Volume 4/Book 15/Chapter 1

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Les Misérables, Volume 4: The Idyll of the Rue Plumet & The Epic of the Rue Saint-Denis, Book Fifteenth: The Rue de L'Homme Arme, Chapter 1: A Drinker is a Babbler
(Tome 4: L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, Livre quinzième: La rue de l'Homme-Armé, Chapitre 1: Buvard, bavard)

General notes on this chapter[edit]

French text[edit]

Qu'est-ce que les convulsions d'une ville auprès des émeutes de l'âme? L'homme est une profondeur plus grande encore que le peuple. Jean Valjean, en ce moment-là même, était en proie à un soulèvement effrayants. Tous les gouffres s'étaient rouverts en lui. Lui aussi frissonnait, comme Paris, au seuil d'une révolution formidable et obscure. Quelques heures avaient suffi. Sa destinée et sa conscience s'étaient brusquement couvertes d'ombre. De lui aussi, comme de Paris, on pouvait dire: les deux principes sont en présence. L'ange blanc et l'ange noir vont se saisir corps à corps sur le pont de l'abîme. Lequel des deux précipitera l'autre? Qui l'emportera?

La veille de ce même jour 5 juin, Jean Valjean, accompagné de Cosette et de Toussaint, s'était installé rue de l'Homme-Armé. Une péripétie l'y attendait.

Cosette n'avait pas quitté la rue Plumet sans un essai de résistance. Pour la première fois depuis qu'ils existaient côte à côte, la volonté de Cosette et la volonté de Jean Valjean s'étaient montrées distinctes, et s'étaient, sinon heurtées, du moins contredites. Il y avait eu objection d'un côté et inflexibilité de l'autre. Le brusque conseil: déménagez, jeté par un inconnu à Jean Valjean, l'avait alarmé au point de le rendre absolu. Il se croyait dépisté et poursuivi. Cosette avait dû céder.

Tous deux étaient arrivés rue de l'Homme-Armé sans desserrer les dents et sans se dire un mot, absorbés chacun dans leur préoccupation personnelle; Jean Valjean si inquiet qu'il ne voyait pas la tristesse de Cosette, Cosette si triste qu'elle ne voyait pas l'inquiétude de Jean Valjean.

Jean Valjean avait emmené Toussaint, ce qu'il n'avait jamais fait dans ses précédentes absences. Il entrevoyait qu'il ne reviendrait peut-être pas rue Plumet, et il ne pouvait ni laisser Toussaint derrière lui, ni lui dire son secret. D'ailleurs il la sentait dévouée et sûre. De domestique à maître, la trahison commence par la curiosité. Or, Toussaint, comme si elle eût été prédestinée à être la servante de Jean Valjean, n'était pas curieuse. Elle disait à travers son bégayement, dans son parler de paysanne de Barneville: Je suis de même de même; je chose mon fait; le demeurant n'est pas mon travail. (Je suis ainsi; je fais ma besogne; le reste n'est pas mon affaire.)

Dans ce départ de la rue Plumet, qui avait été presque une fuite, Jean Valjean n'avait rien emporté que la petite valise embaumée baptisée par Cosette l'inséparable. Des malles pleines eussent exigé des commissionnaires, et des commissionnaires sont des témoins. On avait fait venir un fiacre à la porte de la rue de Babylone, et l'on s'en était allé.

C'est à grand'peine que Toussaint avait obtenu la permission d'empaqueter un peu de linge et de vêtements et quelques objets de toilette. Cosette, elle, n'avait emporté que sa papeterie et son buvard.

Jean Valjean, pour accroître la solitude et l'ombre de cette disparition, s'était arrangé de façon à ne quitter le pavillon de la rue Plumet qu'à la chute du jour, ce qui avait laissé à Cosette le temps d'écrire son billet à Marius. On était arrivé rue de l'Homme-Armé à la nuit close.

On s'était couché silencieusement.

Le logement de la rue de l'Homme-Armé était situé dans une arrière-cour, à un deuxième étage, et composé de deux chambres à coucher, d'une salle à manger et d'une cuisine attenante à la salle à manger, avec soupente où il y avait un lit de sangle qui échut à Toussaint. La salle à manger était en même temps l'antichambre et séparait les deux chambres à coucher. L'appartement était pourvu des ustensiles nécessaires.

On se rassure presque aussi follement qu'on s'inquiète; la nature humaine est ainsi. À peine Jean Valjean fut-il rue de l'Homme-Armé que son anxiété s'éclaircit, et, par degrés, se dissipa. Il y a des lieux calmants qui agissent en quelque sorte mécaniquement sur l'esprit. Rue obscure, habitants paisibles. Jean Valjean sentit on ne sait quelle contagion de tranquillité dans cette ruelle de l'ancien Paris, si étroite qu'elle est barrée aux voitures par un madrier transversal posé sur deux poteaux, muette et sourde au milieu de la ville en rumeur, crépusculaire en plein jour, et, pour ainsi dire, incapable d'émotions entre ses deux rangées de hautes maisons centenaires qui se taisent comme des vieillards qu'elles sont. Il y a dans cette rue de l'oubli stagnant. Jean Valjean y respira. Le moyen qu'on pût le trouver là?

Son premier soin fut de mettre l'inséparable à côté de lui.

Il dormit bien. La nuit conseille, on peut ajouter: la nuit apaise. Le lendemain matin, il s'éveilla presque gai. Il trouva charmante la salle à manger qui était hideuse, meublée d'une vieille table ronde, d'un buffet bas que surmontait un miroir penché, d'un fauteuil vermoulu et de quelques chaises encombrées des paquets de Toussaint. Dans un de ces paquets, on apercevait par un hiatus l'uniforme de garde national de Jean Valjean.

Quant à Cosette, elle s'était fait apporter par Toussaint un bouillon dans sa chambre, et ne parut que le soir.

Vers cinq heures, Toussaint, qui allait et venait, très occupée de ce petit emménagement, avait mis sur la table de la salle à manger une volaille froide que Cosette, par déférence pour son père, avait consenti à regarder.

Cela fait, Cosette, prétextant une migraine persistante, avait dit bonsoir à Jean Valjean et s'était enfermée dans sa chambre à coucher. Jean Valjean avait mangé une aile de poulet avec appétit, et accoudé sur la table, rasséréné peu à peu, rentrait en possession de sa sécurité.

Pendant qu'il faisait ce sobre dîner, il avait perçu confusément, à deux ou trois reprises, le bégayement de Toussaint qui lui disait:—Monsieur, il y a du train, on se bat dans Paris. Mais, absorbé dans une foule de combinaisons intérieures, il n'y avait point pris garde. À vrai dire, il n'avait pas entendu.

Il se leva, et se mit à marcher de la fenêtre à la porte et de la porte à la fenêtre, de plus en plus apaisé.

Avec le calme, Cosette, sa préoccupation unique, revenait dans sa pensée. Non qu'il s'émût de cette migraine, petite crise de nerfs, bouderie de jeune fille, nuage d'un moment, il n'y paraîtrait pas dans un jour ou deux; mais il songeait à l'avenir, et, comme d'habitude, il y songeait avec douceur. Après tout, il ne voyait aucun obstacle à ce que la vie heureuse reprît son cours. À de certaines heures, tout semble impossible; à d'autres heures, tout paraît aisé; Jean Valjean était dans une de ces bonnes heures. Elles viennent d'ordinaire après les mauvaises, comme le jour après la nuit, par cette loi de succession et de contraste qui est le fond même de la nature et que les esprits superficiels appellent antithèse. Dans cette paisible rue où il se réfugiait, Jean Valjean se dégageait de tout ce qui l'avait troublé depuis quelque temps. Par cela même qu'il avait vu beaucoup de ténèbres, il commençait à apercevoir un peu d'azur. Avoir quitté la rue Plumet sans complication et sans incident, c'était déjà un bon pas de fait. Peut-être serait-il sage de se dépayser, ne fût-ce que pour quelques mois, et d'aller à Londres. Eh bien, on irait. Être en France, être en Angleterre, qu'est-ce que cela faisait, pourvu qu'il eût près de lui Cosette? Cosette était sa nation. Cosette suffisait à son bonheur; l'idée qu'il ne suffisait peut-être pas, lui, au bonheur de Cosette, cette idée, qui avait été autrefois sa fièvre et son insomnie, ne se présentait même pas à son esprit. Il était dans le collapsus de toutes ses douleurs passées, et en plein optimisme. Cosette, étant près de lui, lui semblait à lui; effet d'optique que tout le monde a éprouvé. Il arrangeait en lui-même, et avec toutes sortes de facilités, le départ pour l'Angleterre avec Cosette, et il voyait sa félicité se reconstruire n'importe où dans les perspectives de sa rêverie.

Tout en marchant de long en large à pas lents, son regard rencontra tout à coup quelque chose d'étrange.

Il aperçut en face de lui, dans le miroir incliné qui surmontait le buffet, et il lut distinctement les quatre lignes que voici:

«Mon bien-aimé, hélas! mon père veut que nous partions tout de suite. Nous serons ce soir rue de l'Homme-Armé, nº 7. Dans huit jours nous serons à Londres. COSETTE. 4 juin.»

Jean Valjean s'arrêta hagard.

Cosette en arrivant avait posé son buvard sur le buffet devant le miroir, et, toute à sa douloureuse angoisse, l'avait oublié là, sans même remarquer qu'elle le laissait tout ouvert, et ouvert précisément à la page sur laquelle elle avait appuyé, pour les sécher, les quatre lignes écrites par elle et dont elle avait chargé le jeune ouvrier passant rue Plumet. L'écriture s'était imprimée sur le buvard.

Le miroir reflétait l'écriture.

Il en résultait ce qu'on appelle en géométrie l'image symétrique; de telle sorte que l'écriture renversée sur le buvard s'offrait redressée dans le miroir et présentait son sens naturel; et Jean Valjean avait sous les yeux la lettre écrite la veille par Cosette à Marius.

C'était simple et foudroyant.

Jean Valjean alla au miroir. Il relut les quatre lignes, mais il n'y crut point. Elles lui faisaient l'effet d'apparaître dans de la lueur d'éclair. C'était une hallucination. Cela était impossible. Cela n'était pas.

Peu à peu sa perception devint plus précise; il regarda le buvard de Cosette, et le sentiment du fait réel lui revint. Il prit le buvard et dit: Cela vient de là. Il examina fiévreusement les quatre lignes imprimées sur le buvard, le renversement des lettres en faisait un griffonnage bizarre, et il n'y vit aucun sens. Alors il se dit: Mais cela ne signifie rien, il n'y a rien d'écrit là. Et il respira à pleine poitrine avec un inexprimable soulagement. Qui n'a pas eu de ces joies bêtes dans les instants horribles? L'âme ne se rend pas au désespoir sans avoir épuisé toutes les illusions.

Il tenait le buvard à la main et le contemplait, stupidement heureux, presque prêt à rire de l'hallucination dont il avait été dupe. Tout à coup ses yeux retombèrent sur le miroir, et il revit la vision. Les quatre lignes s'y dessinaient avec une netteté inexorable. Cette fois ce n'était pas un mirage. La récidive d'une vision est une réalité, c'était palpable, c'était l'écriture redressée dans le miroir. Il comprit.

Jean Valjean chancela, laissa échapper le buvard, et s'affaissa dans le vieux fauteuil à côté du buffet, la tête tombante, la prunelle vitreuse, égaré. Il se dit que c'était évident, et que la lumière du monde était à jamais éclipsée, et que Cosette avait écrit cela à quelqu'un. Alors il entendit son âme, redevenue terrible, pousser dans les ténèbres un sourd rugissement. Allez donc ôter au lion le chien qu'il a dans sa cage!

Chose bizarre et triste, en ce moment-là, Marius n'avait pas encore la lettre de Cosette; le hasard l'avait portée en traître à Jean Valjean avant de la remettre à Marius.

Jean Valjean jusqu'à ce jour n'avait pas été vaincu par l'épreuve. Il avait été soumis à des essais affreux; pas une voie de fait de la mauvaise fortune ne lui avait été épargnée; la férocité du sort, armée de toutes les vindictes et de toutes les méprises sociales, l'avait pris pour sujet et s'était acharnée sur lui. Il n'avait reculé ni fléchi devant rien. Il avait accepté, quand il l'avait fallu, toutes les extrémités; il avait sacrifié son inviolabilité d'homme reconquise, livré sa liberté, risqué sa tête, tout perdu, tout souffert, et il était resté désintéressé et stoïque, au point que par moments on aurait pu le croire absent de lui-même comme un martyr. Sa conscience, aguerrie à tous les assauts possibles de l'adversité, pouvait sembler à jamais imprenable. Eh bien, quelqu'un qui eût vu son for intérieur eût été forcé de constater qu'à cette heure elle faiblissait.

C'est que de toutes les tortures qu'il avait subies dans cette longue question que lui donnait la destinée, celle-ci était la plus redoutable. Jamais pareille tenaille ne l'avait saisi. Il sentit le remuement mystérieux de toutes les sensibilités latentes. Il sentit le pincement de la fibre inconnue. Hélas, l'épreuve suprême, disons mieux, l'épreuve unique, c'est la perte de l'être aimé.

Le pauvre vieux Jean Valjean n'aimait, certes, pas Cosette autrement que comme un père; mais, nous l'avons fait remarquer plus haut, dans cette paternité la viduité même de sa vie avait introduit tous les amours; il aimait Cosette comme sa fille, et il l'aimait comme sa mère, et il l'aimait comme sa sœur; et, comme il n'avait jamais eu ni amante ni épouse, comme la nature est un créancier qui n'accepte aucun protêt, ce sentiment-là aussi, le plus imperdable de tous, était mêlé aux autres, vague, ignorant, pur de la pureté de l'aveuglement, inconscient, céleste, angélique, divin; moins comme un sentiment que comme un instinct, moins comme un instinct que comme un attrait, imperceptible et invisible, mais réel; et l'amour proprement dit était dans sa tendresse énorme pour Cosette comme le filon d'or est dans la montagne, ténébreux et vierge.

Qu'on se rappelle cette situation de cœur que nous avons indiquée déjà. Aucun mariage n'était possible entre eux, pas même celui des âmes; et cependant il est certain que leurs destinées s'étaient épousées. Excepté Cosette, c'est-à-dire excepté une enfance, Jean Valjean n'avait, dans toute sa longue vie, rien connu de ce qu'on peut aimer. Les passions et les amours qui se succèdent n'avaient point fait en lui de ces verts successifs, vert tendre sur vert sombre, qu'on remarque sur les feuillages qui passent l'hiver et sur les hommes qui passent la cinquantaine. En somme, et nous y avons plus d'une fois insisté, toute cette fusion intérieure, tout cet ensemble, dont la résultante était une haute vertu, aboutissait à faire de Jean Valjean un père pour Cosette. Père étrange forgé de l'aïeul, du fils, du frère et du mari qu'il y avait dans Jean Valjean; père dans lequel il y avait même une mère; père qui aimait Cosette et qui l'adorait, et qui avait cette enfant pour lumière, pour demeure, pour famille, pour patrie, pour paradis.

Aussi, quand il vit que c'était décidément fini, qu'elle lui échappait, qu'elle glissait de ses mains, qu'elle se dérobait, que c'était du nuage, que c'était de l'eau, quand il eut devant les yeux cette évidence écrasante: un autre est le but de son cœur, un autre est le souhait de sa vie; il y a le bien-aimé, je ne suis que le père; je n'existe plus; quand il ne put plus douter, quand il se dit: Elle s'en va hors de moi! la douleur qu'il éprouva dépassa le possible. Avoir fait tout ce qu'il avait fait pour en venir là! et, quoi donc! n'être rien! Alors, comme nous venons de le dire, il eut de la tête aux pieds un frémissement de révolte. Il sentit jusque dans la racine de ses cheveux l'immense réveil de l'égoïsme, et le moi hurla dans l'abîme de cet homme.

Il y a des effondrements intérieurs. La pénétration d'une certitude désespérante dans l'homme ne se fait point sans écarter et rompre de certains éléments profonds qui sont quelquefois l'homme lui-même. La douleur, quand elle arrive à ce degré, est un sauve-qui-peut de toutes les forces de la conscience. Ce sont là des crises fatales. Peu d'entre nous en sortent semblables à eux-mêmes et fermes dans le devoir. Quand la limite de la souffrance est débordée, la vertu la plus imperturbable se déconcerte. Jean Valjean reprit le buvard, et se convainquit de nouveau; il resta penché et comme pétrifié sur les quatre lignes irrécusables, l'œil fixe; et il se fit en lui un tel nuage qu'on eût pu croire que tout le dedans de cette âme s'écroulait.

Il examina cette révélation, à travers les grossissements de la rêverie, avec un calme apparent et effrayant, car c'est une chose redoutable quand le calme de l'homme arrive à la froideur de la statue.

Il mesura le pas épouvantable que sa destinée avait fait sans qu'il s'en doutât; il se rappela ses craintes de l'autre été, si follement dissipées; il reconnut le précipice; c'était toujours le même; seulement Jean Valjean n'était plus au seuil, il était au fond.

Chose inouïe et poignante, il y était tombé sans s'en apercevoir. Toute la lumière de sa vie s'en était allée, lui croyant voir toujours le soleil.

Son instinct n'hésita point. Il rapprocha certaines circonstances, certaines dates, certaines rougeurs et certaines pâleurs de Cosette, et il se dit: C'est lui. La divination du désespoir est une sorte d'arc mystérieux qui ne manque jamais son coup. Dès sa première conjecture, il atteignit Marius. Il ne savait pas le nom, mais il trouva tout de suite l'homme. Il aperçut distinctement, au fond de l'implacable évocation du souvenir, le rôdeur inconnu du Luxembourg, ce misérable chercheur d'amourettes, ce fainéant de romance, cet imbécile, ce lâche, car c'est une lâcheté de venir faire les yeux doux à des filles qui ont à côté d'elles leur père qui les aime.

Après qu'il eut bien constaté qu'au fond de cette situation il y avait ce jeune homme, et que tout venait de là, lui, Jean Valjean, l'homme régénéré, l'homme qui avait tant travaillé à son âme, l'homme qui avait fait tant d'efforts pour résoudre toute la vie, toute la misère et tout le malheur en amour, il regarda en lui-même et il y vit un spectre, la Haine.

Les grandes douleurs contiennent de l'accablement. Elles découragent d'être. L'homme chez lequel elles entrent sent quelque chose se retirer de lui. Dans la jeunesse, leur visite est lugubre; plus tard, elle est sinistre. Hélas, quand le sang est chaud, quand les cheveux sont noirs, quand la tête est droite sur le corps comme la flamme sur le flambeau, quand le rouleau de la destinée a encore presque toute son épaisseur, quand le cœur, plein d'un amour désirable, a encore des battements qu'on peut lui rendre, quand on a devant soi le temps de réparer, quand toutes les femmes sont là, et tous les sourires, et tout l'avenir, et tout l'horizon, quand la force de la vie est complète, si c'est une chose effroyable que le désespoir, qu'est-ce donc dans la vieillesse, quand les années se précipitent de plus en plus blêmissantes, à cette heure crépusculaire où l'on commence à voir les étoiles de la tombe!

Tandis qu'il songeait, Toussaint entra, Jean Valjean se leva, et lui demanda:

—De quel côté est-ce? savez-vous?

Toussaint, stupéfaite, ne put que lui répondre:

—Plaît-il?

Jean Valjean reprit:

—Ne m'avez-vous pas dit tout à l'heure qu'on se bat?

—Ah! oui, monsieur, répondit Toussaint. C'est du côté de Saint-Merry.

Il y a tel mouvement machinal qui nous vient, à notre insu même, de notre pensée la plus profonde. Ce fut sans doute sous l'impulsion d'un mouvement de ce genre, et dont il avait à peine conscience, que Jean Valjean se trouva cinq minutes après dans la rue.

Il était nu-tête, assis sur la borne de la porte de sa maison. Il semblait écouter.

La nuit était venue.

English Text[edit]

What are the convulsions of a city in comparison with the insurrections of the soul? Man is a depth still greater than the people. Jean Valjean at that very moment was the prey of a terrible upheaval. Every sort of gulf had opened again within him. He also was trembling, like Paris, on the brink of an obscure and formidable revolution. A few hours had sufficed to bring this about. His destiny and his conscience had suddenly been covered with gloom. Of him also, as well as of Paris, it might have been said: "Two principles are face to face. The white angel and the black angel are about to seize each other on the bridge of the abyss. Which of the two will hurl the other over? Who will carry the day?"

On the evening preceding this same 5th of June, Jean Valjean, accompanied by Cosette and Toussaint had installed himself in the Rue de l'Homme Arme. A change awaited him there.

Cosette had not quitted the Rue Plumet without making an effort at resistance. For the first time since they had lived side by side, Cosette's will and the will of Jean Valjean had proved to be distinct, and had been in opposition, at least, if they had not clashed. There had been objections on one side and inflexibility on the other. The abrupt advice: "Leave your house," hurled at Jean Valjean by a stranger, had alarmed him to the extent of rendering him pèremptory. He thought that he had been traced and followed. Cosette had been obliged to give way.

Both had arrived in the Rue de l'Homme Arme without opening their lips, and without uttering a word, each being absorbed in his own personal preoccupation; Jean Valjean so uneasy that he did not notice Cosette's sadness, Cosette so sad that she did not notice Jean Valjean's uneasiness.

Jean Valjean had taken Toussaint with him, a thing which he had never done in his previous absences. He perceived the possibility of not returning to the Rue Plumet, and he could neither leave Toussaint behind nor confide his secret to her. Besides, he felt that she was devoted and trustworthy. Treachery between master and servant begins in curiosity. Now Toussaint, as though she had been destined to be Jean Valjean's servant, was not curious. She stammered in her peasant dialect of Barneville: "I am made so; I do my work; the rest is no affair of mine."

In this departure from the Rue Plumet, which had been almost a flight, Jean Valjean had carried away nothing but the little embalmed valise, baptized by Cosette "the inseparable." Full trunks would have required porters, and porters are witnesses. A fiacre had been summoned to the door on the Rue de Babylone, and they had taken their departure.

It was with difficulty that Toussaint had obtained permission to pack up a little linen and clothes and a few toilet articles. Cosette had taken only her portfolio and her blotting-book.

Jean Valjean, with a view to augmenting the solitude and the mystery of this departure, had arranged to quit the pavilion of the Rue Plumet only at dusk, which had allowed Cosette time to write her note to Marius. They had arrived in the Rue de l'Homme Arme after night had fully fallen.

They had gone to bed in silence.

The lodgings in the Rue de l'Homme Arme were situated on a back court, on the second floor, and were composed of two sleeping-rooms, a dining-room and a kitchen adjoining the dining-room, with a garret where there was a folding-bed, and which fell to Toussaint's share. The dining-room was an antechamber as well, and separated the two bedrooms. The apartment was provided with all necessary utensils.

People re-acquire confidence as foolishly as they lose it; human nature is so constituted. Hardly had Jean Valjean reached the Rue de l'Homme Arme when his anxiety was lightened and by degrees dissipated. There are soothing spots which act in some sort mechanically on the mind. An obscure street, peaceable inhabitants. Jean Valjean experienced an indescribable contagion of tranquillity in that alley of ancient Paris, which is so narrow that it is barred against carriages by a transverse beam placed on two posts, which is deaf and dumb in the midst of the clamorous city, dimly lighted at mid-day, and is, so to speak, incapable of emotions between two rows of lofty houses centuries old, which hold their peace like ancients as they are. There was a touch of stagnant oblivion in that street. Jean Valjean drew his breath once more there. How could he be found there?

His first care was to place the inseparable beside him.

He slept well. Night brings wisdom; we may add, night soothes. On the following morning he awoke in a mood that was almost gay. He thought the dining-room charming, though it was hideous, furnished with an old round table, a long sideboard surmounted by a slanting mirror, a dilapidated arm-chair, and several plain chairs which were encumbered with Toussaint's packages. In one of these packages Jean Valjean's uniform of a National Guard was visible through a rent.

As for Cosette, she had had Toussaint take some broth to her room, and did not make her appearance until evening.

About five o'clock, Toussaint, who was going and coming and busying herself with the tiny establishment, set on the table a cold chicken, which Cosette, out of deference to her father, consented to glance at.

That done, Cosette, under the pretext of an obstinate sick headache, had bade Jean Valjean good night and had shut herself up in her chamber. Jean Valjean had eaten a wing of the chicken with a good appetite, and with his elbows on the table, having gradually recovered his serenity, had regained possession of his sense of security.

While he was discussing this modest dinner, he had, twice or thrice, noticed in a confused way, Toussaint's stammering words as she said to him: "Monsieur, there is something going on, they are fighting in Paris." But absorbed in a throng of inward calculations, he had paid no heed to it. To tell the truth, he had not heard her. He rose and began to pace from the door to the window and from the window to the door, growing ever more serene.

With this calm, Cosette, his sole anxiety, recurred to his thoughts. Not that he was troubled by this headache, a little nervous crisis, a young girl's fit of sulks, the cloud of a moment, there would be nothing left of it in a day or two; but he meditated on the future, and, as was his habit, he thought of it with pleasure. After all, he saw no obstacle to their happy life resuming its course. At certain hours, everything seems impossible, at others everything appears easy; Jean Valjean was in the midst of one of these good hours. They generally succeed the bad ones, as day follows night, by virtue of that law of succession and of contrast which lies at the very foundation of nature, and which superficial minds call antithesis. In this peaceful street where he had taken refuge, Jean Valjean got rid of all that had been troubling him for some time past. This very fact, that he had seen many shadows, made him begin to perceive a little azure. To have quitted the Rue Plumet without complications or incidents was one good step already accomplished. Perhaps it would be wise to go abroad, if only for a few months, and to set out for London. Well, they would go. What difference did it make to him whether he was in France or in England, provided he had Cosette beside him? Cosette was his nation. Cosette sufficed for his happiness; the idea that he, perhaps, did not suffice for Cosette's happiness, that idea which had formerly been the cause of his fever and sleeplessness, did not even present itself to his mind. He was in a state of collapse from all his past sufferings, and he was fully entered on optimism. Cosette was by his side, she seemed to be his; an optical illusion which every one has experienced. He arranged in his own mind, with all sorts of felicitous devices, his departure for England with Cosette, and he beheld his felicity reconstituted wherever he pleased, in the perspective of his revery.

As he paced to and fro with long strides, his glance suddenly encountered something strange.

In the inclined mirror facing him which surmounted the sideboard, he saw the four lines which follow:—

"My dearest, alas! my father insists on our setting out immediately. We shall be this evening in the Rue de l'Homme Arme, No. 7. In a week we shall be in England. COSETTE. June 4th."

Jean Valjean halted, perfectly haggard.

Cosette on her arrival had placed her blotting-book on the sideboard in front of the mirror, and, utterly absorbed in her agony of grief, had forgotten it and left it there, without even observing that she had left it wide open, and open at precisely the page on which she had laid to dry the four lines which she had penned, and which she had given in charge of the young workman in the Rue Plumet. The writing had been printed off on the blotter.

The mirror reflected the writing.

The result was, what is called in geometry, the symmetrical image; so that the writing, reversed on the blotter, was righted in the mirror and presented its natural appearance; and Jean Valjean had beneath his eyes the letter written by Cosette to Marius on the preceding evening.

It was simple and withering.

Jean Valjean stepped up to the mirror. He read the four lines again, but he did not believe them. They produced on him the effect of appearing in a flash of lightning. It was a hallucination, it was impossible. It was not so.

Little by little, his perceptions became more precise; he looked at Cosette's blotting-book, and the consciousness of the reality returned to him. He caught up the blotter and said: "It comes from there." He feverishly examined the four lines imprinted on the blotter, the reversal of the letters converted into an odd scrawl, and he saw no sense in it. Then he said to himself: "But this signifies nothing; there is nothing written here." And he drew a long breath with inexpressible relief. Who has not experienced those foolish joys in horrible instants? The soul does not surrender to despair until it has exhausted all illusions.

He held the blotter in his hand and contemplated it in stupid delight, almost ready to laugh at the hallucination of which he had been the dupe. All at once his eyes fell upon the mirror again, and again he beheld the vision. There were the four lines outlined with inexorable clearness. This time it was no mirage. The recurrence of a vision is a reality; it was palpable, it was the writing restored in the mirror. He understood.

Jean Valjean tottered, dropped the blotter, and fell into the old arm-chair beside the buffet, with drooping head, and glassy eyes, in utter bewilderment. He told himself that it was plain, that the light of the world had been eclipsed forever, and that Cosette had written that to some one. Then he heard his soul, which had become terrible once more, give vent to a dull roar in the gloom. Try then the effect of taking from the lion the dog which he has in his cage!

Strange and sad to say, at that very moment, Marius had not yet received Cosette's letter; chance had treacherously carried it to Jean Valjean before delivering it to Marius. Up to that day, Jean Valjean had not been vanquished by trial. He had been subjected to fearful proofs; no violence of bad fortune had been spared him; the ferocity of fate, armed with all vindictiveness and all social scorn, had taken him for her prey and had raged against him. He had accepted every extremity when it had been necessary; he had sacrificed his inviolability as a reformed man, had yielded up his liberty, risked his head, lost everything, suffered everything, and he had remained disinterested and stoical to such a point that he might have been thought to be absent from himself like a martyr. His conscience inured to every assault of destiny, might have appeared to be forever impregnable. Well, any one who had beheld his spiritual self would have been obliged to concede that it weakened at that moment. It was because, of all the tortures which he had undergone in the course of this long inquisition to which destiny had doomed him, this was the most terrible. Never had such pincers seized him hitherto. He felt the mysterious stirring of all his latent sensibilities. He felt the plucking at the strange chord. Alas! the supreme trial, let us say rather, the only trial, is the loss of the beloved being.

Poor old Jean Valjean certainly did not love Cosette otherwise than as a father; but we have already remarked, above, that into this paternity the widowhood of his life had introduced all the shades of love; he loved Cosette as his daughter, and he loved her as his mother, and he loved her as his sister; and, as he had never had either a woman to love or a wife, as nature is a creditor who accepts no protest, that sentiment also, the most impossible to lose, was mingled with the rest, vague, ignorant, pure with the purity of blindness, unconscious, celestial, angelic, divine; less like a sentiment than like an instinct, less like an instinct than like an imperceptible and invisible but real attraction; and love, properly speaking, was, in his immense tenderness for Cosette, like the thread of gold in the mountain, concealed and virgin.

Let the reader recall the situation of heart which we have already indicated. No marriage was possible between them; not even that of souls; and yet, it is certain that their destinies were wedded. With the exception of Cosette, that is to say, with the exception of a childhood, Jean Valjean had never, in the whole of his long life, known anything of that which may be loved. The passions and loves which succeed each other had not produced in him those successive green growths, tender green or dark green, which can be seen in foliage which passes through the winter and in men who pass fifty. In short, and we have insisted on it more than once, all this interior fusion, all this whole, of which the sum total was a lofty virtue, ended in rendering Jean Valjean a father to Cosette. A strange father, forged from the grandfather, the son, the brother, and the husband, that existed in Jean Valjean; a father in whom there was included even a mother; a father who loved Cosette and adored her, and who held that child as his light, his home, his family, his country, his paradise.

Thus when he saw that the end had absolutely come, that she was escaping from him, that she was slipping from his hands, that she was gliding from him, like a cloud, like water, when he had before his eyes this crushing proof: "another is the goal of her heart, another is the wish of her life; there is a dearest one, I am no longer anything but her father, I no longer exist"; when he could no longer doubt, when he said to himself: "She is going away from me!" the grief which he felt surpassed the bounds of possibility. To have done all that he had done for the purpose of ending like this! And the very idea of being nothing! Then, as we have just said, a quiver of revolt ran through him from head to foot. He felt, even in the very roots of his hair, the immense reawakening of egotism, and the I in this man's abyss howled.

There is such a thing as the sudden giving way of the inward subsoil. A despairing certainty does not make its way into a man without thrusting aside and breaking certain profound elements which, in some cases, are the very man himself. Grief, when it attains this shape, is a headlong flight of all the forces of the conscience. These are fatal crises. Few among us emerge from them still like ourselves and firm in duty. When the limit of endurance is overstepped, the most imperturbable virtue is disconcerted. Jean Valjean took the blotter again, and convinced himself afresh; he remained bowed and as though petrified and with staring eyes, over those four unobjectionable lines; and there arose within him such a cloud that one might have thought that everything in this soul was crumbling away.

He examined this revelation, athwart the exaggerations of revery, with an apparent and terrifying calmness, for it is a fearful thing when a man's calmness reaches the coldness of the statue.

He measured the terrible step which his destiny had taken without his having a suspicion of the fact; he recalled his fears of the preceding summer, so foolishly dissipated; he recognized the precipice, it was still the same; only, Jean Valjean was no longer on the brink, he was at the bottom of it.

The unprecedented and heart-rending thing about it was that he had fallen without perceiving it. All the light of his life had departed, while he still fancied that he beheld the sun.

His instinct did not hesitate. He put together certain circumstances, certain dates, certain blushes and certain pallors on Cosette's part, and he said to himself: "It is he."

The divination of despair is a sort of mysterious bow which never misses its aim. He struck Marius with his first conjecture. He did not know the name, but he found the man instantly. He distinctly perceived, in the background of the implacable conjuration of his memories, the unknown prowler of the Luxembourg, that wretched seeker of love adventures, that idler of romance, that idiot, that coward, for it is cowardly to come and make eyes at young girls who have beside them a father who loves them.

After he had thoroughly verified the fact that this young man was at the bottom of this situation, and that everything proceeded from that quarter, he, Jean Valjean, the regenerated man, the man who had so labored over his soul, the man who had made so many efforts to resolve all life, all misery, and all unhappiness into love, looked into his own breast and there beheld a spectre, Hate.

Great griefs contain something of dejection. They discourage one with existence. The man into whom they enter feels something within him withdraw from him. In his youth, their visits are lugubrious; later on they are sinister. Alas, if despair is a fearful thing when the blood is hot, when the hair is black, when the head is erect on the body like the flame on the torch, when the roll of destiny still retains its full thickness, when the heart, full of desirable love, still possesses beats which can be returned to it, when one has time for redress, when all women and all smiles and all the future and all the horizon are before one, when the force of life is complete, what is it in old age, when the years hasten on, growing ever paler, to that twilight hour when one begins to behold the stars of the tomb?

While he was meditating, Toussaint entered. Jean Valjean rose and asked her:—

"In what quarter is it? Do you know?"

Toussaint was struck dumb, and could only answer him:—

"What is it, sir?"

Jean Valjean began again: "Did you not tell me that just now that there is fighting going on?"

"Ah! yes, sir," replied Toussaint. "It is in the direction of Saint-Merry."

There is a mechanical movement which comes to us, unconsciously, from the most profound depths of our thought. It was, no doubt, under the impulse of a movement of this sort, and of which he was hardly conscious, that Jean Valjean, five minutes later, found himself in the street.

Bareheaded, he sat upon the stone post at the door of his house. He seemed to be listening.

Night had come.


Translation notes[edit]

Textual notes[edit]

Citations[edit]