Volume 3/Book 8/Chapter 6

From Les Misérables Annotation Project
< Volume 3/Book 8
Revision as of 19:03, 3 March 2014 by Historymaker (talk | contribs) (Created page with "Les Misérables, Volume 3: Marius, Book Eighth: The Wicked Poor Man, Chapter 6: The Wild Man in his Lair<br /> (Tome 3: Marius, Livre huitième: Le mauvais pauvre...")
(diff) ← Older revision | Latest revision (diff) | Newer revision → (diff)
Jump to: navigation, search

Les Misérables, Volume 3: Marius, Book Eighth: The Wicked Poor Man, Chapter 6: The Wild Man in his Lair
(Tome 3: Marius, Livre huitième: Le mauvais pauvre, Chapitre 6: L'homme fauve au gîte)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Les villes, comme les forêts, ont leurs antres où se cachent tout ce qu'elles ont de plus méchant et de plus redoutable. Seulement, dans les villes, ce qui se cache ainsi est féroce, immonde et petit, c'est-à-dire laid; dans les forêts, ce qui se cache est féroce, sauvage et grand, c'est-à-dire beau. Repaires pour repaires, ceux des bêtes sont préférables à ceux des hommes. Les cavernes valent mieux que les bouges.


Ce que Marius voyait était un bouge.


Marius était pauvre et sa chambre était indigente; mais, de même que sa pauvreté était noble, son grenier était propre. Le taudis où son regard plongeait en ce moment était abject, sale, fétide, infect, ténébreux, sordide. Pour tous meubles, une chaise de paille, une table infirme, quelques vieux tessons, et dans deux coins deux grabats indescriptibles; pour toute clarté, une fenêtre-mansarde à quatre carreaux, drapée de toiles d'araignée. Il venait par cette lucarne juste assez de jour pour qu'une face d'homme parût une face de fantôme. Les murs avaient un aspect lépreux, et étaient couverts de coutures et de cicatrices comme un visage défiguré par quelque horrible maladie. Une humidité chassieuse y suintait. On y distinguait des dessins obscènes grossièrement charbonnés.


La chambre que Marius occupait avait un pavage de briques délabré; celle-ci n'était ni carrelée, ni planchéiée; on y marchait à cru sur l'antique plâtre de la masure devenu noir sous les pieds. Sur ce sol inégal, où la poussière était comme incrustée, et qui n'avait qu'une virginité, celle du balai, se groupaient capricieusement des constellations de vieux chaussons, de savates et de chiffons affreux; du reste cette chambre avait une cheminée; aussi la louait-on quarante francs par an. Il y avait de tout dans cette cheminée, un réchaud, une marmite, des planches cassées, des loques pendues à des clous, une cage d'oiseau, de la cendre, et même un peu de feu. Deux tisons y fumaient tristement.


Une chose qui ajoutait encore à l'horreur de ce galetas, c'est que c'était grand. Cela avait des saillies, des angles, des trous noirs, des dessous de toits, des baies et des promontoires. De là d'affreux coins insondables où il semblait que devaient se blottir des araignées grosses comme le poing, des cloportes larges comme le pied, et peut-être même on ne sait quels êtres humains monstrueux.


L'un des grabats était près de la porte, l'autre près de la fenêtre. Tous deux touchaient par une extrémité à la cheminée et faisaient face à Marius.


Dans un angle voisin de l'ouverture par où Marius regardait, était accrochée au mur dans un cadre de bois noir une gravure coloriée au bas de laquelle était écrit en grosses lettres: LE SONGE. Cela représentait une femme endormie et un enfant endormi, l'enfant sur les genoux de la femme, un aigle dans un nuage avec une couronne dans le bas, et la femme écartant la couronne de la tête de l'enfant, sans se réveiller d'ailleurs; au fond Napoléon dans une gloire s'appuyait sur une colonne gros bleu à chapiteau jaune ornée de cette inscription:


MARINGO. AUSTERLITS. IÉNA. WAGRAMME. ELOT.


Au-dessus de ce cadre, une espèce de panneau de bois plus long que large était posé à terre et appuyé en plan incliné contre le mur. Cela avait l'air d'un tableau retourné, d'un châssis probablement barbouillé de l'autre côté, de quelque trumeau détaché d'une muraille et oublié là en attendant qu'on le raccroche.


Près de la table, sur laquelle Marius apercevait une plume, de l'encre et du papier, était assis un homme d'environ soixante ans, petit, maigre, livide, hagard, l'air fin, cruel et inquiet; un gredin hideux.


Lavater, s'il eût considéré ce visage, y eût trouvé le vautour mêlé au procureur; l'oiseau de proie et l'homme de chicane s'enlaidissant et se complétant l'un par l'autre, l'homme de chicane faisant l'oiseau de proie ignoble, l'oiseau de proie faisant l'homme de chicane horrible.


Cet homme avait une longue barbe grise. Il était vêtu d'une chemise de femme qui laissait voir sa poitrine velue et ses bras nus hérissés de poils gris. Sous cette chemise, on voyait passer un pantalon boueux et des bottes dont sortaient les doigts de ses pieds.


Il avait une pipe à la bouche et il fumait. Il n'y avait plus de pain dans le taudis, mais il y avait encore du tabac.


Il écrivait, probablement quelque lettre comme celles que Marius avait lues.


Sur le coin de la table on apercevait un vieux volume rougeâtre dépareillé, et le format, qui était l'ancien in-12 des cabinets de lecture, révélait un roman. Sur la couverture, s'étalait ce titre imprimé en grosses majuscules: DIEU, LE ROI, L'HONNEUR ET LES DAMES, PAR DUCRAY-DUMINIL. 1814.


Tout en écrivant, l'homme parlait haut, et Marius entendait ses paroles:


—Dire qu'il n'y a pas d'égalité, même quand on est mort! Voyez un peu le Père-Lachaise! Les grands, ceux qui sont riches, sont en haut, dans l'allée des acacias, qui est pavée. Ils peuvent y arriver en voiture. Les petits, les pauvres gens, les malheureux, quoi! on les met dans le bas, où il y a de la boue jusqu'aux genoux, dans les trous, dans l'humidité. On les met là pour qu'ils soient plus vite gâtés! On ne peut pas aller les voir sans enfoncer dans la terre.


Ici il s'arrêta, frappa du poing sur la table, et ajouta en grinçant des dents:


—Oh! je mangerais le monde!


Une grosse femme qui pouvait avoir quarante ans ou cent ans était accroupie près de la cheminée sur ses talons nus.


Elle n'était vêtue, elle aussi, que d'une chemise et d'un jupon de tricot rapiécé avec des morceaux de vieux drap. Un tablier de grosse toile cachait la moitié du jupon. Quoique cette femme fût pliée et ramassée sur elle-même, on voyait qu'elle était de très haute taille. C'était une espèce de géante à côté de son mari. Elle avait d'affreux cheveux d'un blond roux grisonnants qu'elle remuait de temps en temps avec ses énormes mains luisantes à ongles plats.


À côté d'elle était posé à terre, tout grand ouvert, un volume du même format que l'autre, et probablement du même roman.


Sur un des grabats, Marius entrevoyait une espèce de longue petite fille blême assise, presque nue et les pieds pendants, n'ayant l'air ni d'écouter, ni de voir, ni de vivre.


La sœur cadette sans doute de celle qui était venue chez lui.


Elle paraissait onze ou douze ans. En l'examinant avec attention, on reconnaissait qu'elle en avait bien quatorze. C'était l'enfant qui disait la veille au soir sur le boulevard: J'ai cavalé! cavalé! cavalé!


Elle était de cette espèce malingre qui reste longtemps en retard, puis pousse vite et tout à coup. C'est l'indigence qui fait ces tristes plantes humaines. Ces créatures n'ont ni enfance ni adolescence. À quinze ans, elles en paraissent douze, à seize ans, elles en paraissent vingt. Aujourd'hui petites filles, demain femmes. On dirait qu'elles enjambent la vie, pour avoir fini plus vite.


En ce moment, cet être avait l'air d'un enfant.


Du reste, il ne se révélait dans ce logis la présence d'aucun travail; pas un métier, pas un rouet, pas un outil. Dans un coin quelques ferrailles d'un aspect douteux. C'était cette morne paresse qui suit le désespoir et qui précède l'agonie.


Marius considéra quelque temps cet intérieur funèbre plus effrayant que l'intérieur d'une tombe, car on y sentait remuer l'âme humaine et palpiter la vie.


Le galetas, la cave, la basse-fosse où de certains indigents rampent au plus bas de l'édifice social, n'est pas tout à fait le sépulcre, c'en est l'antichambre; mais, comme ces riches qui étalent leurs plus grandes magnificences à l'entrée de leur palais, il semble que la mort, qui est tout à côté, mette ses plus grandes misères dans ce vestibule.


L'homme s'était tu, la femme ne parlait pas, la jeune fille ne semblait pas respirer. On entendait crier la plume sur le papier.


L'homme grommela, sans cesser d'écrire:


—Canaille! canaille! tout est canaille!


Cette variante à l'épiphonème de Salomon arracha un soupir à la femme.


—Petit ami, calme-toi, dit-elle. Ne te fais pas de mal, chéri. Tu es trop bon d'écrire à tous ces gens-là, mon homme.


Dans la misère, les corps se serrent les uns contre les autres, comme dans le froid, mais les cœurs s'éloignent. Cette femme, selon toute apparence, avait dû aimer cet homme de la quantité d'amour qui était en elle; mais probablement, dans les reproches quotidiens et réciproques d'une affreuse détresse pesant sur tout le groupe, cela s'était éteint. Il n'y avait plus en elle pour son mari que de la cendre d'affection. Pourtant les appellations caressantes, comme cela arrive souvent, avaient survécu. Elle lui disait: Chéri, petit ami, mon homme, etc., de bouche, le cœur se taisant.


L'homme s'était remis à écrire.


English text[edit]

Cities, like forests, have their caverns in which all the most wicked and formidable creatures which they contain conceal themselves. Only, in cities, that which thus conceals itself is ferocious, unclean, and petty, that is to say, ugly; in forests, that which conceals itself is ferocious, savage, and grand, that is to say, beautiful. Taking one lair with another, the beast's is preferable to the man's. Caverns are better than hovels.


What Marius now beheld was a hovel.


Marius was poor, and his chamber was poverty-stricken, but as his poverty was noble, his garret was neat. The den upon which his eye now rested was abject, dirty, fetid, pestiferous, mean, sordid. The only furniture consisted of a straw chair, an infirm table, some old bits of crockery, and in two of the corners, two indescribable pallets; all the light was furnished by a dormer window of four panes, draped with spiders' webs. Through this aperture there penetrated just enough light to make the face of a man appear like the face of a phantom. The walls had a leprous aspect, and were covered with seams and scars, like a visage disfigured by some horrible malady; a repulsive moisture exuded from them. Obscene sketches roughly sketched with charcoal could be distinguished upon them.


The chamber which Marius occupied had a dilapidated brick pavement; this one was neither tiled nor planked; its inhabitants stepped directly on the antique plaster of the hovel, which had grown black under the long-continued pressure of feet. Upon this uneven floor, where the dirt seemed to be fairly incrusted, and which possessed but one virginity, that of the broom, were capriciously grouped constellations of old shoes, socks, and repulsive rags; however, this room had a fireplace, so it was let for forty francs a year. There was every sort of thing in that fireplace, a brazier, a pot, broken boards, rags suspended from nails, a bird-cage, ashes, and even a little fire. Two brands were smouldering there in a melancholy way.


One thing which added still more to the horrors of this garret was, that it was large. It had projections and angles and black holes, the lower sides of roofs, bays, and promontories. Hence horrible, unfathomable nooks where it seemed as though spiders as big as one's fist, wood-lice as large as one's foot, and perhaps even—who knows?—some monstrous human beings, must be hiding.


One of the pallets was near the door, the other near the window. One end of each touched the fireplace and faced Marius. In a corner near the aperture through which Marius was gazing, a colored engraving in a black frame was suspended to a nail on the wall, and at its bottom, in large letters, was the inscription: THE DREAM. This represented a sleeping woman, and a child, also asleep, the child on the woman's lap, an eagle in a cloud, with a crown in his beak, and the woman thrusting the crown away from the child's head, without awaking the latter; in the background, Napoleon in a glory, leaning on a very blue column with a yellow capital ornamented with this inscription:


                            MARINGO
                           AUSTERLITS
                              IENA
                            WAGRAMME
                              ELOT

Beneath this frame, a sort of wooden panel, which was no longer than it was broad, stood on the ground and rested in a sloping attitude against the wall. It had the appearance of a picture with its face turned to the wall, of a frame probably showing a daub on the other side, of some pier-glass detached from a wall and lying forgotten there while waiting to be rehung.


Near the table, upon which Marius descried a pen, ink, and paper, sat a man about sixty years of age, small, thin, livid, haggard, with a cunning, cruel, and uneasy air; a hideous scoundrel.


If Lavater had studied this visage, he would have found the vulture mingled with the attorney there, the bird of prey and the pettifogger rendering each other mutually hideous and complementing each other; the pettifogger making the bird of prey ignoble, the bird of prey making the pettifogger horrible.


This man had a long gray beard. He was clad in a woman's chemise, which allowed his hairy breast and his bare arms, bristling with gray hair, to be seen. Beneath this chemise, muddy trousers and boots through which his toes projected were visible.


He had a pipe in his mouth and was smoking. There was no bread in the hovel, but there was still tobacco.


He was writing probably some more letters like those which Marius had read.


On the corner of the table lay an ancient, dilapidated, reddish volume, and the size, which was the antique 12mo of reading-rooms, betrayed a romance. On the cover sprawled the following title, printed in large capitals: GOD; THE KING; HONOR AND THE LADIES; BY DUCRAY DUMINIL, 1814.


As the man wrote, he talked aloud, and Marius heard his words:—


"The idea that there is no equality, even when you are dead! Just look at Pere Lachaise! The great, those who are rich, are up above, in the acacia alley, which is paved. They can reach it in a carriage. The little people, the poor, the unhappy, well, what of them? they are put down below, where the mud is up to your knees, in the damp places. They are put there so that they will decay the sooner! You cannot go to see them without sinking into the earth."


He paused, smote the table with his fist, and added, as he ground his teeth:—


"Oh! I could eat the whole world!"


A big woman, who might be forty years of age, or a hundred, was crouching near the fireplace on her bare heels.


She, too, was clad only in a chemise and a knitted petticoat patched with bits of old cloth. A coarse linen apron concealed the half of her petticoat. Although this woman was doubled up and bent together, it could be seen that she was of very lofty stature. She was a sort of giant, beside her husband. She had hideous hair, of a reddish blond which was turning gray, and which she thrust back from time to time, with her enormous shining hands, with their flat nails.


Beside her, on the floor, wide open, lay a book of the same form as the other, and probably a volume of the same romance.


On one of the pallets, Marius caught a glimpse of a sort of tall pale young girl, who sat there half naked and with pendant feet, and who did not seem to be listening or seeing or living.


No doubt the younger sister of the one who had come to his room.


She seemed to be eleven or twelve years of age. On closer scrutiny it was evident that she really was fourteen. She was the child who had said, on the boulevard the evening before: "I bolted, bolted, bolted!"


She was of that puny sort which remains backward for a long time, then suddenly starts up rapidly. It is indigence which produces these melancholy human plants. These creatures have neither childhood nor youth. At fifteen years of age they appear to be twelve, at sixteen they seem twenty. To-day a little girl, to-morrow a woman. One might say that they stride through life, in order to get through with it the more speedily.


At this moment, this being had the air of a child.


Moreover, no trace of work was revealed in that dwelling; no handicraft, no spinning-wheel, not a tool. In one corner lay some ironmongery of dubious aspect. It was the dull listlessness which follows despair and precedes the death agony.


Marius gazed for a while at this gloomy interior, more terrifying than the interior of a tomb, for the human soul could be felt fluttering there, and life was palpitating there. The garret, the cellar, the lowly ditch where certain indigent wretches crawl at the very bottom of the social edifice, is not exactly the sepulchre, but only its antechamber; but, as the wealthy display their greatest magnificence at the entrance of their palaces, it seems that death, which stands directly side by side with them, places its greatest miseries in that vestibule.


The man held his peace, the woman spoke no word, the young girl did not even seem to breathe. The scratching of the pen on the paper was audible.


The man grumbled, without pausing in his writing. "Canaille! canaille! everybody is canaille!"


This variation to Solomon's exclamation elicited a sigh from the woman.


"Calm yourself, my little friend," she said. "Don't hurt yourself, my dear. You are too good to write to all those people, husband."


Bodies press close to each other in misery, as in cold, but hearts draw apart. This woman must have loved this man, to all appearance, judging from the amount of love within her; but probably, in the daily and reciprocal reproaches of the horrible distress which weighed on the whole group, this had become extinct. There no longer existed in her anything more than the ashes of affection for her husband. Nevertheless, caressing appellations had survived, as is often the case. She called him: My dear, my little friend, my good man, etc., with her mouth while her heart was silent.


The man resumed his writing.


Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]