Difference between revisions of "Volume 1/Book 2/Chapter 4"
DeHavilland (talk | contribs) (Created page with "Les Misérables, Volume 1: Fantine, Book Second: The Fall, Chapter 4: Details concerning the Cheese-Dairies of Pontarlier<br /> (Tome 1: Fantine, Livre deuxième: La Chute, Ch...") |
(No difference)
|
Latest revision as of 13:38, 2 March 2014
Les Misérables, Volume 1: Fantine, Book Second: The Fall, Chapter 4: Details concerning the Cheese-Dairies of Pontarlier
(Tome 1: Fantine, Livre deuxième: La Chute, Chapitre 4: Détails sur les fromageries de Pontarlier)
Contents
General notes on this chapter[edit]
French text[edit]
Maintenant, pour donner une idée de ce qui se passa à cette table, nous ne saurions mieux faire que de transcrire ici un passage d'une lettre de mademoiselle Baptistine à madame de Boischevron, où la conversation du forçat et de l'évêque est racontée avec une minutie naïve:
«...Cet homme ne faisait aucune attention à personne. Il mangeait avec une voracité d'affamé. Cependant, après la soupe, il a dit:
«—Monsieur le curé du bon Dieu, tout ceci est encore bien trop bon pour moi, mais je dois dire que les rouliers qui n'ont pas voulu me laisser manger avec eux font meilleure chère que vous.
«Entre nous, l'observation m'a un peu choquée. Mon frère a répondu:
«—Ils ont plus de fatigue que moi.
«—Non, a repris cet homme, ils ont plus d'argent. Vous êtes pauvre. Je vois bien. Vous n'êtes peut-être pas même curé. Êtes-vous curé seulement? Ah! par exemple, si le bon Dieu était juste, vous devriez bien être curé.
«—Le bon Dieu est plus que juste, a dit mon frère.
«Un moment après il a ajouté:
«—Monsieur Jean Valjean, c'est à Pontarlier que vous allez?
«—Avec itinéraire obligé.
«Je crois bien que c'est comme cela que l'homme a dit. Puis il a continué:
«—Il faut que je sois en route demain à la pointe du jour. Il fait dur voyager. Si les nuits sont froides, les journées sont chaudes.
«—Vous allez là, a repris mon frère, dans un bon pays. À la révolution, ma famille a été ruinée, je me suis réfugié en Franche-Comté d'abord, et j'y ai vécu quelque temps du travail de mes bras. J'avais de la bonne volonté. J'ai trouvé à m'y occuper. On n'a qu'à choisir. Il y a des papeteries, des tanneries, des distilleries, des huileries, des fabriques d'horlogerie en grand, des fabriques d'acier, des fabriques de cuivre, au moins vingt usines de fer, dont quatre à Lods, à Châtillon, à Audincourt et à Beure qui sont très considérables....
«Je crois ne pas me tromper et que ce sont bien là les noms que mon frère a cités, puis il s'est interrompu et m'a adressé la parole:
«—Chère sœur, n'avons-nous pas des parents dans ce pays-là?
«J'ai répondu:
«—Nous en avions, entre autres M. de Lucenet qui était capitaine des portes à Pontarlier dans l'ancien régime.
«—Oui, a repris mon frère, mais en 93 on n'avait plus de parents, on n'avait que ses bras. J'ai travaillé. Ils ont dans le pays de Pontarlier, où vous allez, monsieur Valjean, une industrie toute patriarcale et toute charmante, ma sœur. Ce sont leurs fromageries qu'ils appellent fruitières.
«Alors mon frère, tout en faisant manger cet homme, lui a expliqué très en détail ce que c'étaient que les fruitières de Pontarlier;—qu'on en distinguait deux sortes:—les grosses granges, qui sont aux riches, et où il y a quarante ou cinquante vaches, lesquelles produisent sept à huit milliers de fromages par été; les fruitières d'association, qui sont aux pauvres; ce sont les paysans de la moyenne montagne qui mettent leurs vaches en commun et partagent les produits.—Ils prennent à leurs gages un fromager qu'ils appellent le grurin;—le grurin reçoit le lait des associés trois fois par jour et marque les quantités sur une taille double;—c'est vers la fin d'avril que le travail des fromageries commence; c'est vers la mi-juin que les fromagers conduisent leurs vaches dans la montagne.
«L'homme se ranimait tout en mangeant. Mon frère lui faisait boire de ce bon vin de Mauves dont il ne boit pas lui-même parce qu'il dit que c'est du vin cher. Mon frère lui disait tous ces détails avec cette gaîté aisée que vous lui connaissez, entremêlant ses paroles de façons gracieuses pour moi. Il est beaucoup revenu sur ce bon état de grurin, comme s'il eût souhaité que cet homme comprît, sans le lui conseiller directement et durement, que ce serait un asile pour lui. Une chose m'a frappée. Cet homme était ce que je vous ai dit. Eh bien! mon frère, pendant tout le souper, ni de toute la soirée, à l'exception de quelques paroles sur Jésus quand il est entré, n'a pas dit un mot qui pût rappeler à cet homme qui il était ni apprendre à cet homme qui était mon frère. C'était bien une occasion en apparence de faire un peu de sermon et d'appuyer l'évêque sur le galérien pour laisser la marque du passage. Il eût paru peut-être à un autre que c'était le cas, ayant ce malheureux sous la main, de lui nourrir l'âme en même temps que le corps et de lui faire quelque reproche assaisonné de morale et de conseil, ou bien un peu de commisération avec exhortation de se mieux conduire à l'avenir. Mon frère ne lui a même pas demandé de quel pays il était, ni son histoire. Car dans son histoire il y a sa faute, et mon frère semblait éviter tout ce qui pouvait l'en faire souvenir. C'est au point qu'à un certain moment, comme mon frère parlait des montagnards de Pontarlier, qui ont un doux travail près du ciel et qui, ajoutait-il, sont heureux parce qu'ils sont innocents, il s'est arrêté court, craignant qu'il n'y eût dans ce mot qui lui échappait quelque chose qui pût froisser l'homme. À force d'y réfléchir, je crois avoir compris ce qui se passait dans le cœur de mon frère. Il pensait sans doute que cet homme, qui s'appelle Jean Valjean, n'avait que trop sa misère présente à l'esprit, que le mieux était de l'en distraire, et de lui faire croire, ne fût-ce qu'un moment, qu'il était une personne comme une autre, en étant pour lui tout ordinaire. N'est-ce pas là en effet bien entendre la charité? N'y a-t-il pas, bonne madame, quelque chose de vraiment évangélique dans cette délicatesse qui s'abstient de sermon, de morale et d'allusion, et la meilleure pitié, quand un homme a un point douloureux, n'est-ce pas de n'y point toucher du tout? Il m'a semblé que ce pouvait être là la pensée intérieure de mon frère. Dans tous les cas, ce que je puis dire, c'est que, s'il a eu toutes ces idées, il n'en a rien marqué, même pour moi; il a été d'un bout à l'autre le même homme que tous les soirs, et il a soupé avec ce Jean Valjean du même air et de la même façon qu'il aurait soupé avec M. Gédéon Le Prévost ou avec M. le curé de la paroisse.
«Vers la fin, comme nous étions aux figues, on a cogné à la porte. C'était la mère Gerbaud avec son petit dans ses bras. Mon frère a baisé l'enfant au front, et m'a emprunté quinze sous que j'avais sur moi pour les donner à la mère Gerbaud. L'homme pendant ce temps-là ne faisait pas grande attention. Il ne parlait plus et paraissait très fatigué. La pauvre vieille Gerbaud partie, mon frère a dit les grâces, puis il s'est tourné vers cet homme, et il lui a dit: Vous devez avoir bien besoin de votre lit. Madame Magloire a enlevé le couvert bien vite. J'ai compris qu'il fallait nous retirer pour laisser dormir ce voyageur, et nous sommes montées toutes les deux. J'ai cependant envoyé madame Magloire un instant après porter sur le lit de cet homme une peau de chevreuil de la Forêt-Noire qui est dans ma chambre. Les nuits sont glaciales, et cela tient chaud. C'est dommage que cette peau soit vieille; tout le poil s'en va. Mon frère l'a achetée du temps qu'il était en Allemagne, à Tottlingen, près des sources du Danube, ainsi que le petit couteau à manche d'ivoire dont je me sers à table.
«Madame Magloire est remontée presque tout de suite, nous nous sommes mises à prier Dieu dans le salon où l'on étend le linge, et puis nous sommes rentrées chacune dans notre chambre sans nous rien dire.»
English text[edit]
Now, in order to convey an idea of what passed at that table, we cannot do better than to transcribe here a passage from one of Mademoiselle Baptistine's letters to Madame Boischevron, wherein the conversation between the convict and the Bishop is described with ingenious minuteness.
". . . This man paid no attention to any one. He ate with the voracity of a starving man. However, after supper he said:
"`Monsieur le Cure of the good God, all this is far too good for me; but I must say that the carters who would not allow me to eat with them keep a better table than you do.'
"Between ourselves, the remark rather shocked me. My brother replied:--
"`They are more fatigued than I.'
"`No,' returned the man, `they have more money. You are poor; I see that plainly. You cannot be even a curate. Are you really a cure? Ah, if the good God were but just, you certainly ought to be a cure!'
"`The good God is more than just,' said my brother.
"A moment later he added:--
"`Monsieur Jean Valjean, is it to Pontarlier that you are going?'
"`With my road marked out for me.'
"I think that is what the man said. Then he went on:--
"`I must be on my way by daybreak to-morrow. Travelling is hard. If the nights are cold, the days are hot.'
"`You are going to a good country,' said my brother. `During the Revolution my family was ruined. I took refuge in Franche-Comte at first, and there I lived for some time by the toil of my hands. My will was good. I found plenty to occupy me. One has only to choose. There are paper mills, tanneries, distilleries, oil factories, watch factories on a large scale, steel mills, copper works, twenty iron foundries at least, four of which, situated at Lods, at Chatillon, at Audincourt, and at Beure, are tolerably large.'
"I think I am not mistaken in saying that those are the names which my brother mentioned. Then he interrupted himself and addressed me:--
"`Have we not some relatives in those parts, my dear sister?'
"I replied,--
"`We did have some; among others, M. de Lucenet, who was captain of the gates at Pontarlier under the old regime.'
"`Yes,' resumed my brother; `but in '93, one had no longer any relatives, one had only one's arms. I worked. They have, in the country of Pontarlier, whither you are going, Monsieur Valjean, a truly patriarchal and truly charming industry, my sister. It is their cheese-dairies, which they call fruitieres.'
"Then my brother, while urging the man to eat, explained to him, with great minuteness, what these fruitieres of Pontarlier were; that they were divided into two classes: the big barns which belong to the rich, and where there are forty or fifty cows which produce from seven to eight thousand cheeses each summer, and the associated fruitieres, which belong to the poor; these are the peasants of mid-mountain, who hold their cows in common, and share the proceeds. `They engage the services of a cheese-maker, whom they call the grurin; the grurin receives the milk of the associates three times a day, and marks the quantity on a double tally. It is towards the end of April that the work of the cheese-dairies begins; it is towards the middle of June that the cheese-makers drive their cows to the mountains.'
"The man recovered his animation as he ate. My brother made him drink that good Mauves wine, which he does not drink himself, because he says that wine is expensive. My brother imparted all these details with that easy gayety of his with which you are acquainted, interspersing his words with graceful attentions to me. He recurred frequently to that comfortable trade of grurin, as though he wished the man to understand, without advising him directly and harshly, that this would afford him a refuge. One thing struck me. This man was what I have told you. Well, neither during supper, nor during the entire evening, did my brother utter a single word, with the exception of a few words about Jesus when he entered, which could remind the man of what he was, nor of what my brother was. To all appearances, it was an occasion for preaching him a little sermon, and of impressing the Bishop on the convict, so that a mark of the passage might remain behind. This might have appeared to any one else who had this, unfortunate man in his hands to afford a chance to nourish his soul as well as his body, and to bestow upon him some reproach, seasoned with moralizing and advice, or a little commiseration, with an exhortation to conduct himself better in the future. My brother did not even ask him from what country he came, nor what was his history. For in his history there is a fault, and my brother seemed to avoid everything which could remind him of it. To such a point did he carry it, that at one time, when my brother was speaking of the mountaineers of Pontarlier, who exercise a gentle labor near heaven, and who, he added, are happy because they are innocent, he stopped short, fearing lest in this remark there might have escaped him something which might wound the man. By dint of reflection, I think I have comprehended what was passing in my brother's heart. He was thinking, no doubt, that this man, whose name is Jean Valjean, had his misfortune only too vividly present in his mind; that the best thing was to divert him from it, and to make him believe, if only momentarily, that he was a person like any other, by treating him just in his ordinary way. Is not this indeed, to understand charity well? Is there not, dear Madame, something truly evangelical in this delicacy which abstains from sermon, from moralizing, from allusions? and is not the truest pity, when a man has a sore point, not to touch it at all? It has seemed to me that this might have been my brother's private thought. In any case, what I can say is that, if he entertained all these ideas, he gave no sign of them; from beginning to end, even to me he was the same as he is every evening, and he supped with this Jean Valjean with the same air and in the same manner in which he would have supped with M. Gedeon le Provost, or with the curate of the parish.
"Towards the end, when he had reached the figs, there came a knock at the door. It was Mother Gerbaud, with her little one in her arms. My brother kissed the child on the brow, and borrowed fifteen sous which I had about me to give to Mother Gerbaud. The man was not paying much heed to anything then. He was no longer talking, and he seemed very much fatigued. After poor old Gerbaud had taken her departure, my brother said grace; then he turned to the man and said to him, `You must be in great need of your bed.' Madame Magloire cleared the table very promptly. I understood that we must retire, in order to allow this traveller to go to sleep, and we both went up stairs. Nevertheless, I sent Madame Magloire down a moment later, to carry to the man's bed a goat skin from the Black Forest, which was in my room. The nights are frigid, and that keeps one warm. It is a pity that this skin is old; all the hair is falling out. My brother bought it while he was in Germany, at Tottlingen, near the sources of the Danube, as well as the little ivory-handled knife which I use at table.
"Madame Magloire returned immediately. We said our prayers in the drawing-room, where we hang up the linen, and then we each retired to our own chambers, without saying a word to each other."