Volume 4/Book 5/Chapter 6

From Les Misérables Annotation Project
< Volume 4/Book 5
Revision as of 15:43, 16 October 2017 by Juandelfrio (talk | contribs) (Textual notes)
(diff) ← Older revision | Latest revision (diff) | Newer revision → (diff)
Jump to: navigation, search

Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Fifth: The End of Which Does Not Resemble the Beginning, Chapter 6: Old People are made to go out opportunely
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre cinquième: Dont la fin ne ressemble pas au commencement, Chapitre 6: Les vieux sont faits pour sortir à propos)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Le soir venu, Jean Valjean sortit, Cosette s'habilla. Elle arrangea ses cheveux de la manière qui lui allait le mieux, et elle mit une robe dont le corsage, qui avait reçu un coup de ciseau de trop, et qui, par cette échancrure, laissait voir la naissance du cou, était, comme disent les jeunes filles, «un peu indécent». Ce n'était pas le moins du monde indécent, mais c'était plus joli qu'autrement. Elle fit toute cette toilette sans savoir pourquoi.

Voulait-elle sortir? non.

Attendait-elle une visite? non.

À la brune, elle descendit au jardin. Toussaint était occupée à sa cuisine qui donnait sur l'arrière-cour.

Elle se mit à marcher sous les branches, les écartant de temps en temps avec la main, parce qu'il y en avait de très basses.

Elle arriva au banc.

La pierre y était restée.

Elle s'assit, et posa sa douce main blanche sur cette pierre comme si elle voulait la caresser et la remercier.

Tout à coup, elle eut cette impression indéfinissable qu'on éprouve, même sans voir, lorsqu'on a quelqu'un debout derrière soi.

Elle tourna la tête et se dressa.

C'était lui.

Il était tête nue. Il paraissait pâle et amaigri. On distinguait à peine son vêtement noir. Le crépuscule blêmissait son beau front et couvrait ses yeux de ténèbres. Il avait, sous un voile d'incomparable douceur, quelque chose de la mort et de la nuit. Son visage était éclairé par la clarté du jour qui se meurt et par la pensée d'une âme qui s'en va.

Il semblait que ce n'était pas encore le fantôme et que ce n'était déjà plus l'homme.

Son chapeau était jeté à quelques pas dans les broussailles.

Cosette, prête à défaillir, ne poussa pas un cri. Elle reculait lentement, car elle se sentait attirée. Lui ne bougeait point. À je ne sais quoi d'ineffable et de triste qui l'enveloppait, elle sentait le regard de ses yeux qu'elle ne voyait pas.

Cosette, en reculant, rencontra un arbre et s'y adossa. Sans cet arbre, elle fût tombée.

Alors elle entendit sa voix, cette voix qu'elle n'avait vraiment jamais entendue, qui s'élevait à peine au-dessus du frémissement des feuilles, et qui murmurait:

—Pardonnez-moi, je suis là. J'ai le cœur gonflé, je ne pouvais pas vivre comme j'étais, je suis venu. Avez-vous lu ce que j'avais mis là, sur ce banc? Me reconnaissez-vous un peu? N'ayez pas peur de moi. Voilà du temps déjà, vous rappelez-vous le jour où vous m'avez regardé? c'était dans le Luxembourg, près du Gladiateur. Et le jour où vous avez passé devant moi? C'étaient le 16 juin et le 2 juillet. Il va y avoir un an. Depuis bien longtemps, je ne vous ai plus vue. J'ai demandé à la loueuse de chaises, elle m'a dit qu'elle ne vous voyait plus. Vous demeuriez rue de l'Ouest au troisième sur le devant dans une maison neuve, vous voyez que je sais. Je vous suivais, moi. Qu'est-ce que j'avais à faire? Et puis vous avez disparu. J'ai cru vous voir passer une fois que je lisais les journaux sous les arcades de l'Odéon. J'ai couru. Mais non. C'était une personne qui avait un chapeau comme vous. La nuit, je viens ici. Ne craignez pas, personne ne me voit. Je viens regarder vos fenêtres de près. Je marche bien doucement pour que vous n'entendiez pas, car vous auriez peut-être peur. L'autre soir j'étais derrière vous, vous vous êtes retournée, je me suis enfui. Une fois je vous ai entendue chanter. J'étais heureux. Est-ce que cela vous fait quelque chose que je vous entende chanter à travers le volet? cela ne peut rien vous faire. Non, n'est-ce pas? Voyez-vous, vous êtes mon ange, laissez-moi venir un peu. Je crois que je vais mourir. Si vous saviez! je vous adore, moi! Pardonnez-moi, je vous parle, je ne sais pas ce que je vous dis, je vous fâche peut-être; est-ce que je vous fâche?

—Ô ma mère! dit-elle.

Et elle s'affaissa sur elle-même comme si elle se mourait.

Il la prit, elle tombait, il la prit dans ses bras, il la serra étroitement sans avoir conscience de ce qu'il faisait. Il la soutenait tout en chancelant. Il était comme s'il avait la tête pleine de fumée; des éclairs lui passaient entre les cils; ses idées s'évanouissaient; il lui semblait qu'il accomplissait un acte religieux et qu'il commettait une profanation. Du reste il n'avait pas le moindre désir de cette femme ravissante dont il sentait la forme contre sa poitrine. Il était éperdu d'amour.

Elle lui prit une main et la posa sur son cœur. Il sentit le papier qui y était. Il balbutia:

—Vous m'aimez donc?

Elle répondit d'une voix si basse que ce n'était plus qu'un souffle qu'on entendait à peine:

—Tais-toi! tu le sais!

Et elle cacha sa tête rouge dans le sein du jeune homme superbe et enivré.

Il tomba sur le banc, elle près de lui. Ils n'avaient plus de paroles. Les étoiles commençaient à rayonner. Comment se fit-il que leurs lèvres se rencontrèrent? Comment se fait-il que l'oiseau chante, que la neige fonde, que la rose s'ouvre, que mai s'épanouisse, que l'aube blanchisse derrière les arbres noirs au sommet frissonnant des collines?

Un baiser, et ce fut tout.

Tous deux tressaillirent, et ils se regardèrent dans l'ombre avec des yeux éclatants.

Ils ne sentaient ni la nuit fraîche, ni la pierre froide, ni la terre humide, ni l'herbe mouillée, ils se regardaient et ils avaient le cœur plein de pensées. Ils s'étaient pris les mains, sans savoir.

Elle ne lui demandait pas, elle n'y songeait pas même, par où il était entré et comment il avait pénétré dans le jardin. Cela lui paraissait si simple qu'il fût là.

De temps en temps le genou de Marius touchait le genou de Cosette, et tous deux frémissaient.

Par intervalles, Cosette bégayait une parole. Son âme tremblait à ses lèvres comme une goutte de rosée à une fleur.

Peu à peu ils se parlèrent. L'épanchement succéda au silence qui est la plénitude. La nuit était sereine et splendide au-dessus de leur tête. Ces deux êtres, purs comme des esprits, se dirent tout, leurs songes, leurs ivresses, leurs extases, leurs chimères, leurs défaillances, comme ils s'étaient adorés de loin, comme ils s'étaient souhaités, leur désespoir, quand ils avaient cessé de s'apercevoir. Ils se confièrent dans une intimité idéale, que rien déjà ne pouvait plus accroître, ce qu'ils avaient de plus caché et de plus mystérieux. Ils se racontèrent, avec une foi candide dans leurs illusions, tout ce que l'amour, la jeunesse et ce reste d'enfance qu'ils avaient leur mettaient dans la pensée. Ces deux cœurs se versèrent l'un dans l'autre, de sorte qu'au bout d'une heure, c'était le jeune homme qui avait l'âme de la jeune fille et la jeune fille qui avait l'âme du jeune homme. Ils se pénétrèrent, ils s'enchantèrent, ils s'éblouirent.

Quand ils eurent fini, quand ils se furent tout dit, elle posa sa tête sur son épaule et lui demanda:

—Comment vous appelez-vous?

—Je m'appelle Marius, dit-il. Et vous?

—Je m'appelle Cosette.

English text[edit]

When evening came, Jean Valjean went out; Cosette dressed herself. She arranged her hair in the most becoming manner, and she put on a dress whose bodice had received one snip of the scissors too much, and which, through this slope, permitted a view of the beginning of her throat, and was, as young girls say, "a trifle indecent." It was not in the least indecent, but it was prettier than usual. She made her toilet thus without knowing why she did so.

Did she mean to go out? No.

Was she expecting a visitor? No.

At dusk, she went down to the garden. Toussaint was busy in her kitchen, which opened on the back yard.

She began to stroll about under the trees, thrusting aside the branches from time to time with her hand, because there were some which hung very low.

In this manner she reached the bench.

The stone was still there.

She sat down, and gently laid her white hand on this stone as though she wished to caress and thank it.

All at once, she experienced that indefinable impression which one undergoes when there is some one standing behind one, even when she does not see the person.

She turned her head and rose to her feet.

It was he.

His head was bare. He appeared to have grown thin and pale. His black clothes were hardly discernible. The twilight threw a wan light on his fine brow, and covered his eyes in shadows. Beneath a veil of incomparable sweetness, he had something about him that suggested death and night. His face was illuminated by the light of the dying day, and by the thought of a soul that is taking flight.

He seemed to be not yet a ghost, and he was no longer a man.

He had flung away his hat in the thicket, a few paces distant.

Cosette, though ready to swoon, uttered no cry. She retreated slowly, for she felt herself attracted. He did not stir. By virtue of something ineffable and melancholy which enveloped him, she felt the look in his eyes which she could not see.

Cosette, in her retreat, encountered a tree and leaned against it. Had it not been for this tree, she would have fallen.

Then she heard his voice, that voice which she had really never heard, barely rising above the rustle of the leaves, and murmuring:—

"Pardon me, here I am. My heart is full. I could not live on as I was living, and I have come. Have you read what I placed there on the bench? Do you recognize me at all? Have no fear of me. It is a long time, you remember the day, since you looked at me at the Luxembourg, near the Gladiator. And the day when you passed before me? It was on the 16th of June and the 2d of July. It is nearly a year ago. I have not seen you for a long time. I inquired of the woman who let the chairs, and she told me that she no longer saw you. You lived in the Rue de l'Ouest, on the third floor, in the front apartments of a new house,—you see that I know! I followed you. What else was there for me to do? And then you disappeared. I thought I saw you pass once, while I was reading the newspapers under the arcade of the Odeon. I ran after you. But no. It was a person who had a bonnet like yours. At night I came hither. Do not be afraid, no one sees me. I come to gaze upon your windows near at hand. I walk very softly, so that you may not hear, for you might be alarmed. The other evening I was behind you, you turned round, I fled. Once, I heard you singing. I was happy. Did it affect you because I heard you singing through the shutters? That could not hurt you. No, it is not so? You see, you are my angel! Let me come sometimes; I think that I am going to die. If you only knew! I adore you. Forgive me, I speak to you, but I do not know what I am saying; I may have displeased you; have I displeased you?"

"Oh! my mother!" said she.

And she sank down as though on the point of death.

He grasped her, she fell, he took her in his arms, he pressed her close, without knowing what he was doing. He supported her, though he was tottering himself. It was as though his brain were full of smoke; lightnings darted between his lips; his ideas vanished; it seemed to him that he was accomplishing some religious act, and that he was committing a profanation. Moreover, he had not the least passion for this lovely woman whose force he felt against his breast. He was beside himself with love.

She took his hand and laid it on her heart. He felt the paper there, he stammered:—

"You love me, then?"

She replied in a voice so low that it was no longer anything more than a barely audible breath:—

"Hush! Thou knowest it!"

And she hid her blushing face on the breast of the superb and intoxicated young man.

He fell upon the bench, and she beside him. They had no words more. The stars were beginning to gleam. How did it come to pass that their lips met? How comes it to pass that the birds sing, that snow melts, that the rose unfolds, that May expands, that the dawn grows white behind the black trees on the shivering crest of the hills?

A kiss, and that was all.

Both started, and gazed into the darkness with sparkling eyes.

They felt neither the cool night, nor the cold stone, nor the damp earth, nor the wet grass; they looked at each other, and their hearts were full of thoughts. They had clasped hands unconsciously.

She did not ask him, she did not even wonder, how he had entered there, and how he had made his way into the garden. It seemed so simple to her that he should be there!

From time to time, Marius' knee touched Cosette's knee, and both shivered.

At intervals, Cosette stammered a word. Her soul fluttered on her lips like a drop of dew on a flower.

Little by little they began to talk to each other. Effusion followed silence, which is fulness. The night was serene and splendid overhead. These two beings, pure as spirits, told each other everything, their dreams, their intoxications, their ecstasies, their chimaeras, their weaknesses, how they had adored each other from afar, how they had longed for each other, their despair when they had ceased to see each other. They confided to each other in an ideal intimacy, which nothing could augment, their most secret and most mysterious thoughts. They related to each other, with candid faith in their illusions, all that love, youth, and the remains of childhood which still lingered about them, suggested to their minds. Their two hearts poured themselves out into each other in such wise, that at the expiration of a quarter of an hour, it was the young man who had the young girl's soul, and the young girl who had the young man's soul. Each became permeated with the other, they were enchanted with each other, they dazzled each other.

When they had finished, when they had told each other everything, she laid her head on his shoulder and asked him:—

"What is your name?"

"My name is Marius," said he. "And yours?"

"My name is Cosette."


Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

les arcades de l'Odéon / the arcades of the Odeon[edit]

See Volume 1/Book 3/Chapter 7 textual notes for a desription of the Odéon arcades.

Citations[edit]