Difference between revisions of "Volume 5/Book 2/Chapter 2"
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− | + | Les Misérables, Volume 5: Jean Valjean, Book Second: The Intestine of the Leviathan, Chapter 2: Ancient History of the Sewer<br /> | |
+ | (Tome 5: Jean Valjean, Livre deuxième: L'intestin de Léviathan, Chapitre 2: L'histoire ancienne de l'égout) | ||
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+ | ==General notes on this chapter== | ||
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+ | ==French text== | ||
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+ | Qu'on s'imagine Paris ôté comme un couvercle, le réseau souterrain des égouts, vu à vol d'oiseau, dessinera sur les deux rives une espèce de grosse branche greffée au fleuve. Sur la rive droite l'égout de ceinture sera le tronc de cette branche, les conduits secondaires seront les rameaux et les impasses seront les ramuscules. | ||
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+ | Cette figure n'est que sommaire et à demi exacte, l'angle droit, qui est l'angle habituel de ce genre de ramifications souterraines, étant très rare dans la végétation. | ||
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+ | On se fera une image plus ressemblante de cet étrange plan géométral en supposant qu'on voie à plat sur un fond de ténèbres quelque bizarre alphabet d'orient brouillé comme un fouillis, et dont les lettres difformes seraient soudées les unes aux autres, dans un pêle-mêle apparent et comme au hasard, tantôt par leurs angles, tantôt par leurs extrémités. | ||
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+ | Les sentines et les égouts jouaient un grand rôle au Moyen-Âge, au Bas-Empire et dans ce vieil Orient. La peste y naissait, les despotes y mouraient. Les multitudes regardaient presque avec une crainte religieuse ces lits de pourriture, monstrueux berceaux de la Mort. La fosse aux vermines de Bénarès n'est pas moins vertigineuse que la fosse aux lions de Babylone. Téglath-Phalasar, au dire des livres rabbiniques, jurait par la sentine de Ninive, C'est de l'égout de Munster que Jean de Leyde faisait sortir sa fausse lune, et c'est du puits-cloaque de Kekhscheb que son ménechme oriental, Mokannâ, le prophète voilé du Khorassan, faisait sortir son faux soleil. | ||
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+ | L'histoire des hommes se reflète dans l'histoire des cloaques. Les gémonies racontaient Rome. L'égout de Paris a été une vieille chose formidable. Il a été sépulcre, il a été asile. Le crime, l'intelligence, la protestation sociale, la liberté de conscience, la pensée, le vol, tout ce que les lois humaines poursuivent ou ont poursuivi, s'est caché dans ce trou; les maillotins au quatorzième siècle, les tire-laine au quinzième, les huguenots au seizième, les illuminés de Morin au dix-septième, les chauffeurs au dix-huitième. Il y a cent ans, le coup de poignard nocturne en sortait, le filou en danger y glissait; le bois avait la caverne, Paris avait l'égout. La truanderie, cette picareria gauloise, acceptait l'égout comme succursale de la Cour des Miracles, et le soir, narquoise et féroce, rentrait sous le vomitoire Maubuée comme dans une alcôve. | ||
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+ | Il était tout simple que ceux qui avaient pour lieu de travail quotidien le cul-de-sac Vide-Gousset ou la rue Coupe-Gorge eussent pour domicile nocturne le ponceau du Chemin-Vert ou le cagnard Hurepoix. De là un fourmillement de souvenirs. Toutes sortes de fantômes hantent ces longs corridors solitaires; partout la putridité et le miasme; çà et là un soupirail où Villon dedans cause avec Rabelais dehors. | ||
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+ | L'égout, dans l'ancien Paris, est le rendez-vous de tous les épuisements et de tous les essais. L'économie politique y voit un détritus, la philosophie sociale y voit un résidu. | ||
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+ | L'égout, c'est la conscience de la ville. Tout y converge, et s'y confronte. Dans ce lieu livide, il y a des ténèbres, mais il n'y a plus de secrets. Chaque chose a sa forme vraie, ou du moins sa forme définitive. Le tas d'ordures a cela pour lui qu'il n'est pas menteur. La naïveté s'est réfugiée là. Le masque de Basile s'y trouve, mais on en voit le carton, et les ficelles, et le dedans comme le dehors, et il est accentué d'une boue honnête. Le faux nez de Scapin l'avoisine. Toutes les malpropretés de la civilisation, une fois hors de service, tombent dans cette fosse de vérité où aboutit l'immense glissement social. Elles s'y engloutissent, mais elles s'y étalent. Ce pêle-mêle est une confession. Là, plus de fausse apparence, aucun plâtrage possible, l'ordure ôte sa chemise, dénudation absolue, déroute des illusions et des mirages, plus rien que ce qui est, faisant la sinistre figure de ce qui finit. Réalité et disparition. Là, un cul de bouteille avoue l'ivrognerie, une anse de panier raconte la domesticité; là, le trognon de pomme qui a eu des opinions littéraires redevient le trognon de pomme; l'effigie du gros sou se vert-de-grise franchement, le crachat de Caïphe rencontre le vomissement de Falstaff, le louis d'or qui sort du tripot heurte le clou où pend le bout de corde du suicide, un foetus livide roule enveloppé dans des paillettes qui ont dansé le mardi gras dernier à l'Opéra, une toque qui a jugé les hommes se vautre près d'une pourriture qui a été la jupe de Margoton; c'est plus que de la fraternité, c'est du tutoiement. Tout ce qui se fardait se barbouille. Le dernier voile est arraché. Un égout est un cynique. Il dit tout. | ||
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+ | Cette sincérité de l'immondice nous plaît, et repose l'âme. Quand on a passé son temps à subir sur la terre le spectacle des grands airs que prennent la raison d'état, le serment, la sagesse politique, la justice humaine, les probités professionnelles, les austérités de situation, les robes incorruptibles, cela soulage d'entrer dans un égout et de voir de la fange qui en convient. | ||
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+ | Cela enseigne en même temps. Nous l'avons dit tout à l'heure, l'histoire passe par l'égout. Les Saint-Barthélemy y filtrent goutte à goutte entre les pavés. Les grands assassinats publics, les boucheries politiques et religieuses, traversent ce souterrain de la civilisation et y poussent leurs cadavres. Pour l'œil du songeur, tous les meurtriers historiques sont là, dans la pénombre hideuse, à genoux, avec un pan de leur suaire pour tablier, épongeant lugubrement leur besogne. Louis XI y est avec Tristan, François Ier y est avec Duprat, Charles IX y est avec sa mère, Richelieu y est avec Louis XIII, Louvois y est, Letellier y est, Hébert et Maillard y sont, grattant les pierres et tâchant de faire disparaître la trace de leurs actions. On entend sous ces voûtes le balai de ces spectres. On y respire la fétidité énorme des catastrophes sociales. On voit dans des coins des miroitements rougeâtres. Il coule là une eau terrible où se sont lavées des mains sanglantes. | ||
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+ | L'observateur social doit entrer dans ces ombres. Elles font partie de son laboratoire. La philosophie est le microscope de la pensée. Tout veut la fuir, mais rien ne lui échappe. Tergiverser est inutile. Quel côté de soi montre-t-on en tergiversant? le côté honte. La philosophie poursuit de son regard probe le mal, et ne lui permet pas de s'évader dans le néant. Dans l'effacement des choses qui disparaissent, dans le rapetissement des choses qui s'évanouissent, elle reconnaît tout. Elle reconstruit la pourpre d'après le haillon et la femme d'après le chiffon. Avec le cloaque elle refait la ville; avec la boue elle refait les mœurs. Du tesson elle conclut l'amphore, ou la cruche. Elle reconnaît à une empreinte d'ongle sur un parchemin la différence qui sépare la juiverie de la Judengasse de la juiverie du Ghetto. Elle retrouve dans ce qui reste ce qui a été, le bien, le mal, le faux, le vrai, la tache de sang du palais, le pâté d'encre de la caverne, la goutte de suif du lupanar, les épreuves subies, les tentations bien venues, les orgies vomies, le pli qu'ont fait les caractères en s'abaissant, la trace de la prostitution dans les âmes que leur grossièreté en faisait capables, et sur la veste des portefaix de Rome la marque du coup de coude de Messaline. | ||
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+ | ==English text== | ||
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+ | Let the reader imagine Paris lifted off like a cover, the subterranean net-work of sewers, from a bird's eye view, will outline on the banks a species of large branch grafted on the river. On the right bank, the belt sewer will form the trunk of this branch, the secondary ducts will form the branches, and those without exit the twigs. | ||
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+ | This figure is but a summary one and half exact, the right angle, which is the customary angle of this species of subterranean ramifications, being very rare in vegetation. | ||
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+ | A more accurate image of this strange geometrical plan can be formed by supposing that one is viewing some eccentric oriental alphabet, as intricate as a thicket, against a background of shadows, and the misshapen letters should be welded one to another in apparent confusion, and as at haphazard, now by their angles, again by their extremities. | ||
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+ | Sinks and sewers played a great part in the Middle Ages, in the Lower Empire and in the Orient of old. The masses regarded these beds of decomposition, these monstrous cradles of death, with a fear that was almost religious. The vermin ditch of Benares is no less conducive to giddiness than the lions' ditch of Babylon. Teglath-Phalasar, according to the rabbinical books, swore by the sink of Nineveh. It was from the sewer of Munster that John of Leyden produced his false moon, and it was from the cess-pool of Kekscheb that oriental menalchme, Mokanna, the veiled prophet of Khorassan, caused his false sun to emerge. | ||
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+ | The history of men is reflected in the history of sewers. The Germoniae narrated Rome. The sewer of Paris has been an ancient and formidable thing. It has been a sepulchre, it has served as an asylum. Crime, intelligence, social protest, liberty of conscience, thought, theft, all that human laws persecute or have persecuted, is hidden in that hole; the maillotins in the fourteenth century, the tire-laine of the fifteenth, the Huguenots in the sixteenth, Morin's illuminated in the seventeenth, the chauffeurs [brigands] in the eighteenth. A hundred years ago, the nocturnal blow of the dagger emerged thence, the pickpocket in danger slipped thither; the forest had its cave, Paris had its sewer. Vagrancy, that Gallic picareria, accepted the sewer as the adjunct of the Cour des Miracles, and at evening, it returned thither, fierce and sly, through the Maubuee outlet, as into a bed-chamber. | ||
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+ | It was quite natural, that those who had the blind-alley Vide-Gousset, [Empty-Pocket] or the Rue Coupe-Gorge [Cut-Throat], for the scene of their daily labor, should have for their domicile by night the culvert of the Chemin-Vert, or the catch basin of Hurepoix. Hence a throng of souvenirs. All sorts of phantoms haunt these long, solitary corridors; everywhere is putrescence and miasma; here and there are breathing-holes, where Villon within converses with Rabelais without. | ||
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+ | The sewer in ancient Paris is the rendezvous of all exhaustions and of all attempts. Political economy therein spies a detritus, social philosophy there beholds a residuum. | ||
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+ | The sewer is the conscience of the city. Everything there converges and confronts everything else. In that livid spot there are shades, but there are no longer any secrets. Each thing bears its true form, or at least, its definitive form. The mass of filth has this in its favor, that it is not a liar. Ingenuousness has taken refuge there. The mask of Basil is to be found there, but one beholds its cardboard and its strings and the inside as well as the outside, and it is accentuated by honest mud. Scapin's false nose is its next-door neighbor. All the uncleannesses of civilization, once past their use, fall into this trench of truth, where the immense social sliding ends. They are there engulfed, but they display themselves there. This mixture is a confession. There, no more false appearances, no plastering over is possible, filth removes its shirt, absolute denudation puts to the rout all illusions and mirages, there is nothing more except what really exists, presenting the sinister form of that which is coming to an end. There, the bottom of a bottle indicates drunkenness, a basket-handle tells a tale of domesticity; there the core of an apple which has entertained literary opinions becomes an apple-core once more; the effigy on the big sou becomes frankly covered with verdigris, Caiphas' spittle meets Falstaff's puking, the louis-d'or which comes from the gaming-house jostles the nail whence hangs the rope's end of the suicide. A livid foetus rolls along, enveloped in the spangles which danced at the Opera last Shrove-Tuesday, a cap which has pronounced judgment on men wallows beside a mass of rottenness which was formerly Margoton's petticoat; it is more than fraternization, it is equivalent to addressing each other as thou. All which was formerly rouged, is washed free. The last veil is torn away. A sewer is a cynic. It tells everything. | ||
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+ | The sincerity of foulness pleases us, and rests the soul. When one has passed one's time in enduring upon earth the spectacle of the great airs which reasons of state, the oath, political sagacity, human justice, professional probity, the austerities of situation, incorruptible robes all assume, it solaces one to enter a sewer and to behold the mire which befits it. | ||
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+ | This is instructive at the same time. We have just said that history passes through the sewer. The Saint-Barthelemys filter through there, drop by drop, between the paving-stones. Great public assassinations, political and religious butcheries, traverse this underground passage of civilization, and thrust their corpses there. For the eye of the thinker, all historic murderers are to be found there, in that hideous penumbra, on their knees, with a scrap of their winding-sheet for an apron, dismally sponging out their work. Louis XI. is there with Tristan, Francois I. with Duprat, Charles IX. is there with his mother, Richelieu is there with Louis XIII., Louvois is there, Letellier is there, Hebert and Maillard are there, scratching the stones, and trying to make the traces of their actions disappear. Beneath these vaults one hears the brooms of spectres. One there breathes the enormous fetidness of social catastrophes. One beholds reddish reflections in the corners. There flows a terrible stream, in which bloody hands have been washed. | ||
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+ | The social observer should enter these shadows. They form a part of his laboratory. Philosophy is the microscope of the thought. Everything desires to flee from it, but nothing escapes it. Tergiversation is useless. What side of oneself does one display in evasions? the shameful side. Philosophy pursues with its glance, probes the evil, and does not permit it to escape into nothingness. In the obliteration of things which disappear, in the watching of things which vanish, it recognizes all. It reconstructs the purple from the rag, and the woman from the scrap of her dress. From the cess-pool, it re-constitutes the city; from mud, it reconstructs manners; from the potsherd it infers the amphora or the jug. By the imprint of a finger-nail on a piece of parchment, it recognizes the difference which separates the Jewry of the Judengasse from the Jewry of the Ghetto. It re-discovers in what remains that which has been, good, evil, the true, the blood-stain of the palace, the ink-blot of the cavern, the drop of sweat from the brothel, trials undergone, temptations welcomed, orgies cast forth, the turn which characters have taken as they became abased, the trace of prostitution in souls of which their grossness rendered them capable, and on the vesture of the porters of Rome the mark of Messalina's elbowing. | ||
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+ | ==Translation notes== | ||
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+ | ==Textual notes== | ||
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+ | ===Germoniae=== | ||
+ | Steps on the Aventine Hill, leading to the Tiber, to which the bodies of executed criminals were dragged by hooks to be thrown into the Tiber. <ref name="hapgood">Hugo, Victor. ''Les Misérables. Complete in Five Volumes.'' Trans. Isabel F Hapgood. Project Gutenberg eBook, 2008.</ref> | ||
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+ | ==Citations== | ||
+ | <references /> |
Latest revision as of 04:36, 2 March 2016
Les Misérables, Volume 5: Jean Valjean, Book Second: The Intestine of the Leviathan, Chapter 2: Ancient History of the Sewer
(Tome 5: Jean Valjean, Livre deuxième: L'intestin de Léviathan, Chapitre 2: L'histoire ancienne de l'égout)
Contents
General notes on this chapter[edit]
French text[edit]
Qu'on s'imagine Paris ôté comme un couvercle, le réseau souterrain des égouts, vu à vol d'oiseau, dessinera sur les deux rives une espèce de grosse branche greffée au fleuve. Sur la rive droite l'égout de ceinture sera le tronc de cette branche, les conduits secondaires seront les rameaux et les impasses seront les ramuscules.
Cette figure n'est que sommaire et à demi exacte, l'angle droit, qui est l'angle habituel de ce genre de ramifications souterraines, étant très rare dans la végétation.
On se fera une image plus ressemblante de cet étrange plan géométral en supposant qu'on voie à plat sur un fond de ténèbres quelque bizarre alphabet d'orient brouillé comme un fouillis, et dont les lettres difformes seraient soudées les unes aux autres, dans un pêle-mêle apparent et comme au hasard, tantôt par leurs angles, tantôt par leurs extrémités.
Les sentines et les égouts jouaient un grand rôle au Moyen-Âge, au Bas-Empire et dans ce vieil Orient. La peste y naissait, les despotes y mouraient. Les multitudes regardaient presque avec une crainte religieuse ces lits de pourriture, monstrueux berceaux de la Mort. La fosse aux vermines de Bénarès n'est pas moins vertigineuse que la fosse aux lions de Babylone. Téglath-Phalasar, au dire des livres rabbiniques, jurait par la sentine de Ninive, C'est de l'égout de Munster que Jean de Leyde faisait sortir sa fausse lune, et c'est du puits-cloaque de Kekhscheb que son ménechme oriental, Mokannâ, le prophète voilé du Khorassan, faisait sortir son faux soleil.
L'histoire des hommes se reflète dans l'histoire des cloaques. Les gémonies racontaient Rome. L'égout de Paris a été une vieille chose formidable. Il a été sépulcre, il a été asile. Le crime, l'intelligence, la protestation sociale, la liberté de conscience, la pensée, le vol, tout ce que les lois humaines poursuivent ou ont poursuivi, s'est caché dans ce trou; les maillotins au quatorzième siècle, les tire-laine au quinzième, les huguenots au seizième, les illuminés de Morin au dix-septième, les chauffeurs au dix-huitième. Il y a cent ans, le coup de poignard nocturne en sortait, le filou en danger y glissait; le bois avait la caverne, Paris avait l'égout. La truanderie, cette picareria gauloise, acceptait l'égout comme succursale de la Cour des Miracles, et le soir, narquoise et féroce, rentrait sous le vomitoire Maubuée comme dans une alcôve.
Il était tout simple que ceux qui avaient pour lieu de travail quotidien le cul-de-sac Vide-Gousset ou la rue Coupe-Gorge eussent pour domicile nocturne le ponceau du Chemin-Vert ou le cagnard Hurepoix. De là un fourmillement de souvenirs. Toutes sortes de fantômes hantent ces longs corridors solitaires; partout la putridité et le miasme; çà et là un soupirail où Villon dedans cause avec Rabelais dehors.
L'égout, dans l'ancien Paris, est le rendez-vous de tous les épuisements et de tous les essais. L'économie politique y voit un détritus, la philosophie sociale y voit un résidu.
L'égout, c'est la conscience de la ville. Tout y converge, et s'y confronte. Dans ce lieu livide, il y a des ténèbres, mais il n'y a plus de secrets. Chaque chose a sa forme vraie, ou du moins sa forme définitive. Le tas d'ordures a cela pour lui qu'il n'est pas menteur. La naïveté s'est réfugiée là. Le masque de Basile s'y trouve, mais on en voit le carton, et les ficelles, et le dedans comme le dehors, et il est accentué d'une boue honnête. Le faux nez de Scapin l'avoisine. Toutes les malpropretés de la civilisation, une fois hors de service, tombent dans cette fosse de vérité où aboutit l'immense glissement social. Elles s'y engloutissent, mais elles s'y étalent. Ce pêle-mêle est une confession. Là, plus de fausse apparence, aucun plâtrage possible, l'ordure ôte sa chemise, dénudation absolue, déroute des illusions et des mirages, plus rien que ce qui est, faisant la sinistre figure de ce qui finit. Réalité et disparition. Là, un cul de bouteille avoue l'ivrognerie, une anse de panier raconte la domesticité; là, le trognon de pomme qui a eu des opinions littéraires redevient le trognon de pomme; l'effigie du gros sou se vert-de-grise franchement, le crachat de Caïphe rencontre le vomissement de Falstaff, le louis d'or qui sort du tripot heurte le clou où pend le bout de corde du suicide, un foetus livide roule enveloppé dans des paillettes qui ont dansé le mardi gras dernier à l'Opéra, une toque qui a jugé les hommes se vautre près d'une pourriture qui a été la jupe de Margoton; c'est plus que de la fraternité, c'est du tutoiement. Tout ce qui se fardait se barbouille. Le dernier voile est arraché. Un égout est un cynique. Il dit tout.
Cette sincérité de l'immondice nous plaît, et repose l'âme. Quand on a passé son temps à subir sur la terre le spectacle des grands airs que prennent la raison d'état, le serment, la sagesse politique, la justice humaine, les probités professionnelles, les austérités de situation, les robes incorruptibles, cela soulage d'entrer dans un égout et de voir de la fange qui en convient.
Cela enseigne en même temps. Nous l'avons dit tout à l'heure, l'histoire passe par l'égout. Les Saint-Barthélemy y filtrent goutte à goutte entre les pavés. Les grands assassinats publics, les boucheries politiques et religieuses, traversent ce souterrain de la civilisation et y poussent leurs cadavres. Pour l'œil du songeur, tous les meurtriers historiques sont là, dans la pénombre hideuse, à genoux, avec un pan de leur suaire pour tablier, épongeant lugubrement leur besogne. Louis XI y est avec Tristan, François Ier y est avec Duprat, Charles IX y est avec sa mère, Richelieu y est avec Louis XIII, Louvois y est, Letellier y est, Hébert et Maillard y sont, grattant les pierres et tâchant de faire disparaître la trace de leurs actions. On entend sous ces voûtes le balai de ces spectres. On y respire la fétidité énorme des catastrophes sociales. On voit dans des coins des miroitements rougeâtres. Il coule là une eau terrible où se sont lavées des mains sanglantes.
L'observateur social doit entrer dans ces ombres. Elles font partie de son laboratoire. La philosophie est le microscope de la pensée. Tout veut la fuir, mais rien ne lui échappe. Tergiverser est inutile. Quel côté de soi montre-t-on en tergiversant? le côté honte. La philosophie poursuit de son regard probe le mal, et ne lui permet pas de s'évader dans le néant. Dans l'effacement des choses qui disparaissent, dans le rapetissement des choses qui s'évanouissent, elle reconnaît tout. Elle reconstruit la pourpre d'après le haillon et la femme d'après le chiffon. Avec le cloaque elle refait la ville; avec la boue elle refait les mœurs. Du tesson elle conclut l'amphore, ou la cruche. Elle reconnaît à une empreinte d'ongle sur un parchemin la différence qui sépare la juiverie de la Judengasse de la juiverie du Ghetto. Elle retrouve dans ce qui reste ce qui a été, le bien, le mal, le faux, le vrai, la tache de sang du palais, le pâté d'encre de la caverne, la goutte de suif du lupanar, les épreuves subies, les tentations bien venues, les orgies vomies, le pli qu'ont fait les caractères en s'abaissant, la trace de la prostitution dans les âmes que leur grossièreté en faisait capables, et sur la veste des portefaix de Rome la marque du coup de coude de Messaline.
English text[edit]
Let the reader imagine Paris lifted off like a cover, the subterranean net-work of sewers, from a bird's eye view, will outline on the banks a species of large branch grafted on the river. On the right bank, the belt sewer will form the trunk of this branch, the secondary ducts will form the branches, and those without exit the twigs.
This figure is but a summary one and half exact, the right angle, which is the customary angle of this species of subterranean ramifications, being very rare in vegetation.
A more accurate image of this strange geometrical plan can be formed by supposing that one is viewing some eccentric oriental alphabet, as intricate as a thicket, against a background of shadows, and the misshapen letters should be welded one to another in apparent confusion, and as at haphazard, now by their angles, again by their extremities.
Sinks and sewers played a great part in the Middle Ages, in the Lower Empire and in the Orient of old. The masses regarded these beds of decomposition, these monstrous cradles of death, with a fear that was almost religious. The vermin ditch of Benares is no less conducive to giddiness than the lions' ditch of Babylon. Teglath-Phalasar, according to the rabbinical books, swore by the sink of Nineveh. It was from the sewer of Munster that John of Leyden produced his false moon, and it was from the cess-pool of Kekscheb that oriental menalchme, Mokanna, the veiled prophet of Khorassan, caused his false sun to emerge.
The history of men is reflected in the history of sewers. The Germoniae narrated Rome. The sewer of Paris has been an ancient and formidable thing. It has been a sepulchre, it has served as an asylum. Crime, intelligence, social protest, liberty of conscience, thought, theft, all that human laws persecute or have persecuted, is hidden in that hole; the maillotins in the fourteenth century, the tire-laine of the fifteenth, the Huguenots in the sixteenth, Morin's illuminated in the seventeenth, the chauffeurs [brigands] in the eighteenth. A hundred years ago, the nocturnal blow of the dagger emerged thence, the pickpocket in danger slipped thither; the forest had its cave, Paris had its sewer. Vagrancy, that Gallic picareria, accepted the sewer as the adjunct of the Cour des Miracles, and at evening, it returned thither, fierce and sly, through the Maubuee outlet, as into a bed-chamber.
It was quite natural, that those who had the blind-alley Vide-Gousset, [Empty-Pocket] or the Rue Coupe-Gorge [Cut-Throat], for the scene of their daily labor, should have for their domicile by night the culvert of the Chemin-Vert, or the catch basin of Hurepoix. Hence a throng of souvenirs. All sorts of phantoms haunt these long, solitary corridors; everywhere is putrescence and miasma; here and there are breathing-holes, where Villon within converses with Rabelais without.
The sewer in ancient Paris is the rendezvous of all exhaustions and of all attempts. Political economy therein spies a detritus, social philosophy there beholds a residuum.
The sewer is the conscience of the city. Everything there converges and confronts everything else. In that livid spot there are shades, but there are no longer any secrets. Each thing bears its true form, or at least, its definitive form. The mass of filth has this in its favor, that it is not a liar. Ingenuousness has taken refuge there. The mask of Basil is to be found there, but one beholds its cardboard and its strings and the inside as well as the outside, and it is accentuated by honest mud. Scapin's false nose is its next-door neighbor. All the uncleannesses of civilization, once past their use, fall into this trench of truth, where the immense social sliding ends. They are there engulfed, but they display themselves there. This mixture is a confession. There, no more false appearances, no plastering over is possible, filth removes its shirt, absolute denudation puts to the rout all illusions and mirages, there is nothing more except what really exists, presenting the sinister form of that which is coming to an end. There, the bottom of a bottle indicates drunkenness, a basket-handle tells a tale of domesticity; there the core of an apple which has entertained literary opinions becomes an apple-core once more; the effigy on the big sou becomes frankly covered with verdigris, Caiphas' spittle meets Falstaff's puking, the louis-d'or which comes from the gaming-house jostles the nail whence hangs the rope's end of the suicide. A livid foetus rolls along, enveloped in the spangles which danced at the Opera last Shrove-Tuesday, a cap which has pronounced judgment on men wallows beside a mass of rottenness which was formerly Margoton's petticoat; it is more than fraternization, it is equivalent to addressing each other as thou. All which was formerly rouged, is washed free. The last veil is torn away. A sewer is a cynic. It tells everything.
The sincerity of foulness pleases us, and rests the soul. When one has passed one's time in enduring upon earth the spectacle of the great airs which reasons of state, the oath, political sagacity, human justice, professional probity, the austerities of situation, incorruptible robes all assume, it solaces one to enter a sewer and to behold the mire which befits it.
This is instructive at the same time. We have just said that history passes through the sewer. The Saint-Barthelemys filter through there, drop by drop, between the paving-stones. Great public assassinations, political and religious butcheries, traverse this underground passage of civilization, and thrust their corpses there. For the eye of the thinker, all historic murderers are to be found there, in that hideous penumbra, on their knees, with a scrap of their winding-sheet for an apron, dismally sponging out their work. Louis XI. is there with Tristan, Francois I. with Duprat, Charles IX. is there with his mother, Richelieu is there with Louis XIII., Louvois is there, Letellier is there, Hebert and Maillard are there, scratching the stones, and trying to make the traces of their actions disappear. Beneath these vaults one hears the brooms of spectres. One there breathes the enormous fetidness of social catastrophes. One beholds reddish reflections in the corners. There flows a terrible stream, in which bloody hands have been washed.
The social observer should enter these shadows. They form a part of his laboratory. Philosophy is the microscope of the thought. Everything desires to flee from it, but nothing escapes it. Tergiversation is useless. What side of oneself does one display in evasions? the shameful side. Philosophy pursues with its glance, probes the evil, and does not permit it to escape into nothingness. In the obliteration of things which disappear, in the watching of things which vanish, it recognizes all. It reconstructs the purple from the rag, and the woman from the scrap of her dress. From the cess-pool, it re-constitutes the city; from mud, it reconstructs manners; from the potsherd it infers the amphora or the jug. By the imprint of a finger-nail on a piece of parchment, it recognizes the difference which separates the Jewry of the Judengasse from the Jewry of the Ghetto. It re-discovers in what remains that which has been, good, evil, the true, the blood-stain of the palace, the ink-blot of the cavern, the drop of sweat from the brothel, trials undergone, temptations welcomed, orgies cast forth, the turn which characters have taken as they became abased, the trace of prostitution in souls of which their grossness rendered them capable, and on the vesture of the porters of Rome the mark of Messalina's elbowing.
Translation notes[edit]
Textual notes[edit]
Germoniae[edit]
Steps on the Aventine Hill, leading to the Tiber, to which the bodies of executed criminals were dragged by hooks to be thrown into the Tiber. [1]
Citations[edit]
- ↑ Hugo, Victor. Les Misérables. Complete in Five Volumes. Trans. Isabel F Hapgood. Project Gutenberg eBook, 2008.