--
"That is the concern of the good God."
Then gravely, and moving his lips like one who is praying or talking to himself, he raised two fingers of his right hand and bestowed his benediction on the man, who did not bow, and without turning his head or looking behind him, he returned to his bedroom.
When the alcove was in use, a large serge curtain drawn from wall to wall concealed the altar. The Bishop knelt before this curtain as he passed and said a brief prayer. A moment later he was in his garden, walking, meditating, conteplating, his heart and soul wholly absorbed in those grand and mysterious things which God shows at night to the eyes which remain open.
As for the man, he was actually so fatigued that he did not even profit by the nice white sheets. Snuffing out his candle with his nostrils after the manner of convicts, he dropped, all dressed as he was, upon the bed, where he immediately fell into a profound sleep.
Midnight struck as the Bishop returned from his garden to his apartment.
A few minutes later all were asleep in the little house.