Volume 4/Book 6/Chapter 2
Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Sixth: Little Gavroche, Chapter 2: In which Little Gavroche extracts Profit from Napoleon the Great
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre sixième: Le petit Gavroche, Chapitre 2: Où le petit Gavroche tire parti de Napoléon le Grand)
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French text
Le printemps à Paris est assez souvent traversé par des bises aigres et dures dont on est, non pas précisément glacé, mais gelé; ces bises, qui attristent les plus belles journées, font exactement l'effet de ces souffles d'air froid qui entrent dans une chambre chaude par les fentes d'une fenêtre ou d'une porte mal fermée. Il semble que la sombre porte de l'hiver soit restée entrebâillée et qu'il vienne du vent par là. Au printemps de 1832, époque où éclata la première grande épidémie de ce siècle en Europe, ces bises étaient plus âpres et plus poignantes que jamais. C'était une porte plus glaciale encore que celle de l'hiver qui était entr'ouverte. C'était la porte du sépulcre. On sentait dans ces bises le souffle du choléra.
Au point de vue météorologique, ces vents froids avaient cela de
particulier qu'ils n'excluaient point une forte tension électrique. De
fréquents orages, accompagnés d'éclairs et de tonnerres, éclatèrent à
cette époque.
Un soir que ces bises soufflaient rudement, au point que janvier
semblait revenu et que les bourgeois avaient repris les manteaux, le
petit Gavroche, toujours grelottant gaîment sous ses loques, se tenait
debout et comme en extase devant la boutique d'un perruquier des
environs de l'Orme-Saint-Gervais. Il était orné d'un châle de femme en
laine, cueilli on ne sait où, dont il s'était fait un cache-nez. Le
petit Gavroche avait l'air d'admirer profondément une mariée en cire,
décolletée et coiffée de fleurs d'oranger, qui tournait derrière la
vitre, montrant, entre deux quinquets, son sourire aux passants; mais en
réalité il observait la boutique afin de voir s'il ne pourrait pas
«chiper» dans la devanture un pain de savon, qu'il irait ensuite
revendre un sou à un «coiffeur» de la banlieue. Il lui arrivait souvent
de déjeuner d'un de ces pains-là. Il appelait ce genre de travail, pour
lequel il avait du talent, «faire la barbe aux barbiers».
Tout en contemplant la mariée et tout en lorgnant le pain de savon, il
grommelait entre ces dents ceci:—Mardi.—Ce n'est pas mardi.—Est-ce
mardi?—C'est peut-être mardi.—Oui, c'est mardi.
On n'a jamais su à quoi avait trait ce monologue.
Si, par hasard, ce monologue se rapportait à la dernière fois où il
avait dîné, il y avait trois jours, car on était au vendredi.
Le barbier, dans sa boutique chauffée d'un bon poêle, rasait une
pratique et jetait de temps en temps un regard de côté à cet ennemi, à
ce gamin gelé et effronté qui avait les deux mains dans ses poches, mais
l'esprit évidemment hors du fourreau.
Pendant que Gavroche examinait la mariée, le vitrage et les
Windsor-soaps, deux enfants de taille inégale, assez proprement vêtus,
et encore plus petits que lui, paraissant l'un sept ans, l'autre cinq,
tournèrent timidement le bec-de-cane et entrèrent dans la boutique en
demandant on ne sait quoi, la charité peut-être, dans un murmure
plaintif et qui ressemblait plutôt à un gémissement qu'à une prière. Ils
parlaient tous deux à la fois, et leurs paroles étaient inintelligibles
parce que les sanglots coupaient la voix du plus jeune et que le froid
faisait claquer les dents de l'aîné. Le barbier se tourna avec un visage
furieux, et sans quitter son rasoir, refoulant l'aîné de la main gauche
et le petit du genou, les poussa tous deux dans la rue, et referma sa
porte en disant:
—Venir refroidir le monde pour rien!
Les deux enfants se remirent en marche en pleurant. Cependant une nuée
était venue; il commençait à pleuvoir.
Le petit Gavroche courut après eux et les aborda:
—Qu'est-ce que vous avez donc, moutards?
—Nous ne savons pas où coucher, répondit l'aîné.
—C'est ça? dit Gavroche. Voilà grand'chose. Est-ce qu'on pleure pour
ça? Sont-ils serins donc!
Et prenant, à travers sa supériorité un peu goguenarde, un accent
d'autorité attendrie et de protection douce:
—Momacques, venez avec moi.
—Oui, monsieur, fit l'aîné.
Et les deux enfants le suivirent comme ils auraient suivi un archevêque.
Ils avaient cessé de pleurer.
Gavroche leur fit monter la rue Saint-Antoine dans la direction de la
Bastille.
Gavroche, tout en cheminant, jeta un coup d'œil indigné et rétrospectif
à la boutique du barbier.
—Ça n'a pas de cœur, ce merlan-là, grommela-t-il. C'est un angliche.
Une fille, les voyant marcher à la file tous les trois, Gavroche en
tête, partit d'un rire bruyant. Ce rire manquait de respect au groupe.
—Bonjour, mamselle Omnibus, lui dit Gavroche.
Un instant après, le perruquier lui revenant, il ajouta:
—Je me trompe de bête; ce n'est pas un merlan, c'est un serpent.
Perruquier, j'irai chercher un serrurier, et je te ferai mettre une
sonnette à la queue.
Ce perruquier l'avait rendu agressif. Il apostropha, en enjambant un
ruisseau, une portière barbue et digne de rencontrer Faust sur le
Brocken, laquelle avait son balai à la main.
—Madame, lui dit-il, vous sortez donc avec votre cheval?
Et sur ce, il éclaboussa les bottes vernies d'un passant.
—Drôle! cria le passant furieux.
Gavroche leva le nez par-dessus son châle.
—Monsieur se plaint?
—De toi! fit le passant.
—Le bureau est fermé, dit Gavroche, je ne reçois plus de plaintes.
Cependant, en continuant de monter la rue, il avisa, toute glacée sous
une porte cochère, une mendiante de treize ou quatorze ans, si
court-vêtue qu'on voyait ses genoux. La petite commençait à être trop
grande fille pour cela. La croissance vous joue de ces tours. La jupe
devient courte au moment où la nudité devient indécente.
—Pauvre fille! dit Gavroche. Ça n'a même pas de culotte. Tiens, prends
toujours ça.
Et, défaisant toute cette bonne laine qu'il avait autour du cou, il la
jeta sur les épaules maigres et violettes de la mendiante, où le
cache-nez redevint châle.
La petite le considéra d'un air étonné et reçut le châle en silence. À
un certain degré de détresse, le pauvre, dans sa stupeur, ne gémit plus
du mal et ne remercie plus du bien.
Cela fait:
—Brrr! dit Gavroche, plus frissonnant que saint Martin, qui, lui du
moins, avait gardé la moitié de son manteau.
Sur ce brrr! l'averse, redoublant d'humeur, fit rage. Ces mauvais
ciels-là punissent les bonnes actions.
—Ah çà! s'écria Gavroche, qu'est-ce que cela signifie? Il repleut! Bon
Dieu, si cela continue, je me désabonne.
Et il se remit en marche.
—C'est égal, reprit-il en jetant un coup d'œil à la mendiante qui se
pelotonnait sous le châle, en voilà une qui a une fameuse pelure.
Et, regardant la nuée, il cria:
—Attrapé!
Les deux enfants emboîtaient le pas derrière lui.
Comme ils passaient devant un de ces épais treillis grillés qui
indiquent la boutique d'un boulanger, car on met le pain comme l'or
derrière des grillages de fer, Gavroche se tourna:
—Ah çà, mômes, avons-nous dîné?
—Monsieur, répondit l'aîné, nous n'avons pas mangé depuis tantôt ce
matin.
—Vous êtes donc sans père ni mère? reprit majestueusement Gavroche.
—Faites excuse, monsieur, nous avons papa et maman, mais nous ne savons
pas où ils sont.
—Des fois, cela vaut mieux que de le savoir, dit Gavroche qui était un
penseur.
—Voilà, continua l'aîné, deux heures que nous marchons, nous avons
cherché des choses au coin des bornes, mais nous ne trouvons rien.
—Je sais, fit Gavroche. C'est les chiens qui mangent tout.
Il reprit après un silence:
—Ah! nous avons perdu nos auteurs. Nous ne savons plus ce que nous en
avons fait. Ça ne se doit pas, gamins. C'est bête d'égarer comme ça des
gens d'âge. Ah çà! il faut licher pourtant.
Du reste il ne leur fit pas de questions. Être sans domicile, quoi de
plus simple?
L'aîné des deux mômes, presque entièrement revenu à la prompte
insouciance de l'enfance, fit cette exclamation:
—C'est drôle tout de même. Maman qui avait dit qu'elle nous mènerait
chercher du buis bénit le dimanche des rameaux.
—Neurs, répondit Gavroche.
—Maman, reprit l'aîné, est une dame qui demeure avec mamselle Miss.
—Tanflûte, repartit Gavroche.
Cependant il s'était arrêté, et depuis quelques minutes il tâtait et
fouillait toutes sortes de recoins qu'il avait dans ses haillons.
Enfin il releva la tête d'un air qui ne voulait qu'être satisfait, mais
qui était en réalité triomphant.
—Calmons-nous, les momignards. Voici de quoi souper pour trois.
Et il tira d'une de ses poches un sou.
Sans laisser aux deux petits le temps de s'ébahir, il les poussa tous
deux devant lui dans la boutique du boulanger, et mit son sou sur le
comptoir en criant:
—Garçon! cinque centimes de pain.
Le boulanger, qui était le maître en personne, prit un pain et un
couteau.
—En trois morceaux, garçon! reprit Gavroche, et il ajouta avec dignité:
—Nous sommes trois.
Et voyant que le boulanger, après avoir examiné les trois soupeurs,
avait pris un pain bis, il plongea profondément son doigt dans son nez
avec une aspiration aussi impérieuse que s'il eût eu au bout du pouce la
prise de tabac du grand Frédéric, et jeta au boulanger en plein visage
cette apostrophe indignée:
—Keksekça?
Ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de voir dans cette
interpellation de Gavroche au boulanger un mot russe ou polonais, ou
l'un de ces cris sauvages que les Yoways et les Botocudos se lancent du
bord d'un fleuve à l'autre à travers les solitudes, sont prévenus que
c'est un mot qu'ils disent tous les jours (eux nos lecteurs) et qui
tient lieu de cette phrase: qu'est-ce que c'est que cela? Le boulanger
comprit parfaitement et répondit:
—Eh mais! c'est du pain, du très bon pain de deuxième qualité.
—Vous voulez dire du larton brutal, reprit Gavroche, calme et
froidement dédaigneux. Du pain blanc, garçon! du larton savonné! je
régale.
Le boulanger ne put s'empêcher de sourire, et tout en coupant le pain
blanc, il les considérait d'une façon compatissante qui choqua Gavroche.
—Ah çà, mitron! dit-il, qu'est-ce que vous avez donc à nous toiser
comme ça?
Mis tous trois bout à bout, ils auraient fait à peine une toise.
Quand le pain fut coupé, le boulanger encaissa le sou, et Gavroche dit
aux deux enfants:
—Morfilez.
Les petits garçons le regardèrent interdits.
Gavroche se mit à rire:
—Ah! tiens, c'est vrai, ça ne sait pas encore, c'est si petit.
Et il reprit:
—Mangez.
En même temps, il leur tendait à chacun un morceau de pain.
Et, pensant que l'aîné, qui lui paraissait plus digne de sa
conversation, méritait quelque encouragement spécial et devait être
débarrassé de toute hésitation à satisfaire son appétit, il ajouta en
lui donnant la plus grosse part:
—Colle-toi ça dans le fusil.
Il y avait un morceau plus petit que les deux autres; il le prit pour
lui.
Les pauvres enfants étaient affamés, y compris Gavroche. Tout en
arrachant leur pain à belles dents, ils encombraient la boutique du
boulanger qui, maintenant qu'il était payé, les regardait avec humeur.
—Rentrons dans la rue, dit Gavroche.
Ils reprirent la direction de la Bastille.
De temps en temps, quand ils passaient devant les devantures de
boutiques éclairées, le plus petit s'arrêtait pour regarder l'heure à
une montre en plomb suspendue à son cou par une ficelle.
—Voilà décidément un fort serin, disait Gavroche.
Puis, pensif, il grommelait entre ses dents:
—C'est égal, si j'avais des mômes, je les serrerais mieux que ça.
Comme ils achevaient leur morceau de pain et atteignaient l'angle de
cette morose rue des Ballets au fond de laquelle on aperçoit le guichet
bas et hostile de la Force:
—Tiens, c'est toi, Gavroche? dit quelqu'un.
—Tiens, c'est toi, Montparnasse? dit Gavroche.
C'était un homme qui venait d'aborder le gamin, et cet homme n'était
autre que Montparnasse déguisé, avec des besicles bleues, mais
reconnaissable pour Gavroche.
—Mâtin, poursuivit Gavroche, tu as une pelure couleur cataplasme de
graine de lin et des lunettes bleues comme un médecin. Tu as du style,
parole de vieux!
—Chut, fit Montparnasse, pas si haut!
Et il entraîna vivement Gavroche hors de la lumière des boutiques.
Les deux petits suivaient machinalement en se tenant par la main.
Quand ils furent sous l'archivolte noire d'une porte cochère, à l'abri
des regards et de la pluie:
—Sais-tu où je vas? demanda Montparnasse.
—À l'abbaye de Monte-à-Regret, dit Gavroche.
—Farceur!
Et Montparnasse reprit:
—Je vas retrouver Babet.
—Ah! fit Gavroche, elle s'appelle Babet.
Montparnasse baissa la voix.
—Pas elle, lui.
—Ah! Babet!
—Oui, Babet.
—Je le croyais bouclé.
—Il a défait la boucle, répondit Montparnasse.
Et il conta rapidement au gamin que, le matin de ce même jour où ils
étaient, Babet, ayant été transféré à la Conciergerie, s'était évadé en
prenant à gauche au lieu de prendre à droite dans «le corridor de
l'instruction».
Gavroche admira l'habileté.
—Quel dentiste! dit-il.
Montparnasse ajouta quelques détails sur l'évasion de Babet, et termina
par:
—Oh! ce n'est pas tout.
Gavroche, tout en écoutant, s'était saisi d'une canne que Montparnasse
tenait à la main; il en avait machinalement tiré la partie supérieure,
et la lame d'un poignard avait apparu.
—Ah! fit-il en repoussant vivement le poignard, tu as emmené ton
gendarme déguisé en bourgeois.
Montparnasse cligna de l'œil.
—Fichtre! reprit Gavroche, tu vas donc te colleter avec les cognes?
—On ne sait pas, répondit Montparnasse d'un air indifférent. Il est
toujours bon d'avoir une épingle sur soi.
Gavroche insista:
—Qu'est-ce que tu vas donc faire cette nuit?
Montparnasse prit de nouveau la corde grave et dit en mangeant les
syllabes:
—Des choses.
Et, changeant brusquement de conversation:
—À propos!
—Quoi?
—Une histoire de l'autre jour. Figure-toi. Je rencontre un bourgeois.
Il me fait cadeau d'un sermon et de sa bourse. Je mets ça dans ma poche.
Une minute après, je fouille dans ma poche. Il n'y avait plus rien.
—Que le sermon, fit Gavroche.
—Mais toi, reprit Montparnasse, où vas-tu donc maintenant?
Gavroche montra ses deux protégés et dit:
—Je vas coucher ces enfants-là.
—Où ça, coucher?
—Chez moi.
—Où ça chez toi?
—Chez moi.
—Tu loges donc?
—Oui, je loge.
—Et où loges-tu?
—Dans l'éléphant, dit Gavroche.
Montparnasse, quoique de sa nature peu étonné, ne put retenir une
exclamation:
—Dans l'éléphant!
—Eh bien oui, dans l'éléphant! repartit Gavroche. Kekçaa?
Ceci est encore un mot de la langue que personne n'écrit et que tout le
monde parle. Kekçaa signifie: qu'est-ce que cela a?
L'observation profonde du gamin ramena Montparnasse au calme et au bon
sens. Il parut revenir à de meilleurs sentiments pour le logis de
Gavroche.
—Au fait! dit-il, oui, l'éléphant. Y est-on bien?
—Très bien, fit Gavroche. Là, vrai, chenûment. Il n'y a pas de vents
coulis comme sous les ponts.
—Comment y entres-tu?
—J'entre.
—E y a donc un trou? demanda Montparnasse.
—Parbleu! Mais il ne faut pas le dire. C'est entre les jambes de
devant. Les coqueurs ne l'ont pas vu.
—Et tu grimpes? Oui, je comprends.
—Un tour de main, cric, crac, c'est fait, plus personne.
Après un silence, Gavroche ajouta:
—Pour ces petits j'aurai une échelle.
Montparnasse se mit à rire.
—Où diable as-tu pris ces mômes-là?
Gavroche répondit avec simplicité:
—C'est des momichards dont un perruquier m'a fait cadeau.
Cependant Montparnasse était devenu pensif.
—Tu m'as reconnu bien aisément, murmura-t-il.
Il prit dans sa poche deux petits objets qui n'étaient autre chose que
deux tuyaux de plume enveloppés de coton et s'en introduisit un dans
chaque narine. Ceci lui faisait un autre nez.
—Ça te change, dit Gavroche, tu es moins laid, tu devrais garder
toujours ça.
Montparnasse était joli garçon, mais Gavroche était railleur.
—Sans rire, demanda Montparnasse, comment me trouves-tu?
C'était aussi un autre son de voix. En un clin d'œil, Montparnasse
était devenu méconnaissable.
—Oh! fais-nous Porrichinelle! s'écria Gavroche.
Les deux petits, qui n'avaient rien écouté jusque-là, occupés qu'ils
étaient eux-mêmes à fourrer leurs doigts dans leur nez, s'approchèrent à
ce nom et regardèrent Montparnasse avec un commencement de joie et
d'admiration.
Malheureusement Montparnasse était soucieux.
Il posa la main sur l'épaule de Gavroche et lui dit en appuyant sur les
mots:
—Écoute ce que je te dis, garçon, si j'étais sur la place, avec mon
dogue, ma dague et ma digue, et si vous me prodiguiez dix gros sous, je
ne refuserais pas d'y goupiner, mais nous ne sommes pas le mardi gras.
Cette phrase bizarre produisit sur le gamin un effet singulier. Il se
tourna vivement, promena avec une attention profonde ses petits yeux
brillants autour de lui, et aperçut, à quelques pas, un sergent de ville
qui leur tournait le dos. Gavroche laissa échapper un: ah, bon! qu'il
réprima sur-le-champ, et, secouant la main de Montparnasse:
—Eh bien, bonsoir, fit-il, je m'en vas à mon éléphant avec mes mômes.
Une supposition que tu aurais besoin de moi une nuit, tu viendrais me
trouver là. Je loge à l'entresol. Il n'y a pas de portier. Tu
demanderais monsieur Gavroche.
—C'est bon, dit Montparnasse.
Et ils se séparèrent, Montparnasse cheminant vers la Grève et Gavroche
vers la Bastille. Le petit de cinq ans, traîné par son frère que
traînait Gavroche, tourna plusieurs fois la tête en arrière pour voir
s'en aller «Porrichinelle».
La phrase amphigourique par laquelle Montparnasse avait averti Gavroche
de la présence du sergent de ville ne contenait pas d'autre talisman que
l'assonance dig répétée cinq ou six fois sous des formes variées.
Cette syllabe dig, non prononcée isolément, mais artistement mêlée aux
mots d'une phrase, veut dire:—Prenons garde, on ne peut pas parler
librement.—Il y avait en outre dans la phrase de Montparnasse une
beauté littéraire qui échappa à Gavroche, c'est mon dogue, ma dague et,
ma digue, locution de l'argot du Temple qui signifie, mon chien, mon
couteau et ma femme, fort usité parmi les pitres et les queues-rouges
du grand siècle où Molière écrivait et où Callot dessinait.
Il y a vingt ans, on voyait encore dans l'angle sud-est de la place de
la Bastille près de la gare du canal creusée dans l'ancien fossé de la
prison-citadelle, un monument bizarre qui s'est effacé déjà de la
mémoire des Parisiens, et qui méritait d'y laisser quelque trace, car
c'était une pensée du «membre de l'Institut, général en chef de l'armée
d'Égypte».
Nous disons monument, quoique ce ne fût qu'une maquette. Mais cette
maquette elle-même, ébauche prodigieuse, cadavre grandiose d'une idée de
Napoléon que deux ou trois coups de vent successifs avaient emportée et
jetée à chaque fois plus loin de nous, était devenue historique, et
avait pris je ne sais quoi de définitif qui contrastait avec son aspect
provisoire. C'était un éléphant de quarante pieds de haut, construit en
charpente et en maçonnerie, portant sur son dos sa tour qui ressemblait
à une maison, jadis peint en vert par un badigeonneur quelconque,
maintenant peint en noir par le ciel, la pluie et le temps. Dans cet
angle désert et découvert de la place, le large front du colosse, sa
trompe, ses défenses, sa tour, sa croupe énorme, ses quatre pieds
pareils à des colonnes faisaient, la nuit, sur le ciel étoilé, une
silhouette surprenante et terrible. On ne savait ce que cela voulait
dire. C'était une sorte de symbole de la force populaire. C'était
sombre, énigmatique et immense. C'était on ne sait quel fantôme
puissant, visible et debout à côté du spectre invisible de la Bastille.
Peu d'étrangers visitaient cet édifice, aucun passant ne le regardait.
Il tombait en ruine; à chaque saison, des plâtras qui se détachaient de
ses flancs lui faisaient des plaies hideuses. Les «édiles», comme on dit
en patois élégant, l'avaient oublié depuis 1814. Il était là dans son
coin, morne, malade, croulant, entouré d'une palissade pourrie, souillée
à chaque instant par des cochers ivres; des crevasses lui lézardaient le
ventre, une latte lui sortait de la queue, les hautes herbes lui
poussaient entre les jambes; et comme le niveau de la place s'élevait
depuis trente ans tout autour par ce mouvement lent et continu qui
exhausse insensiblement le sol des grandes villes, il était dans un
creux et il semblait que la terre s'enfonçât sous lui. Il était immonde,
méprisé, repoussant et superbe, laid aux yeux du bourgeois, mélancolique
aux yeux du penseur. Il avait quelque chose d'une ordure qu'on va
balayer et quelque chose d'une majesté qu'on va décapiter.
Comme nous l'avons dit, la nuit l'aspect changeait. La nuit est le
véritable milieu de tout ce qui est ombre. Dès que tombait le
crépuscule, le vieil éléphant se transfigurait; il prenait une figure
tranquille et redoutable dans la formidable sérénité des ténèbres. Étant
du passé, il était de la nuit; et cette obscurité allait à sa grandeur.
Ce monument, rude, trapu, pesant, âpre, austère, presque difforme, mais
à coup sûr majestueux et empreint d'une sorte de gravité magnifique et
sauvage, a disparu pour laisser régner en paix l'espèce de poêle
gigantesque, orné de son tuyau, qui a remplacé la sombre forteresse à
neuf tours, à peu près comme la bourgeoisie remplace la féodalité. Il
est tout simple qu'un poêle soit le symbole d'une époque dont une
marmite contient la puissance. Cette époque passera, elle passe déjà; on
commence à comprendre que, s'il peut y avoir de la force dans une
chaudière, il ne peut y avoir de puissance que dans un cerveau; en
d'autres termes, que ce qui mène et entraîne le monde, ce ne sont pas
les locomotives, ce sont les idées. Attelez les locomotives aux idées,
c'est bien; mais ne prenez pas le cheval pour le cavalier.
Quoi qu'il en soit, pour revenir à la place de la Bastille, l'architecte
de l'éléphant avec du plâtre était parvenu à faire du grand;
l'architecte du tuyau de poêle a réussi à faire du petit avec du bronze.
Ce tuyau de poêle, qu'on a baptisé d'un nom sonore et nommé la colonne
de Juillet, ce monument manqué d'une révolution avortée, était encore
enveloppé en 1832 d'une immense chemise en charpente que nous regrettons
pour notre part, et d'un vaste enclos en planches, qui achevait d'isoler
l'éléphant.
Ce fut vers ce coin de la place, à peine éclairé du reflet d'un
réverbère éloigné, que le gamin dirigea les deux «mômes».
Qu'on nous permette de nous interrompre ici et de rappeler que nous
sommes dans la simple réalité, et qu'il y a vingt ans les tribunaux
correctionnels eurent à juger, sous prévention de vagabondage et de bris
d'un monument public, un enfant qui avait été surpris couché dans
l'intérieur même de l'éléphant de la Bastille.
Ce fait constaté, nous continuons.
En arrivant près du colosse, Gavroche comprit l'effet que l'infiniment
grand peut produire sur l'infiniment petit, et dit:
—Moutards! n'ayez pas peur.
Puis il entra par une lacune de la palissade dans l'enceinte de
l'éléphant et aida les mômes à enjamber la brèche. Les deux enfants, un
peu effrayés, suivaient sans dire mot Gavroche et se confiaient à cette
petite providence en guenilles qui leur avait donné du pain et leur
avait promis un gîte.
Il y avait là, couchée le long de la palissade, une échelle qui servait
le jour aux ouvriers du chantier voisin. Gavroche la souleva avec une
singulière vigueur, et l'appliqua contre une des jambes de devant de
l'éléphant. Vers le point où l'échelle allait aboutir, on distinguait
une espèce de trou noir dans le ventre du colosse.
Gavroche montra l'échelle et le trou à ses hôtes et leur dit:
—Montez et entrez.
Les deux petits garçons se regardèrent terrifiés.
—Vous avez peur, mômes! s'écria Gavroche.
Et il ajouta:
—Vous allez voir.
Il étreignit le pied rugueux de l'éléphant, et en un clin d'œil, sans
daigner se servir de l'échelle, il arriva à la crevasse. Il y entra
comme une couleuvre qui se glisse dans une fente, il s'y enfonça, et un
moment après les deux enfants virent vaguement apparaître, comme une
forme blanchâtre et blafarde, sa tête pâle au bord du trou plein de
ténèbres.
—Eh bien, cria-t-il, montez donc, les momignards! vous allez voir comme
on est bien!—Monte, toi! dit-il à l'aîné, je te tends la main.
Les petits se poussèrent de l'épaule, le gamin leur faisait peur et les
rassurait à la fois, et puis il pleuvait bien fort. L'aîné se risqua. Le
plus jeune, en voyant monter son frère et lui resté tout seul entre les
pattes de cette grosse bête, avait bien envie de pleurer, mais il
n'osait.
L'aîné gravissait, tout en chancelant, les barreaux de l'échelle;
Gavroche, chemin faisant, l'encourageait par des exclamations de maître
d'armes à ses écoliers ou de muletier à ses mules:
—Aye pas peur!
—C'est ça!
—Va toujours!
—Mets ton pied là!
—Ta main ici.
—Hardi!
Et quand il fut à sa portée, il l'empoigna brusquement et vigoureusement
par le bras et le tira à lui.
—Gobé! dit-il.
Le môme avait franchi la crevasse.
—Maintenant, fit Gavroche, attends-moi. Monsieur, prenez la peine de
vous asseoir.
Et, sortant de la crevasse comme il y était entré, il se laissa glisser
avec l'agilité d'un ouistiti le long de la jambe de l'éléphant, il tomba
debout sur ses pieds dans l'herbe, saisit le petit de cinq ans à
bras-le-corps et le planta au beau milieu de l'échelle, puis il se mit à
monter derrière lui en criant à l'aîné:
—Je vas le pousser, tu vas le tirer.
En un instant le petit fut monté, poussé, traîné, tiré, bourré, fourré
dans le trou sans avoir eu le temps de se reconnaître, et Gavroche,
entrant après lui, repoussant d'un coup de talon l'échelle qui tomba sur
le gazon, se mit à battre des mains et cria:
—Nous y v'là! Vive le général Lafayette!
Cette explosion passée, il ajouta:
—Les mioches, vous êtes chez moi.
Gavroche était en effet chez lui.
Ô utilité inattendue de l'inutile! charité des grandes choses! bonté des
géants! Ce monument démesuré qui avait contenu une pensée de l'Empereur
était devenu la boîte d'un gamin. Le môme avait été accepté et abrité
par le colosse. Les bourgeois endimanchés qui passaient devant
l'éléphant de la Bastille disaient volontiers en le toisant d'un air de
mépris avec leurs yeux à fleur de tête:—À quoi cela sert-il?—Cela
servait à sauver du froid, du givre, de la grêle, de la pluie, à
garantir du vent d'hiver, à préserver du sommeil dans la boue qui donne
la fièvre et du sommeil dans la neige qui donne la mort, un petit être
sans père ni mère, sans pain, sans vêtements, sans asile. Cela servait à
recueillir l'innocent que la société repoussait. Cela servait à diminuer
la faute publique. C'était une tanière ouverte à celui auquel toutes les
portes étaient fermées. Il semblait que le vieux mastodonte misérable,
envahi par la vermine et par l'oubli, couvert de verrues, de moisissures
et d'ulcères, chancelant, vermoulu, abandonné, condamné, espèce de
mendiant colossal demandant en vain l'aumône d'un regard bienveillant au
milieu du carrefour, avait eu pitié, lui, de cet autre mendiant, du
pauvre pygmée qui s'en allait sans souliers aux pieds, sans plafond sur
la tête, soufflant dans ses doigts, vêtu de chiffons, nourri de ce qu'on
jette. Voilà à quoi servait l'éléphant de la Bastille. Cette idée de
Napoléon, dédaignée par les hommes, avait été reprise par Dieu. Ce qui
n'eût été qu'illustre était devenu auguste. Il eût fallu à l'Empereur,
pour réaliser ce qu'il méditait, le porphyre, l'airain, le fer, l'or, le
marbre; à Dieu le vieil assemblage de planches, de solives et de plâtras
suffisait. L'Empereur avait eu un rêve de génie; dans cet éléphant
titanique, armé, prodigieux, dressant sa trompe, portant sa tour, et
faisant jaillir de toutes parts autour de lui des eaux joyeuses et
vivifiantes, il voulait incarner le peuple; Dieu en avait fait une chose
plus grande, il y logeait un enfant.
Le trou par où Gavroche était entré était une brèche à peine visible du
dehors, cachée qu'elle était, nous l'avons dit, sous le ventre de
l'éléphant, et si étroite qu'il n'y avait guère que des chats et des
mômes qui pussent y passer.
—Commençons, dit Gavroche, par dire au portier que nous n'y sommes pas.
Et plongeant dans l'obscurité avec certitude comme quelqu'un qui connaît
son appartement, il prit une planche et en boucha le trou.
Gavroche replongea dans l'obscurité. Les enfants entendirent le
reniflement de l'allumette enfoncée dans la bouteille phosphorique.
L'allumette chimique n'existait pas encore; le briquet Fumade
représentait à cette époque le progrès.
Une clarté subite leur fit cligner les yeux; Gavroche venait d'allumer
un de ces bouts de ficelle trempés dans la résine qu'on appelle rats de
cave. Le rat de cave, qui fumait plus qu'il n'éclairait, rendait
confusément visible le dedans de l'éléphant.
Les deux hôtes de Gavroche regardèrent autour d'eux et éprouvèrent
quelque chose de pareil à ce qu'éprouverait quelqu'un qui serait enfermé
dans la grosse tonne de Heidelberg, ou mieux encore à ce que dut
éprouver Jonas dans le ventre biblique de la baleine. Tout un squelette
gigantesque leur apparaissait et les enveloppait. En haut, une longue
poutre brune d'où partaient de distance en distance de massives
membrures cintrées figurait la colonne vertébrale avec les côtes, des
stalactites de plâtre y pendaient comme des viscères, et d'un côté à
l'autre de vastes toiles d'araignée faisaient des diaphragmes poudreux.
On voyait çà et là dans les coins de grosses taches noirâtres qui
avaient l'air de vivre et qui se déplaçaient rapidement avec un
mouvement brusque et effaré.
Les débris tombés du dos de l'éléphant sur son ventre en avaient comblé
la concavité, de sorte qu'on pouvait y marcher comme sur un plancher.
Le plus petit se rencogna contre son frère et dit à demi-voix:
—C'est noir.
Ce mot fit exclamer Gavroche. L'air pétrifié des deux mômes rendait une
secousse nécessaire.
—Qu'est-ce que vous me fichez? s'écria-t-il. Blaguons-nous?
faisons-nous les dégoûtés? vous faut-il pas les Tuileries? Seriez-vous
des brutes? Dites-le. Je vous préviens que je ne suis pas du régiment
des godiches. Ah çà, est-ce que vous êtes les moutards du moutardier du
pape?
Un peu de rudoiement est bon dans l'épouvante. Cela rassure. Les deux
enfants se rapprochèrent de Gavroche.
Gavroche, paternellement attendri de cette confiance, passa «du grave au
doux» et s'adressant au plus petit:
—Bêta, lui dit-il en accentuant l'injure d'une nuance caressante, c'est
dehors que c'est noir. Dehors il pleut, ici il ne pleut pas; dehors il
fait froid, ici il n'y a pas une miette de vent; dehors il y a des tas
de monde, ici il n'y a personne; dehors il n'y a pas même la lune, ici
il y a ma chandelle, nom d'unch!
Les deux enfants commençaient à regarder l'appartement avec moins
d'effroi; mais Gavroche ne leur laissa pas plus longtemps le loisir de
la contemplation.
—Vite, dit-il.
Et il les poussa vers ce que nous sommes très heureux de pouvoir appeler
le fond de la chambre.
Là était son lit.
Le lit de Gavroche était complet. C'est-à-dire qu'il y avait un matelas,
une couverture et une alcôve avec rideaux.
Le matelas était une natte de paille, la couverture un assez vaste pagne
de grosse laine grise fort chaud et presque neuf. Voici ce que c'était
que l'alcôve:
Trois échalas assez longs enfoncés et consolidés dans les gravois du
sol, c'est-à-dire du ventre de l'éléphant, deux en avant, un en arrière,
et réunis par une corde à leur sommet, de manière à former un faisceau
pyramidal. Ce faisceau supportait un treillage de fil de laiton qui
était simplement posé dessus, mais artistement appliqué et maintenu par
des attaches de fil de fer, de sorte qu'il enveloppait entièrement les
trois échalas. Un cordon de grosses pierres fixait tout autour ce
treillage sur le sol, de manière à ne rien laisser passer. Ce treillage
n'était autre chose qu'un morceau de ces grillages de cuivre dont on
revêt les volières dans les ménageries. Le lit de Gavroche était sous ce
grillage comme dans une cage. L'ensemble ressemblait à une tente
d'Esquimau.
C'est ce grillage qui tenait lieu de rideaux.
Gavroche dérangea un peu les pierres qui assujettissaient le grillage
par devant; les deux pans du treillage qui retombaient l'un sur l'autre
s'écartèrent.
—Mômes, à quatre pattes! dit Gavroche.
Il fit entrer avec précaution ses hôtes dans la cage, puis il y entra
après eux, en rampant, rapprocha les pierres et referma hermétiquement
l'ouverture.
Ils s'étaient étendus tous trois sur la natte.
Si petits qu'ils fussent, aucun d'eux n'eût pu se tenir debout dans
l'alcôve. Gavroche avait toujours le rat de cave à sa main.
—Maintenant, dit-il, pioncez! Je vas supprimer le candélabre.
—Monsieur, demanda l'aîné des deux frères à Gavroche en montrant le
grillage, qu'est-ce que c'est donc que ça?
—Ça, dit Gavroche gravement, c'est pour les rats.—Pioncez!
Cependant il se crut obligé d'ajouter quelques paroles pour
l'instruction de ces êtres en bas âge, et il continua:
—C'est des choses du Jardin des plantes. Ça sert aux animaux féroces.
Gniena (il y en a) plein un magasin. Gnia (il n'y a) qu'à monter
par-dessus un mur, qu'à grimper par une fenêtre et qu'à passer sous une
porte. On en a tant qu'on veut.
Tout en parlant, il enveloppait d'un pan de la couverture le tout petit
qui murmura:
—Oh! c'est bon! c'est chaud!
Gavroche fixa un œil satisfait sur la couverture.
—C'est encore du Jardin des plantes, dit-il. J'ai pris ça aux singes.
Et montrant à l'aîné la natte sur laquelle il était couché, natte fort
épaisse et admirablement travaillée, il ajouta:
—Ça, c'était à la girafe.
Après une pause, il poursuivit:
—Les bêtes avaient tout ça. Je le leur ai pris. Ça ne les a pas
fâchées. Je leur ai dit: C'est pour l'éléphant.
Il fit encore un silence et reprit:
—On passe par-dessus les murs et on se fiche du gouvernement. V'là.
Les deux enfants considéraient avec un respect craintif et stupéfait cet
être intrépide et inventif, vagabond comme eux, isolé comme eux, chétif
comme eux, qui avait quelque chose d'admirable et de tout-puissant, qui
leur semblait surnaturel, et dont la physionomie se composait de toutes
les grimaces d'un vieux saltimbanque mêlées au plus naïf et au plus
charmant sourire.
—Monsieur, fit timidement l'aîné, vous n'avez donc pas peur des
sergents de ville?
Gavroche se borna à répondre:
—Môme! on ne dit pas les sergents de ville, on dit les cognes.
Le tout petit avait les yeux ouverts, mais il ne disait rien. Comme il
était au bord de la natte, l'aîné étant au milieu, Gavroche lui borda la
couverture comme eût fait une mère et exhaussa la natte sous sa tête
avec de vieux chiffons de manière à faire au môme un oreiller. Puis il
se tourna vers l'aîné.
—Hein? on est joliment bien, ici!
—Ah oui! répondit l'aîné en regardant Gavroche avec une expression
d'ange sauvé.
Les deux pauvres petits enfants tout mouillés commençaient à se
réchauffer.
—Ah çà, continua Gavroche, pourquoi donc est-ce que vous pleuriez?
Et montrant le petit à son frère:
—Un mioche comme ça, je ne dis pas; mais un grand comme toi, pleurer,
c'est crétin; on a l'air d'un veau.
—Dame, fit l'enfant, nous n'avions plus du tout de logement où aller.
—Moutard! reprit Gavroche, on ne dit pas un logement, on dit une
piolle.
—Et puis nous avions peur d'être tout seuls comme ça la nuit.
—On ne dit pas la nuit, on dit la sorgue.
—Merci, monsieur, dit l'enfant.
—Écoute, repartit Gavroche, il ne faut plus geindre jamais pour rien.
J'aurai soin de vous. Tu verras comme on s'amuse. L'été, nous irons à la
Glacière avec Navet, un camarade à moi, nous nous baignerons à la Gare,
nous courrons tout nus sur les trains devant le pont d'Austerlitz, ça
fait rager les blanchisseuses. Elles crient, elles bisquent, si tu
savais comme elles sont farces! Nous irons voir l'homme squelette. Il
est en vie. Aux Champs-Élysées. Il est maigre comme tout, ce
paroissien-là. Et puis je vous conduirai au spectacle. Je vous mènerai à
Frédérick-Lemaître. J'ai des billets, je connais des acteurs, j'ai même
joué une fois dans une pièce. Nous étions des mômes comme ça, on courait
sous une toile, ça faisait la mer. Je vous ferai engager à mon théâtre.
Nous irons voir les sauvages. Ce n'est pas vrai, ces sauvages-là. Ils
ont des maillots roses qui font des plis, et on leur voit aux coudes des
reprises en fil blanc. Après ça, nous irons à l'Opéra. Nous entrerons
avec les claqueurs. La claque à l'Opéra est très bien composée. Je
n'irais pas avec la claque sur les boulevards. À l'Opéra, figure-toi, il
y en a qui payent vingt sous, mais c'est des bêtas. On les appelle des
lavettes.—Et puis nous irons voir guillotiner. Je vous ferai voir le
bourreau. Il demeure rue des Marais. Monsieur Sanson. Il y a une boîte
aux lettres à la porte. Ah! on s'amuse fameusement!
En ce moment, une goutte de cire tomba sur le doigt de Gavroche et le
rappela aux réalités de la vie.
—Bigre! dit-il, v'là la mèche qui s'use. Attention! je ne peux pas
mettre plus d'un sou par mois à mon éclairage. Quand on se couche, il
faut dormir. Nous n'avons pas le temps de lire des romans de monsieur
Paul de Kock. Avec ça que la lumière pourrait passer par les fentes de
la porte cochère, et les cognes n'auraient qu'à voir.
—Et puis, observa timidement l'aîné qui seul osait causer avec Gavroche
et lui donner la réplique, un fumeron pourrait tomber dans la paille, il
faut prendre garde de brûler la maison.
—On ne dit pas brûler la maison, fit Gavroche, on dit riffauder le
bocard.
L'orage redoublait. On entendait, à travers des roulements de tonnerre,
l'averse battre le dos du colosse.
—Enfoncé, la pluie! dit Gavroche. Ça m'amuse d'entendre couler la
carafe le long des jambes de la maison. L'hiver est une bête; il perd sa
marchandise, il perd sa peine, il ne peut pas nous mouiller, et ça le
fait bougonner, ce vieux porteur d'eau-là.
Cette allusion au tonnerre, dont Gavroche, en sa qualité de philosophe
du dix-neuvième siècle, acceptait toutes les conséquences, fut suivie
d'un large éclair, si éblouissant que quelque chose en entra par la
crevasse dans le ventre de l'éléphant. Presque en même temps la foudre
gronda, et très furieusement. Les deux petits poussèrent un cri, et se
soulevèrent si vivement que le treillage en fut presque écarté; mais
Gavroche tourna vers eux sa face hardie et profita du coup de tonnerre
pour éclater de rire.
—Du calme, enfants. Ne bousculons pas l'édifice. Voilà du beau
tonnerre, à la bonne heure! Ce n'est pas là de la gnognotte d'éclair.
Bravo le bon Dieu! nom d'unch! c'est presque aussi bien qu'à l'Ambigu.
Cela dit, il refit l'ordre dans le treillage, poussa doucement les deux
enfants sur le chevet du lit, pressa leurs genoux pour les bien étendre
tout de leur long et s'écria:
—Puisque le bon Dieu allume sa chandelle, je peux souffler la mienne.
Les enfants, il faut dormir, mes jeunes humains. C'est très mauvais de
ne pas dormir. Ça vous ferait schlinguer du couloir, ou, comme on dit
dans le grand monde, puer de la gueule. Entortillez-vous bien de la
pelure! je vas éteindre. Y êtes-vous?
—Oui, murmura l'aîné, je suis bien. J'ai comme de la plume sous la
tête.
—On ne dit pas la tête, cria Gavroche, on dit la tronche.
Les deux enfants se serrèrent l'un contre l'autre. Gavroche acheva de
les arranger sur la natte et leur monta la couverture jusqu'aux
oreilles, puis répéta pour la troisième fois l'injonction en langue
hiératique:
—Pioncez!
Et il souffla le lumignon.
À peine la lumière était-elle éteinte qu'un tremblement singulier
commença à ébranler le treillage sous lequel les trois enfants étaient
couchés. C'était une multitude de frottements sourds qui rendaient un
son métallique, comme si des griffes et des dents grinçaient sur le fil
de cuivre. Cela était accompagné de toutes sortes de petits cris aigus.
Le petit garçon de cinq ans, entendant ce vacarme au-dessus de sa tête
et glacé d'épouvante, poussa du coude son frère aîné, mais le frère aîné
«pionçait» déjà, comme Gavroche le lui avait ordonné. Alors le petit,
n'en pouvant plus de peur, osa interpeller Gavroche, mais tout bas, en
retenant son haleine:
—Monsieur?
—Hein? fit Gavroche qui venait de fermer les paupières.
—Qu'est-ce que c'est donc que ça?
—C'est les rats, répondit Gavroche.
Et il remit sa tête sur la natte.
Les rats en effet, qui pullulaient par milliers dans la carcasse de
l'éléphant et qui étaient ces taches noires vivantes dont nous avons
parlé, avaient été tenus en respect par la flamme de la bougie tant
qu'elle avait brillé, mais dès que cette caverne, qui était comme leur
cité, avait été rendue à la nuit, sentant là ce que le bon conteur
Perrault appelle «de la chair fraîche», ils s'étaient rués en foule sur
la tente de Gavroche, avaient grimpé jusqu'au sommet, et en mordaient
les mailles comme s'ils cherchaient à percer cette zinzelière d'un
nouveau genre.
Cependant le petit ne s'endormait pas.
—Monsieur! reprit-il.
—Hein? fit Gavroche.
—Qu'est-ce que c'est donc que les rats?
—C'est des souris.
Cette explication rassura un peu l'enfant. Il avait vu dans sa vie des
souris blanches et il n'en avait pas eu peur. Pourtant il éleva encore
la voix:
—Monsieur?
—Hein? refit Gavroche.
—Pourquoi n'avez-vous pas un chat?
—J'en ai eu un, répondit Gavroche, j'en ai apporté un, mais ils me
l'ont mangé.
Cette seconde explication défit l'œuvre de la première, et le petit
recommença à trembler. Le dialogue entre lui et Gavroche reprit pour la
quatrième fois.
—Monsieur!
—Hein?
—Qui ça qui a été mangé?
—Le chat.
—Qui ça qui a mangé le chat?
—Les rats.
—Les souris?
—Oui, les rats.
L'enfant, consterné de ces souris qui mangent les chats, poursuivit:
—Monsieur, est-ce qu'elles nous mangeraient, ces souris-là?
—Pardi! fit Gavroche.
La terreur de l'enfant était au comble. Mais Gavroche ajouta:
—N'eïlle pas peur! ils ne peuvent pas entrer. Et puis je suis là!
Tiens, prends ma main. Tais-toi, et pionce!
Gavroche en même temps prit la main du petit par-dessus son frère.
L'enfant serra cette main contre lui et se sentit rassuré. Le courage et
la force ont de ces communications mystérieuses. Le silence s'était
refait autour d'eux, le bruit des voix avait effrayé et éloigné les
rats; au bout de quelques minutes ils eurent beau revenir et faire rage,
les trois mômes, plongés dans le sommeil, n'entendaient plus rien.
Les heures de la nuit s'écoulèrent. L'ombre couvrait l'immense place de
la Bastille, un vent d'hiver qui se mêlait à la pluie soufflait par
bouffées, les patrouilles furetaient les portes, les allées, les enclos,
les coins obscurs, et, cherchant les vagabonds nocturnes, passaient
silencieusement devant l'éléphant; le monstre, debout, immobile, les
yeux ouverts dans les ténèbres, avait l'air de rêver comme satisfait de
sa bonne action, et abritait du ciel et des hommes les trois pauvres
enfants endormis.
Pour comprendre ce qui va suivre, il faut se souvenir qu'à cette époque
le corps de garde de la Bastille était situé à l'autre extrémité de la
place, et que ce qui se passait près de l'éléphant ne pouvait être ni
aperçu, ni entendu par la sentinelle.
Vers la fin de cette heure qui précède immédiatement le point du jour,
un homme déboucha de la rue Saint-Antoine en courant, traversa la place,
tourna le grand enclos de la colonne de Juillet, et se glissa entre les
palissades jusque sous le ventre de l'éléphant. Si une lumière
quelconque eût éclairé cet homme, à la manière profonde dont il était
mouillé, on eût deviné qu'il avait passé la nuit sous la pluie. Arrivé
sous l'éléphant, il fit entendre un cri bizarre qui n'appartient à
aucune langue humaine et qu'une perruche seule pourrait reproduire. Il
répéta deux fois ce cri dont l'orthographe que voici donne à peine
quelque idée:
—Kirikikiou!
Au second cri, une voix claire, gaie et jeune, répondit du ventre de
l'éléphant:
—Oui.
Presque immédiatement, la planche qui fermait le trou se dérangea et
donna passage à un enfant qui descendit le long du pied de l'éléphant et
vint lestement tomber près de l'homme. C'était Gavroche. L'homme était
Montparnasse.
Quant à ce cri, kirikikiou, c'était là sans doute ce que l'enfant
voulait dire par: Tu demanderas monsieur Gavroche.
En l'entendant, il s'était réveillé en sursaut, avait rampé hors de son
«alcôve», en écartant un peu le grillage qu'il avait ensuite refermé
soigneusement, puis il avait ouvert la trappe et était descendu.
L'homme et l'enfant se reconnurent silencieusement dans la nuit;
Montparnasse se borna à dire:
—Nous avons besoin de toi. Viens nous donner un coup de main.
Le gamin ne demanda pas d'autre éclaircissement.
—Me v'là, dit-il.
Et tous deux se dirigèrent vers la rue Saint-Antoine, d'où sortait
Montparnasse, serpentant rapidement à travers la longue file des
charrettes de maraîchers qui descendent à cette heure-là vers la halle.
Les maraîchers accroupis dans leurs voitures parmi les salades et les
légumes, à demi assoupis, enfouis jusqu'aux yeux dans leurs roulières à
cause de la pluie battante, ne regardaient même pas ces étranges
passants.
English text
Spring in Paris is often traversed by harsh and piercing breezes which do not precisely chill but freeze one; these north winds which sadden the most beautiful days produce exactly the effect of those puffs of cold air which enter a warm room through the cracks of a badly fitting door or window. It seems as though the gloomy door of winter had remained ajar, and as though the wind were pouring through it. In the spring of 1832, the epoch when the first great epidemic of this century broke out in Europe, these north gales were more harsh and piercing than ever. It was a door even more glacial than that of winter which was ajar. It was the door of the sepulchre. In these winds one felt the breath of the cholera.
From a meteorological point of view, these cold winds possessed this
peculiarity, that they did not preclude a strong electric tension.
Frequent storms, accompanied by thunder and lightning, burst forth at this
epoch.
One evening, when these gales were blowing rudely, to such a degree that
January seemed to have returned and that the bourgeois had resumed their
cloaks, Little Gavroche, who was always shivering gayly under his rags,
was standing as though in ecstasy before a wig-maker's shop in the
vicinity of the Orme-Saint-Gervais. He was adorned with a woman's woollen
shawl, picked up no one knows where, and which he had converted into a
neck comforter. Little Gavroche appeared to be engaged in intent
admiration of a wax bride, in a low-necked dress, and crowned with
orange-flowers, who was revolving in the window, and displaying her smile
to passers-by, between two argand lamps; but in reality, he was taking an
observation of the shop, in order to discover whether he could not "prig"
from the shop-front a cake of soap, which he would then proceed to sell
for a sou to a "hair-dresser" in the suburbs. He had often managed to
breakfast off of such a roll. He called his species of work, for which he
possessed special aptitude, "shaving barbers."
While contemplating the bride, and eyeing the cake of soap, he muttered
between his teeth: "Tuesday. It was not Tuesday. Was it Tuesday? Perhaps
it was Tuesday. Yes, it was Tuesday."
No one has ever discovered to what this monologue referred.
Yes, perchance, this monologue had some connection with the last occasion
on which he had dined, three days before, for it was now Friday.
The barber in his shop, which was warmed by a good stove, was shaving a
customer and casting a glance from time to time at the enemy, that
freezing and impudent street urchin both of whose hands were in his
pockets, but whose mind was evidently unsheathed.
While Gavroche was scrutinizing the shop-window and the cakes of windsor
soap, two children of unequal stature, very neatly dressed, and still
smaller than himself, one apparently about seven years of age, the other
five, timidly turned the handle and entered the shop, with a request for
something or other, alms possibly, in a plaintive murmur which resembled a
groan rather than a prayer. They both spoke at once, and their words were
unintelligible because sobs broke the voice of the younger, and the teeth
of the elder were chattering with cold. The barber wheeled round with a
furious look, and without abandoning his razor, thrust back the elder with
his left hand and the younger with his knee, and slammed his door, saying:
"The idea of coming in and freezing everybody for nothing!"
The two children resumed their march in tears. In the meantime, a cloud
had risen; it had begun to rain.
Little Gavroche ran after them and accosted them:—
"What's the matter with you, brats?"
"We don't know where we are to sleep," replied the elder.
"Is that all?" said Gavroche. "A great matter, truly. The idea of bawling
about that. They must be greenies!"
And adopting, in addition to his superiority, which was rather bantering,
an accent of tender authority and gentle patronage:—
"Come along with me, young 'uns!"
"Yes, sir," said the elder.
And the two children followed him as they would have followed an
archbishop. They had stopped crying.
Gavroche led them up the Rue Saint-Antoine in the direction of the
Bastille.
As Gavroche walked along, he cast an indignant backward glance at the
barber's shop.
"That fellow has no heart, the whiting," he muttered. "He's an
Englishman."
A woman who caught sight of these three marching in a file, with Gavroche
at their head, burst into noisy laughter. This laugh was wanting in
respect towards the group.
"Good day, Mamselle Omnibus," said Gavroche to her.
An instant later, the wig-maker occurred to his mind once more, and he
added:—
"I am making a mistake in the beast; he's not a whiting, he's a serpent.
Barber, I'll go and fetch a locksmith, and I'll have a bell hung to your
tail."
This wig-maker had rendered him aggressive. As he strode over a gutter, he
apostrophized a bearded portress who was worthy to meet Faust on the
Brocken, and who had a broom in her hand.
"Madam," said he, "so you are going out with your horse?"
And thereupon, he spattered the polished boots of a pedestrian.
"You scamp!" shouted the furious pedestrian.
Gavroche elevated his nose above his shawl.
"Is Monsieur complaining?"
"Of you!" ejaculated the man.
"The office is closed," said Gavroche, "I do not receive any more
complaints."
In the meanwhile, as he went on up the street, he perceived a beggar-girl,
thirteen or fourteen years old, and clad in so short a gown that her knees
were visible, lying thoroughly chilled under a porte-cochère. The little
girl was getting to be too old for such a thing. Growth does play these
tricks. The petticoat becomes short at the moment when nudity becomes
indecent.
"Poor girl!" said Gavroche. "She hasn't even trousers. Hold on, take
this."
And unwinding all the comfortable woollen which he had around his neck, he
flung it on the thin and purple shoulders of the beggar-girl, where the
scarf became a shawl once more.
The child stared at him in astonishment, and received the shawl in
silence. When a certain stage of distress has been reached in his misery,
the poor man no longer groans over evil, no longer returns thanks for
good.
That done: "Brrr!" said Gavroche, who was shivering more than Saint
Martin, for the latter retained one-half of his cloak.
At this brrr! the downpour of rain, redoubled in its spite, became
furious. The wicked skies punish good deeds.
"Ah, come now!" exclaimed Gavroche, "what's the meaning of this? It's
re-raining! Good Heavens, if it goes on like this, I shall stop my
subscription."
And he set out on the march once more.
"It's all right," he resumed, casting a glance at the beggar-girl, as she
coiled up under the shawl, "she's got a famous peel."
And looking up at the clouds he exclaimed:—
"Caught!"
The two children followed close on his heels.
As they were passing one of these heavy grated lattices, which indicate a
baker's shop, for bread is put behind bars like gold, Gavroche turned
round:—
"Ah, by the way, brats, have we dined?"
"Monsieur," replied the elder, "we have had nothing to eat since this
morning."
"So you have neither father nor mother?" resumed Gavroche majestically.
"Excuse us, sir, we have a papa and a mamma, but we don't know where they
are."
"Sometimes that's better than knowing where they are," said Gavroche, who
was a thinker.
"We have been wandering about these two hours," continued the elder, "we
have hunted for things at the corners of the streets, but we have found
nothing."
"I know," ejaculated Gavroche, "it's the dogs who eat everything."
He went on, after a pause:—
"Ah! we have lost our authors. We don't know what we have done with them.
This should not be, gamins. It's stupid to let old people stray off like
that. Come now! we must have a snooze all the same."
However, he asked them no questions. What was more simple than that they
should have no dwelling place!
The elder of the two children, who had almost entirely recovered the
prompt heedlessness of childhood, uttered this exclamation:—
"It's queer, all the same. Mamma told us that she would take us to get a
blessed spray on Palm Sunday."
"Bosh," said Gavroche.
"Mamma," resumed the elder, "is a lady who lives with Mamselle Miss."
"Tanflute!" retorted Gavroche.
Meanwhile he had halted, and for the last two minutes he had been feeling
and fumbling in all sorts of nooks which his rags contained.
At last he tossed his head with an air intended to be merely satisfied,
but which was triumphant, in reality.
"Let us be calm, young 'uns. Here's supper for three."
And from one of his pockets he drew forth a sou.
Without allowing the two urchins time for amazement, he pushed both of
them before him into the baker's shop, and flung his sou on the counter,
crying:—
"Boy! five centimes' worth of bread."
The baker, who was the proprietor in person, took up a loaf and a knife.
"In three pieces, my boy!" went on Gavroche.
And he added with dignity:—
"There are three of us."
And seeing that the baker, after scrutinizing the three customers, had
taken down a black loaf, he thrust his finger far up his nose with an
inhalation as imperious as though he had had a pinch of the great
Frederick's snuff on the tip of his thumb, and hurled this indignant
apostrophe full in the baker's face:—
"Keksekca?"
Those of our readers who might be tempted to espy in this interpellation
of Gavroche's to the baker a Russian or a Polish word, or one of those
savage cries which the Yoways and the Botocudos hurl at each other from
bank to bank of a river, athwart the solitudes, are warned that it is a
word which they [our readers] utter every day, and which takes the place
of the phrase: "Qu'est-ce que c'est que cela?" The baker understood
perfectly, and replied:—
"Well! It's bread, and very good bread of the second quality."
"You mean larton brutal [black bread]!" retorted Gavroche, calmly and
coldly disdainful. "White bread, boy! white bread [larton savonne]! I'm
standing treat."
The baker could not repress a smile, and as he cut the white bread he
surveyed them in a compassionate way which shocked Gavroche.
"Come, now, baker's boy!" said he, "what are you taking our measure like
that for?"
All three of them placed end to end would have hardly made a measure.
When the bread was cut, the baker threw the sou into his drawer, and
Gavroche said to the two children:—
"Grub away."
The little boys stared at him in surprise.
Gavroche began to laugh.
"Ah! hullo, that's so! they don't understand yet, they're too small."
And he repeated:—
"Eat away."
At the same time, he held out a piece of bread to each of them.
And thinking that the elder, who seemed to him the more worthy of his
conversation, deserved some special encouragement and ought to be relieved
from all hesitation to satisfy his appetite, he added, as be handed him
the largest share:—
"Ram that into your muzzle."
One piece was smaller than the others; he kept this for himself.
The poor children, including Gavroche, were famished. As they tore their
bread apart in big mouthfuls, they blocked up the shop of the baker, who,
now that they had paid their money, looked angrily at them.
"Let's go into the street again," said Gavroche.
They set off once more in the direction of the Bastille.
From time to time, as they passed the lighted shop-windows, the smallest
halted to look at the time on a leaden watch which was suspended from his
neck by a cord.
"Well, he is a very green 'un," said Gavroche.
Then, becoming thoughtful, he muttered between his teeth:—
"All the same, if I had charge of the babes I'd lock 'em up better than
that."
Just as they were finishing their morsel of bread, and had reached the
angle of that gloomy Rue des Ballets, at the other end of which the low
and threatening wicket of La Force was visible:—
"Hullo, is that you, Gavroche?" said some one.
"Hullo, is that you, Montparnasse?" said Gavroche.
A man had just accosted the street urchin, and the man was no other than
Montparnasse in disguise, with blue spectacles, but recognizable to
Gavroche.
"The bow-wows!" went on Gavroche, "you've got a hide the color of a
linseed plaster, and blue specs like a doctor. You're putting on style,
'pon my word!"
"Hush!" ejaculated Montparnasse, "not so loud."
And he drew Gavroche hastily out of range of the lighted shops.
The two little ones followed mechanically, holding each other by the hand.
When they were ensconced under the arch of a portecochere, sheltered from
the rain and from all eyes:—
"Do you know where I'm going?" demanded Montparnasse.
"To the Abbéy of Ascend-with-Regret," replied Gavroche.
"Joker!"
And Montparnasse went on:—
"I'm going to find Babet."
"Ah!" exclaimed Gavroche, "so her name is Babet."
Montparnasse lowered his voice:—
"Not she, he."
"Ah! Babet."
"Yes, Babet."
"I thought he was buckled."
"He has undone the buckle," replied Montparnasse.
And he rapidly related to the gamin how, on the morning of that very day,
Babet, having been transferred to La Conciergerie, had made his escape, by
turning to the left instead of to the right in "the police office."
Gavroche expressed his admiration for this skill.
"What a dentist!" he cried.
Montparnasse added a few details as to Babet's flight, and ended with:—
"Oh! That's not all."
Gavroche, as he listened, had seized a cane that Montparnasse held in his
hand, and mechanically pulled at the upper part, and the blade of a dagger
made its appearance.
"Ah!" he exclaimed, pushing the dagger back in haste, "you have brought
along your gendarme disguised as a bourgeois."
Montparnasse winked.
"The deuce!" resumed Gavroche, "so you're going to have a bout with the
bobbies?"
"You can't tell," replied Montparnasse with an indifferent air. "It's
always a good thing to have a pin about one."
Gavroche persisted:—
"What are you up to to-night?"
Again Montparnasse took a grave tone, and said, mouthing every syllable:
"Things."
And abruptly changing the conversation:—
"By the way!"
"What?"
"Something happened t'other day. Fancy. I meet a bourgeois. He makes me a
present of a sermon and his purse. I put it in my pocket. A minute later,
I feel in my pocket. There's nothing there."
"Except the sermon," said Gavroche.
"But you," went on Montparnasse, "where are you bound for now?"
Gavroche pointed to his two proteges, and said:—
"I'm going to put these infants to bed."
"Whereabouts is the bed?"
"At my house."
"Where's your house?"
"At my house."
"So you have a lodging?"
"Yes, I have."
"And where is your lodging?"
"In the elephant," said Gavroche.
Montparnasse, though not naturally inclined to astonishment, could not
restrain an exclamation.
"In the elephant!"
"Well, yes, in the elephant!" retorted Gavroche. "Kekcaa?"
This is another word of the language which no one writes, and which every
one speaks.
Kekcaa signifies: Quest que c'est que cela a? [What's the matter with
that?]
The urchin's profound remark recalled Montparnasse to calmness and good
sense. He appeared to return to better sentiments with regard to
Gavroche's lodging.
"Of course," said he, "yes, the elephant. Is it comfortable there?"
"Very," said Gavroche. "It's really bully there. There ain't any draughts,
as there are under the bridges."
"How do you get in?"
"Oh, I get in."
"So there is a hole?" demanded Montparnasse.
"Parbleu! I should say so. But you mustn't tell. It's between the fore
legs. The bobbies haven't seen it."
"And you climb up? Yes, I understand."
"A turn of the hand, cric, crac, and it's all over, no one there."
After a pause, Gavroche added:—
"I shall have a ladder for these children."
Montparnasse burst out laughing:—
"Where the devil did you pick up those young 'uns?"
Gavroche replied with great simplicity:—
"They are some brats that a wig-maker made me a present of."
Meanwhile, Montparnasse had fallen to thinking:—
"You recognized me very readily," he muttered.
He took from his pocket two small objects which were nothing more than two
quills wrapped in cotton, and thrust one up each of his nostrils. This
gave him a different nose.
"That changes you," remarked Gavroche, "you are less homely so, you ought
to keep them on all the time."
Montparnasse was a handsome fellow, but Gavroche was a tease.
"Seriously," demanded Montparnasse, "how do you like me so?"
The sound of his voice was different also. In a twinkling, Montparnasse
had become unrecognizable.
"Oh! Do play Porrichinelle for us!" exclaimed Gavroche.
The two children, who had not been listening up to this point, being
occupied themselves in thrusting their fingers up their noses, drew near
at this name, and stared at Montparnasse with dawning joy and admiration.
Unfortunately, Montparnasse was troubled.
He laid his hand on Gavroche's shoulder, and said to him, emphasizing his
words: "Listen to what I tell you, boy! if I were on the square with my
dog, my knife, and my wife, and if you were to squander ten sous on me, I
wouldn't refuse to work, but this isn't Shrove Tuesday."
This odd phrase produced a singular effect on the gamin. He wheeled round
hastily, darted his little sparkling eyes about him with profound
attention, and perceived a police sergeant standing with his back to them
a few paces off. Gavroche allowed an: "Ah! good!" to escape him, but
immediately suppressed it, and shaking Montparnasse's hand:—
"Well, good evening," said he, "I'm going off to my elephant with my
brats. Supposing that you should need me some night, you can come and hunt
me up there. I lodge on the entresol. There is no porter. You will inquire
for Monsieur Gavroche."
"Very good," said Montparnasse.
And they parted, Montparnasse betaking himself in the direction of the
Greve, and Gavroche towards the Bastille. The little one of five, dragged
along by his brother who was dragged by Gavroche, turned his head back
several times to watch "Porrichinelle" as he went.
The ambiguous phrase by means of which Montparnasse had warned Gavroche of
the presence of the policeman, contained no other talisman than the
assonance dig repeated five or six times in different forms. This
syllable, dig, uttered alone or artistically mingled with the words of a
phrase, means: "Take care, we can no longer talk freely." There was
besides, in Montparnasse's sentence, a literary beauty which was lost upon
Gavroche, that is mon dogue, ma dague et ma digue, a slang expression of
the Temple, which signifies my dog, my knife, and my wife, greatly in
vogue among clowns and the red-tails in the great century when Moliere
wrote and Callot drew.
Twenty years ago, there was still to be seen in the southwest corner of
the Place de la Bastille, near the basin of the canal, excavated in the
ancient ditch of the fortress-prison, a singular monument, which has
already been effaced from the memories of Parisians, and which deserved to
leave some trace, for it was the idea of a "member of the Institute, the
General-in-chief of the army of Egypt."
We say monument, although it was only a rough model. But this model
itself, a marvellous sketch, the grandiose skeleton of an idea of
Napoleon's, which successive gusts of wind have carried away and thrown,
on each occasion, still further from us, had become historical and had
acquired a certain definiteness which contrasted with its provisional
aspect. It was an elephant forty feet high, constructed of timber and
masonry, bearing on its back a tower which resembled a house, formerly
painted green by some dauber, and now painted black by heaven, the wind,
and time. In this deserted and unprotected corner of the place, the broad
brow of the colossus, his trunk, his tusks, his tower, his enormous
crupper, his four feet, like columns produced, at night, under the starry
heavens, a surprising and terrible form. It was a sort of symbol of
popular force. It was sombre, mysterious, and immense. It was some mighty,
visible phantom, one knew not what, standing erect beside the invisible
spectre of the Bastille.
Few strangers visited this edifice, no passer-by looked at it. It was
falling into ruins; every season the plaster which detached itself from
its sides formed hideous wounds upon it. "The aediles," as the expression
ran in elegant dialect, had forgotten it ever since 1814. There it stood
in its corner, melancholy, sick, crumbling, surrounded by a rotten
palisade, soiled continually by drunken coachmen; cracks meandered athwart
its belly, a lath projected from its tail, tall grass flourished between
its legs; and, as the level of the place had been rising all around it for
a space of thirty years, by that slow and continuous movement which
insensibly elevates the soil of large towns, it stood in a hollow, and it
looked as though the ground were giving way beneath it. It was unclean,
despised, repulsive, and superb, ugly in the eyes of the bourgeois,
melancholy in the eyes of the thinker. There was something about it of the
dirt which is on the point of being swept out, and something of the
majesty which is on the point of being decapitated. As we have said, at
night, its aspect changed. Night is the real element of everything that is
dark. As soon as twilight descended, the old elephant became transfigured;
he assumed a tranquil and redoubtable appearance in the formidable
serenity of the shadows. Being of the past, he belonged to night; and
obscurity was in keeping with his grandeur.
This rough, squat, heavy, hard, austere, almost misshapen, but assuredly
majestic monument, stamped with a sort of magnificent and savage gravity,
has disappeared, and left to reign in peace, a sort of gigantic stove,
ornamented with its pipe, which has replaced the sombre fortress with its
nine towers, very much as the bourgeoisie replaces the feudal classes. It
is quite natural that a stove should be the symbol of an epoch in which a
pot contains power. This epoch will pass away, people have already begun
to understand that, if there can be force in a boiler, there can be no
force except in the brain; in other words, that which leads and drags on
the world, is not locomotives, but ideas. Harness locomotives to ideas,—that
is well done; but do not mistake the horse for the rider.
At all events, to return to the Place de la Bastille, the architect of
this elephant succeeded in making a grand thing out of plaster; the
architect of the stove has succeeded in making a pretty thing out of
bronze.
This stove-pipe, which has been baptized by a sonorous name, and called
the column of July, this monument of a revolution that miscarried, was
still enveloped in 1832, in an immense shirt of woodwork, which we regret,
for our part, and by a vast plank enclosure, which completed the task of
isolating the elephant.
It was towards this corner of the place, dimly lighted by the reflection
of a distant street lamp, that the gamin guided his two "brats."
The reader must permit us to interrupt ourselves here and to remind him
that we are dealing with simple reality, and that twenty years ago, the
tribunals were called upon to judge, under the charge of vagabondage, and
mutilation of a public monument, a child who had been caught asleep in
this very elephant of the Bastille. This fact noted, we proceed.
On arriving in the vicinity of the colossus, Gavroche comprehended the
effect which the infinitely great might produce on the infinitely small,
and said:—
"Don't be scared, infants."
Then he entered through a gap in the fence into the elephant's enclosure
and helped the young ones to clamber through the breach. The two children,
somewhat frightened, followed Gavroche without uttering a word, and
confided themselves to this little Providence in rags which had given them
bread and had promised them a shelter.
There, extended along the fence, lay a ladder which by day served the
laborers in the neighboring timber-yard. Gavroche raised it with
remarkable vigor, and placed it against one of the elephant's forelegs.
Near the point where the ladder ended, a sort of black hole in the belly
of the colossus could be distinguished.
Gavroche pointed out the ladder and the hole to his guests, and said to
them:—
"Climb up and go in."
The two little boys exchanged terrified glances.
"You're afraid, brats!" exclaimed Gavroche.
And he added:—
"You shall see!"
He clasped the rough leg of the elephant, and in a twinkling, without
deigning to make use of the ladder, he had reached the aperture. He
entered it as an adder slips through a crevice, and disappeared within,
and an instant later, the two children saw his head, which looked pale,
appear vaguely, on the edge of the shadowy hole, like a wan and whitish
spectre.
"Well!" he exclaimed, "climb up, young 'uns! You'll see how snug it is
here! Come up, you!" he said to the elder, "I'll lend you a hand."
The little fellows nudged each other, the gamin frightened and inspired
them with confidence at one and the same time, and then, it was raining
very hard. The elder one undertook the risk. The younger, on seeing his
brother climbing up, and himself left alone between the paws of this huge
beast, felt greatly inclined to cry, but he did not dare.
The elder lad climbed, with uncertain steps, up the rungs of the ladder;
Gavroche, in the meanwhile, encouraging him with exclamations like a
fencing-master to his pupils, or a muleteer to his mules.
"Don't be afraid!—That's it!—Come on!—Put your feet
there!—Give us your hand here!—Boldly!"
And when the child was within reach, he seized him suddenly and vigorously
by the arm, and pulled him towards him.
"Nabbed!" said he.
The brat had passed through the crack.
"Now," said Gavroche, "wait for me. Be so good as to take a seat,
Monsieur."
And making his way out of the hole as he had entered it, he slipped down
the elephant's leg with the agility of a monkey, landed on his feet in the
grass, grasped the child of five round the body, and planted him fairly in
the middle of the ladder, then he began to climb up behind him, shouting
to the elder:—
"I'm going to boost him, do you tug."
And in another instant, the small lad was pushed, dragged, pulled, thrust,
stuffed into the hole, before he had time to recover himself, and
Gavroche, entering behind him, and repulsing the ladder with a kick which
sent it flat on the grass, began to clap his hands and to cry:—
"Here we are! Long live General Lafayette!"
This explosion over, he added:—
"Now, young 'uns, you are in my house."
Gavroche was at home, in fact.
Oh, unforeseen utility of the useless! Charity of great things! Goodness
of giants! This huge monument, which had embodied an idea of the
Emperor's, had become the box of a street urchin. The brat had been
accepted and sheltered by the colossus. The bourgeois decked out in their
Sunday finery who passed the elephant of the Bastille, were fond of saying
as they scanned it disdainfully with their prominent eyes: "What's the
good of that?" It served to save from the cold, the frost, the hail, and
rain, to shelter from the winds of winter, to preserve from slumber in the
mud which produces fever, and from slumber in the snow which produces
death, a little being who had no father, no mother, no bread, no clothes,
no refuge. It served to receive the innocent whom society repulsed. It
served to diminish public crime. It was a lair open to one against whom
all doors were shut. It seemed as though the miserable old mastodon,
invaded by vermin and oblivion, covered with warts, with mould, and
ulcers, tottering, worm-eaten, abandoned, condemned, a sort of mendicant
colossus, asking alms in vain with a benevolent look in the midst of the
cross-roads, had taken pity on that other mendicant, the poor pygmy, who
roamed without shoes to his feet, without a roof over his head, blowing on
his fingers, clad in rags, fed on rejected scraps. That was what the
elephant of the Bastille was good for. This idea of Napoleon, disdained by
men, had been taken back by God. That which had been merely illustrious,
had become august. In order to realize his thought, the Emperor should
have had porphyry, brass, iron, gold, marble; the old collection of
planks, beams and plaster sufficed for God. The Emperor had had the dream
of a genius; in that Titanic elephant, armed, prodigious, with trunk
uplifted, bearing its tower and scattering on all sides its merry and
vivifying waters, he wished to incarnate the people. God had done a
grander thing with it, he had lodged a child there.
The hole through which Gavroche had entered was a breach which was hardly
visible from the outside, being concealed, as we have stated, beneath the
elephant's belly, and so narrow that it was only cats and homeless
children who could pass through it.
"Let's begin," said Gavroche, "by telling the porter that we are not at
home."
And plunging into the darkness with the assurance of a person who is well
acquainted with his apartments, he took a plank and stopped up the
aperture.
Again Gavroche plunged into the obscurity. The children heard the
crackling of the match thrust into the phosphoric bottle. The chemical
match was not yet in existence; at that epoch the Fumade steel represented
progress.
A sudden light made them blink; Gavroche had just managed to ignite one of
those bits of cord dipped in resin which are called cellar rats. The
cellar rat, which emitted more smoke than light, rendered the interior of
the elephant confusedly visible.
Gavroche's two guests glanced about them, and the sensation which they
experienced was something like that which one would feel if shut up in the
great tun of Heidelberg, or, better still, like what Jonah must have felt
in the biblical belly of the whale. An entire and gigantic skeleton
appeared enveloping them. Above, a long brown beam, whence started at
regular distances, massive, arching ribs, represented the vertebral column
with its sides, stalactites of plaster depended from them like entrails,
and vast spiders' webs stretching from side to side, formed dirty
diaphragms. Here and there, in the corners, were visible large blackish
spots which had the appearance of being alive, and which changed places
rapidly with an abrupt and frightened movement.
Fragments which had fallen from the elephant's back into his belly had
filled up the cavity, so that it was possible to walk upon it as on a
floor.
The smaller child nestled up against his brother, and whispèred to him:—
"It's black."
This remark drew an exclamation from Gavroche. The petrified air of the
two brats rendered some shock necessary.
"What's that you are gabbling about there?" he exclaimed. "Are you
scoffing at me? Are you turning up your noses? Do you want the tuileries?
Are you brutes? Come, say! I warn you that I don't belong to the regiment
of simpletons. Ah, come now, are you brats from the Pope's establishment?"
A little roughness is good in cases of fear. It is reassuring. The two
children drew close to Gavroche.
Gavroche, paternally touched by this confidence, passed from grave to
gentle, and addressing the smaller:—
"Stupid," said he, accenting the insulting word, with a caressing
intonation, "it's outside that it is black. Outside it's raining, here it
does not rain; outside it's cold, here there's not an atom of wind;
outside there are heaps of people, here there's no one; outside there
ain't even the moon, here there's my candle, confound it!"
The two children began to look upon the apartment with less terror; but
Gavroche allowed them no more time for contemplation.
"Quick," said he.
And he pushed them towards what we are very glad to be able to call the
end of the room.
There stood his bed.
Gavroche's bed was complete; that is to say, it had a mattress, a blanket,
and an alcove with curtains.
The mattress was a straw mat, the blanket a rather large strip of gray
woollen stuff, very warm and almost new. This is what the alcove consisted
of:—
Three rather long poles, thrust into and consolidated, with the rubbish
which formed the floor, that is to say, the belly of the elephant, two in
front and one behind, and united by a rope at their summits, so as to form
a pyramidal bundle. This cluster supported a trellis-work of brass wire
which was simply placed upon it, but artistically applied, and held by
fastenings of iron wire, so that it enveloped all three holes. A row of
very heavy stones kept this network down to the floor so that nothing
could pass under it. This grating was nothing else than a piece of the
brass screens with which aviaries are covered in menageries. Gavroche's
bed stood as in a cage, behind this net. The whole resembled an Esquimaux
tent.
This trellis-work took the place of curtains.
Gavroche moved aside the stones which fastened the net down in front, and
the two folds of the net which lapped over each other fell apart.
"Down on all fours, brats!" said Gavroche.
He made his guests enter the cage with great precaution, then he crawled
in after them, pulled the stones together, and closed the opening
hermetically again.
All three had stretched out on the mat. Gavroche still had the cellar rat
in his hand.
"Now," said he, "go to sleep! I'm going to suppress the candelabra."
"Monsieur," the elder of the brothers asked Gavroche, pointing to the
netting, "what's that for?"
"That," answered Gavroche gravely, "is for the rats. Go to sleep!"
Nevertheless, he felt obliged to add a few words of instruction for the
benefit of these young creatures, and he continued:—
"It's a thing from the Jardin des Plantes. It's used for fierce animals.
There's a whole shopful of them there. All you've got to do is to climb
over a wall, crawl through a window, and pass through a door. You can get
as much as you want."
As he spoke, he wrapped the younger one up bodily in a fold of the
blanket, and the little one murmured:—
"Oh! how good that is! It's warm!"
Gavroche cast a pleased eye on the blanket.
"That's from the Jardin des Plantes, too," said he. "I took that from the
monkeys."
And, pointing out to the eldest the mat on which he was lying, a very
thick and admirably made mat, he added:—
"That belonged to the giraffe."
After a pause he went on:—
"The beasts had all these things. I took them away from them. It didn't
trouble them. I told them: 'It's for the elephant.'"
He paused, and then resumed:—
"You crawl over the walls and you don't care a straw for the government.
So there now!"
The two children gazed with timid and stupefied respect on this intrepid
and ingenious being, a vagabond like themselves, isolated like themselves,
frail like themselves, who had something admirable and all-powerful about
him, who seemed supernatural to them, and whose physiognomy was composed
of all the grimaces of an old mountebank, mingled with the most ingenuous
and charming smiles.
"Monsieur," ventured the elder timidly, "you are not afraid of the police,
then?"
Gavroche contented himself with replying:—
"Brat! Nobody says 'police,' they say 'bobbies.'"
The smaller had his eyes wide open, but he said nothing. As he was on the
edge of the mat, the elder being in the middle, Gavroche tucked the
blanket round him as a mother might have done, and heightened the mat
under his head with old rags, in such a way as to form a pillow for the
child. Then he turned to the elder:—
"Hey! We're jolly comfortable here, ain't we?"
"Ah, yes!" replied the elder, gazing at Gavroche with the expression of a
saved angel.
The two poor little children who had been soaked through, began to grow
warm once more.
"Ah, by the way," continued Gavroche, "what were you bawling about?"
And pointing out the little one to his brother:—
"A mite like that, I've nothing to say about, but the idea of a big fellow
like you crying! It's idiotic; you looked like a calf."
"Gracious," replied the child, "we have no lodging."
"Bother!" retorted Gavroche, "you don't say 'lodgings,' you say 'crib.'"
"And then, we were afraid of being alone like that at night."
"You don't say 'night,' you say 'darkmans.'"
"Thank you, sir," said the child.
"Listen," went on Gavroche, "you must never bawl again over anything. I'll
take care of you. You shall see what fun we'll have. In summer, we'll go
to the Glaciere with Navet, one of my pals, we'll bathe in the Gare, we'll
run stark naked in front of the rafts on the bridge at Austerlitz,—that
makes the laundresses raging. They scream, they get mad, and if you only
knew how ridiculous they are! We'll go and see the man-skeleton. And then
I'll take you to the play. I'll take you to see Frederick Lemaitre. I have
tickets, I know some of the actors, I even played in a piece once. There
were a lot of us fellers, and we ran under a cloth, and that made the sea.
I'll get you an engagement at my theatre. We'll go to see the savages.
They ain't real, those savages ain't. They wear pink tights that go all in
wrinkles, and you can see where their elbows have been darned with white.
Then, we'll go to the Opera. We'll get in with the hired applauders. The
Opera claque is well managed. I wouldn't associate with the claque on the
boulevard. At the Opera, just fancy! some of them pay twenty sous, but
they're ninnies. They're called dishclouts. And then we'll go to see the
guillotine work. I'll show you the executioner. He lives in the Rue des
Marais. Monsieur Sanson. He has a letter-box at his door. Ah! we'll have
famous fun!"
At that moment a drop of wax fell on Gavroche's finger, and recalled him
to the realities of life.
"The deuce!" said he, "there's the wick giving out. Attention! I can't
spend more than a sou a month on my lighting. When a body goes to bed, he
must sleep. We haven't the time to read M. Paul de Kock's romances. And
besides, the light might pass through the cracks of the porte-cochère, and
all the bobbies need to do is to see it."
"And then," remarked the elder timidly,—he alone dared talk to
Gavroche, and reply to him, "a spark might fall in the straw, and we must
look out and not burn the house down."
"People don't say 'burn the house down,'" remarked Gavroche, "they say
'blaze the crib.'"
The storm increased in violence, and the heavy downpour beat upon the back
of the colossus amid claps of thunder. "You're taken in, rain!" said
Gavroche. "It amuses me to hear the decanter run down the legs of the
house. Winter is a stupid; it wastes its merchandise, it loses its labor,
it can't wet us, and that makes it kick up a row, old water-carrier that
it is."
This allusion to the thunder, all the consequences of which Gavroche, in
his character of a philosopher of the nineteenth century, accepted, was
followed by a broad flash of lightning, so dazzling that a hint of it
entered the belly of the elephant through the crack. Almost at the same
instant, the thunder rumbled with great fury. The two little creatures
uttered a shriek, and started up so eagerly that the network came near
being displaced, but Gavroche turned his bold face to them, and took
advantage of the clap of thunder to burst into a laugh.
"Calm down, children. Don't topple over the edifice. That's fine,
first-class thunder; all right. That's no slouch of a streak of lightning.
Bravo for the good God! Deuce take it! It's almost as good as it is at the
Ambigu."
That said, he restored order in the netting, pushed the two children
gently down on the bed, pressed their knees, in order to stretch them out
at full length, and exclaimed:—
"Since the good God is lighting his candle, I can blow out mine. Now,
babes, now, my young humans, you must shut your peepers. It's very bad not
to sleep. It'll make you swallow the strainer, or, as they say, in
fashionable society, stink in the gullet. Wrap yourself up well in the
hide! I'm going to put out the light. Are you ready?"
"Yes," murmured the elder, "I'm all right. I seem to have feathers under
my head."
"People don't say 'head,'" cried Gavroche, "they say 'nut'."
The two children nestled close to each other, Gavroche finished arranging
them on the mat, drew the blanket up to their very ears, then repeated,
for the third time, his injunction in the hieratical tongue:—
"Shut your peepers!"
And he snuffed out his tiny light.
Hardly had the light been extinguished, when a peculiar trembling began to
affect the netting under which the three children lay.
It consisted of a multitude of dull scratches which produced a metallic
sound, as if claws and teeth were gnawing at the copper wire. This was
accompanied by all sorts of little piercing cries.
The little five-year-old boy, on hearing this hubbub overhead, and chilled
with terror, jogged his brother's elbow; but the elder brother had already
shut his peepers, as Gavroche had ordered. Then the little one, who could
no longer control his terror, questioned Gavroche, but in a very low tone,
and with bated breath:—
"Sir?"
"Hey?" said Gavroche, who had just closed his eyes.
"What is that?"
"It's the rats," replied Gavroche.
And he laid his head down on the mat again.
The rats, in fact, who swarmed by thousands in the carcass of the
elephant, and who were the living black spots which we have already
mentioned, had been held in awe by the flame of the candle, so long as it
had been lighted; but as soon as the cavern, which was the same as their
city, had returned to darkness, scenting what the good story-teller
Perrault calls "fresh meat," they had hurled themselves in throngs on
Gavroche's tent, had climbed to the top of it, and had begun to bite the
meshes as though seeking to pierce this new-fangled trap.
Still the little one could not sleep.
"Sir?" he began again.
"Hey?" said Gavroche.
"What are rats?"
"They are mice."
This explanation reassured the child a little. He had seen white mice in
the course of his life, and he was not afraid of them. Nevertheless, he
lifted up his voice once more.
"Sir?"
"Hey?" said Gavroche again.
"Why don't you have a cat?"
"I did have one," replied Gavroche, "I brought one here, but they ate
her."
This second explanation undid the work of the first, and the little fellow
began to tremble again.
The dialogue between him and Gavroche began again for the fourth time:—
"Monsieur?"
"Hey?"
"Who was it that was eaten?"
"The cat."
"And who ate the cat?"
"The rats."
"The mice?"
"Yes, the rats."
The child, in consternation, dismayed at the thought of mice which ate
cats, pursued:—
"Sir, would those mice eat us?"
"Wouldn't they just!" ejaculated Gavroche.
The child's terror had reached its climax. But Gavroche added:—
"Don't be afraid. They can't get in. And besides, I'm here! Here, catch
hold of my hand. Hold your tongue and shut your peepers!"
At the same time Gavroche grasped the little fellow's hand across his
brother. The child pressed the hand close to him, and felt reassured.
Courage and strength have these mysterious ways of communicating
themselves. Silence reigned round them once more, the sound of their
voices had frightened off the rats; at the expiration of a few minutes,
they came raging back, but in vain, the three little fellows were fast
asleep and heard nothing more.
The hours of the night fled away. Darkness covered the vast Place de la
Bastille. A wintry gale, which mingled with the rain, blew in gusts, the
patrol searched all the doorways, alleys, enclosures, and obscure nooks,
and in their search for nocturnal vagabonds they passed in silence before
the elephant; the monster, erect, motionless, staring open-eyed into the
shadows, had the appearance of dreaming happily over his good deed; and
sheltered from heaven and from men the three poor sleeping children.
In order to understand what is about to follow, the reader must remember,
that, at that epoch, the Bastille guard-house was situated at the other
end of the square, and that what took place in the vicinity of the
elephant could neither be seen nor heard by the sentinel.
Towards the end of that hour which immediately precedes the dawn, a man
turned from the Rue Saint-Antoine at a run, made the circuit of the
enclosure of the column of July, and glided between the palings until he
was underneath the belly of the elephant. If any light had illuminated
that man, it might have been divined from the thorough manner in which he
was soaked that he had passed the night in the rain. Arrived beneath the
elephant, he uttered a peculiar cry, which did not belong to any human
tongue, and which a paroquet alone could have imitated. Twice he repeated
this cry, of whose orthography the following barely conveys an idea:—
"Kirikikiou!"
At the second cry, a clear, young, merry voice responded from the belly of
the elephant:—
"Yes!"
Almost immediately, the plank which closed the hole was drawn aside, and
gave passage to a child who descended the elephant's leg, and fell briskly
near the man. It was Gavroche. The man was Montparnasse.
As for his cry of Kirikikiou,—that was, doubtless, what the child
had meant, when he said:—
"You will ask for Monsieur Gavroche."
On hearing it, he had waked with a start, had crawled out of his "alcove,"
pushing apart the netting a little, and carefully drawing it together
again, then he had opened the trap, and descended.
The man and the child recognized each other silently amid the gloom:
Montparnasse confined himself to the remark:—
"We need you. Come, lend us a hand."
The lad asked for no further enlightenment.
"I'm with you," said he.
And both took their way towards the Rue Saint-Antoine, whence Montparnasse
had emerged, winding rapidly through the long file of market-gardeners'
carts which descend towards the markets at that hour.
The market-gardeners, crouching, half-asleep, in their wagons, amid the
salads and vegetables, enveloped to their very eyes in their mufflers on
account of the beating rain, did not even glance at these strange
pedestrians.
Translation notes
Keksekça? et/and Kekçaa?
The 19th century English translators didn't translate Hugo's direct-to-speech transliterations. Neither "Keksekça?" nor its meaning "Qu'est-ce que c'est que cela?" are translated into English in either the 1862 Wraxall or the 1887 Hapgood English translations.[1][2] The other transliteration, "Kekçaa?", and its formal explication, "qu'est-ce que cela a?", also remain as is. An 1876 translation cited by Google Books as by C. E. Wilbour, omits Hugo's direct-from-speech transliterations, making a smoother reading experience, but losing Hugo's "but wait I haven't told you everything yet" style that makes Hugo's local-world-epoch story so delicious.[3]
Fahnestock and MacAfee translate the direct-from-speech transliterations the way Wright translates Queneau's (see textual note, below).
Keksekça? becomes Whazzachuaver
and
Kekçaa? becomes Whazzematruthat[4]
Textual notes
Merlan (whiting)
A sobriquet given to hairdressers because they are white with powder. [5]
The Abbéy of Ascend-with-Regret
The scaffold. [5]
"Keksekça?" and Kekçaa? (direct-from-speech transliteration)
"Doukipudonkton, se demanda Gabriel excédé" opens Raymond Queneau's dazzling 1959 novel Zazie dans le métro.[6] Barbara Wright translates Queneau's direct-from-speech transliteration of Gabriel's question as (I'm recalling from memory, so maybe not exactly) "Howcantheystinksotho."[7] This direct-from-speech transliteration, made famous more recently by Irvine Welsh with Train Spotting, shows up a century before Zazie dans le métro in Les Misérables.
Having read almost none of Les Misérables in French I am uncertain if the direct-from-speech transliterations actually appear only in the second half, but the two interrogatives of Gavroche the street kid, only pages apart (in Vol. 4, Bk. 6, Ch. 2), are
Keksekça?
and
Kekçaa?
Using Fahnestock and MacAfee's English translation as a guide, Keksekça? and Kekçaa? seem to be the first instances in the novel, as if Hugo discovered this new dialogic method well into the writing.
Les Misérables's narrator explains this dialogic method after the second transliteration:
Ceci est encore un mot de la langue que personne n'écrit et que tout le monde parle.
That is, This is another word of the language no one writes but everyone speaks.
The need for in-text explanation suggests a new literary method.
Citations
- ↑ Hugo, Victor. Les Misérables, Volume 2. Trans. Sir Frederick Charles Lascelles Wraxall (3rd Baronet). London: Hurst and Blackett, Publisher, 1862. Digitized by Google, original from Oxford University's Bibliotheca Bodleiana. https://books.google.com/books?id=TuQBAAAAQAAJ&printsec=frontcover&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
- ↑ Hugo, Victor. Les Misérables. Trans. Isabel F. Hapgood. New York: Thomas Y. Crowell & Co., 1887. A Project Gutenberg Ebook. http://www.gutenberg.org/files/135/135-h/135-h.htm#link2HCH0148
- ↑ Hugo, Victor. Les Misérables: Jean Valjean. Trans. Charles Edwin Wilbour. London: Ward, Lock, and Tyler, Warwick House, Paternoster Row, 1876. Digitized by Google, originally from Oxford University's Bodleian Library. https://books.google.com/books?id=qhwGAAAAQAAJ&printsec=frontcover&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
- ↑ Hugo, Victor. Les Misérables. Trans. Lee Fahnestock and Norman MacAfee. New York: Signet Classics, Penguin Group, 2013, p. 948, 951.
- ↑ 5.0 5.1 Hugo, Victor. Les Misérables. Complete in Five Volumes. Trans. Isabel F Hapgood. Project Gutenberg eBook, 2008.
- ↑ Queneau, Raymond. Zazie dans le métro. Folio, Editions Flammarion, 1973.
- ↑ Queneau, Raymond. Zazie. Trans. Barbara Wright. More bibliographic details soon as I get to my bookshelf