Volume 4/Book 7/Chapter 3

From Les Misérables Annotation Project
< Volume 4/Book 7
Revision as of 10:36, 4 March 2014 by Human-ithink (talk | contribs)
(diff) ← Older revision | Latest revision (diff) | Newer revision → (diff)
Jump to: navigation, search

Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Seventh: Slang, Chapter 3: Slang which weeps and Slang which laughs
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre septième: L'argot, Chapitre 3: Argot qui pleure et argot qui rit)

General notes on this chapter

French text

Comme on le voit, l'argot tout entier, l'argot d'il y a quatre cents ans comme l'argot d'aujourd'hui, est pénétré de ce sombre esprit symbolique qui donne à tous les mots tantôt une allure dolente, tantôt un air menaçant. On y sent la vieille tristesse farouche de ces truands de la Cour des Miracles qui jouaient aux cartes avec des jeux à eux, dont quelques-uns nous ont été conservés. Le huit de trèfle, par exemple, représentait un grand arbre portant huit énormes feuilles de trèfle, sorte de personnification fantastique de la forêt. Au pied de cet arbre on voyait un feu allumé où trois lièvres faisaient rôtir un chasseur à la broche, et derrière, sur un autre feu, une marmite fumante d'où sortait la tête du chien. Rien de plus lugubre que ces représailles en peinture, sur un jeu de cartes, en présence des bûchers à rôtir les contrebandiers et de la chaudière à bouillir les faux monnayeurs. Les diverses formes que prenait la pensée dans le royaume d'argot, même la chanson, même la raillerie, même la menace, avaient toutes ce caractère impuissant et accablé. Tous les chants, dont quelques mélodies ont été recueillies, étaient humbles et lamentables à pleurer. Le pègre s'appelle le pauvre pègre, et il est toujours le lièvre qui se cache, la souris qui se sauve, l'oiseau qui s'enfuit. À peine réclame-t-il, il se borne à soupirer; un de ses gémissements est venu jusqu'à nous:—Je n'entrave que le dail comment meck, le daron des orgues, peut atiger ses mômes et ses momignards et les locher criblant sans être atigé lui-même.—Le misérable, toutes les fois qu'il a le temps de penser, se fait petit devant la loi et chétif devant la société; il se couche à plat ventre, il supplie, il se tourne du côté de la pitié; on sent qu'il se sait dans son tort.


Vers le milieu du dernier siècle, un changement se fit. Les chants de prisons, les ritournelles de voleurs prirent, pour ainsi parler, un geste insolent et jovial. Le plaintif maluré fut remplacé par larifla. On retrouve au dix-huitième siècle, dans presque toutes les chansons des galères, des bagnes et des chiourmes, une gaîté diabolique et énigmatique. On y entend ce refrain strident et sautant qu'on dirait éclairé d'une lueur phosphorescente et qui semble jeté dans la forêt par un feu follet jouant du fifre:


Mirlababi, surlababo,
Mirliton ribon ribette,
Surlababi, mirlababo,
Mirliton ribon ribo.


Cela se chantait en égorgeant un homme dans une cave ou au coin d'un bois.


Symptôme sérieux. Au dix-huitième siècle l'antique mélancolie de ces classes mornes se dissipe. Elles se mettent à rire. Elles raillent le grand meg et le grand dab. Louis XV étant donné, elles appellent le roi de France «le marquis de Pantin». Les voilà presque gaies. Une sorte de lumière légère sort de ces misérables comme si la conscience ne leur pesait plus. Ces lamentables tribus de l'ombre n'ont plus seulement l'audace désespérée des actions, elles ont l'audace insouciante de l'esprit. Indice qu'elles perdent le sentiment de leur criminalité, et qu'elles se sentent jusque parmi les penseurs et les songeurs je ne sais quels appuis qui s'ignorent eux-mêmes. Indice que le vol et le pillage commencent à s'infiltrer jusque dans des doctrines et des sophismes, de manière à perdre un peu de leur laideur en en donnant beaucoup aux sophismes et aux doctrines. Indice enfin, si aucune diversion ne surgit, de quelque éclosion prodigieuse et prochaine.


Arrêtons-nous un moment. Qui accusons-nous ici? est-ce le dix-huitième siècle? est-ce sa philosophie? Non certes. L'œuvre du dix-huitième siècle est saine et bonne. Les encyclopédistes, Diderot en tête, les physiocrates, Turgot en tête, les philosophes, Voltaire en tête, les utopistes, Rousseau en tête, ce sont là quatre légions sacrées. L'immense avance de l'humanité vers la lumière leur est due. Ce sont les quatre avant-gardes du genre humain allant aux quatre points cardinaux du progrès, Diderot vers le beau, Turgot vers l'utile, Voltaire vers le vrai, Rousseau vers le juste. Mais, à côté et au-dessous des philosophes, il y avait les sophistes, végétation vénéneuse mêlée à la croissance salubre, ciguë dans la forêt vierge. Pendant que le bourreau brûlait sur le maître-escalier du palais de justice les grands livres libérateurs du siècle, des écrivains aujourd'hui oubliés publiaient, avec privilège du roi, on ne sait quels écrits étrangement désorganisateurs, avidement lus des misérables. Quelques-unes de ces publications, détail bizarre, patronnées par un prince, se retrouvent dans la Bibliothèque secrète. Ces faits, profonds mais ignorés, étaient inaperçus à la surface. Parfois c'est l'obscurité même d'un fait qui est son danger. Il est obscur parce qu'il est souterrain. De tous ces écrivains, celui peut-être qui creusa alors dans les masses la galerie la plus malsaine, c'est Restif de la Bretonne.


Ce travail, propre à toute l'Europe, fit plus de ravage en Allemagne que partout ailleurs. En Allemagne, pendant une certaine période, résumée par Schiller dans son drame fameux des Brigands, le vol et le pillage s'érigeaient en protestation contre la propriété et le travail, s'assimilaient de certaines idées élémentaires, spécieuses et fausses, justes en apparence, absurdes en réalité, s'enveloppaient de ces idées, y disparaissaient en quelque sorte, prenaient un nom abstrait et passaient à l'état de théorie, et de cette façon circulaient dans les foules laborieuses, souffrantes et honnêtes, à l'insu même des chimistes imprudents qui avaient préparé la mixture, à l'insu même des masses qui l'acceptaient. Toutes les fois qu'un fait de ce genre se produit, il est grave. La souffrance engendre la colère; et tandis que les classes prospères s'aveuglent, ou s'endorment, ce qui est toujours fermer les yeux, la haine des classes malheureuses allume sa torche à quelque esprit chagrin ou mal fait qui rêve dans un coin, et elle se met à examiner la société. L'examen de la haine, chose terrible!


De là, si le malheur des temps le veut, ces effrayantes commotions qu'on nommait jadis jacqueries, près desquelles les agitations purement politiques sont jeux d'enfants, qui ne sont plus la lutte de l'opprimé contre l'oppresseur, mais la révolte du malaise contre le bien-être. Tout s'écroule alors.


Les jacqueries sont des tremblements de peuple.


C'est à ce péril, imminent peut-être en Europe vers la fin du dix-huitième siècle, que vint couper court la Révolution française, cet immense acte de probité.


La Révolution française, qui n'est pas autre chose que l'idéal armé du glaive, se dressa, et, du même mouvement brusque, ferma la porte du mal et ouvrit la porte du bien.


Elle dégagea la question, promulgua la vérité, chassa le miasme, assainit le siècle, couronna le peuple.


On peut dire qu'elle a créé l'homme une deuxième fois, en lui donnant une seconde âme, le droit.


Le dix-neuvième siècle hérite et profite de son œuvre, et aujourd'hui la catastrophe sociale que nous indiquions tout à l'heure est simplement impossible. Aveugle qui la dénonce! niais qui la redoute! la révolution est la vaccine de la jacquerie.


Grâce à la révolution, les conditions sociales sont changées. Les maladies féodales et monarchiques ne sont plus dans notre sang. Il n'y a plus de moyen âge dans notre constitution. Nous ne sommes plus aux temps où d'effroyables fourmillements intérieurs faisaient irruption, où l'on entendait sous ses pieds la course obscure d'un bruit sourd, où apparaissaient à la surface de la civilisation on ne sait quels soulèvements de galeries de taupes, où le sol se crevassait, où le dessus des cavernes s'ouvrait, et où l'on voyait tout à coup sortir de terre des têtes monstrueuses.


Le sens révolutionnaire est un sens moral. Le sentiment du droit, développé, développe le sentiment du devoir. La loi de tous, c'est la liberté, qui finit où commence la liberté d'autrui, selon l'admirable définition de Robespierre. Depuis 89, le peuple tout entier se dilate dans l'individu sublimé; il n'y a pas de pauvre qui, ayant son droit, n'ait son rayon; le meurt-de-faim sent en lui l'honnêteté de la France; la dignité du citoyen est une armure intérieure; qui est libre est scrupuleux; qui vote règne. De là l'incorruptibilité; de là l'avortement des convoitises malsaines; de là les yeux héroïquement baissés devant les tentations. L'assainissement révolutionnaire est tel qu'un jour de délivrance, un 14 juillet, un 10 août, il n'y a plus de populace. Le premier cri des foules illuminées et grandissantes c'est: mort aux voleurs! Le progrès est honnête homme; l'idéal et l'absolu ne font pas le mouchoir. Par qui furent escortés en 1848 les fourgons qui contenaient les richesses des Tuileries? par les chiffonniers du faubourg Saint-Antoine. Le haillon monta la garde devant le trésor. La vertu fit ces déguenillés resplendissants. Il y avait là, dans ces fourgons, dans des caisses à peine fermées quelques-unes même entr'ouvertes, parmi cent écrins éblouissants, cette vieille couronne de France toute en diamants, surmontée de l'escarboucle de la royauté, du régent, qui valait trente millions. Ils gardaient, pieds nus, cette couronne.


Donc plus de jacquerie. J'en suis fâché pour les habiles. C'est là de la vieille peur qui a fait son dernier effet et qui ne pourrait plus désormais être employée en politique. Le grand ressort du spectre rouge est cassé. Tout le monde le sait maintenant. L'épouvantail n'épouvante plus. Les oiseaux prennent des familiarités avec le mannequin, les stercoraires s'y posent, les bourgeois rient dessus.


English text

As the reader perceives, slang in its entirety, slang of four hundred years ago, like the slang of to-day, is permeated with that sombre, symbolical spirit which gives to all words a mien which is now mournful, now menacing. One feels in it the wild and ancient sadness of those vagrants of the Court of Miracles who played at cards with packs of their own, some of which have come down to us. The eight of clubs, for instance, represented a huge tree bearing eight enormous trefoil leaves, a sort of fantastic personification of the forest. At the foot of this tree a fire was burning, over which three hares were roasting a huntsman on a spit, and behind him, on another fire, hung a steaming pot, whence emerged the head of a dog. Nothing can be more melancholy than these reprisals in painting, by a pack of cards, in the presence of stakes for the roasting of smugglers and of the cauldron for the boiling of counterfeiters. The diverse forms assumed by thought in the realm of slang, even song, even raillery, even menace, all partook of this powerless and dejected character. All the songs, the melodies of some of which have been collected, were humble and lamentable to the point of evoking tears. The pegre is always the poor pegre, and he is always the hare in hiding, the fugitive mouse, the flying bird. He hardly complains, he contents himself with sighing; one of his moans has come down to us: "I do not understand how God, the father of men, can torture his children and his grandchildren and hear them cry, without himself suffering torture." The wretch, whenever he has time to think, makes himself small before the low, and frail in the presence of society; he lies down flat on his face, he entreats, he appeals to the side of compassion; we feel that he is conscious of his guilt.


Towards the middle of the last century a change took place, prison songs and thieves' ritournelles assumed, so to speak, an insolent and jovial mien. The plaintive malure was replaced by the larifla. We find in the eighteenth century, in nearly all the songs of the galleys and prisons, a diabolical and enigmatical gayety. We hear this strident and lilting refrain which we should say had been lighted up by a phosphorescent gleam, and which seems to have been flung into the forest by a will-o'-the-wisp playing the fife:—


                    Miralabi suslababo
                    Mirliton ribonribette
                    Surlababi mirlababo
                    Mirliton ribonribo.

This was sung in a cellar or in a nook of the forest while cutting a man's throat.


A serious symptom. In the eighteenth century, the ancient melancholy of the dejected classes vanishes. They began to laugh. They rally the grand meg and the grand dab. Given Louis XV. they call the King of France "le Marquis de Pantin." And behold, they are almost gay. A sort of gleam proceeds from these miserable wretches, as though their consciences were not heavy within them any more. These lamentable tribes of darkness have no longer merely the desperate audacity of actions, they possess the heedless audacity of mind. A sign that they are losing the sense of their criminality, and that they feel, even among thinkers and dreamers, some indefinable support which the latter themselves know not of. A sign that theft and pillage are beginning to filter into doctrines and sophisms, in such a way as to lose somewhat of their ugliness, while communicating much of it to sophisms and doctrines. A sign, in short, of some outbreak which is prodigious and near unless some diversion shall arise.


Let us pause a moment. Whom are we accusing here? Is it the eighteenth century? Is it philosophy? Certainly not. The work of the eighteenth century is healthy and good and wholesome. The encyclopedists, Diderot at their head; the physiocrates, Turgot at their head; the philosophers, Voltaire at their head; the Utopians, Rousseau at their head,—these are four sacred legions. Humanity's immense advance towards the light is due to them. They are the four vanguards of the human race, marching towards the four cardinal points of progress. Diderot towards the beautiful, Turgot towards the useful, Voltaire towards the true, Rousseau towards the just. But by the side of and above the philosophers, there were the sophists, a venomous vegetation mingled with a healthy growth, hemlock in the virgin forest. While the executioner was burning the great books of the liberators of the century on the grand staircase of the court-house, writers now forgotten were publishing, with the King's sanction, no one knows what strangely disorganizing writings, which were eagerly read by the unfortunate. Some of these publications, odd to say, which were patronized by a prince, are to be found in the Secret Library. These facts, significant but unknown, were imperceptible on the surface. Sometimes, in the very obscurity of a fact lurks its danger. It is obscure because it is underhand. Of all these writers, the one who probably then excavated in the masses the most unhealthy gallery was Restif de La Bretonne.


This work, peculiar to the whole of Europe, effected more ravages in Germany than anywhere else. In Germany, during a given period, summed up by Schiller in his famous drama The Robbers, theft and pillage rose up in protest against property and labor, assimilated certain specious and false elementary ideas, which, though just in appearance, were absurd in reality, enveloped themselves in these ideas, disappeared within them, after a fashion, assumed an abstract name, passed into the state of theory, and in that shape circulated among the laborious, suffering, and honest masses, unknown even to the imprudent chemists who had prepared the mixture, unknown even to the masses who accepted it. Whenever a fact of this sort presents itself, the case is grave. Suffering engenders wrath; and while the prosperous classes blind themselves or fall asleep, which is the same thing as shutting one's eyes, the hatred of the unfortunate classes lights its torch at some aggrieved or ill-made spirit which dreams in a corner, and sets itself to the scrutiny of society. The scrutiny of hatred is a terrible thing.


Hence, if the ill-fortune of the times so wills it, those fearful commotions which were formerly called jacqueries, beside which purely political agitations are the merest child's play, which are no longer the conflict of the oppressed and the oppressor, but the revolt of discomfort against comfort. Then everything crumbles.


Jacqueries are earthquakes of the people.


It is this peril, possibly imminent towards the close of the eighteenth century, which the French Revolution, that immense act of probity, cut short.


The French Revolution, which is nothing else than the idea armed with the sword, rose erect, and, with the same abrupt movement, closed the door of ill and opened the door of good.


It put a stop to torture, promulgated the truth, expelled miasma, rendered the century healthy, crowned the populace.


It may be said of it that it created man a second time, by giving him a second soul, the right.


The nineteenth century has inherited and profited by its work, and to-day, the social catastrophe to which we lately alluded is simply impossible. Blind is he who announces it! Foolish is he who fears it! Revolution is the vaccine of Jacquerie.


Thanks to the Revolution, social conditions have changed. Feudal and monarchical maladies no longer run in our blood. There is no more of the Middle Ages in our constitution. We no longer live in the days when terrible swarms within made irruptions, when one heard beneath his feet the obscure course of a dull rumble, when indescribable elevations from mole-like tunnels appeared on the surface of civilization, where the soil cracked open, where the roofs of caverns yawned, and where one suddenly beheld monstrous heads emerging from the earth.


The revolutionary sense is a moral sense. The sentiment of right, once developed, develops the sentiment of duty. The law of all is liberty, which ends where the liberty of others begins, according to Robespierre's admirable definition. Since '89, the whole people has been dilating into a sublime individual; there is not a poor man, who, possessing his right, has not his ray of sun; the die-of-hunger feels within him the honesty of France; the dignity of the citizen is an internal armor; he who is free is scrupulous; he who votes reigns. Hence incorruptibility; hence the miscarriage of unhealthy lusts; hence eyes heroically lowered before temptations. The revolutionary wholesomeness is such, that on a day of deliverance, a 14th of July, a 10th of August, there is no longer any populace. The first cry of the enlightened and increasing throngs is: death to thieves! Progress is an honest man; the ideal and the absolute do not filch pocket-handkerchiefs. By whom were the wagons containing the wealth of the Tuileries escorted in 1848? By the rag-pickers of the Faubourg Saint-Antoine. Rags mounted guard over the treasure. Virtue rendered these tatterdemalions resplendent. In those wagons in chests, hardly closed, and some, even, half-open, amid a hundred dazzling caskets, was that ancient crown of France, studded with diamonds, surmounted by the carbuncle of royalty, by the Regent diamond, which was worth thirty millions. Barefooted, they guarded that crown.


Hence, no more Jacquerie. I regret it for the sake of the skilful. The old fear has produced its last effects in that quarter; and henceforth it can no longer be employed in politics. The principal spring of the red spectre is broken. Every one knows it now. The scare-crow scares no longer. The birds take liberties with the mannikin, foul creatures alight upon it, the bourgeois laugh at it.


Translation notes

Textual notes

Citations